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ARRET N°354
CL/KP
N° RG 22/01595 – N° Portalis DBV5-V-B7G-GSJL
[E]
C/
[N]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
2ème Chambre Civile
ARRÊT DU 12 SEPTEMBRE 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/01595 – N° Portalis DBV5-V-B7G-GSJL
Décision déférée à la Cour : jugement du 20 mai 2022 rendu par le Tribunal de Commerce de LA ROCHELLE.
APPELANT :
Monsieur [U] [E]
né le [Date naissance 2] 1977 à [Localité 7] (33)
[Adresse 6]
[Localité 4]
Ayant pour avocat plaidant Me Paul MAILLARD de la SCP MONTAIGNE AVOCATS, avocat au barreau de DEUX-SEVRES.
INTIMEE :
Madame [L] [N]
née le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 8]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Ayant pour avocat plaidant Me Stéphane ANTOINE de la SELARL CABINET MAET AVOCATS, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 05 Juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant :
Monsieur Claude PASCOT, Président
Monsieur Cédric LECLER, Conseiller
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Claude PASCOT, Président
Monsieur Fabrice VETU, Conseiller
Monsieur Cédric LECLER, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– Signé par Monsieur Claude PASCOT, Président, et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
Depuis le 2 avril 2012, Madame [L] [N] exploitait, sous la forme d’un statut d’auto-entrepreneur au nom commercial Easy Pass, une activité de publicité commerciale et de mise en avant d’offres commerciales locales dénommée ‘Passeport Privilèges’.
Selon protocole d’accord en date du 6 septembre 2019 Monsieur [U] [E], pris en son personnel, et président des sociétés par actions simplifiée France Arena et Na Radio ainsi que ces deux sociétés, ont engagé avec Madame [N] une discussion en vue d’un rapprochement de leurs activités publicitaires.
Selon ce protocole, Madame [N] devait apporter son fonds de commerce à la société France Arena, en contrepartie de quoi Monsieur [E] devait lui céder 20% du capital social de ladite société.
Le 10 septembre 2019, par une modification des statuts, la société France Arena est devenue la société par actions simplifiée Passeport Privilèges.
Le 30 octobre 2019, un contrat de mission a été conclu avec le cabinet d’expertise comptable Rb Finance pour l’établissement des comptes des de résultat et du bilan de l’exercice 2019.
Madame [N] a versé à la société Passeport Privilèges les sommes suivantes:
– 16 000 euros le 6 novembre 2019;
– 10 000 euros le 11 décembre 2019;
– 19 000 euros le 24 janvier 2020.
Le 23 janvier 2020, un contrat d’agent commercial a été conclu entre la société Passeport Privilèges, la société Na Radio, la société Editions Deserson, d’une part, et Madame [N], d’autre part.
Le 25 février 2020, Monsieur [E] a cédé ses actions détenues dans la société Passeport Privilèges à Madame [N] pour un euro symbolique.
A cette occasion, Madame [N] a demandé à Monsieur [E] ainsi qu’au cabinet d’expert-comptable Rb Finance de lui transmettre l’intégralité des comptes sociaux et la comptabilité de ladite société.
Se prévalant d’une transmission incomplète des documents comptables et de l’impossibilité de poursuivre son activité, Madame [N] a assigné Monsieur [E] devant le tribunal de commerce de La Rochelle le 23 février 2021.
Dans le dernier état de ses demandes, Madame [N] a demandé:
– d’écarter la fin de non-recevoir soulevée par Monsieur [E] et lui donner acte qu’elle-même était pleinement recevable en sa demande d’action et d’instance;
– de prononcer l’annulation de la cession d’actions intervenue entre Monsieur [E] et elle-même le 25 février 2020;
– de condamner Monsieur [E] à lui payer une somme de 45.000 euros à titre de dommages-intérêts;
– de condamner Monsieur [E] à lui payer une somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles.
En dernier lieu, Monsieur [E] a demandé :
A titre principal, de :
– dire que Madame [N] n’avait pas justifié d’une tentative de conciliation préalable conforme aux articles 1536 et suivants du code de procédure civile;
– dire que cette absence de conciliation préalable constituait une violation du contrat de cession d’actions en date du 25 février 2020, et une fin de non-recevoir au sens de l’article 122 du code de procédure civile;
– rejeter toutes les demandes de Madame [N] comme irrecevables;
A titre subsidiaire, de:
– dire que Madame [N] ne rapportait pas la preuve des manquements contractuels qu’elle alléguait, alors que lui-même justifiait avoir respecté l’ensemble des engagements souscrits avec cette dernière;
– rejeter toutes les demandes de Madame [N] comme infondées;
En tout état de cause,
– condamner Madame [N] à lui payer une somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par jugement en date du 20 mai 2022, le tribunal de commerce de La Rochelle a:
– écarté la fin de non-recevoir soulevée par Monsieur [E] ;
– donné acte de ce que Madame [N] était pleinement recevable en sa demande d’action et d’instance ;
– dit et jugé que l’attitude de Monsieur [E], n’exécutant pas les termes du protocole d’accord qu’il avait lui-même signé, vu l’absence de toute comptabilité, vu l’absence de tout actif de cette société, avait commis une faute qui avait engendré un préjudice que le tribunal estimait à la somme de 45 000 euros ;
– prononcé l’annulation de la cession d’actions intervenue entre Monsieur [U] [E] et Madame [N], le 25 février 2020 ;
– condamné Monsieur [U] [E] à payer à Madame [N] la somme de 45 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
– condamné Monsieur [E] à payer à Madame [N] la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Le 23 juin 2022, Monsieur [E] a relevé appel de ce jugement, en intimant Madame [N].
Le 22 septembre 2022, Monsieur [E] a demandé de :
– réformer le jugement en toutes ses dispositions ;
A titre principal,
– dire que Madame [N] ne justifiait pas d’une tentative de conciliation préalable conforme aux articles 1536 et suivants du code de procédure civile;
– dire que cette absence de tentative de conciliation préalable constituait une violation du contrat de cession d’actions en date du 25 février 2020, et une fin de non-recevoir au sens de l’article 122 du code de procédure civile ;
En conséquence,
– rejeter toutes les demandes de Madame [N] comme irrecevables ;
A titre subsidiaire,
– dire que Madame [N] ne rapportait pas la preuve des manquements contractuels qu’elle alléguait, alors que lui-même justifiait avoir respecté l’ensemble de ses obligations ;
– dire qu’elle ne justifiait pas de la réalité de son préjudice dont la victime, selon sa présentation, était la société Passeport Privilèges qui n’était pas partie au procès ;
– rejeter toutes les demandes de Madame [N] comme infondées ;
En tout état de cause,
– condamner Madame [N] à lui payer la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles.
Le 4 mai 2023, Madame [N] a demandé de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, et de condamner Monsieur [E] à lui payer la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions des parties déposées aux dates susdites pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
Le 9 mai 2023. a été rendue l’ordonnance de clôture de l’instruction de l’affaire.
MOTIVATION:
Sur la recevabilité des prétentions de Madame [N]:
L’invocation d’une clause contractuelle de conciliation préalable à toute action contentieuse constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge par application de l’article 122 du code de procédure civile.
Mais la clause contractuelle prévoyant une tentative de règlement amiable, non assortie de conditions particulières de mise en oeuvre, ne constitue pas une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge, dont le non-respect caractérise une fin de non-recevoir s’imposant à celui-ci.
Il sera relevé que l’acte de cession d’actions du 23 février 2020 n’a prévu aucune modalité particulière quant au principe de conciliation préalable qu’il édicte.
Or, Madame [N] a produit le courrier en date du 13 octobre 2020, adressé par son conseil à Monsieur [E], ainsi que l’accusé de réception signé par ce dernier le 15 octobre 2020, mettant Monsieur [E] en demeure de lui fournir tout document social ou comptable permettant de réaliser un audit des comptes et d’arrêter les comptes de l’année 2019 de manière complète et fidèle, au regard des relations contractuelles, et visant en particulier l’acte de cession d’actions du 25 février 2020, en faisant notamment état d’une confusion entre les comptes des différentes sociétés de l’intéressé.
Enfin, Madame [N] a produit le courrier en réponse du conseil de Monsieur [E] en date du 30 décembre 2020, refusant de manière motivée de donner suites aux demandes de Madame [N], notamment en avançant que l’ensemble des documents sociaux lui avait été remis, et en imputant à cette dernière la confusion de patrimoine alléguée.
Il en ressort ainsi que l’intéressée a suffisamment justifié avoir mis en oeuvre la clause de conciliation préalable insérée dans l’acte de cession d’actions du 23 février 2020.
Il y aura donc lieu d’écarter la fin de non-recevoir opposée par Monsieur [E], de dire que Madame [N] était pleinement recevable en sa demande d’action et d’instance, et le jugement sera confirmé de ces chefs.
Sur la demande en dommages-intérêts présentée par Madame [N]:
Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, et s’exécutent de bonne foi.
Le protocole d’accord du 6 septembre 2019 avait prévu :
– article 2: que Madame [N] ferait un apport de son fonds de commerce au profit de la société Arena ;
– article 2.1: que le fonds de commerce par Madame [N], s’entend essentiellement du nom du produit, de la propriété du site internet, du fichier clients et du fichier des partenaires et commerçants de l’intéressée proposant le produit dénommé Passeport Privilèges, du numéro de téléphone, et d’une manière générale, de tous les éléments permettant l’exploitation et le développement du dit produit; que le fonds de commerce inclut également la trésorerie de l’intéressée affectée ou provenant de l’exploitation du fonds au jour de la signature de l’acte ;
– article 2.2 -évaluation- : conformément à la législation applicable, un commissaire aux apports réaliserait une évaluation de la valeur du fonds de commerce devant être apporté à la société France Arena ; que sur la base du rapport établi par le commissaire aux apports, l’une ou l’autre partie pourrait en dénoncer l’évaluation et solliciter l’intervention, à ses frais, d’un autre commissaire aux apports ; qu’en cas d’accord des parties sur l’évaluation qui aurait été faite par le commissaire aux apports, un contrat d’apport serait établi.
– article 3. 1 – contrepartie – : en contrepartie de l’apport du fonds de commerce de Madame [N] à la société France Arena, et sous réserve de l’évaluation de sa valeur par le commissaire aux apports, Monsieur [E] s’engageait à céder à Madame [N] 20 % des actions qu’il détenait dans la société France Arena;
– article 6 – comportement loyal de bonne foi – : les parties s’engagent toujours à se comporter l’une envers l’autre comme des partenaires loyaux et de bonne foi, et doivent notamment s’informer mutuellement de difficultés qu’elles pourraient rencontrer dans le cadre de l’exécution du présent contrat.
Madame [N] fait grief à Monsieur [E] de ne pas avoir exécuté de bonne foi ses obligations contractuelles résultant de ce contrat, notamment eu égard à l’opacité et l’absence de régularité de sa gestion sociale et comptable.
Monsieur [E] lui objecte avoir rempli l’intégralité de ses propres obligations contractuelles, et observe que la demanderesse, qui n’a pas procédé à l’évaluation comptable de son fonds de commerce, ni n’a apporté celui-ci à la société, auraient manqué à ses propres obligations.
Il estime que ce sont les manquements de Madame [N] elle-même qui seraient générateurs du préjudice qu’elle invoque, tout en déniant que ce préjudice lui serait personnel, mais qu’il s’agirait plutôt du préjudice de la société.
Et elle-même vient soutenir que sa demande indemnitaire a pour conséquence le manquement de Monsieur [E] à ses obligations contractuelles.
Dans ses écritures (page 4), Madame [N] soutient que c’est dans le cadre du protocole d’accord qui serait signé le 6 septembre 2019 que Monsieur [E] l’aurait convaincue d’avancer à la société Passeport Privilèges diverses sommes d’argent, en lui promettant que ces sommes seraient comptabilisées lors de la régularisation d’un futur accord final très proche.
Elle y ajoute, dans l’attente de la réalisation des promesses du protocole, avoir continué à exercer son activité telle qu’auparavant en qualité d’auto-entrepreneur, puisque aucune régularisation des accords d’engagements n’était encore intervenue.
Madame [N] vient préciser dans ses propres écritures (page 10) n’avoir jamais apporté son fonds de commerce à la société France Arena, devenue Passeport Privilèges.
Mais Monsieur [E] soutient que ces versements de Madame [N] ne peuvent s’analyser que comme afférents à une partie de la trésorerie de son fonds de commerce, dont la demanderesse ne démontrerait pas avoir procédé à l’apport en sa totalité.
Il sera observé que les versements opérés par Madame [N] au profit de la société Passeport Privilèges pour un total de 45 000 euros, en date des 6 novembre 2019, 11 décembre 2019 et le 24 janvier 2020, sont tous postérieurs au protocole d’accord du 6 septembre 2019.
A l’inverse, l’acte de cession d’actions du 25 février 2020 avait prévu un prix de cession d’un euro, et a comporté une affirmation de sincérité selon lesquelles le présent acte exprimait l’intégralité du prêt convenu.
En outre, il n’apparaît pas en quoi ces versements auraient constitué la contrepartie du contrat de cession d’actions du 25 février 2020, pour un euro symbolique, notamment exclusif de toute obligation, pour Madame [N], d’apport de son propre fonds de commerce.
Il s’ensuivra que les versements de Madame [N] ne peuvent se concevoir que comme l’exécution du protocole d’accord du 6 septembre 2019, et non pas comme celle de l’acte de cession d’actions, très postérieur du 25 février 2020.
Enfin, il sera observé qu’à l’appui de sa demande indemnitaire, Madame [N] fait surtout grief à Monsieur [E] de sa gestion comptable et sociale, portant atteinte au patrimoine de la société Passeport Privilèges, et contraire aux intérêts de celle-ci.
Et si Monsieur [E] fait grief à Madame [N] de n’avoir pas exécuté son engagement de cession de son fonds de commerce, cette inexécution peut être à bon droit considérée comme une exception d’inexécution, alors que Monsieur [E] n’a jamais agréé Madame [N] en qualité d’associée en vertu du protocole d’accord.
De surcroît, le préjudice dont Madame [N] réclame la réparation est étranger à ses propres inexécutions contractuelles, et porte essentiellement sur la gestion sociale réalisée par Monsieur [E] pendant l’exécution du protocole, sans l’avoir agréée au sein de la société.
Il sera renvoyé aux observations figurant plus bas, pour en retenir que l’essentiel des manquements que Madame [N] reproche à Monsieur [E] sont établis.
De part leur nature, développée plus bas, ils caractérisent un manquement de l’intéressé à son obligation contractuelle d’exécution de bonne foi du protocole d’accord du 6 septembre 2019.
Certes, Madame [E] fait état des agissements délictuels de l’intéressé, ayant essentiellement trait à la gestion sociale, et portant atteinte au patrimoine social de celle-ci.
Ces agissements sont ainsi susceptibles de générer un préjudice du chef de la société.
Mais la nature de ces agissements, ayant pour conséquence, par ricochet, une plus grande difficulté pour la cessionnaire, de dégager des revenus personnels de la société dont elle fait l’acquisition, l’obligation de dénoncer les engagements contraires à l’intérêt social pris par l’ancien gérant, ainsi que les tracas et soucis tenant à l’obligation d’avoir à se conformer à ses obligations fiscales et comptables, en l’absence d’une comptabilité régulière tenue par le précédant gérant au titre de l’exercice 2019, caractérisent suffisamment un préjudice moral qui au vu des éléments de l’espèce, sera entièrement réparé par une indemnité de 20 000 euros: le jugement sera infirmé de ce chef.
En revanche, le préjudice personnel de Madame [N] ne pourra jamais être égal au montant des apports en trésorerie de l’intéressée dans la société, une demande d’un tel quantum ne pouvant s’analyser qu’en une demande de restitution après annulation du protocole d’accord du 6 septembre 2019, qui n’a pas été sollicité, tandis que les fonds versés ne peuvent pas trouver leur cause dans l’acte de cession d’actions du 25 février 2020.
En particulier, il n’est pas démontré en quoi l’intéressée aurait pu prétendre à des droits quelconques sur les fonds ainsi versés, à une époque où elle ne jouissait pas de la qualité d’associée.
En dernier lieu, l’annulation du contrat de cession d’actions, ultérieur à l’ensemble de ces versements, et étranger à ceux-ci sera sans emport sur la réclamation indemnitaire de l’intéressée.
Sur l’annulation du contrat de l’acte de cession d’actions du 23 février 2020:
Selon l’article 1137 du code civil,
Constitue un dol le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manoeuvres ou des mensonges.
Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des cocontractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie.
Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.
En matière de cession d’actions de société, le silence conservé par le cessionnaire sur des éléments essentiels de la situation, notamment comptable, de la société constitue un dol de nature à justifier l’annulation de la cession.
Madame [N] demande l’annulation de l’acte de cession d’actions.
En soutenant que les manoeuvres de l’intéressé ont eu pour objet de lui dissimuler la situation réelle de la société Passeports Privilèges, qui selon elle, ne peut plus poursuivre son activité principale, ou lorsqu’il lui a été fourni une comptabilité inexacte ou incomplète, Madame [N] vient en substance soutenir que Monsieur [E] aurait commis à son encontre un dol, qui l’aurait déterminé à consentir à l’acte de cession d’actions litigieux.
L’article 6 du contrat porte déclaration du cédant de ce que, jusqu’au jour de réalisation de la cession, la gestion de la société Passeport Privilège a été assurée d’une manière courante et normale, qu’en particulier, aucune conclusion de contrats importants n’avait été faite, et que d’une manière générale, aucune opération hors du cadre d’une gestion normale et courante de la société Passeport Privilège n’a été prise.
Mais il ressort du compte bancaire de la société Passeport Privilège qu’après le versement du 6 novembre 2019 de Madame [N] de 16 000 euros, le compte bancaire de la société n’était plus créditeur que de la somme de 1190,98 euros.
En particulier, il échet d’observer le paiement d’une somme de:
– 1900 euros à Atlantique notaire le 8 novembre 2019;
– à Alt x Informatique pour 1936,55 euros le 21 novembre 2019;
– à des huissiers de justice pour 372,09 euros;
– pour des honoraires d’avocat pour 1560 euros le 22 novembre 2019;
– pour la société civile immobilière La Vigie pour 1000 euros le 25 novembre 2019.
Madame [N] soutient que la société Passeport Privilège n’était titulaire d’aucun bail commercial.
Or, il ressort de la production du contrat de bail en date du 8 novembre 2019 que la société civile immobilière La Vigie a consenti un bail commercial non seulement à la société Passeport Privilège, mais encore aux sociétés Na Radio, Editions Deserson, Rio, et Île de Ré Radiodiffusion, dont Monsieur [E] était alors pour chacune le représentant, à compter du 1er décembre 2019, ces sociétés étant considérées comme un seul et même locataire, et dans des locaux indifférenciés, pour un loyer mensuel hors charges de 2742,15 euros ttc, outre 72 ttc euros de charges mensuelles et 176,40 euros mensuels au titre de l’impôt foncier.
La passation de ce contrat de bail constitue indubitablement un contrat important du chef de la société Passeports Privilèges, au sens des stipulations contractuelles susdites.
Or, si Monsieur [E] n’a pas démontré en avoir informé Madame [N] avant l’acte litigieux, Madame [N] démontre au contraire par une attestation que la société n’a jamais joui effectivement d’un bail commercial.
Il apparaît également que le 10 janvier 2020, Monsieur [E] a passé, pour le compte de la société Passeport Privilège avec la société Na Radio dont il était aussi le président, une convention de mise à disposition.
De surcroît, les comptes bancaires montrent que le 21 novembre 2019, Monsieur [E] a réalisé un virement à destination de la société Na Radio, dont il était le propriétaire, sans qu’apparaisse alors une quelconque contrepartie à ces versements du chef de la société Passeport Privilège.
La passation de ce contrat de mise à disposition constitue indubitablement un contrat important du chef de la société Passeports Privilèges, au sens des stipulations contractuelles susdites.
Or, Monsieur [E] n’a pas démontré en avoir informé Madame [N] avant l’acte litigieux.
Il apparaît encore que le 10 janvier 2020, Monsieur [E] a passé, pour le compte de la société Passeport Privilèges, une convention d’honoraires avec un avocat aux fins d’introduire toute action à l’encontre de la société Legend Concept à la suite de défauts et malfaçons affectant les livrets dénommés Passeports Privilèges.
La passation de cette convention d’honoraires constitue indubitablement un contrat important du chef de la société Passeports Privilèges, au sens des stipulations contractuelles susdites.
Or, Monsieur [E] n’a pas démontré en avoir informé Madame [N] avant l’acte litigieux.
L’analyse des comptes bancaires de la société Passeports Privilèges met encore en évidence que les dépenses réalisées par cette dernière sur son compte ont servi à régler des factures au nom de la société Radio Na dans laquelle Monsieur [E] était intéressé, pour l’achat d’un camion publicitaire qui ne figurait pas dans l’actif de la société Passeports Privilèges.
Enfin, il ressort des échanges de Madame [N] avec l’expert-comptable, jusqu’alors chargé de la comptabilité de la société Passeports Privilèges, la carence des pièces comptables qui lui avaient jusqu’alors été fournies, qui n’ont abouti qu’à la fourniture d’un grand-livre.
Et le nouveau professionnel du chiffre mandaté par Madame [N] aux fins d’audit des comptes de la société Passeports Privilèges rappelle par courrier du 2 juillet 2020:
– n’avoir pu obtenu qu’un grand livre provisoire des comptes au 31 décembre 2019 établi en date du 8 mai 2020, qui après analyse de sa part, contenait de nombreuses irrégularités et qui était pour le moins incomplet (un compte d’attente était existant et de nombreux comptes étaient non soldés);
– que les comptes annuels pour l’exercice 2019 n’étaient donc pas aboutis;
– qu’il n’avait reçu depuis le 10 mai 2020 de la part de son confrère jusqu’alors chargé des comptes aucun élément lui permettant de réaliser cet audit.
Bien plus, le professionnel du chiffre a précisé le 11 mai 2020 que les flux concernant les sociétés Na Radio, La Vigie, Edition Deserson, sociétés a priori dirigés par Monsieur [E], devaient être comptabilisées dans le compte courant d’associé de ce dernier, qu’il en allait de même des frais de carburant non justifiés, sans qu’aucun véhicule de la société ne fût inscrit au bilan, et qu’une fois réalisées ces corrections comptables, le compte courant d’associé de Monsieur [E] aurait été débiteur, ce qui serait constitutif d’un abus de bien social.
Il en ressort ainsi que Monsieur [E] ne s’est pas conformé à ses obligations de gérant tenant à la tenue des comptes, et a transmis une comptabilité incomplète et comportant de nombreuses irrégularités.
Les opérations bancaires réalisées par l’ancien gérant mettent en évidence une gestion contraire à l’intérêt social, le patrimoine social ayant contribué à régler des dépenses personnelles ou au profit d’autres sociétés dans lesquels il était intéressé, diminuant ainsi le patrimoine social sans contrepartie pour la société Passeports Privilèges.
A l’issue de cette analyse, il sera retenu que nonobstant la modicité du prix de la cession, si Madame [N] avait eu connaissance tant des contrats importants souscrits pour le compte de la société Passeports Privilèges, que des versements faits par cette dernière dans le seul intérêt des sociétés dans lesquelles Monsieur [E] était intéressé, que de l’absence de tenue d’une comptabilité irrégulière, que le cédant lui a dissimulé, elle n’aurait jamais consenti à la cession.
Il est ainsi établi la commission d’un dol, par Monsieur [E], qui a déterminé le consentement de Madame [N] à la cession litigieuse.
Il y aura donc lieu de prononcer l’annulation de la cession d’actions intervenue entre parties le 25 février 2020, et le jugement sera confirmé de ce chef.
* * * * *
Il sera rappelé que le présent arrêt vaudra titre de restitution des sommes allouées en exécution du jugement déféré.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné Monsieur [E] aux dépens de première instance, et l’a condamné au titre des frais irrépétibles à verser à Madame [N] la somme de 2000 euros.
Il y sera ajouté pour débouter Monsieur [E] de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance.
Succombant pour l’essentiel à hauteur d’appel, Monsieur [E] sera débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles d’appel.
Monsieur [E] sera condamné aux entiers dépens d’appel et à payer à Madame [N] la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.
PAR CES MOTIFS:
La cour,
statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a condamné Monsieur [U] [E] à payer à Madame [L] [N] la somme de 45 000 euros à titre de dommages-intérêts;
Infirme le jugement déféré de ce seul chef;
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant:
Condamne Monsieur [U] [E] à payer à Madame [L] [N] la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts;
Rappelle que le présent arrêt vaut titre de restitution des sommes allouées en exécution du jugement déféré;
Déboute Monsieur [U] [E] de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel ;
Condamne Monsieur [U] [E] aux entiers dépens d’appel et à payer à Madame [L] [N] la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,