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N/SB
Numéro 23/1609
COUR D’APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 11/05/2023
Dossier : N° RG 21/01210 – N° Portalis DBVV-V-B7F-H2YF
Nature affaire :
A.T.M.P. : demande relative à la faute inexcusable de l’employeur
Affaire :
[C] [G] [N]
C/
SAS [4] anciennement S.A.S.U. [6]
CPAM [Localité 5]
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 11 Mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 16 Mars 2023, devant :
Madame NICOLAS, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame BARRERE, greffière.
Madame NICOLAS, en application de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame NICOLAS, Présidente
Madame SORONDO, Conseiller
Madame PACTEAU, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANT :
Monsieur [C] [G] [N]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Madame [J], Responsable du Service Défense, Conseil et Recours de l’ADDAH 40, munie d’un pouvoir
INTIMEES :
SAS [4] anciennement S.A.S.U. [6]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Maître BELLEGARDE loco Maître PENEAU de la SCP PENEAU-DESCOUBES PENEAU, avocat au barreau de MONT-DE-MARSAN
CPAM [Localité 5]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Maître SERRANO loco Maître BARNABA, avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 12 MARS 2021
rendue par le POLE SOCIAL DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MONT DE MARSAN
RG numéro : 17/00666
FAITS ET PROCÉDURE
Le 1er novembre 2014, M. [C] [G] [N] (le salarié), né en août 1967, salarié en qualité d’« agent qualifié de service » de la société [6], aux droits de laquelle se présente la société [4], (l’employeur) a été victime d’un accident du travail, pris en charge par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie [Localité 5] (la caisse ou l’organisme social) au titre de la législation sur les risques professionnels, par décision du 12 janvier 2015.
Le certificat médical initial du Docteur [S] en date du 1er novembre 2014 fait état d’un « malaise crise d’angoisse ».
L’état de santé du salarié a été déclaré consolidé le 28 février 2016 ; la caisse lui a reconnu un taux d’incapacité permanente de 9 %, et octroyé le 29 février 2016, une indemnité en capital ; par jugement du 29 août 2019, du pôle social du tribunal de grande instance de Bordeaux, le taux de 9 % a été porté à 15 %, dont 5 % de taux professionnel..
Le 27 décembre 2017, après échec de la tentative de conciliation, le salarié a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Landes, devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Mont de Marsan d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, afin d’indemnisation.
Le pôle social du tribunal judiciaire de Mont-de-Marsan a :
1-par jugement avant dire droit du 11 décembre 2020 :
– ordonné la réouverture des débats à l’audience du 12 février 2021 à 9heures afin que l’employeur communique ou justifie de la communication de ses conclusions et pièces à la caisse pour permettre à cette dernière, le cas échéant d’y répliquer,
– invité la caisse à produire les pièces relatives à la procédure d’instruction de la demande en reconnaissance du caractère professionnel de l’accident du 1er novembre 2014 subi par le salarié,
– réservé les demandes et les dépens,
2- par jugement du 12 mars 2021 :
– déclaré opposable à l’employeur la décision de la caisse de prise en charge de l’accident du travail du 1er novembre 2014 subi par le salarié,
– débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes,
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné le salarié aux dépens engagés depuis le 1er janvier 2019.
Cette décision a été notifiée aux parties par lettre recommandée avec avis de réception aux parties, reçue du salarié le 19 mars 2021.
Le 7 avril 2021, par lettre recommandée avec avis de réception adressée au greffe de la cour, le salarié en a régulièrement interjeté appel.
Selon avis de convocation en date du 27 septembre 2022, contenant calendrier de procédure, les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience du 16 mars 2023, à laquelle elles ont comparu.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Selon ses conclusions adressées au greffe de la cour d’appel de Pau le 22 décembre 2022, reprises oralement à l’audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, le salarié, M. [C] [G] [N], appelant, conclut à l’infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, demande à la cour de :
– juger qu’une faute inexcusable au sens de l’article L452-1 du code de la sécurité sociale est à l’origine de l’accident du travail dont il a été victime le 1er novembre 2014,
– fixer au maximum la majoration de la rente versée par la caisse,
– dire que la majoration de la rente devra suivre l’aggravation du taux d’incapacité permanente partielle dans les mêmes proportions et que les préjudices personnels seront réévalués en cas de rechute ou d’aggravation des séquelles,
– ordonner une expertise médicale avec mission d’apprécier les préjudices subis par le salarié au titre :
– des souffrances physiques et morales endurées,
– du préjudice d’agrément subi,
– du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle et plus largement sur les difficultés d’aptitude professionnelle liées aux séquelles de l’accident,
– du déficit fonctionnel temporaire subi par la victime c’est à dire la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante pour la période comprise entre l’accident et la consolidation,
– des frais divers restés à la charge de la victime,
– juger que la caisse fera l’avance de l’intégralité des indemnités allouées au salarié qu’il s’agisse ou non des postes de préjudices couverts par l’article L452-3 du code de la sécurité sociale,
– lui accorder une provision de 2 000 € à valoir sur le montant de l’indemnisation de ses préjudices,
– condamner l’employeur ou ceux qu’il s’est substitués dans la direction au paiement d’une somme de 1000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– juger qu’en vertu de l’article 1153-1 du code civil, l’ensemble des sommes dues, portera intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir,
– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Selon ses dernières conclusions II transmises par RPVA le 25 janvier 2023, reprises oralement à l’audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, l’employeur, la société [4], intimé, demande à la cour de :
‘ A titre principal,
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
– débouter le salarié de l’ensemble de ses demandes,
– condamner le salarié à payer à l’employeur la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner le salarié aux entiers dépens,
‘ A titre subsidiaire,
– lui donner acte de ses plus expresses protestations et réserves quant à l’organisation d’une mesure d’expertise judiciaire,
– faire une application modérée de l’article 700 du code de procédure civile,
– juger que chacune des parties conservera la charge de ses dépens.
Selon ses conclusions n° II adressées transmises par RPVA le 27 janvier 2023, reprises oralement à l’audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, la Caisse Primaire d’Assurance-Maladie [Localité 5], intimée, s’en remet sur la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur, et en cas de reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur, demande à la cour de :
– préciser le quantum de la majoration de la rente à allouer au salarié,
– constater que la caisse ne s’oppose pas à l’expertise médicale sollicitée,
– limiter le montant des sommes à allouer au salarié en réparation de ses préjudices :
– aux chefs de préjudices énumérés à l’article L452-3 (1er alinéa) du code de la sécurité sociale : les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique, le préjudice d’agrément, le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle,
– ainsi qu’aux chefs de préjudices non déjà couverts par le Livre IV du code de la sécurité sociale : le préjudice sexuel, le déficit fonctionnel temporaire, les frais liés à l’assistance d’une tierce personne avant consolidation, l’aménagement du véhicule et du logement,
– condamner l’employeur, en application du 3ème alinéa de l’article L452-3 du code de la sécurité sociale, à lui rembourser :
– la majoration de l’indemnité en capital ou le capital représentatif de la majoration de la rente tel qu’il sera calculé et notifié par la caisse,
– les sommes dont la caisse aura l’obligation de faire l’avance,
– les frais d’expertise,
– les intérêts légaux,
– condamner l’employeur à communiquer à la caisse les coordonnées de son assurance sous astreinte de 50 € par jour de retard, et ce, à l’expiration d’un délai de 10 jours à compter de l’arrêt à intervenir.
SUR QUOI LA COUR
L’employeur ne conteste plus le caractère professionnel de l’accident litigieux, la contestation portée devant la cour, ne concernant plus que la faute inexcusable de l’employeur, alléguée par le salarié, et contestée par l’employeur.
Sur la faute inexcusable
En matière de sécurité, l’employeur est tenu à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé, notamment en ce qui concerne les accidents du travail, et les maladies professionnelles.
Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L 452 -1 du code de la sécurité sociale lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident ou de la maladie survenus au salarié, mais il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage.
La faute de la victime n’est pas de nature à exonérer l’employeur de sa responsabilité, sauf si elle est la cause exclusive de l’accident du travail.
Il appartient au salarié de rapporter la preuve de l’existence d’une faute inexcusable de son employeur, à l’origine de l’accident du travail dont il a été victime.
En conséquence, le salarié doit à ce sujet, faire la démonstration comme imputables à son employeur, de la conscience du danger, et du défaut de mesures appropriées .
Cependant, lorsque la faute est susceptible de relever d’un manquement de l’employeur aux règles de sécurité, le juge doit examiner l’ensemble des pièces produites par les parties.
Les parties sont contraires sur l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur.
Le salarié, pour démontrer la faute inexcusable de l’employeur, après avoir rappelé le contenu de l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur, les principes dégagés par la jurisprudence en la matière, les dispositions du code du travail contenues aux articles L4121-1, L4121-2, L4141-1, L1152-1, L1152-4 soutient en substance que :
– il a été victime d’un premier accident du travail le 29 août 2008, consistant à s’être cogné le genou gauche sur un marchepied, ayant donné lieu à plusieurs rechutes notamment les 15 septembre 2010 et 23 octobre 2012, et à des restrictions médicales imposées par la médecine du travail, nécessitant une reprise sur un poste aménagé ne nécessitant pas de position accroupie ou à genoux, ni de montée d’escalier,
-le 6 avril 2017, il a obtenu par un arrêt de la présente cour, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, faute pour celui-ci d’avoir respecté ces restrictions,
– cette situation a créé des tensions au sein de l’entreprise, compte tenu du retentissement des aménagements de son poste de travail, sur les autres salariés, dont le point culminant est une pétition du 24 septembre 2012, de cinq salariés, qu’il estime constitutive d’une discrimination liée à son état de santé, même si cette pétition a été immédiatement contredite par une lettre du délégué syndical, adressée aux salariés de l’entreprise,
– ce conflit interne n’avait pas été résolu au 22 février 2013,
-le 13 juin 2014, il a déclaré un nouvel accident de travail, pour syndrome dépressif sévère lié aux conditions de travail, que la caisse n’a pas pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels, au motif qu’il n’y avait pas eu d’événement soudain brutal et anormal dans un contexte professionnel,
– il lie l’accident du travail litigieux en date du 1er novembre 2014, à ce contexte qu’il qualifie de discriminatoire, invoquant « l’agressivité » de deux de ses collègues, ayant entraîné un malaise,
– il reproche à l’employeur, de ne pas avoir pris les mesures pour mettre un terme à la situation de conflit interne qui l’opposait à d’autres salariés, et d’avoir participé lui-même au harcèlement moral dont il estime qu’il est la cause directe et exclusive de l’accident du travail du 1er novembre 2014.
L’employeur, pour contester toute faute inexcusable de sa part, et solliciter la confirmation du jugement déféré, après avoir rappelé la définition de la faute inexcusable, son fondement désormais légal et non plus contractuel, et la possibilité pour l’employeur, de s’en exonérer, en démontrant la mise en place des mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, au visa des mêmes articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail, que ceux invoqués par le salarié, fait valoir en substance que :
-il accorde une grande importance à la prévention des risques psychosociaux,
-il rappelle, page 4 de ses conclusions, les différentes mesures qu’il a prises, en renvoyant à ses pièces 26, 30, 7, 11, 12, 33, 35, ou à la pièce adverse 22, par lesquelles il entend démontrer sa diligence exemplaire quant à la prévention des risques d’accident du travail ou de maladie professionnelle au sein de l’entreprise,
-il a proposé à l’ensemble des salariés, un bilan psychologique, dans le cadre d’une étude sur les risques psychosociaux, à laquelle l’appelant a refusé de participer, en déclinant un premier rendez-vous, et ne se rendant pas sans motif légitime à la seconde convocation à cet effet,
– c’est de façon incohérente avec la matérialité des éléments du dossier, en procédant par simples affirmations, ou production de deux attestations qui ne sont ni datées ni circonstanciées, dont l’une au demeurant, est dénuée de toute crédibilité, dès lors qu’elle émane d’une salariée licenciée pour faute grave, que l’appelant se prétend victime de harcèlement moral, et soutient en outre, que l’employeur y aurait participé, l’employeur rappelant à cet égard que :
-les premières doléances du salarié, n’apparaissent que suite à un rappel à l’ordre par lequel il lui était reproché de majorer exagérément ses temps de pause, au détriment de ses missions et de ses collègues,
– les divers rappels à l’ordre, intervenus entre 2009 et 2012, sont mesurés, sans aucune exagération, et n’ont donné lieu qu’à un seul avertissement disciplinaire,
– l’écrit diffusé le 24 septembre 2012, n’émanait que d’une poignée de salariés, et a donné lieu à un courrier en réponse de la direction du 19 octobre 2012, alors que dans le même temps, cet écrit faisait l’objet d’une pétition contraire signée par un grand nombre de collègues apportant au salarié son entier soutien,
– l’appelant ne démontre aucun lien de causalité, entre cette pétition et l’accident du travail litigieux survenu deux ans plus tard, lequel a donné lieu à une enquête, de laquelle il résulte qu’à l’occasion d’une discussion sur la fiche de poste de l’appelant, ce dernier seul s’est énervé, sans qu’il puisse être reproché aux autres salariés, une quelconque agressivité.
Sur ce,
La cour estime devoir préciser, en préalable, que :
– certes, les pièces du dossier établissent que l’appelant a été victime d’un accident du travail le 29 août 2008, consistant à s’être cogné le genou gauche sur un marchepied, accident dans la survenance duquel la faute inexcusable de l’employeur, a été retenue par un arrêt de la présente cour en date du 6 avril 2017,
– cependant, il est totalement inexact de soutenir, comme le fait le salarié en page 7 in fine de ses écritures, que cet arrêt retiendrait la faute inexcusable de l’employeur, au motif que l’employeur n’aurait pas respecté les restrictions médicales imposées par l’inspection du travail en raison de l’état de santé du salarié,
– en effet, il résulte de la lecture de cette décision que la faute inexcusable de l’employeur est retenue aux motifs substantiels, que les conditions de travail et les équipements mis à disposition, caractérisaient une situation à risque de glissade et de chute (salle de découpe de saumon, sol glissant), dont l’employeur, qui avait inspecté les lieux, avait conscience, sans qu’il n’ait justifié d’aucun dispositif propre à prévenir le risque.
Il s’en déduit que c’est à tort que le salarié s’emploie à établir un lien, entre cet accident du 29 août 2008, et la présente procédure, concernant un accident survenu six ans plus tard.
En revanche, il est établi par les pièces du dossier, qu’à l’occasion de la reprise de son travail au sein de la société employeur, suite à ce premier accident du 29 août 2008, la médecine du travail , le 1er octobre 2010, a émis une fiche médicale d’aptitude préconisant des restrictions médicales.
Ces restrictions imposaient (cf. fiche médicale d’aptitude produite par l’appelant sous le numéro 13, le déclarant « apte à reprise après accident du travail, sur poste aménagé ne nécessitant de posture accroupie, ou à genoux, montée escaliers, privilégier poste couloirs, U5 par exemple ») un aménagement du poste de travail du salarié.
Aucun élément objectif du dossier, ne permet d’établir que l’employeur ne les aurait pas respectées, le courrier du 8 février 2011, adressé par la fédération nationale des accidentés du travail et des handicapées, à la Direccte (pièce numéro 14 du salarié), ne constituant que la reproduction et la transmission des doléances du salarié à ce titre, et non un quelconque élément objectif.
S’agissant du contexte, les parties sont contraires sur le point de savoir si les divers rappels à l’ordre dont un avertissement, adressés par l’employeur, au salarié, de 2009 à 2012, sont comme le soutient l’employeur, justifiés par le fait que le salarié ne respectait pas les horaires de travail, majorait ses pauses, au détriment de son temps de travail, et n’effectuait pas un travail de qualité, ou si, comme le soutient le salarié, qui les a systématiquement contestés par courriers, bien que l’avertissement n’ait fait l’objet d’aucune contestation judiciaire, sa fiche de poste n’était pas compatible avec son état de santé, car lui imposait une charge de travail trop lourde, pour soutenir que l’employeur n’était pas fondé à lui reprocher un manquement dans la qualité de son travail, ou le fait qu’il doive multiplier ses pauses.
Dans ce contexte, le salarié soutient qu’il aurait fait l’objet d’un harcèlement moral, connu de l’employeur, et auquel ce dernier aurait participé, alors qu’au titre de son obligation de sécurité, il aurait dû le prévenir ou y mettre fin, dont l’accident de travail litigieux, serait une des manifestations.
Sur le harcèlement moral
Le harcèlement moral se définit comme des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits, à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.
Pour soutenir qu’il aurait fait l’objet d’un harcèlement moral, auquel l’employeur aurait participé, sans estimer devoir le prévenir ou y mettre fin, le salarié fait état :
– de ses divers courriers de contestation des rappels à l’ordre ou avertissement qui lui ont été délivrés, par lequel il se plaint notamment d’être « ostracisé »,
-d’un courrier du 15 février 2012, par lequel quatre salariés, dont lui-même, se plaignent du comportement de leur supérieure hiérarchique, Mme [W],
-d’une pétition en date du 22 septembre 2012, de cinq salariés travaillant dans la même unité,
-de trois attestations, dont la sienne, par lesquelles deux salariés, attestent de ce que après son accident du travail, il aurait été malmené sur son poste, victime de pression de la part de l’encadrement, de harcèlement moral, et de remontrances sur ses capacités à accomplir son poste.
Le courrier du 15 février 2012, commun à quatre autres salariés, exprime l’attente de leurs auteurs, dont fait partie l’appelant, d’une « solution » de la part de l’employeur, relativement à une situation ayant provoqué des arrêts maladie de certains salariés, en lien avec l’attitude d’une supérieure hiérarchique (Mme [W]), à laquelle il est reproché de les narguer, les ignorer totalement, de répartir inéquitablement la charge de travail, s’agissant d’une « alerte sur une situation dangereuse pour leur santé ».
Par la pétition du 22 septembre 2012, sept salariés de l’unité 5 demandent à la direction, en substance, de ne pas titulariser l’appelant, en exposant qu’ils ont besoin d’une personne motivée, aidante, et non « d’une personne qui cherche systématiquement à se défiler », et dont « l’attitude et les réflexions, bref l’antipathie qu’il dégage, fait que personne n’a envie de le croiser sur l’unité », ajoutant qu’ « il y a suffisamment de personnels motivés et méritants pour ne pas nous imposer cette personne qui va dégrader et l’ambiance et le moral de ses collègues ».
Ces éléments peuvent laisser présumer l’existence de faits de harcèlement moral.
Cependant, l’employeur, par les éléments produits et débattus, soutient et justifie ainsi que les pièces du dossier le démontrent, qu’il n’en est rien puisqu’en effet :
-les divers courriers de contestation que l’appelant a lui-même émis, toujours a posteriori d’un rappel à l’ordre ou d’un avertissement par lequel l’employeur lui reprochait des manquements professionnels, faute d’être corroborés par des éléments objectifs, sont dénués de force probante,
-il en va de même des attestations produites, dès lors que l’une d’entre elles émane de l’appelant lui-même, lequel ne peut se constituer de preuve à lui-même, et que les deux autres, ainsi que relevé à juste titre par le premier juge, sont trop peu circonstanciées pour faire foi, l’employeur observant en outre, que l’une d’entre elles émane de la salariée (Mme [W]), dont le comportement était critiqué par l’appelant lui-même par le courrier du 15 février 2012, attestation dont l’employeur met en doute la crédibilité, dès lors qu’il affirme, sans en justifier mais sans pour autant être contredit, que cette salariée aurait fait l’objet d’un licenciement pour faute grave, la privant du droit à toute indemnité, de nature à compromettre son objectivité à son égard,
– au vu des difficultés au sein de l’entreprise, ayant trouvé leur expression à l’état brut dans la pétition du 22 septembre 2012, l’employeur a sollicité l’intervention du service de santé au travail, pour réaliser une étude sur les risques psychosociaux, à laquelle le salarié n’a pas participé, alors qu’il y a été invité par convocation individuelle réitérée,
– le salarié, dans la suite du courrier et de la pétition qu’il invoque, a reçu un soutien affirmé des adhérents au syndicat [6], selon courrier du 24 septembre 2012 à l’entête de la CGT, auquel l’employeur s’est rallié par courrier du 19 octobre 2012, de même qu’un soutien de nombreux salariés de l’entreprise, sous la forme d’un courrier, daté du 27 septembre 2012 (sa pièce numéro 26),
– le sujet a été abordé lors de la réunion du comité d’établissement ayant donné lieu à un procès-verbal du 25 septembre 2012 (pièce 19 de l’appelant), page 8, au titre des questions diverses, et le représentant du syndicat CGT, de même que l’employeur, ont à nouveau confirmé les mêmes positions que celles exprimées dans leurs écrits,
– les doléances de l’employeur, sur les manquements du salarié à ses obligations professionnelles, ont perduré, toujours dans les mêmes termes, nonobstant les changements de chef d’équipe,
– le représentant de la CGT (M. [K]), qui avait si fermement apporté son soutien au salarié, en réaction à la pétition du 22 septembre 2012, et oeuvré activement dans le sens du reclassement du salarié au sein de l’entreprise, a cependant indiqué, à l’occasion de l’enquête administrative au cours de laquelle il a été entendu, concernant l’accident litigieux en date du 1er novembre 2014, que le salarié « a toujours refusé des postes aménagées proposés. Il confond aménagement de poste et réduction du temps de travail à ces postes. Il voudrait ne travailler que trois heures dans la journée. De plus en plus, il prétexte sa pathologie. De ce fait il fait subir ses humeurs aux autres salariés qui doivent absorber sa charge de travail non réalisé…».
Ainsi, les éléments pris dans leur ensemble, sont de nature à contredire la présomption de harcèlement.
C’est donc en vain et à tort que le salarié invoque des faits de harcèlement dont il aurait été victime, si bien qu’il n’est fondé à soutenir ni que l’employeur les aurait connus, ni qu’il y aurait participé, ni que l’employeur serait fautif pour ne pas avoir pris les mesures destinées à les prévenir ou à y mettre un terme.
Cette analyse est d’ailleurs confirmée s’il en était besoin, par le fait qu’ à l’occasion de la procédure prud’homale en contestation de la régularité du licenciement dont il a fait l’objet, et dont il justifie, le salarié n’a invoqué aucun fait de harcèlement.
Sur l’accident litigieux
L’employeur, par la déclaration d’accident du travail, qu’il a adressée à la caisse, le 4 novembre 2014, et dont les termes ne sont pas contestés, indique que :
– l’accident est survenu à trois heures du matin, sur le lieu de travail habituel du salarié, alors qu’il effectuait une activité de mise en propreté,
– le salarié déclare avoir été énervé suite à la demande de son responsable d’effectuer son travail dans son intégralité (actuellement réalisé à sa place par ses collègues).
Par ailleurs, les auditions concordantes des personnes présentes, effectuées à l’occasion de l’enquête administrative, établissent que :
-une nouvelle organisation du travail, destinée à en équilibrer la charge, a donné lieu à l’établissement d’une nouvelle fiche de poste, présentée au salarié, par son chef de chantier, en présence du délégué syndical M. [K],
-le salarié a refusé de la mettre en place, s’est énervé, refusant le dialogue, avant de retourner à son poste, puis de le quitter, sans terminer son travail, avec l’accord de son supérieur, lequel s’est chargé de cette exécution,aidépar le délégué syndical,
– le certificat médical initial est en date du 1er novembre 2014.
Les éléments du dossier, contrairement aux déclarations du salarié, ne caractérisent ni des faits d’agressivité, ni a fortiori que de tels agissements seraient la continuité de faits de harcèlement dont il vient d’être jugé qu’ils n’étaient nullement caractérisés.
La faute inexcusable n’est pas caractérisée.
Le premier juge sera confirmé.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
La disparité dans la situation respective des parties, justifie de débouter l’employeur de sa demande de condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et de rejeter les demandes à ce titre du salarié appelant qui succombe.
L’appelant, qui succombe, supportera en sus des dépens de première instance, les dépens exposés en appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort :
Confirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Mont-de-Marsan en date du 12 mars 2021,
Y ajoutant,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
Condamne M. [C] [G] [N] aux dépens exposés en appel.
Arrêt signé par Madame NICOLAS, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,