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JN/DD
Numéro 23/1611
COUR D’APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 11/05/2023
Dossier : N° RG 21/00664 – N°Portalis DBVV-V-B7F-HZKA
Nature affaire :
A.T.M.P. : demande relative à la faute inexcusable de l’employeur
Affaire :
Société [7]
C/
[C] [U],
CPAM DE [Localité 2]
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 11 Mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 16 Mars 2023, devant :
Madame NICOLAS, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame BARRERE, faisant fonction de greffière.
Madame NICOLAS, en application de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame NICOLAS, Présidente
Madame SORONDO, Conseiller
Madame PACTEAU, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTE :
Société [7],
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Maître LANEELLE, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMÉS :
Madame [C] [U]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Maître BERTIZBEREA de la SCP UHALDEBORDE-SALANNE GORGUET VERMOTE BERTIZBEREA, avocat au barreau de BAYONNE
CPAM DE [Localité 2]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Comparante en la personne de Madame [H], munie d’un pouvoir régulier
sur appel de la décision
en date du 05 FEVRIER 2021
rendue par le POLE SOCIAL DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BAYONNE
RG numéro : 18/317
FAITS ET PROCÉDURE
Le 6 novembre 2013, Mme [C] [U] (la salariée), salariée selon contrat à durée indéterminée depuis le 8 mai 2012 de la SAS [7] (l’employeur), en qualité d’employée de magasin polyvalente, a été victime d’un accident du travail, pris en charge par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de [Localité 2] (la caisse ou l’organisme social) au titre de la législation sur les risques professionnels, selon décision notifiée le 28 septembre 2015.
La salariée a été déclarée consolidée le 2 avril 2017, avec reconnaissance d’un taux d’IPP de 25 %, et attribution d’une rente à compter du 3 avril 2017.
Par requête du 1er août 2018, reçue le 14 août 2018, après échec de la tentative de conciliation, la salariée a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de [Localité 2], devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Bayonne, d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, afin d’indemnisation.
Par jugement du 5 février 2021, le Pôle Social du Tribunal Judiciaire de Bayonne a, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
– constaté la faute inexcusable imputable à l’employeur lors de la survenance de l’accident de travail de la salariée le 6 novembre 2013,
– condamné l’employeur au paiement d’une indemnité égale à la rente allouée à la salariée,
– dit n’y avoir lieu à doublement de la rente allouée à la salariée,
– avant dire droit, ordonné aux frais avancés par la caisse, une expertise confiée au Docteur [R], avec pour mission, de :
– déterminer l’importance du pretium doloris sur une échelle de 1 à 7,
– déterminer l’importance du préjudice esthétique, le chiffrer sur une échelle de 1 à 7,
– déterminer l’importance ou l’existence éventuelle d’un préjudice d’agrément et le cas échéant de préciser les activités concernées,
– dire si l’intéressée a pu avoir recours à des frais divers temporaires tels que l’assistance d’une tierce personne avant consolidation, si elle doit avoir recours à un véhicule adapté ou à un logement adapté,
– déterminer la période et l’importance du déficit fonctionnel temporaire,
– dire si l’intéressée subit un préjudice permanent exceptionnel,
– condamné l’employeur à payer à la salariée à titre de provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice la somme de 3 000 €,
– dit qu’il appartiendra à la caisse de faire l’avance des sommes,
– condamné la société aux dépens,
– condamné l’employeur à payer à la salariée une indemnité de 1000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Cette décision a été notifiée aux parties par lettre recommandée avec avis de réception aux parties, dont les éléments du dossier n’établissent pas la date à laquelle elle a été reçue de l’employeur, lequel n’a pas réclamé le pli qui lui était adressé.
Le 3 mars 2021, par déclaration au guichet unique du greffe de la cour, l’employeur, par son conseil, en a régulièrement interjeté appel.
Selon avis de convocation en date du 27 septembre 2022, contenant calendrier de procédure, les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience du 16 mars 2023, à laquelle elles ont comparu.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Selon ses dernières conclusions visées par le greffe le 31 août 2021, reprises oralement à l’audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, l’employeur, la société [7], appelante, conclut à la réformation du jugement déféré, et statuant à nouveau, demande à la cour de :
– juger que la faute inexcusable de l’employeur n’est pas suffisamment caractérisée par la salariée,
– débouter la salariée de l’ensemble de ses demandes,
– reconventionnellement, condamner la salariée au paiement d’une indemnité de 1500 € au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens,
En toute hypothèse,
– juger qu’en application des dispositions de l’article L452-3-III du code de la sécurité sociale, la caisse devra faire l’avance des sommes allouées à la salariée,
– rejeter le surplus des demandes.
Selon ses conclusions visées par le greffe le 16 mars 2022, reprises oralement à l’audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, la salariée, Mme [C] [U], intimée, conclut à :
– la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré,
Y ajoutant,
– la condamnation de l’employeur à lui payer 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Selon ses conclusions visées par le greffe le 23 décembre 2022, reprises oralement à l’audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, la Caisse Primaire d’Assurance-Maladie de [Localité 2] intimée, demande à la cour, au cas où elle retiendrait la faute inexcusable de l’employeur, de :
– préciser le quantum de la majoration du capital à allouer à la salariée,
– limiter le montant des sommes à allouer aux intimés :
– aux chefs de préjudices énumérés à l’article L.452-3 (1er alinéa) du code de la sécurité sociale : les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique, le préjudice d’agrément, le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle,
– ainsi qu’aux chefs de préjudices non déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale,
– condamner l’employeur à rembourser à la caisse les sommes dont elle aura l’obligation de faire l’avance, ainsi que les frais d’expertise, conformément aux dispositions du 3ème alinéa de l’article L452-3-1 du code de la sécurité sociale, la caisse assurant l’avance des sommes ainsi allouées.
SUR QUOI LA COUR
Sur la faute inexcusable
En matière de sécurité, l’employeur est tenu à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé, notamment en ce qui concerne les accidents du travail, et les maladies professionnelles.
Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L 452 -1 du code de la sécurité sociale lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident ou de la maladie survenus au salarié, mais il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage.
La faute de la victime n’est pas de nature à exonérer l’employeur de sa responsabilité, sauf si elle est la cause exclusive de l’accident du travail.
Il appartient au salarié de rapporter la preuve de l’existence d’une faute inexcusable de son employeur, à l’origine de l’accident du travail dont il a été victime.
En conséquence, le salarié doit à ce sujet, faire la démonstration comme imputables à son employeur, de la conscience du danger, et du défaut de mesures appropriées.
Cependant, lorsque la faute est susceptible de relèver d’un manquement de l’employeur aux règles de sécurité, le juge doit examiner l’ensemble des pièces produites par les parties.
Les parties sont contraires sur l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur.
Pour contester l’existence d’une faute inexcusable de sa part, dans la survenance de l’accident du 6 novembre 2013, et solliciter sa mise hors de cause, l’employeur, après avoir rappelé la définition de la faute inexcusable, et le fait qu’il appartient au salarié de rapporter la preuve d’une telle faute, fait valoir en substance que :
-la requête de l’appelante était lacunaire et ne comportait pas la démonstration d’une telle faute,
-les circonstances de l’accident sont indéterminées, et les déclarations de la salariée à ce titre, ont varié, si bien que ces circonstances demeurent incertaines,
– en tout état de cause, l’employeur a mis en ‘uvre les mesures visées aux articles
L4121-1 et L4121-2 du code du travail, s’agissant de :
-formations dispensées à la salariée, notamment sur la sécurité en 2013,
-mise à disposition des équipements de protection individuelle,
-procédure de sécurité résultant d’une lettre interne, imposant l’utilisation de chaussures de sécurité,
-élaboration du document unique d’évaluation des risques,
– remise aux salariés après la formation dont a bénéficié l’appelante, d’un livret de sécurité également affiché en magasin.
La salariée, au contraire, conclut à la faute inexcusable de l’employeur, et à la confirmation du jugement déféré, rappelant que les circonstances de l’accident n’ont jamais été jusque-là contestées, qu’alors qu’elle était amenée à manipuler des cartons et des objets divers, elle ne disposait pas de chaussures de sécurité, en contravention avec les recommandations du directeur des ressources humaines de la société, dès lors que l’employeur n’apporte nullement la preuve de la prétendue mise à disposition de ces équipements, et qu’en outre, il doit également s’assurer que les salariés concernés se munissant effectivement des équipements.
Sur ce,
La déclaration d’accident du travail, effectuée par l’employeur le jour même de l’accident, indique :
– que l’accident est survenu le 6 novembre 2013, à 9h45, dans les locaux de la société exploitée sous l’enseigne « la grande récré »,
-au titre de l’activité de la victime : « lors du traitement d’une livraison, le collaborateur déchargeait les colis quant un carton est tombé sur sa cheville »,
– que l’accident a été connu de l’employeur le jour même, à 14 heures,
-qu’une personne dont l’identité est précisée par la déclaration, a été témoin de l’accident.
Les circonstances de l’accident sont ainsi suffisamment explicitées, et admises par l’employeur, lequel au demeurant a consigné la présence d’un témoin, pour exclure qu’elles puissent être indéterminées, étant observé que les pièces produites aux débats, qui ne comprennent pas l’enquête administrative effectuée par la caisse, ne démontrent nullement, que la salariée aurait varié dans ses déclarations.
Les pièces du dossier démontrent que l’employeur avait connaissance du risque auquel était exposée la salariée, dès lors que :
-le document unique d’évaluation des risques professionnels, pour l’année 2013, en page 5, s’agissant des « risques liés à la manutention / matériel » relatifs à la manipulation de transpalettes (en zone de réception et surface de vente, concernant le personnel du magasin), recense un risque de « pieds écrasés », même s’il estime sa probabilité « rare », et sa gravité maximale « négligeable »,
– le guide de sécurité produit par l’employeur, prévoit expressément qu’à la livraison, pour utiliser un transpalette en toute sécurité, il faut porter des chaussures de sécurité,
-la lettre des ressources humaines, produite sous sa pièce numéro 11, par la salariée, sous le titre « personnel formé, personnel protégé », fait mention d’un extrait du rapport annuel sur la sécurité pour l’exercice 2007-2008, qui recense que 25 % des accidents sont dus à la manipulation du matériel interne, et 20 % à des chutes en hauteur ou en surface de vente, et que le siège des lésions, concerne en deuxième position, et dans une proportion de 23 %, les pieds, cheville, orteils.
Pour autant, la salariée soutient que l’employeur n’a pas mis à sa disposition des chaussures de sécurité, dont il est constant qu’elle n’en portait pas le jour de l’accident, alors même que l’employeur, contrairement à ses déclarations, ne démontre pas avoir mis à disposition de la salariée, des chaussures de sécurité, étant rappelé qu’au-delà de la fourniture des équipements de protection individuelle, l’obligation pesant sur l’employeur, consiste à s’assurer que les salariés se munissent effectivement de tels équipements, et qu’au cas particulier, l’employeur ne démontre pas davantage avoir pris des mesures en ce sens.
Il est ainsi démontré, que l’employeur, qui avait connaissance du risque auquel était exposé la salariée, n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Sa faute inexcusable est caractérisée.
Le premier juge sera confirmé.
Sur la demande de majoration du capital, formée par la caisse
La demande tendant à la précision du quantum de majoration du « capital » est formée seulement au dispositif des conclusions de l’organisme social, et ne repose sur aucun visa textuel.
Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L434-1, L434-2 et R434-1 du code de la sécurité sociale, que lorsque l’incapacité permanente est égale ou supérieure à un taux de 10 %, la victime a droit à une rente, alors que lui est attribuée une indemnité en capital, lorsqu’elle est atteinte d’une incapacité permanente inférieure à ce pourcentage.
Au cas particulier, au vu du taux d’incapacité permanente partielle, allouée à la salariée (25 %), celle-ci est en droit de prétendre à une rente, et non un capital, si bien que la présente demande relative à un capital, est sans objet.
Il sera cependant rappelé, à titre d’information, dès lors que la cour n’est pas saisie à ce titre, que lorsqu’il y a faute inexcusable de l’employeur, il est de jurisprudence constante que la majoration de la rente doit être maximale.
Sur les demandes de condamnation
C’est à juste titre que, en application des articles L452-1, L452-2 et L452-3 du code de la sécurité sociale :
-l’employeur demande de juger qu’en application des dispositions de l’article L452-3-III du code de la sécurité sociale, la caisse devra faire l’avance des sommes allouées à la salariée,
-la caisse demande de condamner l’employeur à lui rembourser les sommes dont elle aura l’obligation de faire l’avance, ainsi que les frais d’expertise.
Il sera fait droit à ces demandes, ainsi qu’il sera dit au dispositif.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
L’équité commande de condamner l’employeur à payer à la salariée victime de l’accident, la somme de 1500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
L’employeur, qui succombe, supportera, en sus des dépens de première instance, les dépens exposés en appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, par mise à disposition,
Confirme le jugement du Pôle Social du Tribunal Judiciaire de Bayonne en date du 5 février 2021,
Y ajoutant,
Rappelle et juge en tant que de besoin, qu’en application des articles L452-1 à L452-3 du code de la sécurité sociale, la Caisse Primaire d’Assurance-Maladie de [Localité 2] devra faire l’avance des sommes allouées ou qui seront allouées à la salariée, Mme [C] [U], au titre de l’accident du travail dont cette dernière a été victime le 6 novembre 2013,
Condamne l’employeur, la société [7], à rembourser à la Caisse Primaire d’Assurance-Maladie de [Localité 2], l’ensemble des majorations complémentaires dont elle aura fait l’avance,conformément aux articles L452-1 à et L452-3 du code de la sécurité sociale, ainsi que les frais de l’expertise médicale ordonnée,
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne l’employeur, la société [7], à payer à la salariée, Mme [C] [U], la somme de 1500 € et rejette le surplus des demandes à ce titre,
Condamne l’employeur aux dépens exposés en appel.
Arrêt signé par Madame NICOLAS, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,