Tentative de conciliation : 14 mars 2023 Cour d’appel de Riom RG n° 20/01582

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Tentative de conciliation : 14 mars 2023 Cour d’appel de Riom RG n° 20/01582
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14 MARS 2023

Arrêt n°

ChR/NB/NS

Dossier N° RG 20/01582 – N° Portalis DBVU-V-B7E-FPOB

[M] [Y]

/

S.A.S. STEF TRANSPORT CLERMONT-FERRAND

jugement au fond, origine conseil de prud’hommes – formation paritaire de clermont-ferrand, décision attaquée en date du 13 octobre 2020, enregistrée sous le n° f 19/00567

Arrêt rendu ce QUATORZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Frédérique DALLE, Conseiller

Mme Sophie NOIR, Conseiller

En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier et de Mme Jeanne BELCOUR, greffier stagiaire en pré affectation, lors des débats et Mme Nadia BELAROUI greffier lors du prononcé

ENTRE :

M. [M] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Henri ARSAC de la SCP ARSAC, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

APPELANT

ET :

S.A.S. STEF TRANSPORT CLERMONT-FERRAND Prise en la personne de son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me MIKOLAJCZAK, avocat suppléant Me Christian BROCHARD de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON –

INTIMEE

Après avoir entendu M. RUIN, Président en son rapport, les représentants des parties à l’audience publique du 16 Janvier 2023, la Cour a mis l’affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [M] [Y] est entré au service de la SAS STEF TRANSPORT à compter de décembre 2012, en qualité d’agent de quai, par contrats de travail temporaire. Monsieur [M] [Y] a été embauché le 3 mars 2014, sur le même poste par contrat de travail à durée indéterminée avec reprise de l’ancienneté au 1er décembre 2013. La relation de travail est régie par la convention collective nationale des transports routiers et des auxiliaires du transport.

Le 25 juin 2014, Monsieur [M] [Y] a été victime d’un accident du travail occasionnant un arrêt de travail pendant près de trois ans. La société STEF TRANSPORT a souscrit une déclaration d’accident du travail le 27 juin 2014.

Par courrier daté du 4 juillet 2014, la caisse primaire d’assurance maladie du PUY-DE-DOME a notifié à la société STEF TRANSPORT la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident dont a été victime Monsieur [Y].

Le 16 mars 2017, au terme de la visite médicale de reprise, Monsieur [M] [Y] a été déclaré inapte à son poste d’agent de quai.

Par courrier recommandé avec avis de réception expédié le 19 mai 2017, Monsieur [M] [Y] a été licencié pour inaptitude avec impossibilité de reclassement dans les termes suivants :

‘À la suite de l’accident du travail dont vous avez été victime le 24 juin 2014 et a l’issue de l’arrêt de travail qui en est résulté, vous avez été déclaré inapte aux fonctions « agent de quai” que vous exerciez précédemment, par le Médecin du travail, le 16 mars 2017.

Suite à une étude de poste effectuée le 10 mars 2017 avec le Médecin du travail, le certificat d’inaptitude établi par ce dernier proposait que vous soyez reclassé dans un poste présentant les caractéristiques et les réserves suivantes : ‘le salarié pourrait être apte à un poste ne comportant pas de manutention manuelle de charge et d’effort de traction ou de poussée avec les membres supérieurs, tel qu’un poste de commercial ou un poste administratif’.

Le médecin a insisté, dans l’optique d’un reclassement, sur la nécessité de ne pas avoir « de manutention manuelle de charge et d’effort de traction ou de poussée avec les membres supérieurs ”.

Nous nous sommes rencontrés le 22 mars 2017 afin d’évoquer avec vous les démarches de recherche de poste de reclassement ainsi que les postes disponibles. Nous vous avons alors présenté notre support d’aide au reclassement, « la bourse à l’emploi ”, afin que vous puissiez

nous communiquer vos souhaits de positionnement sur les postes disponibles au sein du Groupe STEF.

Le 3 avril 2017, nous vous avons à nouveau envoyé ce support d’aide au reclassement ‘la bourse de l’emploi’ afin que vous puissiez une nouvelle fois étudier les possibilités éventuelles de repositionnement sur les postes disponibles au sein du Groupe STEF.

De plus, dans la fiche de « traitement inaptitude/orientation de la recherche de reclassement » que vous avez rempli et lors de notre entretien du 22 mars, vous nous avez informés que vous n’étiez pas mobile géographiquement sur les postes présentés ce que vous nous avez confirmé lors d’une conversation téléphonique le 29 mars 2017 et dans votre courrier du 5 avril 2017.

Vous n’avez donc pas souhaité vous positionner sur l’un des postes listé dans la « Bourse de l’emploi ” du Groupe.

Nous avons ainsi effectué des recherches de reclassement au sein de l’entreprise et du Groupe mais les postes présentés correspondant à vos restrictions médicales d’aptitude et à vos compétences, ne sont pas en adéquation avec votre impossibilité de mobilité.

Par conséquent, après consultation des délégués du personnel et examen de ces préconisations, nous avons le regret de vous informer que votre reclassement dans l’entreprise s’avère impossible, faute de poste disponible en adéquation à vos restrictions médicales, à vos compétences et à votre demande de non-mobilité hors du département.

Il s’avère qu’aucun poste adapté n’est actuellement disponible ni dans l’entreprise, ni dans le Groupe auquel nous appartenons parmi les entreprises et entités de celui-ci, dont les activités, l’organisation ou les lieux d’exploitation permettent de permuter tout ou partie du personnel. En outre, aucune solution d’aménagement ou de transformation de poste n’est également envisageable. Ainsi, nous nous trouvons dans l’obligation d’envisager à votre égard une procédure de licenciement…’

Le 26 juillet 2017, Monsieur [M] [Y] a saisi le conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND afin de voir juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement et obtenir l’indemnisation afférente.

L’audience devant le bureau de conciliation et d’orientation s’est tenue en date du 5 octobre 2017 et, comme suite au constat de l’absence de conciliation, l’affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Par jugement rendu le 13 octobre 2020, le conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND a :

– dit et jugé qu’i1 est compétent pour statuer sur les demandes présentées par Monsieur [M] [Y] ;

– dit et jugé les demandes de Monsieur [M] [Y] recevables mais non fondées ;

– constaté que la SAS STEP TRANSPORT a exécuté loyalement le contrat de travail de Monsieur [M] [Y] et que le licenciement de ce dernier repose sur une cause réelle et sérieuse ;

– débouté Monsieur [M] [Y] de l’ensemble de ses demandes ;

– dit qu’il n’y a pas lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– condamné Monsieur [M] [Y] aux dépens.

Le 6 novembre 2020, Monsieur [M] [Y] a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance d’incident en date du 6 juillet 2021, le président chargé de la mise en état des affaires de la chambre sociale de la cour d’appel de RIOM a rejeté la demande de sursis à statuer dans l’attente de la décision de la Cour de cassation sur le pourvoir formé contre l’arrêt rendu le 29 septembre 2020 par la chambre sociale et condamné l’employeur à verser à Monsieur [Y] une somme de 300 euros au titre des frais irrépétibles à cette procédure d’incident ainsi qu’aux entiers dépens de la procédure d’incident.

Vu les conclusions notifiées à la cour le 19 avril 2021 par la SAS STEF TRANSPORT,

Vu les conclusions notifiées à la cour le 16 décembre 2022 par Monsieur [M] [Y],

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 19 décembre 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières écritures, Monsieur [M] [Y] conclut à l’infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, demande à la cour de :

– juger son licenciement sans cause réelle et condamner en conséquence l’employeur à lui verser la somme de 17.925,60 euros correspondant à 12 mois de salaire à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– condamner la SAS STEF TRANSPORT à payer à Monsieur [Y] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;

– dire que les sommes précitées à l’exception des dommages et intérêts porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur à l’audience de tentative de conciliation valant mise en demeure et dire que les intérêts seront capitalisés en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;

– enjoindre la remise des documents Pôle emploi, bulletin de salaire et certificat de travail conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du jour suivant la notification de la décision à intervenir.

Monsieur [M] [Y] expose avoir été victime d’un accident du travail à l’égard duquel la faute inexcusable de l’employeur a été reconnue aux termes d’un arrêt rendu le 29 septembre 2020 par la cour d’appel de Riom, étant précisé que le pourvoi formé par la SAS STEF TRANSPORT devant la Cour de cassation a été rejeté par cette juridiction.

Il explique par ailleurs que lors de la survenance de son accident du travail le 25 juin 2014, il accomplissait ses missions habituelles de travail en sorte que l’employeur avait nécessairement connaissance du risque auquel il était exposé. Il ajoute que l’intimé n’a pris aucune mesure pour prévenir sa survenance.

Il considère de la sorte que l’employeur a méconnu son obligation de sécurité de résultat à son égard et sollicite ainsi que son licenciement soit déclaré sans cause réelle et sérieuse.

Il considère ensuite que l’employeur n’a pas poursuivi de recherches loyales et sérieuses de reclassement, que le document Bourse à l’emploi liste l’ensemble des postes disponibles dont certains sont contraires aux indications émises par le médecin du travail, ainsi que des postes d’agent de quai alors même qu’il a été déclaré inapte à l’exercice de cette fonction. Il en déduit que l’employeur ne démontre pas avoir recherché activement à pourvoir à son reclassement sur un poste correspondant aux recommandations de la médecine du travail, de même qu’il ne justifie pas avoir recherché un éventuel aménagement ou transformation de poste. Il sollicite de même, de ce chef, que soit jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement dont il a fait l’objet.

Dans ses dernières écritures, la SAS STEF TRANSPORT conclut à la confirmation du jugement entrepris et demande à la cour, y ajoutant, de condamner Monsieur [Y] à lui payer la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

L’intimée conteste tout d’abord toute origine professionnelle de l’inaptitude du salarié et plus spécialement :

* l’existence même d’un accident du travail en l’absence de toute crédibilité des déclarations effectuées par le salarié en l’absence de tout témoin et ce alors même qu’il lui incombe de rapporter la preuve de la matérialité de l’accident dont il excipe ;

* l’existence d’un fait accidentel ;

* avoir contrevenu à son obligation de sécurité à l’égard du salarié en l’absence de toute connaissance raisonnable d’un danger auquel aurait pu être exposé Monsieur [Y] dans l’exercice de ses fonctions ;

* l’existence de quelconques alertes ou signalements antérieurs au prétendu accident ;

* ne pas avoir pris les mesures utiles à préserver la santé et la sécurité de ses salariés. (Contrôle préventif des semi-remorques, formation à la sécurité dispensée aux salariés).

Elle réfute ensuite avoir contrevenu à son obligation de recherche de reclassement et relève que le médecin du travail a expressément exclu du périmètre de reclassement les postes d’agent de quai et de chauffeur livreur et que compte-tenu des aptitudes résiduelles du salarié, seul un poste administratif ou commercial pouvait lui être proposé. Elle souligne en outre l’absence de mobilité du salarié telle que renseignée sur la fiche ‘inaptitude/orientation de la recherche de reclassement’, en sorte qu’elle n’était pas tenue d’étendre ses recherches à un périmètre non désiré par le salarié. Elle ajoute qu’elle ne disposait d’aucun poste disponible en interne mais qu’elle a néanmoins élargi le champ du reclassement en communiquant au salarié l’ensemble des postes disponibles dans le groupe et qu’en dépit de l’existence de postes disponibles, celui-ci n’a pas émis le souhait d’être reclassé sur ceux-ci.

Elle conclut ainsi au bien fondé du licenciement notifié pour inaptitude et impossibilité de reclassement au salarié et sollicite qu’il soit débouté de l’ensemble de ses demandes.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.

MOTIFS

– Sur l’origine professionnelle de l’inaptitude –

Alors que Monsieur [M] [Y] se plaint de ce que son inaptitude à occuper le poste qui était le sien au sein de l’entreprise est la conséquence de l’accident du travail dont il a été victime le 25 juin 2014, la société STEF conteste que le salarié ait été victime d’un accident du travail.

Monsieur [M] [Y] se référant à l’arrêt rendu le 29 septembre 2020 par la cour d’appel de Riom, laquelle a reconnu le caractère professionnel de l’accident et la faute inexcusable de l’employeur dans sa réalisation, l’employeur souligne, à juste titre, l’autonomie de la juridiction prud’homale vis-à-vis des décisions prises par les organismes de sécurité sociale.

Il est, en effet, constant que le code du travail comporte des dispositions protectrices des salariés victimes d’inaptitude d’origine professionnelle dont la mise en oeuvre devant la juridiction prud’homale est totalement indépendante de la qualification ou du régime retenu par les organismes et les juridictions de sécurité sociale même si ceux-ci ont une compétence exclusive pour connaître des litiges relatifs aux accidents du travail et à l’indemnisation complémentaire pour faute inexcusable en vertu de règles spécifiques édictées par les articles L 451-1 et L 452-1 du code de la sécurité sociale. Il s’ensuit qu’en cas de litige prud’homal portant sur l’inaptitude d’un salarié et les causes de celle-ci, il appartient au juge prud’homal d’apprécier le lien de causalité entre la pathologie, le travail et l’inaptitude, quelle que soit la position prise par la caisse ou les juridictions de sécurité sociale.

Pour contester l’existence d’un accident du travail, l’employeur fait valoir que l’accident dont se prévaut le salarié n’a pas eu de témoins, que Monsieur [M] [Y] a attendu jusqu’à 18h45 pour signaler à son supérieur hiérarchique un accident qui serait survenu à 18h10 et que, malgré la nature des lésions décrites, le salarié a poursuivi son activité jusqu’à 18h29.

Cependant, il résulte de la déclaration d’accident du travail mais aussi de la ‘fiche de recueil des faits’ rédigée à la suite des faits par un représentant de l’employeur (‘Mme [F], RH’) que, le 25 juin 2014, à 18h10, Monsieur [M] [Y] était occupé à procéder au chargement d’un camion lorsqu’il a, selon ses déclarations, essayé de baisser la paroi dans un camion et que, ‘d’un coup’, la paroi est partie vers le haut en tirant fort sur son bras gauche.

Les camions de l’entreprise sont équipés, selon les explications fournies par les parties, de parois coulissantes ou cloisons de compartimentation permettant de séparer les produits surgelés des produits frais et qui doivent être manipulées en fonction du chargement à effectuer. La fiche de recueil des faits mentionne qu’à la suite de l’accident, Monsieur [M] [Y] a présenté une ‘déchirure musculaire du gras gauche’ (il n’est pas contesté que la mention sur la déclaration d’accident du travail d’une lésion au pied gauche résulte d’une erreur matérielle).

M. [K], supérieur hiérarchique de Monsieur [M] [Y], rapporte que, le 25 juin 2014, celui-ci est venu l’informer de ce qu’il venait de se blesser au bras gauche suite à la manipulation de la paroi se trouvant à l’intérieur d’une remorque. Après avoir essayé de poursuivre son travail, Monsieur [M] [Y] est revenu vers M. [K], au bout de quelques minutes, ‘avec des douleurs’. M. [K] lui a alors dit de rentrer chez lui et de se rendre préalablement au bureau d’exploitation pour demander à M. [E] d’établir une déclaration d’accident.

Le certificat médical initial, en date du 26 juin 2014, fait état d’une ‘déchirure musculaire membre supérieur gauche’. A la suite de ces faits, Monsieur [M] [Y] est resté, sans interruption, en situation d’arrêt de travail (les avis de prolongation d’arrêt de travail faisant mention des douleurs et gènes fonctionnelles du membre supérieur gauche) jusqu’à ce qu’il fasse l’objet d’une visite médicale de pré-reprise, le 16 février 2017, puis d’une visite de reprise, le 10 mars 2017 à la suite de laquelle il a été déclaré inapte à son poste, le médecin du travail précisant qu’il pourrait être apte à un poste ne comportant pas de manutention manuelle de charges ni d’effort de traction ou de poussée avec les membres supérieurs.

Compte tenu que l’accident a été signalé dans les minutes qui ont suivi à plusieurs membres du personnel et, notamment, à des représentants de l’employeur, ces éléments sont en tous points concordants pour établir la réalité de l’accident dont a été victime Monsieur [M] [Y] le 25 juin 2014 alors qu’il était à son poste de travail et occupé à exécuter son activité professionnelle habituelle (même s’il s’est écoulé quelques minutes entre l’accident lui-même et son signalement et le constat de l’impossibilité de poursuivre le travail). Rien ne permet de laisser penser que les blessures reçues pourraient avoir une autre cause.

L’employeur fait valoir que l’état et le fonctionnement des parois sont régulièrement vérifiés, qu’aucune anomalie n’avait été signalée sur le camion concerné et que Monsieur [M] [Y] n’avait pas à manipuler cette cloison, le chargement qu’il devait effectuer ne comportant pas de produits surgelés. Enfin, selon le responsable technique des véhicules, il n’est matériellement pas possible que la paroi soit remontée d’un seul coup.

Toutefois, le document produit par l’employeur concernant les missions assurées par le camion en cause ne fournit aucune indication utile sur le chargement auquel le salarié était occupé au moment des faits alors que Monsieur [M] [Y] explique, en fournissant des précisions détaillées que rien ne vient contredire, que la paroi doit être manipulée non seulement en présence de produits surgelés mais aussi dans d’autres hypothèses, notamment lorsque les palettes sont trop hautes ou que le chargement est peu important.

Par ailleurs, si l’employeur justifie d’un contrôle réalisé sur le véhicule concerné le 10 avril 2014, il n’est aucunement attesté du bon fonctionnement de la paroi litigieuse le jour des faits.

Quant aux documents techniques concernant cette paroi et aux explications techniques fournies par le responsable technique de l’entreprise, il ne s’agit que de données théoriques sans valeur probante quant à l’état réel de la paroi alors qu’il ressort de plusieurs témoignages de salariés que le mauvais fonctionnement des parois coulissantes équipant les semi-remorques de l’entreprise avait déjà été signalé dans le passé.

En tout état de cause, l’employeur ne produit aucun élément de nature à remettre en cause la réalité de l’accident litigieux et son origine professionnelle.

Comme les lésions constatées à la suite de cet accident sont compatibles avec les constatations médicales effectuées postérieurement et les préconisations du médecin du travail, les éléments versés aux débats, établissent, en l’absence de preuve qu’il pourrait exister une quelconque autre cause pouvant expliquer l’inaptitude de Monsieur [M] [Y], que cette inaptitude est la conséquence des lésions subies à l’occasion de l’accident du 25 juin 2014.

– Sur l’obligation de sécurité de l’employeur –

L’article L. 4121-1 du code du travail oblige l’employeur à prendre ‘les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs’.

Ces mesures comprennent :

‘1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés’.

L’employeur doit veiller ‘à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes’.

L’employeur est ainsi tenu vis-a-vis de ses salariés d’une obligation de sécurité dans le cadre ou à l’occasion du travail. Cette obligation de sécurité s’applique à toute situation de risque en matière de sécurité et de protection de la santé physique et mentale des travailleurs. Pour satisfaire à cette obligation, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en justifiant, d’une part, avoir pris toutes les mesures de prévention prévues notamment par les articles L. 4121-l et L. 4121-2 du code du travail et, d’autre part, dès qu’il est informé de l’existence de faits susceptibles de constituer une atteinte à la sécurité ou la santé, physique et mentale d’un salarié, avoir pris les mesures immédiates propres à les faire cesser.

La responsabilité de l’employeur est engagée vis-a-vis d’un salarié dès lors qu’un risque pour la santé ou la sécurité de celui-ci est avéré sans qu’il soit nécessaire que soit constatée une atteinte effective à la santé.

En l’espèce, Monsieur [M] [Y] verse aux débats plusieurs documents qui tendent à montrer que la défectuosité des parois équipant les semi-remorques de l’entreprise était connue.

Il ressort, en effet, de la ‘fiche enquête accident du travail’ établie à l’occasion de l’accident survenu à un autre salarié (M. [W]) le 25 juin 2013, que l’accident s’est produit lorsque le salarié a tiré sur la paroi pour l’ouvrir (celle-ci étant collée par l’humidité) et qu’il a ressenti alors une vive douleur dans le dos. Selon l’avis du CHSCT, mentionné sur cette fiche, ‘les parois sont dans un état déplorable et représentent un risque pour le personnel conducteur et quai (…). Le fait que des agents de quai et des conducteurs soient obligés de se mettre à deux pour manipuler les parois n’est pas normal’.

Il est justifié d’un autre accident dont a été victime une salariée de l’entreprise le 25 février 2015, la paroi étant tombée d’un coup sur la tête de la victime alors qu’elle tirait sur la corde pour la faire descendre.

Les réunions des délégués du personnel se font l’écho des difficultés résultant du fonctionnement des parois équipant les véhicules de l’entreprise. En mai 2014, il a ainsi été signalé, à l’occasion d’une réunion des délégués du personnel, qu’une semi-remorque avait une paroi ‘qui ne tient pas’ et que les conducteurs sont obligés de la faire tenir avec une barre. A l’occasion d’une autre réunion, en date de février 2015, il a été demandé à l’employeur où en étaient les révisions des vérins des parois des semi-remorques en citant l’exemple d’un véhicule dont les parois ne fonctionnent pas. En mars 2015, l’employeur a été alerté sur le cas d’un agent de quai ‘qui s’est pris une demi-paroi dessus’ parce que les vérins étaient ‘fatigués’. Il a été aussi évoqué le cas d’un autre agent de quai ayant constaté le même défaut sur le même véhicule. En février 2017, l’employeur a été interrogé sur le cas d’un salarié qui s’est blessé en décrochant une paroi le 2 janvier 2017. L’auteur de l’interrogation a posé la question : ‘où en est-on avec les parois des semis’ La santé et la sécurité des salariés STEF a-t-elle une importance pour la direction”.

Six salariés de l’entreprise (M. [H], M. [I], M. [J], M. [U], M. [V], M. [T]) attestent avoir constaté, à de nombreuses reprises, que les parois intérieures des semi-remorques sont en mauvais état, qu’elles sont difficiles à manipuler, que certains vérins sont en mauvais état et qu’il arrive que les parois se lèvent ou se baissent brusquement. Ils soulignent le caractère récurrent de ces défectuosités ainsi que le danger présenté par ces parois très lourdes et certains précisent avoir été victimes d’accident. Plusieurs précisent que la direction a été interpellée sur les risques d’accident.

Il est vrai, comme le souligne l’employeur, que certains faits ainsi évoqués sont postérieurs à l’accident dont a été victime Monsieur [M] [Y] et que les éléments dont il se prévaut ne font pas spécifiquement référence aux défectuosités affectant le véhicule qui lui était confié le 25 juin 2014. Cependant, rien ne permet de vérifier l’existence de mesures propres à éviter les risques présentés par ces parois.

Si l’employeur justifie d’interventions effectuées sur les véhicules de l’entreprise et, plus précisément sur la semi-remorque concernée par l’accident dont a été victime Monsieur [M] [Y], et s’il est justifié que la paroi d’un certain camion a fait l’objet d’une réparation ponctuelle suite à une panne, les pièces produites ne permettent aucunement de vérifier l’existence de contrôles particuliers effectués sur la paroi intérieure du camion chargé par Monsieur [M] [Y] le 25 juin 2014, que ce soit avant ou après l’accident. La seule demande de vérification concernant la cloison des semi-remorques de l’entreprise dont il est justifié est constituée par un formulaire daté du 2 juin 2016, soit près de deux ans après l’accident. Au demeurant, ce document, qui n’est qu’un formulaire vierge non signé, ne fournit aucune indication sur les contrôles effectivement réalisés et ne présente aucun caractère probant.

L’employeur justifie que Monsieur [M] [Y] a suivi, le jour même de l’accident, une formation sur les règles de sécurité, mais il ne ressort nullement du document produit que cette formation aurait porté, même partiellement, sur la manipulation de la paroi coulissante et il n’est aucunement justifié d’une formation à ce titre qu’il aurait suivie antérieurement.

L’employeur n’est pas fondé à soutenir qu’il n’avait pas connaissance du danger auquel était exposé spécifiquement Monsieur [M] [Y]. Il ressort des éléments d’appréciation versés aux débats (cf supra) que la société STEF avait été informée avant le 25 juin 2014 des dysfonctionnements de la paroi intérieure coulissante des semi-remorques et des risques pour la santé encourus par les salariés, notamment les agents de quai, du fait de la manipulation de la demi-cloison. Or, Monsieur [M] [Y] était exposé à ce danger au même titre que les autres agents de quai. Il n’est justifié d’aucune intervention visant à permettre que les manipulations des parois coulissantes puissent s’effectuer sans mettre en danger la sécurité ni de la moindre formation visant à réduire les risques. La récurrence des accidents et des signalements où sont en cause les défectuosités affectant les parois coulissantes montrent que l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour prévenir le risque auquel était exposé le salarié.

Ces manquements de l’employeur à son obligation de sécurité sont à l’origine de l’accident du travail survenu le 25 juin 2014 dont a été victime Monsieur [M] [Y].

Il convient de relever que, même postérieurement, en tout cas jusqu’en 2017, l’employeur n’avait toujours pas pris les mesures nécessaires pour protéger ses salariés des risques encourus pour la santé du fait des dysfonctionnements

affectant la paroi intérieure coulissante des semi-remorques.

Le jugement sera, en conséquence, infirmé en ce qu’il n’a pas retenu l’existence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

– Sur le licenciement –

Monsieur [M] [Y] a été déclaré inapte à son poste de travail en un seul examen par le médecin du travail le 16 mars 2017 et a été licencié le 19 mai suivant pour ‘inaptitude’ et ‘impossibilité de reclassement’.

En droit, l’inaptitude du salarié à occuper son emploi est de nature à justifier son licenciement en l’absence de solution de reclassement. Néanmoins, ainsi que le fait valoir à juste titre le salarié, un tel licenciement, même s’il est fondé sur une inaptitude régulièrement constatée par le médecin du travail, se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse s’il apparaît que l’inaptitude a pour origine un manquement préalable de l’employeur à ses obligations.

Or, les éléments versés aux débats, établissent, en l’absence de preuve qu’il pourrait exister une quelconque autre cause pouvant expliquer l’inaptitude du salarié, que cette inaptitude est la conséquence de l’accident du travail dont Monsieur [M] [Y] a été victime le 25 juin 2014, lequel est lui-même la conséquence du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Le jugement sera, en conséquence, infirmé en ce qu’il a débouté Monsieur [M] [Y] de sa demande tendant à voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Monsieur [M] [Y], née en 1983, a été licencié à l’âge de 33 ans après 4 ans d’ancienneté au service d’une entreprise, dont il n’est pas contesté qu’elle employait au moins 11 salariés à la date du licenciement. Il indique avoir repris une activité en intérim en versant aux débats un bulletin de salaire de décembre 2018 et il justifie de revenus à hauteur de 13 600,00 euros en 2018 et de 18 400,00 euros en 2019.

Compte tenu de ces éléments ainsi que du salaire mensuel brut que le salarié percevait et qui n’est pas contesté (1 493,80 euros), Monsieur [M] [Y] est bien fondé à solliciter, en application de l’article L. 1226-15 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, s’agissant d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse fondé sur une inaptitude d’origine professionnelle, la somme de 17.925,60 euros brut à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

En conséquence, la société STEF TRANSPORT sera condamnée à payer à Monsieur [M] [Y] la somme de 17.925,60 euros (brut), à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Cette somme, fixée judiciairement, produira intérêts à compter du présent arrêt et les intérêts seront eux-mêmes capitalisés en application de l’article 1343-2 du code civil.

– Sur la remise de documents –

La société STEF TRANSPORT devra remettre à Monsieur [M] [Y] un bulletin de salaire, un certificat de travail et une attestation destinée au POLE EMPLOI conformes au présent arrêt. Cette remise devra intervenir dans le délai de quinze jours suivant le présent arrêt, sous peine d’une astreinte de 50,00 euros par jour de retard.

– Sur les dépens et frais irrépétibles –

La société STEF TRANSPORT devra supporter les entiers dépens de première instance et d’appel ce qui exclut qu’elle puisse prétendre bénéficier des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La société STEF TRANSPORT sera condamnée à payer à Monsieur [M] [Y] une somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

– Infirme le jugement sauf en ce que le conseil de prud’hommes a dit qu’il est compétent pour statuer sur les demandes présentées par Monsieur [M] [Y] et jugé recevables les demandes de Monsieur [M] [Y] ;

Statuant à nouveau,

– Dit le licenciement de Monsieur [M] [Y] sans cause réelle et sérieuse ;

– Condamne la société STEF TRANSPORT à payer à Monsieur [M] [Y] la somme de 17.925,60 euros (brut), à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– Dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et que les intérêts seront eux-mêmes capitalisés en application de l’article 1343-2 du code civil ;

– Dit que la société STEF TRANSPORT doit remettre Monsieur [M] [Y] un bulletin de salaire, un certificat de travail et une attestation destinée au POLE EMPLOI conformes au présent arrêt, et dit que cette remise devra intervenir dans le délai de quinze jours suivant le présent arrêt, sous peine d’une astreinte de 50 euros par jour de retard ;

– Condamne la société STEF TRANSPORT aux dépens de première instance ;

– Y ajoutant, condamne la société STEF TRANSPORT à payer à Monsieur [M] [Y] une somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamne la société STEF TRANSPORT aux dépens d’appel ;

– Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le greffier, Le Président,

N. BELAROUI C. RUIN

 


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