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République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 13/04/2023
****
N° de MINUTE :
N° RG 21/01130 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TPBC
Jugement (N° 09/00788)
rendu le 15 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer
APPELANTS
Monsieur [B] [C]
né le 26 avril 1964 à [Localité 9]
demeurant [Adresse 4]
[Adresse 4]
Monsieur [N] [C]
né le 15 septembre 1965 à[Localité 9])
demeurant [Adresse 1]
[Adresse 1]
Madame [G] [C]
née le 04 mars 1976 à [Localité 11]
demeurant [Adresse 12]
[Adresse 12]
Monsieur [Y] [C]
né le 09 août 1974 à [Localité 11]
demeurant [Adresse 6]
[Adresse 6]
représentés par Me Bernard Franchi, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistés de Me Eric de Berail, avocat au barreau de Lyon, avocat plaidant
INTIMÉS
Monsieur [L] [C]
né le 1er mars 1940 à [Localité 13]
demeurant [Adresse 2]
[Adresse 7]
Madame [I] [X] épouse [J]
née le 22 février 1968 à [Localité 9]
demeurant [Adresse 5]
[Adresse 7]
Monsieur [P] [J]
né le 20 mai 1967 à [Localité 11]
demeurant [Adresse 5]
[Adresse 7]
représentés par Me Jean-Marc Besson, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer, avocat constitué
Madame [A] [C]
née le 25 avril 1943 à [Localité 10]
demeurant [Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par Me Philippe Robert, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer, avocat constitué
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
———————
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
DÉBATS à l’audience publique du 09 janvier 2023 après rapport oral de l’affaire par Bruno Poupet. Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 13 avril 2023 après prorogation du délibéré en date du 06 avril 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président, et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 14 décembre 2022
****
[V] [C] et [F] [M] se sont mariés le 8 octobre 1934 sous le régime de la communauté de biens et acquêts.
De leur union sont issus quatre enfants :
– [H], décédé le 26 mai 1974, laissant deux enfants : [B] et [N] [C],
– [Z], décédé le 1er juillet 1993, laissant deux enfants : [Y] et [G] [C],
– [A],
– [L], mère de [I] [X], celle-ci épouse de [P] [J].
Par acte authentique du 18 juillet 1999, [V] [C] et [F] [M] ont constitué [L] [C], [I] [X] et [P] [J] mandataires généraux pour les diverses opérations se rapportant à leurs comptes et à la gestion de leurs affaires.
[V] [C] est décédé le 7 octobre 2000.
[F] [M], après avoir été placée sous tutelle le 28 mars 2003, est décédée le 9 novembre 2003.
Par acte d’huissier du 22 mai 2006, [B], [N], [Y] et [G] [C] ont assigné [A] [C], [L] [C], [I] [X] et [P] [J] en référé devant le président du tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer afin de voir désigner un expert avec mission, principalement, de se faire communiquer tous documents concernant la situation patrimoniale des époux [C]-[M] depuis le 1er’janvier 1995 et d’établir, à l’aide des éléments d’information recueillis, l’inventaire de la succession à la date du décès de [V] [C] puis à la date du décès de [F] [M].
Par ordonnance du 16 août 2006, le président, estimant inutile la désignation coûteuse et aléatoire d’un expert, a « confirmé’» Me [S], notaire désigné par les parties, pour procéder aux opérations de compte, liquidation et partage « de la succession’» des époux [C]-[M] et lui a donné le pouvoir d’effectuer un certain nombre d’investigations à cette fin.
Le notaire ayant déposé le 24 février 2009 un procès-verbal de difficultés au greffe du tribunal de grande instance, les parties ont été convoquées pour une tentative de conciliation qui a échoué et l’affaire a été renvoyée devant le tribunal, saisi de points précis.
Après un complément d’investigations demandé au notaire par le juge de la mise en état par ordonnance du 24 janvier 2014, le juge aux partages, par ordonnance du 21 décembre 2018, a renvoyé les parties devant le tribunal, saisi des points de désaccord suivants :
– l’écart d’actifs entre les deux successions est-il ou non justifié ‘
– les dépenses faites sur le compte de l’indivision étaient-elles ou non justifiées ‘
– les contrats d’assurance-vie doivent-ils être rapportés à la succession ‘,
– Me Dehame (avocat des quatre petits-enfants venant en représentation de leurs pères prédécédés) sollicite le rapport à la succession de 470’000 francs virés au profit de [L] [C] en 1988 outre des versements mensuels qui auraient été faits au profit de celle-ci, notamment en 1997 et 1998, étant observé que ce point n’avait pas été abordé au moment de la rédaction du procès-verbal de désaccord persistant, Me Dehame indiquant n’avoir eu le justificatif de ce virement que postérieurement aux réunions chez Me'[S].
Par jugement du 15 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer a principalement’:
– déclaré recevables les demandes formulées par [B], [N], [Y], [G] et [A] [C] au titre du recel et au titre de la donation consentie à Mme [L] [C] en 1988,
– condamné Mme [L] [C] à rapporter aux successions de [V] [C] et [F] [M] la somme de 114’520,92 euros,
– dit que Mme [L] [C] ne pourrait prétendre à aucune part dans ce rapport, mais dans la limite de la somme de 103’544,92 euros, somme portant intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2003,
– dit que les intérêts seraient capitalisés conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
– débouté [B], [N], [Y] et [G] [C] de leurs demande de rapport au titre des contrats d’assurance-vie et de leur demande de rapport des primes versées sur lesdits contrats,
– rejeté la demande tendant à donner force exécutoire au projet de partage,
– renvoyé les parties devant Maître [S] pour établissement de l’acte de partage des successions de [V] [C] et [F] [M] en tenant compte des mentions du jugement,
– dit que les dépens seraient employés en frais de partage,
– débouté les parties de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
[B], [N], [Y] et [G] [C] ont relevé partiellement appel de ce jugement et, par conclusions remises le 21 novembre 2021, demandent à la cour de :
– réformer celui-ci en ce qu’il a :
* déclaré recevables les demandes formulées par eux et par Mme [A] [C] au titre du recel et au titre de la donation consentie à Mme [L] [C] en 1988,
* condamné Mme [L] [C] à rapporter aux successions de [V] [C] et [F] [M] la somme de 114’520,92 euros,
* dit que Mme [L] [C] ne pourrait prétendre à aucune part dans ce rapport, mais dans la limite de la somme de 103’544,92 euros, somme qui porterait intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2003,
* dit que les intérêts seraient capitalisés conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
* renvoyé les parties devant Maître [S] pour établissement de l’acte de partage des successions de [V] [C] et [F] [M] en tenant compte des mentions du jugement,
* débouté les parties de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile,
* ordonné l’exécution provisoire,
statuant à nouveau,
– dire et juger Mme [L] [C] coupable de recel successoral à hauteur de la somme de 496’501,92 euros,
– dire et juger en conséquence que celle-ci devra rapporter à la succession ladite somme, outre intérêts légaux à compter du 9 novembre 2003, date d’ouverture de la seconde succession, avec capitalisation par année entière, sans pouvoir prétendre à aucune part sur cette somme,
– condamner Mme [L] [C] à verser à chacun des appelants la somme de 2’000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeter comme mal fondé l’appel incident formé par Mme [L] [C], Mme [I] [X] et M. [P] [J],
– débouter ces derniers de toutes leurs prétentions,
– condamner Mme [L] [C] aux entiers dépens distraits au profit de la SCP Processuel représentée par Maître Bernard Franchi.
[L] [C], [I] [X] et [P] [J] demandent pour leur part à la cour, abstraction faite de formules inutiles telles que « dire bien jugé, mal appelé’» ou l’inverse, qui ne sont pas des prétentions au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile, de :
– infirmer le jugement en ce que le tribunal a déclaré recevable la demande présentée au titre du recel successoral,
vu l’article 837 du code civil,
– dire et juger irrecevables les demandes tendant à la condamnation de Mme [L] [C] au titre d’un prétendu recel successoral et d’une demande de rapport à la succession d’une somme de 473’829 euros et d’une donation consentie par les défunts en 1988,
– infirmer le jugement en ce que le tribunal a jugé :
* que Mme [O]~[E] [C] avait volontairement dissimulé la donation de 71’651,04 euros qui lui avait été consentie par ses parents en 1988 et les chèques établis à son ordre pour 31’893,88 euros,
* que les virements mensuels de 304,90 euros, constitutifs d’une donation, devaient être rapportés pour la somme de 10’976 euros,
– débouter [G], [Y], [B] et [N] [C] et Mme [A] [C] de l’ensemble de leurs autres demandes,
– dire et juger opposables à1’ensemble des ayants droit les testaments authentiques,
– renvoyer pour le surplus le dossier devant le notaire pour qu’il procède à la clôture de ses opérations,
– condamner [G], [N], [Y] et [B] [C] à leur verser la somme de 5’000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de l’instance, dont distraction au profit de Me Jean-Marc Besson, avocat.
Les conclusions de Mme [A] [C] ont été déclarées irrecevables par ordonnance du 28 septembre 2021.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il ressort des conclusions des parties que le litige soumis à la cour est circonscrit à la question de la recevabilité des demandes de rapports à la succession de donations que Mme'[L] [C] aurait reçues et, le cas échéant, du bien fondé de ces demandes, de l’étendue des rapports à opérer et de l’éventuelle application des peines du recel.
Il se déduit de l’économie des conclusions des appelants que c’est par une maladresse de rédaction qu’ils demandent à la cour de réformer le jugement en ce qu’il a déclaré recevables les demandes formulées par eux et par Mme [A] [C] au titre du recel et au titre de la donation consentie à Mme [L] [C] en 1988 dès lors que le tribunal, ce faisant, n’a pas limité la recevabilité de leurs demandes et qu’ils prétendent seulement, en réalité, à l’extension du rapport ordonné et des peines du recel à d’autres sommes que celles qu’a retenues le tribunal.
Sur la recevabilité des demandes relatives au recel successoral dirigées contre Mme [L] [C]
Cette dernière soulève l’irrecevabilité de ces demandes, au visa de l’ancien article 837 du code civil, au motif tiré de ce que les points litigieux sur lesquels elles reposent n’ont pas été soulevés devant le notaire chargé des successions des époux [C]-[M] et n’ont, par conséquent, pas été évoqués dans le procès-verbal de dires et difficultés établi par celui-ci en 2009 ni par l’ordonnance du juge commissaire saisissant le tribunal.
Les appelants concluent pour leur part à la recevabilité des demandes en question en faisant valoir qu’ils n’ont eu connaissance des faits qui les fondent que postérieurement à la saisine du juge commissaire par le procès-verbal de difficultés du notaire, à la suite de la production de diverses pièces par Mme [L] [C] le 28 juillet 2009.
Le tribunal a constaté très justement, en préambule, qu’en l’espèce, aucune décision n’avait, à proprement parler, ordonné l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage judiciaire des successions de [V] [C] et [F] [M] ; qu’en effet, l’ordonnance en la forme des référés de 2006 avait seulement « confirmé Me [S] pour procéder aux opérations de compte liquidation et partage’», étant observé que le partage était jusqu’à cette date amiable et que la demande dont était saisi le juge des référés tendait à la désignation d’un expert et non à un partage judiciaire, que néanmoins, toutes les parties s’étaient comportées comme si le partage devait intervenir dans un cadre judiciaire, qu’ainsi, le notaire avait établi le 24 février 2009 un procès-verbal de difficultés reprenant les dires des parties, lesquelles avaient été convoquées pour une tentative de conciliation et renvoyées devant le tribunal de grande instance par une ordonnance énonçant les points de difficultés opposant les parties, que par ailleurs, le juge « commis’» était intervenu notamment pour étendre la mission confiée au notaire, Me [S], que ce dernier avait, par la suite, déposé un procès-verbal de reprise et poursuite des opérations des compte, liquidation et partage des successions de [V] [C] et [F] [M], que postérieurement, les parties avaient été, à nouveau, renvoyées devant le tribunal de grande instance par une ordonnance du juge aux partages du 21 décembre 2018, reprenant les points de désaccord précédemment listés. Il en a déduit, ce que les parties ne remettent pas en cause, que l’ordonnance en la forme des référés pouvait être considérée comme ayant ouvert un partage judiciaire, cette ouverture étant antérieure à l’entrée en vigueur des dispositions des articles 1373 et 1374 du code de procédure civile et la procédure étant dès lors soumise aux dispositions anciennes du code civil et à celles de l’article 837 de ce code en particulier.
Cet article, dans sa rédaction alors en vigueur, dispose que : si, dans les opérations renvoyées devant un notaire, il s’élève des contestations, le notaire dressera procès-verbal des difficultés et des dires respectifs des parties, les renverra devant le commissaire nommé pour le partage et, au surplus, qu’il sera procédé suivant les formes prescrites par les lois sur la procédure.
Il était déjà acquis, comme le prévoient expressément les articles 1373 et 1374 du code de procédure civile depuis le 1er janvier 2007, que les prétentions qui n’avaient pas été émises devant le notaire et le juge commis étaient irrecevables devant le tribunal à moins que leur fondement ne soit né ou ne soit révélé que postérieurement à l’établissement du rapport par le juge commis.
Le tribunal, au cas présent, a admis que, comme le fait valoir Mme [L] [C], la demande de recel aurait dû, théoriquement, être formulée devant le notaire avant d’être soumise au tribunal. C’est néanmoins par une exacte analyse des pièces versées aux débats qu’il a retenu que le procès-verbal ne faisait pas mention des pièces produites devant le notaire liquidateur ni surtout de leur communication aux différentes parties, qu’en particulier, si les héritiers avaient connaissance des soldes des comptes bancaires et de la clôture de certains comptes, il n’était nullement démontré que l’historique de ces comptes leur avait été communiqué, que par ailleurs, la question de l’écart entre les montants de l’actif des deux successions n’était pas réglée alors que les demandes d’application des peines du recel concernent, principalement, cet écart qu'[B], [N], [Y], [G] et [A] [C] attribuent à des prélèvements, virements et dépenses non justifiées, que s’agissant de la donation de 1988, il avait été fait état de la demande de ce chef dès le premier rapport du juge commis, sans qu’il soit établi que la demande de ce chef pût être formulée antérieurement devant le notaire faute de tout élément pouvant laisser penser à la communication des relevés bancaires avant cette date.
C’est dès lors à bon droit qu’il a jugé que les demandes portant sur le recel et sur le rapport de la donation de 470’000 francs étaient recevables.
Sur le fond de ces demandes
L’article 843 du code civil dispose que tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; qu’il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.
L’article 778, pour sa part, dispose notamment que sans préjudice de dommages et intérêts, l’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession ou dissimulé l’existence d’un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés ; que lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l’héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part ; que l’héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession.
La somme de 473’829 euros dont les appelants demandent le rapport à la succession par Mme [L] [C] se décompose ainsi :
– 71’651,04 euros au titre d’une donation de 1988,
– 10’976 euros résultant d’un virement permanent,
– 147’000 euros correspondant à une dissimulation de revenus des défunts,
– 234’000 euros correspondant à des chèques dont il ne serait pas justifié de l’objet.
En premier lieu, Mme [L] [C] ne conteste pas avoir perçu une somme de 470’000 francs de ses parents le 22 août 1988, soit 71’651,04 euros, dont elle admet le caractère de donation. Elle en doit donc le rapport à la succession.
Il est acquis qu’elle n’en a pas fait état devant le notaire, alors que la dernière des deux successions a été ouverte en 2003, avant la découverte du virement correspondant lors de l’examen des relevés de compte par les autres parties à partir de 2009, le cadre judiciaire ou non des opérations de liquidation et partage étant indifférent contrairement à ce qu’elle semble soutenir. Si elle plaide un simple oubli, cet argument ne saurait être retenu compte tenu du montant considéré, conséquent pour l’époque, et de ce que le virement en question, qui peut certes paraître aujourd’hui lointain, ne remontait qu’à quinze ans au décès de [F] [M]. Le premier juge a retenu à juste titre une dissimulation coupable justifiant l’application des peines du recel.
En deuxième lieu, Mme [L] [C] ne conteste pas davantage avoir reçu de ses parents, par virement permanent, la somme de 304,90 euros par mois entre 1998 et 2000. Il ressort du dossier qu’à l’époque, ces derniers, nés respectivement en 1912 et 1915, étaient très âgés mais vivaient toujours à leur domicile à [Localité 9], que Mme [L] [C], domiciliée à 30 kilomètres de là, était très présente auprès d’eux et leur a rendu de nombreux services, que c’est dans ce contexte qu’ils lui ont donné le 18 juillet 1999, ainsi qu’à sa fille et à son gendre, une procuration générale, officialisant et légitimant son intervention, de sorte qu’il est parfaitement crédible que, comme l’affirme celle-ci, ce virement régulier et apparent, dont il n’est pas établi qu’il ait été instauré par une démarche de l’intimée elle-même, lui ait été consenti par les défunts à titre d’indemnisation des frais qu’elle exposait à leur profit, que leurs moyens leur permettaient aisément de verser, et ne soit ni une donation, étant ici rappelé que l’intention libérale ne se présume pas, ni un détournement de sa part, qui aurait été au demeurant peu discret. Il y a lieu dès lors d’infirmer le jugement en ce qu’il en a ordonné le rapport.
En troisième lieu, MM. [B], [N], [Y] [C] et Mme [G] [C] exposent que sur les tableaux par elle fournis au notaire, Mme [L] [C] a fait apparaître des revenus se montant à 304’372 euros au total pour les années 1999 à 2002 alors que les avis d’imposition qu’elle a en définitive versés aux débats font apparaître des revenus fiscaux de référence se montant à 451’574 euros pour les années en question, ce dont ils déduisent qu’elle a tenté de dissimuler par la production de tableaux grossièrement erronés une somme de 147’202 euros et encourt les peines du recel à ce titre.
Cependant, le tribunal a relevé à juste titre qu’ils n’expliquaient pas en quoi le fait que Mme [L] [C] ait pu faire des erreurs dans les tableaux récapitulant les revenus de ses parents, vérifiables, pourrait justifier, à son encontre, une demande de rapport alors même qu’il n’existe aucun élément pouvant laisser penser que ces revenus, qui étaient virés sur les comptes bancaires ouverts aux noms de [V] [C] et [F] [M], auraient pu être divertis ou détournés par Mme [L] [C]. Le rejet de la demande de rapport à ce titre doit être confirmé.
Enfin, les appelants produisent une liste de chèques, représentant globalement une somme de 234 000 euros, dont Mme [L] [C] ne justifierait pas de l’emploi au profit de ses parents alors qu’elle doit être en mesure, en qualité de mandataire, de droit puis de fait, de rendre compte de sa gestion.
Celle-ci soutient que ces chèques, dont elle a systématiquement mentionné l’objet sur les talons de chéquiers et les relevés bancaires, ont été utilisés d’une part pour effectuer des retraits d’espèces au profit de ses parents qui payaient sous cette forme un certain nombre de choses, d’autre part pour effectuer différents règlements pour le compte de ceux-ci. Elle expose que M. et Mme [C]-[M] n’ont pas hésité à avoir recours aux services onéreux de différents prestataires pour simplifier et adoucir leur vie, ce que leurs moyens leur permettaient.
Mme [L] [C] a versé au dossier 200 pièces constituées principalement de tableaux de comptes, relevés de comptes bancaires, copies de chèques et de talons de chéquiers, factures, documents relatifs aux employés de maison intervenus chez ses parents et aux valeurs mobilières détenues par ceux-ci.
Le tribunal a relevé la présence de différents chèques à l’ordre de Mme [L] [C] pour un montant de 31’893,88 euros qu’il a pu considérer à bon droit comme une donation, en l’absence de preuve d’une autre cause à ces versements, ayant fait l’objet d’un recel faute de déclaration spontanée de cette gratification par l’intéressée.
En revanche, sur la liste établie par les appelants apparaissent un grand nombre de chèques pour des montants « ronds’» (5000 francs, 10’000 francs, 1000 euros etc.), accompagnés sur les talons de chéquiers et les relevés de compte de la mention Papy ou [V], qui correspondent à l’évidence aux retraits en espèces destinés aux dépenses courantes, les relevés de compte confirmant l’absence d’usage d’une carte bancaire, ce qui n’est pas rare chez les personnes de cette génération. La plupart des chèques sont accompagnés de factures justifiant de leur emploi dont les appelants ne démontrent pas que celui-ci n’aurait pas profité aux «’de cujus’». Ainsi estiment-ils curieusement insuffisante, par exemple, la pièce portant les numéros 80-1 et 80-2 alors qu’il s’agit, sur un papier à l’entête de Carpentier et Dautremer, entreprise de bâtiment à laquelle il apparaît que les défunts avaient régulièrement recours pour l’entretien de leur patrimoine immobilier, de quittances de versements d’acomptes, accompagnées à chaque fois du tampon de l’entreprise et de la signature de son responsable, relatifs à des travaux dans un appartement d’un immeuble situé [Adresse 8] dont les appelants ne démontrent pas, ni n’allèguent d’ailleurs, qu’il n’aurait pas appartenu à leurs grands-parents. Si certains chèques, il est vrai, ne sont pas accompagnés de la facture correspondante ou le sont simplement d’un devis, cette circonstance est insuffisante pour douter de leur usage compte tenu de ce que les talons et relevés correspondants portent la mention comme bénéficiaires de fournisseurs et prestataires habituels des époux [C]-[M], de la rigueur de la gestion dont témoigne la masse de justificatifs produits par l’intimée et de l’absence d’éléments permettant d’établir ou même de suspecter un détournement des fonds en question par Mme [L] [C] et/ou un enrichissement inexplicable de celle-ci. Il est acquis que M. et Mme [C]-[M] bénéficiaient d’un patrimoine et d’un train de vie confortables et étaient d’ailleurs soumis à l’impôt de solidarité sur la fortune. La cour, à qui il appartient d’apprécier souverainement la pertinence et la suffisance des moyens de preuve qui lui sont soumis, partage dès lors l’avis du tribunal et, avant lui, du notaire, qui apparaît comme le notaire habituel des défunts et a de surcroît effectué un travail d’investigation et d’analyse considérable à la demande des juges intervenus pendant la phase de compte et liquidation, qui ont estimé que les dépenses et, notamment, les retraits d’espèces étaient cohérents avec ce train de vie et que rien ne permettait de suspecter quelque détournement de fonds que ce soit. A cet égard, les appelants ne tirent pas de conséquences concrètes de leurs observations sur les mouvements de fonds entre comptes des défunts, dont le tribunal a noté qu’ils n’entraînaient pas de sorties de fonds du patrimoine de ces derniers, et sur la diminution de ce patrimoine, constitué notamment de valeurs mobilières, entre les deux décès et imputable en grande partie au «’krach’» boursier des années 2000/2002. Enfin, un rapport de l’organisme intervenu à la suite du placement sous tutelle de [F] [M] faisant suite à la requête à cette fin de Mme [A] [C] mentionne que la gestion faite par Mme [L] [C] est stricte et en rien préjudiciable aux intérêts de Mme [C]-[M]. Dans ces conditions, la demande de rapport de la somme de 234’000 euros et d’application des peines du recel à son propos a été rejetée à juste titre par le premier juge, déduction faite des 31’893,88 euros correspondant aux chèques libellés à l’ordre de Mme [L] [C].
Il y a lieu, par conséquent, de confirmer le jugement, sauf en ce qui concerne le rapport à la succession de la somme de 10’976 euros résultant du virement permanent dont a bénéficié Mme [L] [C] à titre de défraiement.
Les appelants ne formulent pas de contestations des testaments authentiques, dont la cour n’a donc pas à affirmer la validité comme le lui demandent les intimés, et n’en formulent plus en ce qui concernent les assurances-vie et assurances-décès.
Les considérations qui précèdent justifient, au regard des articles 696 et 700 du code de procédure civile, de mettre les dépens de la procédure d’appel à la charge des appelants, de les débouter de leur demande d’indemnité pour frais irrépétibles et de les condamner en revanche à verser aux intimés une indemnité de cet ordre à hauteur de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour
confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a condamné Mme [L] [C] à rapporter aux successions de [V] [C] et [F] [M] la somme de 114’520,92 euros,
statuant à nouveau sur ce chef, condamne Mme [L] [C] à rapporter aux successions de [V] [C] et [F] [M] la somme de 103’544,92 euros, somme sur laquelle elle ne pourra prétendre à aucune part,
déboute MM. [B], [N], [Y] [C] et Mme [G] [C] de leur demande d’indemnité pour frais irrépétibles,
les condamne in solidum aux dépens d’appel et au paiement à Mme [L] [C], Mme [I] [X] et M. [P] [J], ensemble, d’une indemnité de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet