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COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE
Chambre 4-3
ARRÊT AU FOND
DU 13 JANVIER 2023
N°2023/ 3
RG 19/02344
N° Portalis DBVB-V-B7D-BDYRP
[R] [O]
C/
Société [P] [V]
Copie exécutoire délivrée le 13 Janvier 2023 à :
-Me Maud ANDRIEUX, avocat au barreau de MARSEILLE
– Me Serge TAVITIAN, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de MARSEILLE – section I – en date du 11 Juin 2015, enregistré au répertoire général sous le n° 12/2238.
APPELANT
Monsieur [R] [O], demeurant [Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Maud ANDRIEUX, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
SARL [P] [V], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Serge TAVITIAN, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 25 Octobre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant, chargée d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant
Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Janvier 2023.
ARRÊT
CONTRADICTOIRE
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Janvier 2023
Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * * * * * * *
FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES
Embauché en qualité de métallier à compter du 10 mars 1999 par la société [P] [V], M. [R] [O] a, le 1er juillet 2002, été promu conducteur de travaux niveau IV coefficient 550, fonction confirmée dans un contrat de travail à durée indéterminée signé le 1er juillet 2005, du fait d’une modification juridique de la société.
Sa rémunération était fixée à 1 952,20 euros pour 169 heures de travail, la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment étant applicable.
Le salarié a été licencié pour faute grave par lettre recommandée du 29 juin 2012.
Contestant notamment cette mesure, M. [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Marseille, par requête du 31 juillet 2012.
Selon jugement du 11 juin 2015, le conseil de prud’hommes en sa formation de départage, a statué comme suit :
Rejette la demande de sursis à statuer.
Déclare irrecevable le rapport d’enquête émanant de la société Investiga.
Déclare recevable le constat d’huissier du 29 mai 2012.
Rejette la demande de reclassification.
Rejette toutes les demandes formulées de ce chef.
Dit que la prime de fin d’année revêt le caractère d’un usage.
Constate que cet usage n’a pas été dénoncé selon les règles applicables.
Condamne de ce chef la société [P] [V] à payer à M. [O] la somme de 12 881,85 euros au titre du rappel de primes de fin d’année, outre 1 288,19 euros au titre des congés payés afférents.
Dit que le licenciement de M. [O] repose sur une cause réelle et sérieuse.
Rejette toutes les demandes formulées de ce chef.
Enjoint la société [P] [V] à remettre à M. [O] un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi portant mention de sa date d’entrée dans l’entreprise au 10 mars 1999.
Dit n’y avoir lieu à assortir cette remise d’une astreinte.
Rejette la demande de dommages et intérêts formulée de ce chef.
Prononce l’exécution provisoire de la décision.
Condamne la société [P] [V] à payer à M. [O] la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile .
Condamne la société [P] [V] aux dépens.
Le conseil de M. [O] a interjeté appel par déclaration du 8 juillet 2015.
Par arrêt du 9 juin 2017, l’affaire a été radiée.
Sur conclusions de remise au rôle du 18 mai 2019, les parties ont été convoquées pour l’audience du 25 octobre 2022.
Aux termes de ses dernières conclusions reprises oralement, M. [O] demande à la cour de :
«REFORMER le jugement déféré en ce qu’il a considéré que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse,
STATUANT à nouveau, JUGER QUE LES FAITS EVOQUES AU SOUTIEN DU LICENCIEMENT SONT PRESCRITS ET EN TOUT ETAT CAUSE, NON DEMONTRES
En conséquence,
JUGER LE LICENCIEMENT DE MONSIEUR [O] COMME DEPOURVU DE CAUSE REELLE ET SERIEUSE,
En conséquence :
CONDAMNER la Société [P] [V] à la somme de 65.000,00 € à titre de dommages et intérêts nets de CGS-CRDS,
CONDAMNER la Société [P] [V] à la somme de 2.829,55 € à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire, outre 282,96 € au titre des congés payés afférents,
CONDAMNER la Société [P] [V] à la somme de 7.618,29 € au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
CONDAMNER la Société [P] [V] à la somme de 4.514,56 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 451,46 € au titre des congés payés afférents,
A titre subsidiaire, Sur l’irrégularité de la procédure de licenciement :
JUGER la procédure de licenciement de Monsieur [O] irrégulière,
En conséquence
CONDAMNER la Société [P] [V] à la somme de 2.257,27 € à titre de dommages et intérêts nets de CGS-CRDS,
2) Sur le rappel de salaire
CONFIRMER LE JUGEMENT en ce qu’il a condamné la Société [P] [V] doit la somme de 12.881,85 € au titre de la prime de fin d’année outre 1.288,19 € au titre des congés payés afférents,
STATUANT à nouveau, REFORMER le jugement déféré, en ce qu’il a débouté Monsieur [O] de sa demande de rectification de sa classification :
En conséquence :
CONDAMNER la Société [P] [V] à la somme de 21.206,63 € au titre du non-respect des minimas conventionnels, outre 2.120,67 € au titre des congés payés afférents,
CONDAMNER la Société [P] [V] à la somme de 10.000,00 € au titre de l’exécution déloyale du contrat,
CONDAMNER la Société [P] [V] à la somme de 10.000,00 € au titre de l’atteinte à la vie privée portée à Monsieur [O],
CONDAMNER la Société [P] [V] à procéder à la régularisation auprès des organismes au titre des cotisations pour les compléments de salaire non versés ainsi que la délivrance des bulletins de salaire rectifiés pour la période du 1 er août 2007 au 30 juin 2012 ce, dans un délai de quinze jours à compter de la signification du jugement et sous astreinte de 50 euros par jours de retard, le Conseil se réservant le pouvoir de liquider l’astreinte,
En tout état de cause,
CONDAMNER la Société [P] [V] à la somme de 8.000,00 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
ORDONNER les intérêts légaux à compter de la saisine du Conseil de Prud’hommes avec application de l’anatocisme,
CONDAMNER la Société [P] [V] aux entiers dépens.»
Dans ses dernières écritures développées lors de l’audience, la société demande à la cour de confirmer la décision en ce qu’elle a décidé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et rejeté la demande de reclassification.
Elle sollicite la condamnation de M. [O] aux dépens outre 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour l’exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties visées par le greffier à l’audience.
MOTIFS DE L’ARRÊT
A titre liminaire, la cour constate que la société intimée ne remet pas en cause sa condamnation au titre de la prime, de sorte que sur ce chef, elle est réputée en application de l’article 954 dernier alinéa du code de procédure civile, s’être appropriée les motifs du jugement l’ayant condamnée.
Sur la classification
Le salarié soutient qu’il exerçait les fonctions de conducteur de travaux et qu’à ce titre, il était notamment en charge de l’élaboration des plannings pour certaines équipes d’intervention, de la prise de mesures sur les chantiers ainsi que des demandes de devis auprès
des fournisseurs, de l’établissement des commandes pour le compte des clients et participait aux
réunions de chantiers.
Il indique qu’eu égard aux fonctions réellement exercées, et en application de l’article 8 de la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006 et l’avenant du 26 septembre 2007, il pouvait prétendre, a minima, au niveau V, coefficient 680 et ce, depuis le 1er juillet 2002, date à laquelle il a été promu.
Il considère dès lors qu’il a été rémunéré en-dessous des minima conventionnels et réclame en conséquence des rappels de salaire de 2007 à 2012.
C’est à juste titre et par des motifs que la cour adopte que le juge départiteur a rejeté la demande à caractère salarial de M. [O], l’identification du classement du salarié ne pouvant résulter seulement des mentions du contrat de travail et des bulletins de salaire mais devant être à tout le moins corroborée par la démonstration qu’il exerçait de façon effective la fonction de conducteur de travaux du niveau prétendu.
Or, en l’espèce, l’appelant n’a apporté aux débats tant en première instance que devant la cour, aucun élément sur ce point et en ce sens.
Dès lors, le jugement doit être confirmé.
Sur la rupture du contrat de travail
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, même pendant la durée du préavis ; l’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
La lettre de licenciement comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur; la motivation de cette lettre fixe les limites du litige.
En l’espèce, la lettre de licenciement du 29 juin 2012 est ainsi motivée :
« A la suite d’une enquête diligentée par nos soins, il nous a été révélé le 25 mai 2012 des faits de vols de matériels appartenant à la société [V] dont vous seriez l’auteur.
En effet, il a été constaté que vous aviez pris un volet roulant en aluminium électrique, destiné à un de nos clients, et du silicone.
A la suite de ces révélations, nous vous avons convoqué le 29 mai 2012 afin d’obtenir des éclaircissements.
Lors de cette entrevue, vous avez admis le vol du volet roulant, et vous avez également avoué avoir détourné des portes appartenant à la société [V] et du silicone au profit d’une tierce personne à l’entreprise et ce, à plusieurs reprises.
Cette conduite met en cause la bonne marche de l’entreprise. Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 13 juin 2012 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet. En conséquence, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave.»
1- Sur la prescription des faits reprochés
C’est par des motifs exacts que le juge départiteur, au visa des articles L.1332-4 du code du travail et 641 du code de procédure civile a dit que les faits reprochés datant du 29 mars 2012 et l’employeur ayant initié la procédure de licenciement le 29 mai 2012 par la remise d’une convocation à l’entretien préalable au licenciement, la prescription n’était pas encourue.
2- Sur la régularité de la procédure
Comme l’a relevé le juge départiteur, l’entretien du 29 mai 2012 ne peut être considéré que comme une demande d’explications mais non un entretien préalable au licenciement.
Par ailleurs, il est constant que si la convocation remise en mains propres ne respectait pas le délai de 5 jours, l’employeur a envoyé une lettre recommandée le même jour soit le 29 mai 2012 confirmant la mise à pied à titre conservatoire et fixant l’entretien au 13 juin, courrier réceptionné par M. [O] le 7 juin.
Par ailleurs, le licenciement a été notifié dans le mois de cet entretien, au cours duquel le salarié était assisté, de sorte qu’aucune irrégularité ou acharnement ne peut être être utilement invoqué.
3- Sur le fond
Ainsi qu’en convient la société elle-même dans ses écritures devant la cour, le rapport du detective privé Investiga est un mode de preuve illicite comme l’a rappelé le juge départiteur.
C’est à juste titre que, citant les textes sur le statut des huissiers et le fait que le 29 mai 2012 Me [X] avait restranscrit les échanges entre M. [P] [V] et M. [O] sans émettre aucun avis, le premier juge a déclaré recevable, à titre de preuve, le constat d’huissier du 29 mai 2012.
Le seul élément nouveau intervenu depuis la décision entreprise est le fait que la plainte avec constitution de partie civile dirigée par la société contre M. [O] pour vol, a abouti à une ordonnance du 7 mars 2022 de non-lieu, devenue definitive.
Il résulte de cette décision l’absence de volonté de M. [O] de s’approprier un bien appartenant à la société. Si la cour constate à l’instar du juge d’instruction que les explications de M. [O] et de M. [K] concernant la destination de la déchetterie pour les objets litigieux sont peu vraisemblables, l’employeur n’a pas établi les faits de vol .
Cependant, il résulte de l’aveu même du salarié figurant au constat d’huissier, la remise par lui à un de ses amis, ancien salarié de la société, d’un volet défectueux et d’un carton qui demeuraient la propriété de la société.
Dès lors, le salarié a commis une faute d’une part, en ne sollicitant pas l’autorisation de procéder à la destruction du volet et en ne procédant pas lui-même à la remise à la déchetterie dudit volet et d’autre part, en le confiant à M. [K], ancien salarié de la société et dont il ne pouvait ignorer qu’il était à la fois en litige avec M. [V] et avait crée une entreprise concurrente depuis début 2012, société dans laquelle M. [O] a d’ailleurs été associé après son licenciement.
Ces actes imputables au salarié n’étaient toutefois pas suffisamment graves, compte tenu de l’ancienneté de M. [O] et de son absence de passé disciplinaire, pour rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et pour justifier un licenciement sans indemnité ni préavis.
Alors que dans ses motifs, le juge départiteur a dit que le licenciement pour faute grave était fondé, il a indiqué dans le dispositif une cause réelle et sérieuse, ce que la cour confirme.
En revanche, il convient de faire droit aux demandes du salarié – non autrement discutées dans leur montant par la société – relatives au paiement de la mise à pied conservatoire injustifiée et aux indemnités de préavis et de licenciement.
Les sommes allouées à titre de salaires porteront intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l’employeur (présentation de la lettre recommandée) à l’audience de tentative de conciliation valant mise en demeure.
Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la date de la présente décision.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil .
Sur les frais et dépens
L’appelant succombant au principal doit s’acquitter des dépens et être débouté de ses demandes faites sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Des considerations d’équité justifient de rejeter la demande faite à ce titre par la société intimée.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, en matière prud’homale,
Confirme, dans ses dispositions soumises à la cour, la decision déférée, SAUF en ce qu’elle a rejeté les demandes relatives au paiement de la mise à pied conservatoire et aux indemnités de rupture.
Statuant des chefs infirmés et Y ajoutant,
Condamne la société [P] [V] à payer à M. [R] [O] les sommes suivantes :
– 2 829,55 euros à titre de rappel de salaire pour la mise à pied à titre conservatoire,
– 282,96 euros au titre des congés payés afférents,
– 4 514,56 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 451,46 euros au titre des congés payés afférents,
– 7 618,29 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
Dit que les sommes allouées à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 2 août 2012 et celles à titre indemnitaire à compter de la date de la présente décision,
Ordonne la capitalisation des intérêts à condition qu’ils soient dûs au moins pour une année entière,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M.[O] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT