Tentative de conciliation : 14 juin 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 19/03360

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Tentative de conciliation : 14 juin 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 19/03360
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délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

1re chambre sociale

ARRET DU 14 JUIN 2023

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 19/03360 – N° Portalis DBVK-V-B7D-OE5R

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 10 AVRIL 2019

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER N° RG F 16/01733

APPELANTE :

SNC TROIS GRACES

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Nathalie MONSARRAT LACOURT de la SCP SVA, avocat au barreau de MONTPELLIER

Représentée par Me Arnaud LAURENT de la SCP SVA, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMES :

Me [V] [Y] – Mandataire ad’hoc de Société [I]

[Adresse 7]

[Localité 5]

Représenté par Me Isabelle MOLINIER de la SCP CALAUDI/BEAUREGARD/MOLINIER/LEMOINE, avocat au barreau de MONTPELLIER

Représenté par Me Christophe BEAUREGARD de la SCP CALAUDI/BEAUREGARD/MOLINIER/LEMOINE, avocat au barreau de MONTPELLIER

Monsieur [C] [E]

né le 07 Août 1958 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représenté par Me Mélanie EPASSY, avocat au barreau de MONTPELLIER

Association CGEA DE [Localité 8] UNEDIC

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentée par Me Delphine CLAMENS-BIANCO de la SELARL CHATEL ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 06 Septembre 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 FEVRIER 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre

Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère

Monsieur [C] FOURNIE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Isabelle CONSTANT

ARRET :

– Contradictoire

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Philippe CLUZEL greffier.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [C] [E] a été engagé à compter du 1er août 1988 au sein du débit de boissons dénommé « Les Trois Grâces » situé [Adresse 2] dont le gérant était Monsieur [P].

De 1992 à 2015, Monsieur [P] puis la SNC Les Trois Grâces venant aux droits du gérant, donnaient en location-gérance le fonds de commerce à plusieurs locataires gérants successifs. C’est ainsi, qu’à compter du 27 mars 2013, la SNC Les Trois Grâces confiait la location-gérance du fonds à la SARL [I] avec transfert du contrat de travail de Monsieur [C] [E] à son profit.

Le 30 janvier 2015, la SARL [I] était placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Montpellier.

Par acte d’huissier du 2 février 2015, le bailleur faisait procéder à l’inventaire du matériel, mentionnait l’existence d’un arriéré de loyers de 54747,03 euros au 30 janvier 2015, constatait la cessation d’activité de la SARL [I] et la remise des clés par le locataire gérant au bailleur.

Le 20 mars 2015 Me [G] [Z] ès qualités de mandataire judiciaire de la SARL [I] adressait un courrier recommandé avec demande d’avis de réception à la SNC Les Trois Grâces aux termes duquel elle prenait acte que le bailleur avait mis fin à la location-gérance et l’informait que les salariés n’ayant été ni repris ni licenciés, elle allait procéder au licenciement des salariés.

Suivant jugement du tribunal de commerce de Montpellier du 20 mars 2015, la SARL [I] faisait l’objet d’une liquidation judiciaire et Me [G] [Z] était désignée en qualité de mandataire liquidateur de la SARL [I].

Les salariés n’ayant été ni repris ni licenciés par la SNC Les Trois Grâces, Me [G] [Z] a procédé à leur licenciement le 3 avril 2015 et par courrier recommandé du même jour adressé au propriétaire de la location-gérance, elle l’a informé qu’elle procédait au licenciement de l’ensemble des salariés de la SARL [I].

C’est dans ce contexte, que confronté au refus de prise en charge par l’AGS dont l’informait Me [G] [Z] par courrier du 16 août 2016, Monsieur [C] [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Montpellier par requête du 28 décembre 2016 aux fins de voir son licenciement déclaré sans cause réelle et sérieuse et de fixation de sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la SARL [I] sous garantie de l’AGS.

Le 5 juillet 2017, à la demande de Monsieur [E], la SNC Les Trois Grâces était convoquée par le greffier du conseil de prud’hommes à l’audience de jugement du 29 novembre 2017 à laquelle elle sollicitait le renvoi de l’affaire avant d’être assignée à l’audience du 10 octobre 2018.

Estimant que son contrat de travail avait été transféré de plein droit à la SNC Les Trois Grâces, Monsieur [E] réclamait en définitive devant le conseil de prud’hommes la fixation de sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la SARL [I] et la condamnation solidaire de la SNC Les Trois Grâces et de Me [Z] es qualités de liquidateur de la SARL [I], à lui payer les sommes suivantes :

’13 264,29 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

‘3528,96 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 352,90 euros au titre des congés payés sur préavis,

‘2117,37 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés, outre 211,73 euros au titre des congés payés afférents,

‘105 868,80 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il réclamait également la condamnation de la SNC Les Trois Grâces ou de tout succombant à lui remettre l’attestation à destination de Pôle-Emploi et le certificat de travail rectifié quant à l’ancienneté conformément au jugement à intervenir, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard passé le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision.

Il demandait enfin la condamnation solidaire de la SNC Les Trois Grâces et de Me [Z] es qualités de liquidateur de la SARL [I] à lui payer une somme de 167,46 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er au 3 avril 2015, la condamnation solidaire de la SNC Les Trois Grâces, Me [Z] es qualités de liquidateur de la SARL [I], et l’UNEDIC délégation AGS à lui payer une somme de 5000 euros en réparation de son préjudice moral ainsi qu’une somme de 1500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 10 avril 2019 le conseil de prud’hommes de Montpellier, considérant que le contrat de travail du salarié avait été transféré de plein droit à la SNC Les Trois Grâces, a condamné solidairement la SNC Les Trois Grâces et Me [Z] au paiement des sommes suivantes :

’13 264,29 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

‘3528,96 euros à titre d’indemnité de préavis, outre 352,90 euros au titre des congés payés afférents,

‘2117,37 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés.

Il a également ordonné la remise par la SNC Les Trois Grâces, ou tout succombant, à remettre au salarié l’attestation à destination de pôle-emploi et le certificat de travail rectifié quant à l’ancienneté.

Il a par ailleurs condamné la SNC les Trois Grâces à payer au salarié une somme de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, déclaré la mise hors de cause de l’UNEDIC, délégation AGS,CGEA de [Localité 8], ordonné le remboursement par la SNC les Trois Grâces à l’organisme intéressé des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite d’un mois d’indemnités de chômage, condamné la SNC les Trois Grâces à payer au salarié une somme de 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et mis les dépens à la charge de la SNC les Trois Grâces.

La SNC les Trois Grâces a relevé appel de la décision du conseil de prud’hommes le 14 mai 2019.

La liquidation judiciaire de la SARL [I] pour insuffisance d’actifs a été clôturée le 3 septembre 2021 mettant fin à la mission de Me [G] [Z].

Par ordonnance du président du tribunal de commerce de Montpellier du 15 décembre 2021, la SELARL Etude Balincourt, représentée par Me [V] [Y], a été désignée en qualité de mandataire ad hoc de la SARL [I].

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 9 mars 2022, la SNC les Trois Grâces conclut in limine litis à la nullité du jugement et de la procédure prud’homale à son égard en ce qu’elle a été privée de la phase de conciliation inhérente au procès prud’homal. À titre principal elle conclut à l’irrecevabilité des demandes de Monsieur [E] dirigées contre elle en raison de la prescription de l’action en contestation de la rupture de son contrat de travail puisque celle-ci est intervenue le 3 avril 2015 alors qu’elle n’était appelée en cause que le 7 juillet 2017. À titre subsidiaire, considérant qu’au jour de la notification du licenciement de Monsieur [E], il n’existait aucune ordonnance du juge-commissaire constatant la résiliation de plein droit du contrat de location-gérance, elle soutient que le contrat de travail de Monsieur [E] ne lui a pas été transféré et demande par conséquent sa mise hors de cause et le débouté de Monsieur [E] de l’intégralité de ses demandes. À titre infiniment subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour viendrait à considérer qu’elle était l’employeur de Monsieur [E] et estimerait que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, elle conclut également à sa mise hors de cause en l’absence de tout agissement de sa part susceptible de caractériser une faute à l’encontre de Monsieur [E] ainsi qu’au débouté de ce dernier de l’intégralité de ses demandes et à la condamnation de Me [Z], ès qualités, à assumer les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse. À titre plus infiniment subsidiaire, elle sollicite la limitation de l’indemnité légale de licenciement à la somme de 3410,748 euros, le débouté du salarié de sa demande de congés payés sur l’indemnité compensatrice de congés payés ainsi que de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à défaut de préjudice prouvé, ou à tout le moins à ce que cette indemnité soit ramenée à de plus justes proportions. Elle conclut également au débouté de Monsieur [E] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, de sa demande de rappel de salaire ainsi qu’à la garantie de l’UNEDIC, délégation AGS relativement aux créance de Monsieur [E] à l’égard de son employeur. Elle revendique en tout état de cause la condamnation de Monsieur [E] à lui payer une somme de 2500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières écritures notifiées par RPVA le 2 septembre 2022, Monsieur [C] [E] sollicite qu’il soit procédé à la tentative préalable de conciliation prévue par la loi, et, au motif qu’il n’a découvert l’identité de son véritable employeur que le 29 juin 2017, et qu’il a mis en cause la SNC Les Trois Grâces dans les deux ans de la découverte de son droit d’agir, il conclut au rejet de la fin de non-recevoir tirée de la prescription et à la recevabilité de son action. Sur le fond, il sollicite la confirmation du jugement rendu par le conseil de prud’hommes le 10 avril 2019 en ce qu’il a dit que son contrat de travail avait été transféré de plein droit à la SNC Les Trois Grâces, que le licenciement pour motif économique effectué par Me [Z], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL [I], était sans effet et donc dépourvu de cause réelle et sérieuse, que la SNC Les Trois Grâces avait violé à son détriment la priorité de réembauchage, et en ce qu’il a condamné la SNC Les Trois Grâces et Me [Z] au paiement des sommes suivantes :

’13 264,29 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

‘3528,96 euros à titre d’indemnité de préavis, outre 352,90 euros au titre des congés payés afférents,

‘2117,37 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés.

Il sollicite également la confirmation du jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a ordonné la remise par la SNC Les Trois Grâces, ou tout succombant, au salarié de l’attestation à destination de Pôle-Emploi et du certificat de travail rectifié quant à l’ancienneté.

Il conclut en revanche à l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a limité le montant des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 35 000 euros et l’a débouté du surplus de ses demandes. Il sollicite par conséquent à cet égard la condamnation solidaire de la SNC Les Trois Grâces et de la SELARL Etude de Balincourt, es qualités de mandataire ad hoc de la SARL [I] au paiement des sommes suivantes:

‘105 868,80 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

‘167,46 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er au 3 avril 2015,

‘5000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.

Il demande enfin que ses créances soient portées au passif de la liquidation judiciaire de la SARL [I] et à ce que l’arrêt à intervenir soit déclaré commun à l’UNEDIC, délégation AGS. Il réclame enfin la condamnation solidaire de la SNC Les Trois Grâces, de la SELARL Etude Balincourt et de l’UNEDIC délégation AGS à lui verser une somme de 3000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 7 avril 2022, la SELARL Etude Balincourt, représentée par Me [V] [Y], ès qualités de mandataire ad hoc de la SARL [I] conclut à la réformation du jugement entrepris. Estimant, que le contrat de location-gérance avait pris fin à l’initiative du bailleur et d’un commun accord entre les deux sociétés le 2 février 2015 alors que la société [I] était investie des pouvoirs de l’administrateur dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire simplifié, elle conclut à l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, à ce qu’il soit statué ce que de droit sur les demandes du salarié qui sont les conséquences du licenciement, et en toute hypothèse, à la garantie de l’AGS.

Dans ses dernières écritures notifiées par RPVA le 9 mars 2022, l’UNEDIC, délégation AGS, CGEA de [Localité 8] faisant valoir que le contrat de location-gérance avait été résilié le 2 février 2015 et que l’activité de restauration s’était poursuivie après la fin de la location-gérance, conclut à titre principal à la confirmation du jugement attaqué et à sa mise hors de cause. À titre subsidiaire elle demande que sa garantie soit exclue de toute somme éventuellement due à Monsieur [E]. À titre infiniment subsidiaire, elle sollicite le débouté de Monsieur [E] de ses demandes reprenant à son profit l’argumentation soutenue par le mandataire. Encore plus subsidiairement elle demande à ce que les dommages-intérêts éventuellement alloués au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’un préjudice moral soient ramenés à de plus justes proportions. En tout état de cause elle revendique le bénéfice exprès et d’ordre public des textes légaux et réglementaires.

Par arrêt avant dire droit du 30 novembre 2022 la cour a rejeté la demande d’annulation du jugement du conseil de prud’hommes et de la procédure prud’homale et elle a ordonné une tentative de conciliation entre les parties à l’audience du 28 février 2023.

À l’audience du 28 février 2023, le conseiller rapporteur a tenté vainement de concilier les parties, et tenant l’échec de cette conciliation, les débats se sont poursuivis sur le fond.

Pour l’exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé, conformément à l’article 455 du code de procédure civile à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 6 septembre 2022.

SUR QUOI

> Sur la prescription de l’action dirigée contre la SNC Les Trois Grâces

L’article L 1471-1 du code du travail dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 24 septembre 2017 disposait: «Toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. »

La SNC Les Trois Grâces fait valoir que l’action dirigée contre elle par le salarié serait prescrite dans la mesure où il ne l’a attraite devant le conseil de prud’hommes que le 7 juillet 2017 alors que dès le prononcé de la liquidation judiciaire de la SARL [I] et son licenciement, intervenus le 3 avril 2015, il pouvait avoir connaissance d’une éventuelle difficulté relative à l’identité de son employeur.

Toutefois l’instance a été introduite devant le conseil de prud’hommes le 28 décembre 2016, soit dans le délai de deux ans de la rupture du contrat de travail, et par application des dispositions combinées des articles L 1471-1 et R 1452-1 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige, si en principe l’interruption de la prescription résultant de la saisine du conseil de prud’hommes en application du second de ces textes, ne peut s’étendre d’une action à l’autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu’ayant une cause distincte et n’étant pas dirigées contre la même partie tendent à un seul et même but, soit la réparation de la perte injustifiée de l’emploi, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première, étant observé par ailleurs que le salarié ne pouvait avoir connaissance des conditions de la reprise de fait du fonds de commerce par le bailleur que postérieurement à la communication des écritures du mandataire liquidateur accompagnées du procès-verbal de constat dans le cadre de la procédure prud’homale, courant 2017, si bien qu’aucun élément ne lui permettait jusque là de supposer que le propriétaire des murs ait pu être l’employeur.

D’où il suit, qu’il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir opposée par la SNC Les Trois Grâces.

> Sur le transfert du contrat de travail et sur le licenciement

L’article 1224-1 du code du travail dispose: ‘Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise’.

Ces dispositions s’appliquent, en principe, au propriétaire d’un fonds de commerce qui lui fait retour, notamment à la suite de la résiliation du contrat de location-gérance portant sur ledit fonds.

En l’espèce, la SNC Les Trois Grâces soutient à juste titre qu’aucune résiliation régulière du bail n’est intervenue au cours de la procédure collective.

En effet, si les dispositions d’ordre public du code de commerce rendaient impossible une résiliation amiable régulière du contrat de location-gérance à compter de l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, l’abstention de la SARL [I] d’une demande de résiliation du contrat de location-gérance alors qu’elle était investie des pouvoirs de l’administrateur, dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire simplifié définie à l’article L627-2 du code de commerce, ouverte à peine trois jours auparavant, ainsi que l’acceptation par elle de restitution des clefs au bailleur dans ce contexte, a facilité l’initiative de la SNC Les Trois Grâces visant à reprendre de fait le fonds de commerce au 2 février 2015, hors de toute résiliation formelle du contrat de location-gérance immédiatement après l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire intervenue le 30 janvier 2015.

Il est par ailleurs de principe que le transfert d’une entité économique autonome s’opère à la date à laquelle le nouvel exploitant est mis en mesure d’assurer la direction de cette entité.

Or, le procès-verbal de constat établi par l’huissier mandaté à cet effet démontre qu’au 2 février 2015 l’intégralité du matériel et des locaux n’avait subi aucune dégradation et il n’est justifié d’aucun élément permettant de laisser supposer que le fonds pouvait être inexploitable alors que l’entité économique conservait son identité et que le fonds devait être aussitôt reloué le 20 avril 2015 au même locataire gérant, monsieur [T] [W], qui reprenait une activité de même nature sous une autre identité commerciale immatriculée le 22 avril 2015 comme cela ressort des extraits K Bis des SARL Bro et [I] produits aux débats.

Le choix du bailleur d’interrompre momentanément l’activité alors que le fonds était exploitable au 2 février 2015 est sans incidence sur le fait qu’il ait été mis en mesure d’assurer la direction de l’entité à cette date du fait de la remise des clefs par le locataire gérant tandis que ce dernier était investi des pouvoirs de l’administrateur et qu’il reprenait l’exploitation moins de trois mois après la remise des clefs sous une autre identité commerciale dont l’immatriculation était concomitante, ce qui caractérise l’existence d’une collusion frauduleuse ayant pour objet de faire échec à l’application de l’article L 1224-1 du code du travail.

Si la SNC Les Trois Grâces soutient encore que le contrat de location-gérance n’était pas résilié du fait d’un déficit d’information du mandataire-liquidateur dont elle invoque subsidiairement la responsabilité personnelle alors qu’il n’est plus en la cause, le moyen est inopérant dès lors que le transfert de l’entité économique autonome était en réalité consommé au 2 février 2015, date de la remise des clefs au bailleur si bien que le licenciement ultérieurement notifié par le liquidateur était privé d’effet dès lors que les contrats subsistaient de plein droit avec le repreneur.

Pareille situation ouvre au salarié licencié une option qui lui permet soit de demander réparation de son préjudice au ‘cédant’ qui l’a licencié, soit d’exiger du ‘cessionnaire’ la poursuite de son contrat de travail et de lui imputer en ce cas la rupture du contrat de travail s’il s’y refuse, une condamnation in solidum étant admise si l’un et l’autre ont contribué à la rupture du contrat de travail, ce qui compte tenu de ce qui précède, est précisément le cas dès lors que le licenciement prononcé par le liquidateur a été obtenu en raison de la collusion frauduleuse entre le cédant et le cessionnaire.

Compte tenu de la procédure collective, la demande de condamnation en réalité in solidum de la société [I] et de la société Les Trois Grâces s’interprète nécessairement en une demande de fixation de la créance au passif de la liquidation judiciaire, ce qui conduit à déclarer le présent arrêt opposable à l’UNEDIC, délégation AGS, dans les limites de ses obligations légales résultant des dispositions des articles L3253-15 et suivants du code du travail.

Monsieur [E] justifie de cessions successives sans discontinuité du fonds de commerce situé [Adresse 2] exploitant une activité de bar, brasserie, snack, glacier, restaurant depuis le 1er août 1988. Il justifie par conséquent depuis cette date du transfert d’une entité économique conservant son identité dont l’activité est poursuivie ou reprise. Partant, alors qu’il rapporte ensuite la preuve par la production de ses bulletins de paie qu’il a exercé son activité professionnelle, successivement en qualité de garçon de café puis de serveur, sans discontinuité depuis le 1er août 1988, au sein du même établissement situé [Adresse 2], son ancienneté doit être calculée compte tenu de l’ancienneté acquise auprès des précédents employeurs depuis cette date.

Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, 1764,48 euros, de son âge, 56 ans au jour du licenciement, de son ancienneté supérieure à vingt-six années révolues à la même date, au sein d’une entreprise ne justifiant par aucun élément qu’elle ait pu employer moins de onze salariés, des conséquences de la rupture du contrat de travail sur sa capacité à retrouver un emploi tel que ces éléments résultent des pièces et des explications fournies, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fixé à la somme de 35 000 euros le montant de l’indemnité réparant le préjudice subi par la perte injustifiée de l’emploi.

Le jugement sera également confirmé en ce qu’il a fixé à 13 264,29 euros le montant de l’indemnité de licenciement tenant compte de l’ancienneté retenue en considération de ce qui précède à la date de la rupture du contrat de travail.

La rupture injustifiée de l’emploi ouvre également droit au bénéfice de Monsieur [E] d’une indemnité compensatrice de préavis correspondant à deux mois de salaire, soit 3528,96 euros, outre 352,90 euros au titre des congés payés afférents.

Monsieur [E] justifie encore de l’existence de congés payés acquis et non pris à la date de la rupture du contrat de travail pour un montant de 2117,37 euros, montant alloué par le premier juge qu’il y a lieu de confirmer. En effet l’indemnité de congés payés étant un substitut de salaire ne saurait se cumuler avec lui, si bien qu’il n’y a pas lieu à congés payés sur ce montant et que le salarié sera débouté de sa demande excédentaire à ce titre.

Monsieur [E] qui ne caractérise pas l’existence d’un préjudice moral excédant la réparation de la perte injustifiée de l’emploi sera débouté de ses demandes excédentaires à ce titre ainsi que de sa demande de rappel de salaire pour la période du 1er au 3 avril 2015 alors que le contrat de travail avait été préalablement rompu. Le jugement du conseil de prud’hommes sera par conséquent confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes à ce titre.

La remise par l’employeur au salarié d’une attestation à destination de Pôle-Emploi et d’un certificat de travail rectifié quant à l’ancienneté, étant de droit, il y a lieu de l’ordonner.

Le jugement sera également confirmé en ce qu’il a ordonné le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage éventuellement payées à Monsieur [E] dans la limite d’un mois d’indemnités de chômage, sous couvert de la spécificité de la procédure collective conduisant à fixer cette créance au passif de la liquidation judiciaire de la SARL [I] et de la condamnation in solidum de la SNC Les Trois Grâces au remboursement de cette somme.

Compte tenu de la solution apportée au litige, il convient de déclarer les dépens frais privilégiés au passif de la liquidation judiciaire de la société [I] et de condamner in solidum la SNC Les Trois Grâces au paiement des dépens.

Enfin, la SNC Les Trois Grâces sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles, et elle sera également condamnée, in solidum, à payer à Monsieur [E] qui a dû exposer des frais pour faire valoir ses droits une somme de 2000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, cette somme demeurant fixée au passif de la liquidation judiciaire de la SARL [I] mais étant exclue de la garantie de l’UNEDIC, délégation AGS.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition greffe,

Vu l’arrêt avant dire droit du 30 novembre 2022;

Vu l’échec de la tentative de conciliation du 28 février 2023;

Confirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Montpellier quant au principe d’une réparation par la SNC Les Trois Grâces et par la SARL [I] du préjudice résultant pour Monsieur [C] [E] de la perte injustifiée de l’emploi sauf quant à la mise hors de cause de l’UNEDIC délégation AGS-CGEA de [Localité 8];

Et statuant à nouveau des chefs infirmés;

Fixe les créances de Monsieur [C] [E] au passif de la liquidation judiciaire de la SARL [I] représentée par la SELARL Etude Balincourt aux montants suivants :

’35 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

’13 264,29 euros à titre d’indemnité de licenciement,

‘3528,96 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 352,89 euros au titre des congés payés afférents,

‘2117,37 euros à titre de rappel sur congés payés acquis et non pris,

‘2000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum la SNC Les Trois Grâces au paiement de ces sommes;

Déclare le présent arrêt opposable à l’UNEDIC, délégation AGS-CGEA de [Localité 8] dans les limites de sa garantie;

Ordonne la remise par l’employeur au salarié d’une attestation à destination de Pôle-Emploi et d’un certificat de travail rectifié quant à l’ancienneté;

Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la SARL [I] la charge du remboursement des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite d’un mois d’indemnités de chômage;

Condamne in solidum la SNC Les Trois Grâces au remboursement de cette somme;

Dit que les dépens seront supportés par la SARL [I] et les déclare frais privilégiés au passif de la liquidation judiciaire de la société [I];

Condamne in solidum la SNC Les Trois Grâces aux dépens;

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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