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COUR D’APPEL
d’ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00481 – N° Portalis DBVP-V-B7F-E4A5.
Jugement Au fond, origine Pole social du TJ de LAVAL, décision attaquée en date du 11 Juin 2021, enregistrée sous le n° 16/00360
ARRÊT DU 13 Juillet 2023
APPELANTE :
L’ASSOCIATION [6]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Maître Elisabeth BENARD de la SCP DESBOIS-BOULIOU ET ASSOCIES, avocat au barreau de LAVAL
INTIMEES :
Madame [R] [F]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Maître Laurent BEZIZ de la SELARL LBBA, avocat au barreau de RENNES, substitué par Maître DIGNE, avocat au barreau de NANTES
LA CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA MAYENNE
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Madame [O], munie d’un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 Mars 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame GENET, conseiller chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Marie-Christine DELAUBIER
Conseiller : Madame Estelle GENET
Conseiller : Monsieur Yoann WOLFF
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 13 Juillet 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame DELAUBIER, conseiller faisant fonction de président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE :
Mme [R] [F], salariée de l’association tutélaire [6] en qualité de directrice, a établi une demande de reconnaissance de maladie professionnelle, le 17 juin 2014, pour un ‘ état anxiodépressif secondaire à des difficultés professionnelles’ sur la base d’un certificat médical initial en date du 26 mai 2014.
Après avis favorable du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles des Pays-de-la-Loire, la caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne a pris en charge, par décision du 8 septembre 2015, la maladie déclarée au titre de la législation professionnelle.
L’état de santé de Mme [F] a été déclaré consolidé avec séquelles à compter du 11 octobre 2015, avec l’attribution d’un taux d’IPP de 25 %. Le 16 novembre 2015, Mme [F] a été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
L’employeur a alors contesté devant le tribunal du contentieux de l’incapacité des Pays-de-la-Loire le taux d’IPP fixé à 25 % qui a finalement été réduit par la juridiction à 15 % dans les rapports caisse/employeur par décision du 1er décembre 2017.
Après échec de la tentative de conciliation, Mme [F] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Mayenne d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Par jugement en date du 13 avril 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Mayenne a renvoyé au tribunal du contentieux de l’incapacité la question préjudicielle relative à la contestation par l’employeur du taux d’incapacité permanente partielle prévisible attribué à Mme [F] par la caisse en vue de la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
Par jugement du 8 novembre 2019, le pôle social du tribunal de grande instance de Nantes ordonnait son dessaisissement au profit du pôle social du tribunal de grande instance de Laval.
Par ordonnance en date du 5 février 2020, puis par ordonnance rectificative, le juge de la mise en état du pôle social de Laval ordonnait une consultation médicale confiée au docteur [V] afin d’estimer le taux d’incapacité permanente partielle prévisible de Mme [F] en se plaçant à la date du 9 septembre 2014.
Le rapport déposé par le docteur [V] le 13 mars 2020 a été annulé par ordonnance du 30 septembre 2020 et une nouvelle consultation médicale a été confiée au docteur [P].
Par jugement en date du 11 juin 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Laval désormais compétent a notamment :
– déclaré irrecevable le recours de l’association tutélaire [6] en contestation du taux d’incapacité permanente partielle prévisible de Mme [F] ;
– désigné le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Bretagne pour donner un avis motivé sur le lien entre la maladie déclarée et le travail habituel de la salariée ;
– sursis à statuer sur l’ensemble des demandes.
Par lettre recommandée avec avis de réception postée le 13 juillet 2021, l’association tutélaire [6] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée par le greffe par courrier en date du 15 juin 2021.
Ce dossier a été plaidé à l’audience du conseiller rapporteur du 2 mars 2023.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Par conclusions d’appelant déposées à l’audience, régulièrement soutenues et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, l’association tutélaire [6] demande à la cour de :
‘ infirmer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable son recours en contestation du taux d’incapacité permanente partielle prévisible de Mme [F] ;
statuant à nouveau,
‘ déclarer recevable son recours en contestation du taux d’incapacité permanente partielle prévisible de Mme [F] ;
‘ dire que c’est à tort que la CPAM de la Mayenne a transmis la demande de maladie professionnelle de Mme [F] au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ;
‘ dire que la maladie de Mme [F] n’est pas d’origine professionnelle et débouter cette dernière de l’ensemble de ses demandes.
Au soutien de ses intérêts, l’association tutélaire [6] prétend que le jugement du 13 avril 2018 renvoyant la question préjudicielle relative à la contestation du taux d’IPP prévisible attribué à Mme [F] a acquis autorité de la chose jugée, faute d’avoir été contesté devant la cour d’appel dans les délais impartis. Elle considère que par cette décision, le tribunal des affaires de sécurité sociale a tranché la recevabilité de son recours en lui reconnaissant incontestablement un intérêt à agir.
Elle considère que le taux d’IPP prévisible retenu initialement par le médecin-conseil a été surévalué, alors que la salariée n’a subi aucun traitement entre la date de déclaration de la maladie professionnelle et jusqu’à quasiment la consolidation de son état de santé.
Elle rappelle que le taux prévisible conditionne la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles et qu’elle a incontestablement un intérêt à agir en contestation de l’évaluation de ce taux. Elle fait valoir les conclusions du Docteur [P] qui évalue à 20 % ce taux d’IPP prévisible.
Par conclusions reçues au greffe le 10 février 2023, régulièrement soutenues à l’audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne conclut à la confirmation du jugement entrepris et au rejet des demandes présentées par l’association tutélaire [6] et à la condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. À titre subsidiaire, elle demande la confirmation de la décision du médecin-conseil concernant l’attribution d’un taux d’incapacité prévisible d’au moins 25 %.
Au soutien de ses intérêts, la caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne fait valoir que le jugement avant-dire droit du 13 avril 2018 n’a pas autorité de la chose jugée, comme l’a rappelé le pôle social, sur le fondement de l’article 482 du code de procédure civile.
Elle rappelle que le taux d’incapacité permanente prévisible dont la détermination permet d’apprécier le caractère éligible de la pathologie à la procédure de reconnaissance individuelle est déterminée par le médecin-conseil aux termes d’un rapport soumis au secret médical et communicable à l’employeur selon les dispositions de l’article D. 461’29 du code de la sécurité sociale. Elle soutient que l’employeur ne dispose d’aucun recours pour contester ce taux et ne peut formuler que des observations sur cet élément susceptible de lui faire grief. Elle ajoute que si ce taux conditionne la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, il ne conditionne pas la reconnaissance automatique du caractère professionnel de la maladie.
À titre subsidiaire, elle critique les conclusions du Docteur [P] et invoque les observations du médecin-conseil qui fait état d’une dépression sévère. Elle précise que lorsqu’il existe un retentissement significatif, un taux supérieur à 25 % parait justifié.
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Par conclusions reçues au greffe le 30 janvier 2023, régulièrement soutenues à l’audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, Mme [F] sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, le rejet de l’ensemble des demandes présentées par l’association tutélaire [6] et le renvoi du dossier devant le pôle social afin que le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles soit désigné. Elle demande également la condamnation de l’association tutélaire [6] à lui verser la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure dilatoire et abusive et celle de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que le paiement des entiers dépens.
Au soutien de ses intérêts, Mme [F] considère que le jugement du 13 avril 2018 n’a tranché aucune demande, n’a pas statué sur la question de la recevabilité de la demande et ne peut avoir autorité de la chose jugée.
Elle ajoute que l’employeur n’a pas le droit d’agir en contestation de la fixation du taux d’incapacité permanente partielle prévisible, dans la mesure où les éléments médicaux permettant au médecin-conseil de se prononcer sur l’état provisoire de l’assuré sont couverts par le secret médical et que le taux prévisible n’a pas à être spécifié à l’employeur pour justifier la transmission du dossier au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
En toute hypothèse, elle fait valoir que le taux prévisible à 25 % a bien été estimé par le médecin-conseil. Elle fait état de son suivi médical sur la période concernée. Elle évoque un retentissement fonctionnel moyen, l’évolution de l’épisode dépressif sur plusieurs mois, la nécessité de plusieurs arrêts de travail et une prise en charge thérapeutique.
Enfin, elle invoque les agissements dilatoires et abusifs de son ancien employeur qui fait appel alors même qu’il ne peut légalement contester le taux prévisible, alors que la première question soumise au juge relative au caractère professionnel de sa maladie n’a toujours pas été tranchée malgré une saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale le 16 juillet 2016.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur l’autorité de la chose jugée du jugement du 13 avril 2018
Sur le fondement des dispositions de l’article 482 du code de procédure civile, c’est à bon droit que les premiers juges ont considéré que le jugement avant-dire droit du 13 avril 2018 n’avait pas autorité de la chose jugée. Les premiers juges ont sursis à statuer sur l’ensemble des demandes, après avoir renvoyé au tribunal du contentieux de l’incapacité la question préjudicielle relative à la contestation du taux d’incapacité permanente prévisible. Le tribunal des affaires de sécurité sociale ne s’est pas formellement prononcé dans le dispositif sur la recevabilité du recours de l’employeur en contestation du taux d’incapacité permanente prévisible, même si cette question a manifestement été abordée dans le débat. Par conséquent, l’association tutélaire [6] ne peut se prévaloir d’aucune autorité de la chose jugée sur ce point sur le fondement des dispositions de l’article 480 du code de procédure civile. En effet, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui fait l’objet d’un jugement et a été tranché dans son dispositif (Cass. Ass. Plen, 13 mars 2009 n°08-16.033). Or, dans le jugement du 13 avril 2018, rien n’a été tranché dans son dispositif.
Le jugement est donc confirmé de ce chef.
Sur la recevabilité du recours de l’employeur en contestation du taux d’incapacité permanente partielle prévisible
Selon l’article L. 461-1, alinéa 4, du code de la sécurité sociale, peut être également reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau des maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’un taux évalué dans les conditions mentionnées à l’article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage fixé à 25 % par l’article R. 461-8 du même code.
Selon l’article D. 461-30 du code de la sécurité sociale, la caisse primaire d’assurance maladie saisit le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles après avoir recueilli, notamment, le rapport du service du contrôle médical qui, aux termes de l’article D. 461-29, comprend, le cas échéant, le rapport d’évaluation du taux d’incapacité permanente partielle de la victime.
Pour l’application de ces dispositions, le taux d’incapacité permanente à retenir pour l’instruction d’une demande de prise en charge d’une maladie non désignée dans un tableau des maladies professionnelles est celui évalué par le service du contrôle médical dans le dossier constitué pour la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, et non le taux d’incapacité permanente partielle fixé après consolidation de l’état de la victime pour l’indemnisation des conséquences de la maladie (2ème civ. 19 janvier 2017 n°15-26.655).
Il en résulte, lorsque le rapport d’évaluation du taux d’incapacité permanente partielle de la victime établi par le service du contrôle médical retient un taux inférieur à 25%, que la juridiction de sécurité sociale n’est pas fondée à enjoindre à une caisse primaire de saisir un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles en vue d’une reconnaissance individuelle (2ème civ. 20 juin 2019 n°18-17.373).
De plus, le taux d’incapacité permanente prévisible déterminé par le médecin-conseil dans le cadre de la procédure de reconnaissance individuelle n’est pas spécifiquement notifié à l’employeur et est seulement communicable à ce dernier selon les dispositions de l’article D. 461 ‘ 29 du code de la sécurité sociale. Comme l’ont à juste titre relevé les premiers juges, le médecin-conseil se prononce sur ce taux d’incapacité permanente prévisible au regard des éléments médicaux soumis au secret médical. Concrètement, l’employeur ne peut, à ce stade, faire état d’aucun élément pour contester l’attribution de ce taux prévisible.
En tout état de cause, cette évaluation n’emporte pas reconnaissance du caractère professionnel de la maladie.
Il n’existe donc pour l’employeur aucune voie de recours spécifique contre l’évaluation du taux d’incapacité permanente prévisible réalisée par le médecin-conseil et pouvant justifier la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
Par conséquent, le jugement est confirmé en ce qu’il a déclaré irrecevable le recours de l’employeur en contestation du taux d’incapacité permanente partielle prévisible de Mme [F].
Le dossier est renvoyé devant le pôle social du tribunal judiciaire de Laval pour la suite de la procédure. La cour constate qu’elle n’est pas formellement saisie d’une contestation relative à la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Bretagne, dans l’hypothèse où l’irrecevabilité du recours de l’employeur est confirmée.
Sur la demande de condamnation pour procédure dilatoire
Il n’est pas démontré que l’employeur ait agi abusivement en exerçant une voie de recours contre le jugement du 11 juin 2021. Par conséquent, la demande présentée de ce chef par Mme [F] doit être rejetée.
Sur la demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
L’association tutélaire [6] est condamnée au paiement des dépens d’appel.
Elle est également condamnée à verser sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à Mme [F] la somme de 3000 euros et à la caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne la somme de 500 euros.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant, dans les limites de sa saisine, publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Laval du 11 juin 2021 ;
Y ajoutant ;
Renvoie le dossier au pôle social du tribunal judiciaire de Laval ;
Rejette la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par Mme [F] ;
Condamne l’association tutélaire [6] sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à payer à Mme [F] la somme de 3000 euros et à la caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne la somme de 500 euros ;
Condamne l’association tutélaire [6] au paiement des dépens d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Viviane BODIN M-C. DELAUBIER