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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 5
ARRET DU 10 MAI 2023
(n° /2023, 12 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/05834 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7RBC
Décision déférée à la Cour : jugement du 15 février 2019 – tribunal de grande instance de PARIS RG n° 17/12674
APPELANTE
S.A.S. LA MAISON NORDIQUE représentée par ses dirigeants légaux audit siège
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Muguette ZIRAH RADUSZYNSKI de l’AARPI ZR Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : C1032
INTIMEES
S.E.L.A.R.L [B] représentée par Monsieur [B] architecte et gérant, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Bernard-René PELTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : A970
Compagnie d’assurances MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS ès qualités d’assureur RCP de l’agence [B], représentée par ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Bernard-René PELTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : A970
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme SENTUCQ Marie-Ange, présidente de chambre, et Mme THEVENIN-SCOTT Elise, conseillère chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Marie-Ange SENTUCQ, présidente de chambre
Madame Elise THEVENIN-SCOTT, conseillère
Madame Valérie GUILLAUDIER, conseillère faisant fonction de présidente
Greffière, lors des débats : Mme Céline RICHARD
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, délibéré initialement prévu au 26 avril 2023 et prorogé au 10 mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Ange Sentucq, présidente de chambre et par Manon Caron, greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSE DU LITIGE
La SCI KIAVOSH est propriétaire d’un ensemble immobilier à usage d’entrepôt situe à [Adresse 7]. La SAS La Maison Nordique, dont l’activité commerciale consiste en la distribution de produits alimentaires de luxe et plus particulièrement issus de la mer, était locataire des locaux et avait ainsi la qualité de maitre d’ouvrage dans le cadre de l’opération de rénovation initiée en 2012.
Dans ce cadre sont intervenus :
La SELARL [B] en qualité de maître d”uvre
La société ARK BTP en qualité d’entreprise générale sur les lots de démolition gros-‘uvre, cloisons, doublages, étanchéité, menuiseries extérieures, serrurerie, menuiseries intérieures, faux plafonds, revêtement carrelage, revêtement sol parquet, peinture, monte-charges, plomberie sanitaires, courants forts et courants faibles.
La société MCS et la société IFC pour la réalisation et la mise en place des chambres froides
La société GB Conseil, bureau d’étude « froid »
La SARL JC ZEITIN, bureau d’études structures
Le Bureau Veritas en qualité de bureau de contrôle
Les travaux, débutés le 14 février 2012 devaient être achevés au plus tard le 31 juillet 2012.
Par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception du 6 septembre 2012, la SELARL [B] a notifié à la société La Maison Nordique la résiliation unilatérale de son contrat d’architecte.
La société La Maison Nordique a pris acte de cette rupture et a saisi par assignation en référé d’heure à heure le président du tribunal de grande instance de Paris aux fins de désignation d’un expert.
Par ordonnance rendue le 20 septembre 2012, Monsieur [H] [I] a été désigné en qualité d’expert avec pour mission notamment de déterminer le retard engendré et en donner la cause, de fournir à la juridiction qui sera saisie sur le fond tous les éléments permettant de déterminer les responsabilités encourues et les préjudices subis et, après examen et relevés, d’autoriser la société La Maison Nordique à procéder à la poursuite des travaux et aux réparations nécessaires.
La société La Maison Nordique a alors signé un nouveau contrat de maîtrise d”uvre avec Monsieur [W] le 16 octobre 2012 et résilié le contrat passé avec l’entreprise ARK BTP le 8 novembre 2012.
Les travaux ont été réceptionnés en octobre 2013 avec réserves.
L’expert judiciaire a déposé son rapport le 12 février 2015.
Par acte des 31 mars et 12 avril 2016, la société La Maison Nordique a saisi le tribunal de grande instance de Paris d’une demande à l’encontre de la SELARL [B] et de la MAF, son assureur, en réparation des préjudices qu’elle prétend avoir subis.
Le 15 février 2019, le tribunal de grande instance de PARIS a rendu un jugement aux termes duquel il a :
DECLARÉ recevable la S.A.S. La Maison Nordique en ses demandes formées à l’encontre de la S.E.L.A.R.L. [B] et de la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS ;
DEBOUTÉ la S.A.S. La Maison Nordique de l’intégralité de ses demandes formées à l’encontre de la S.E.L.A.R.L. [B] et de la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS ;
CONDAMNÉ la S.A.S. LA MAISON NORDIQUE à payer à la S.E.L.A.R.L. [B] et à la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNÉ la S.A.S. La Maison Nordique aux dépens comprenant les frais d’expertise judiciaire ;
ADMIS les avocats qui peuvent y prétendre et qui en ont fait la demande au bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
DEBOUTÉ les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
DIT n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration en date du 15 mars 2019, la société La Maison Nordique a interjeté appel.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 22 novembre 2022, elle demande à la cour de :
REFORMER les chefs critiqués du jugement rendu le 15 février 2019 par le tribunal de grande instance de Paris ;
LE CONFIRMER en son chef non critiqué,
CE FAISANT :
DIRE ET JUGER La Maison Nordique recevable en ses demandes ;
Vu l’article 1147 ancien du code civil (ancien article 1231-1 du code civil),
Vu l’article 1134 ancien du code civil.
Vu le rapport d’expertise.
Vu les pièces versées au débat.
DIRE ET JUGER que le retard de chantier et le surcoût payé par LA MAISON NORDIQUE sont la conséquence de fautes de la SELARL [B] ;
Par conséquent, DECLARER la SELARL [B] responsable ;
ENTERINER l’évaluation de l’expert Judiciaire du préjudice subi fixant le surcoût payé à la somme de 455.250,56 euros HT ;
CONDAMNER la SELARL [B], conjointement et solidairement avec la MAF ou l’un à défaut de l’autre à réparer l’intégralité des préjudices matériels subis en découlant chiffrés à la somme de 455 250,56 euros HT se décomposant comme suit :
– Trop payé à la société ARK BTP : 326 295,56 euros HT
– Surcoût charpente : 82 555,00 euros HT
– Surcoût honoraire maîtrise d”uvre : 46 400,00 euros HT
Total (hors article 700 et dépens) : 455 250,56 euros HT
Avec intérêts de retard capitalisés au taux légal à compter de l’assignation du 12 avril 2016, jusqu’à la date du paiement.
En tout état de cause :
CONDAMNER la SELARL [B], conjointement et solidairement avec son assureur la MAF à payer la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du CPC,
CONDAMNER la SELARL [B], conjointement et solidairement avec son assureur la MAF aux entiers dépens d’instance et d’appel, dont les frais d’expertise d’un montant de 13 748,99 euros TTC, dont distraction au profit de Maître Muguette Zirah pour ceux qu’elle a avancés.
Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 5 septembre 2022, la SELARL [B] et la MAF demande à la cour de :
Recevoir l’agence d’architecture [B] et la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS en leurs conclusions et les déclarant bien fondées.
Vu l’article 12 page 16 du contrat de maitrise d”uvre liant les parties, vue l’assignation à la requête de La Maison Nordique,
Vus les articles 117, 122, 771 du CPC,
Vus les articles 1134 et 1231-1 (1147 ancien du Code Civil), 1310 du Code Civil,
Considérant l’absence de respect par La Maison Nordique de la clause contractuelle de saisine préalable du Conseil Régional de l’Ordre des Architectes d’Ile de France, vu le jugement entrepris, vues les conclusions de l’appelante, vues les pièces produites comprenant celles de l’expertise judiciaire,
– Déclarer irrecevable l’ensemble des demandes, fins et conclusions présentées par la société LA MAISON NORDIQUE à l’encontre des concluantes, constater l’irrecevabilité de l’action,
– Con’rmer le jugement entrepris, débouter La Maison Nordique en ses conclusions, moyens et fins tendant à s’opposer à la fin de non-recevoir,
– Débouter LA MAISON NORDIQUE en toutes ses demandes indemnitaires, dire et juger qu’aucune preuve n’est rapportée d’une faute personnellement imputable à l’agence [B] dans la sphère contractuelle de sa mission en lien causale avec l’un des préjudices revendiqués par La Maison Nordique,
– Débouter la demande de condamnation solidaire de l’architecte [B] et de la MAF avec les fautes distinctement commises par ARK BTP, par La Maison Nordique, par GB CONSEIL BET FLUIDES, par MCS, et par [J],
– Condamner La Maison Nordique à la somme de 5 000 Euros au visa de l’article 700 du CPC, et aux dépens dont distraction au profit de Maitre PELTIER au visa de l’article 699 CPC.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 6 décembre 2022. L’affaire a été appelée à l’audience du 13 décembre 2022 et mise en délibéré au 26 avril 2023, prorogé au 10 mai 2023.
MOTIVATION
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de saisine préalable du conseil régional de l’ordre des architectes
La SELARL [B] et son assureur, la MAF, demandent à la cour de déclarer irrecevables les demandes de la société La Maison Nordique estimant qu’elle n’a pas respecté l’article 12 du contrat de maîtrise d”uvre prévoyant une clause de règlement préalable des litiges devant le conseil régional de l’ordre des architectes d’Ile de France avant toute procédure judiciaire dès lors que, si elle s’est adressée à lui, elle n’a pas comparu devant le Conseil empêchant que ce dernier puisse donner un avis exigé avant toute saisine d’une juridiction.
La société La Maison Nordique considère, pour sa part, avoir respecté la clause visée en saisissant le conseil régional de l’ordre des architectes, estimant que son absence à la réunion de conciliation n’a pas d’autre conséquence que permettre aux parties de reprendre toute liberté d’action.
Le tribunal a considéré que l’article 12 du contrat de maîtrise d”uvre avait été respecté et a déclaré recevable l’action de la société La Maison Nordique.
Réponse de la cour :
En application de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L’article 124 du même code précise que les fins de non-recevoir doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d’un grief et alors même que l’irrecevabilité ne résulterait d’aucune disposition expresse.
La liste dressée par l’article 122 du code de procédure civile n’est pas limitative.
Le moyen tiré du défaut de mise en ‘uvre d’une clause qui institue une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent.
Si la clause de conciliation préalable est sans portée dans le cadre de la mise en ‘uvre des garanties légales des articles 1792 et suivants du code civil, tout comme pour les actions fondées sur l’article 145 du code de procédure civile, elle produit, en revanche, son effet pour tout litige portant sur les seules obligations contractuelles, et notamment l’action tendant à mettre en cause la responsabilité contractuelle de l’architecte. L’action intentée directement devant le juge est, alors, irrecevable. Cette irrecevabilité ne peut pas être régularisée par la mise en ‘uvre de la procédure amiable en cours d’instance.
En l’espèce, le contrat de maîtrise d”uvre prévoit en son article 12 que « en cas de différend portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l’ordre des architectes dont relève l’architecte avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire. Cette saisine intervient sur l’initiative de la partie la plus diligente ».
Cet article constitue une clause de conciliation préalable obligeant les parties à soumettre tout litige relatif au contrat à l’analyse préalable du conseil régional de l’ordre des architectes, hors différend relatif à la garantie légale. Il ressort des pièces produites que la société La Maison Nordique a saisi le conseil régional de l’ordre des architectes le 19 mai 2017, mais n’a pas comparu à la réunion de tentative de conciliation. Pour autant, contrairement à ce qu’affirme la SELARL [B], sa seule obligation était de procéder à une saisine du Conseil, son absence ayant pour unique conséquence de lui permettre de retrouver sa liberté d’action judiciaire.
L’instance introduite par assignations des 28 juillet et 1er aout 2017, postérieurement, est donc recevable. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la nature, la cause et l’origine du dommage
Il est de principe que le juge n’est lié ni par les constatations d’un expert judiciaire ni par ses conclusions.
Il n’en demeure pas moins qu’un expert judiciaire est choisi pour ses compétences techniques afin de prêter assistance à la juridiction qui elle ne justifie d’aucune compétence technique en la matière et qu’il accomplit sa tâche en respectant le principe de la contradiction.
Il résulte du rapport d’expertise de Monsieur [I] déposé le 18 décembre 2015, que le dommage principal identifié tient dans le retard du chantier évalué à 14 mois, avec de nombreux changements de plans dont la raison n’a pu être établie par l’expertise en raison du peu voire de l’absence d’informations communiquées par les parties.
L’expert note que les plans portés à sa connaissance montrent une évolution du projet par rapport au permis de construire, ce qui n’est pas inhabituel, mais ne permettent pas de comprendre les évolutions faute de pouvoir déterminer les plans ayant servis de base à la consultation des entreprises, de ceux ayant servis de base à la réalisation des ouvrages.
S’agissant des comptes rendus de réunion de chantier, ils ne permettent pas plus de comprendre la multiplication des plans et le dérapage du chantier, donnant peu d’informations, ne permettant pas de « déterminer les documents diffusés et de reconstituer les décisions prises ».
L’expert relève une insuffisance dans les informations et instructions données aux entreprises par l’architecte.
S’agissant des chambres froides, l’expert souligne que le principe est que le contenant (gros ‘uvre) doit s’adapter au contenu (chambres froides accueillies), mais qu’en l’espèce les travaux de gros ‘uvre menés n’ont pas tenu compte des caractéristiques et dimensions des chambres froides. L’architecte n’a pas été en mesure de préciser quelles informations avaient été communiquées à la société ARK BTP, en charge du gros ‘uvre, quelles instructions avaient été données et quels plans fournis.
S’agissant de la charpente intérieure métallique, le rapport d’expertise note qu’elle a été définie, calculée et posée contre l’avis défavorable du bureau de contrôle VERITAS et a dû être intégralement reprise en raison d’un problème de stabilité ne permettant pas d’accueillir les chambres froides. L’expert n’a pas été en mesure d’établir qui avait établi les plans d’exécution de la charpente.
Enfin, s’agissant des monte-charges, il ressort du rapport d’expertise que les locaux techniques les concernant ne figurent pas sur les plans d’exécution, et que les fosses réalisées ne correspondent pas aux plans du fournisseur.
L’expert conclut que les principales causes de retard sont :
Un manque de rigueur et de précision dans l’établissement et la gestion des documents nécessaires à la définition et à la réalisation des ouvrages
Un manque de suivi et de contrôle des travaux et des instructions données
Une absence de réaction et de décisions effectives et efficaces nécessaires au bon déroulement des travaux.
III. Sur les responsabilités
La société La Maison Nordique entend voir retenue la responsabilité de la SELARL [B] pour l’entier dommage subi, consistant en un retard important du chantier, ayant conduit au règlement de travaux à la société ARK BTP non réalisés en réalité, et l’ayant obligé à exposer des frais supplémentaires d’honoraires de maîtrise d”uvre. Elle conteste toute immixtion fautive comme reproché et retenue contre elle en première instance.
Concernant le choix de l’entreprise générale, la société ARK BTP, elle souligne que si le maître d”uvre a émis des réserves, il les a acceptées; qu’il a validé et signé l’ensemble des situations de travaux réglées, et que ses seules alertes ont été relative à la communication de pièces administratives, vraisemblablement fournies puisqu’elles cesseront d’être réclamées à compter du compte rendu du 12 avril 2012.
Elle ajoute n’avoir été présente qu’à 5 réunions de chantier sur 12 ; n’avoir donné aucun ordre sur le chantier ; ne pas être notoirement compétente dans la confection des chambres froides. Enfin, l’expertise n’établit pas que les changements de plans sont dus au comportement du maître d’ouvrage, contrairement à ce qu’affirme la société La Maison Nordique.
S’agissant de la charpente, il appartenait à l’architecte de refuser la pose alors qu’il n’y avait pas d’avis favorable du bureau de contrôle.
La SELARL [B], sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a débouté la société La Maison Nordique de l’ensemble des demandes à son encontre retenant une immixtion fautive.
Il conteste avoir eu une mission complète de maîtrise d”uvre sur ce chantier, et en s’être engagé qu’à une visite de chantier par semaine.
Il estime n’avoir commis aucune faute à l’origine du dommage pour la société La Maison Nordique. Concernant l’évolution du programme, elle n’est due qu’aux demandes modifiées du maître d’ouvrage quant aux chambres froides.
Il indique que la société ARK BTP lui a été imposée par le maître d’ouvrage, contre son avis, qu’il existait une connivence entre l’entreprise et le maître d’ouvrage, ce dernier réglant des situations de travaux sans l’en informer, notamment.
Enfin, la SELARL [B] estime ne devoir aucune solidarité, le contrat de maîtrise d”uvre comportant une clause d’exclusion de solidarité.
Le jugement a écarté la responsabilité de la SELARL [B] considérant que l’origine causale des désordres résultaient de la conjonction des circonstances suivantes :
– le choix de l’entreprise générale par le maitre d’ouvrage compte tenu de leurs relations anciennes en dépit des réserves les plus formelles exprimées par la société [B]
– le comportement caractérisant une immixtion fautive du maître d’ouvrage de nature à exonérer la société [B] de sa responsabilité, des lors que la société LA MAISON NORDIQUE était notoirement compétente sur le volet de la construction des chambres froides et qu’elle s’est montrée particulièrement directive puisqu’elle a changé ses plans d’origine en mettant le maître d”uvre devant le fait accompli, qu’elle a ainsi pris des risques en toute connaissance de cause,
– le comportement de l’entreprise générale qui ne prenait pas en considération les comptes rendus de chantier et demandes de l’architecte mais prenait ses instructions auprès du maitre d’ouvrage très présent sur le chantier,
– le manque de fixation originelle du programme frigorifique du maître d’ouvrage qui a donné lieu à de de nombreuses tergiversations et modifications avec notamment la création d’une quatrième chambre froide, de sorte qu’au mois de mai 2012, tous les projets initiaux était abandonnés
– le montage prématuré de la charpente métallique par l’entreprise générale suivant les notes de calcul du bureau d’études qui étaient fausses
Le tribunal a retenu que ces éléments étaient de nature à exonérer l’architecte de toute responsabilité compte tenu de l’immixtion fautive du maître d’ouvrage et des propres fautes de l’entreprise.
Réponse de la cour :
La relation contractuelle entre la société La Maison Nordique et la SELARL [B] étant née d’un contrat de maîtrise d”uvre signé en 2011 (date précise non établie), il y a lieu de faire application des dispositions du code civil antérieures à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.
L’article 1134 code civil énonce que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
En application de l’article 1147 du même code, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.
En vertu de l’article 1315 du code civil, il appartient à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.
L’architecte est responsable contractuellement envers le maître d’ouvrage de :
– ses fautes dans la conception de l’ouvrage
– ses fautes dans l’exécution de sa mission de contrôle du chantier et de surveillance des travaux
– ses fautes dans l’exécution de sa mission de direction, de suivi et de coordination des travaux
– ses manquements au devoir de conseil qui lui incombe
L’immixtion désigne le rôle actif (prises de décisions, instructions) du maître d’ouvrage dans la vie du chantier, pouvant constituer une cause exonératoire de responsabilité pour les constructeurs en cas de fait dommageable. Elle suppose deux conditions : d’une part la compétence notoire du maître d’ouvrage, d’autre part une immixtion fautive et véritable.
En l’espèce, contrairement à ce qu’affirme la SELARL [B], elle était tenue, aux termes du contrat signé, à une mission complète de maîtrise d”uvre. À ce titre, il lui appartenait de prendre toutes les mesures utiles et nécessaires au bon avancement et à la conformité des travaux, d’établir et de faire établir les documents et plans nécessaires et de veiller à la cohérence de l’ensemble des dispositions techniques et au respect du planning.
Il ressort du rapport de Monsieur [I] une insuffisance manifeste dans la mission de direction, de suivi et de coordination des travaux attribuée à la SELARL [B].
Si la SELARL [B] a, effectivement, émis des réserves sur le choix de l’entreprise générale, elle ne rapporte pas la preuve d’une « connivence » avec le maître d’ouvrage et a, néanmoins, accepté de démarrer le chantier avec elle. Il lui appartenait, le cas échéant, de refuser la mission, ce qu’elle n’a pas fait. Par ailleurs, et alors même que les difficultés et retards vont apparaître très rapidement sur le chantier, elle va tarder à réagir, l’expertise notant que ce n’est que dans le dernier compte rendu du mois d’août 2012 qu’elle souligne le caractère définitivement obéré de la situation et son impuissance. Son attentisme a conduit à aggraver les difficultés constatées.
S’agissant de l’évolution du programme et des plans, contrairement à ce qu’affirme la SELARL [B], il n’est pas établi que cette situation soit due au comportement du maître d’ouvrage, l’expert indiquant qu’il n’est pas parvenu à établir les raisons des changements constatés, et ce en dépit des demandes insistantes d’explications tant à la SELARL [B] qu’aux autres intervenants. Sur ce point, l’expert souligne un manque de rigueur et de précision dans l’établissement et la gestion des documents nécessaires à la définition et à la réalisation des ouvrages, faute imputable à la SELARL [B].
S’agissant des difficultés propres aux travaux de gros ‘uvre en prévision de l’installation des chambres froides, à la charpente et aux monte-charges, il doit être retenu un manque de suivi et de contrôle des travaux et des instructions données, et une absence de réaction et de décisions effectives et efficaces nécessaires au bon déroulement des travaux. Ainsi en est-il, notamment, lorsque l’architecte laisse poser une charpente en dépit de l’avis défavorable du bureau de contrôle qu’il connaissait, charpente qui devra être intégralement reprise. Il en est de même lorsque la SELARL [B] ne contrôle pas que l’entreprise dispose des informations nécessaires pour réaliser le gros ‘uvre concernant les chambres froides, et que les règles de l’art sont respectées. La responsabilité de la SELARL [B] est également engagée s’agissant des monte-charges et de la fourniture de plans manifestement erronés.
Enfin, la rapport d’expert a établi que la société ARK BTP a obtenu des paiements supérieurs aux travaux réellement exécutés, sur la base de situation de travaux visées et signées par la SELARL [B] qui engage, à ce titre, sa responsabilité dès lors qu’il lui appartenait de vérifier cohérence entre les situations présentées et l’état d’avancement du chantier. La SELARL [B] affirme, sans le démontrer, que les versements auraient été effectués par la société La Maison Nordique sans son accord, alors même que l’ensemble des situations de travaux produites sont visées par elle.
Quant à une immixtion fautive de la société La Maison Nordique, spécialisée dans la distribution de produits alimentaires de luxe et plus particulièrement issus de la mer, elle ne dispose d’aucune compétence notoire en matière de construction, pas plus qu’elle ne dispose de compétence notoire en conception de chambres froides. En conséquence, et à supposer une attitude interventionniste sur le chantier, par ailleurs non démontrée, la condition tenant aux compétences notoires n’étant pas remplie, l’immixtion fautive ne peut être retenue.
Les fautes établies de la SELARL [B] ont concouru à l’entier dommage subi par la société La Maison Nordique en ce sens qu’une réaction ferme et rapide, ainsi qu’un suivi plus rigoureux du chantier, auraient évité le retard important connu.
Enfin, s’agissant de la clause d’exclusion de solidarité, il n’est pas sollicité de condamnation solidaire ou in solidum, et en tout état de cause elle ne peut être opposée au maître d’ouvrage.
Le jugement ayant écarté la responsabilité contractuelle de la SELARL [B] sera donc infirmé.
IV. Sur les préjudices
La société La Maison Nordique sollicite la condamnation de la SELARL [B] à lui verser les sommes suivantes en réparation de son préjudice :
– 326.295,56 euros HT correspondant à des travaux réglés à la société ARK BTP mais non réalisés
– 82.555,00 euros HT correspondant au surcoût pour la charpente métallique intérieure posée par la société ARK BTP et ayant dû être reprise intégralement
– 46.400,00 euros HT correspondant au surcoût d’honoraires de maîtrise d”uvre
La SELARL [B] si elle conclut, principalement, au rejet des demandes de la société La Maison Nordique à son encontre, critique l’évaluation des préjudices faite par l’expert. Elle affirme n’avoir donné son visa que sur une somme globale de 400 176 euros TTC, et ne concernant la société ARK BTP que pour les sommes suivantes :
Acompte au démarrage le 6 février 2012 pour 223 424 euros TTC
Situation du 4 mai 2012 pour 34 058 euros TTC
Elle affirme que les autres situations ont été réglé en dehors de son visa.
Réponse de la cour :
S’agissant de l’indemnisation des préjudices de la société La Maison Nordique, il ne pourra être fait droit aux demandes qu’à la condition que soit rapportée la preuve par elle de la réalité du préjudice, ainsi que du lien de causalité direct avec les désordres constatés.
Par ailleurs, en vertu du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, la réparation du préjudice doit correspondre à ce dernier et ne saurait être appréciée de manière forfaitaire. Ce même principe condit à prendre en compte tant les préjudices matériels qu’immatériels, parmi lesquels figure le préjudice de jouissance. Les dommages immatériels s’entendent de l’impossibilité d’utiliser le bien, de pertes de loyer ou d’exploitation, ou encore de la perte de valeur vénale du bien.
En l’espèce, il est établi par le rapport d’expertise que la société ARK BTP est intervenue sur la base d’un devis du 30 janvier 2012 pour un montant total de travaux de 1 251 065,60 euros HT. Il n’a pas été produit de devis pour la charpente métallique, mais les parties s’accordent sur un montant de travaux de 82 555 euros HT.
L’expert retient des paiements à hauteur de 695 905,13 euros HT correspondant aux factures suivantes :
6 février 2012, facture n°201202-06/01 – Acompte n°1 : 237 702,46 euros HT
30 avril 2012, facture n°30042012/1 – situation 1 : 223 424,39 euros TTC, soit 186 809,69 euros HT
30 avril 2012, facture n°30042012/2 : 28 477,09 euros HT
1er juillet 2012, facture n°01072012/1 ‘ Situation 2 : 230 548,70 euros TTC, soit 192 766,47 euros HT
5 juillet 2012, facture n°05072012/4 : 50 148,92 euros HT
L’ensemble de ces factures, toutes produites, comporte le visa de la SELARL [B], contrairement à ce qu’elle affirme.
L’expertise a permis d’établir qu’à la date du 27 septembre 2012, correspondant à la première réunion d’expertise, les travaux effectivement réalisés par la société ARK BTP correspondaient à un montant de 369 609,57 euros HT.
Les situations de travaux visées au-delà de ce montant par la SELARL [B] engagent sa responsabilité, et constituent le préjudice indemnisable de la société La Maison Nordique à hauteur de 326 295,56 euros HT.
S’agissant de la charpente, il a été indiqué précédemment qu’elle a été posée par la société ARK BTP en dépit d’un avis défavorable du bureau de contrôle, pose rendue possible uniquement en raison des défaillances établies de la SELARL [B] dans le suivi du chantier. Il n’est pas contesté que le coût de cette charpente, ayant dû être intégralement remplacée, s’élève à la somme de 82 555,00 euros HT. La SELARL [B] sera condamnée au paiement de cette somme.
En revanche, s’agissant de la somme sollicitée au titre du surcoût d’honoraires de maîtrise d”uvre, l’expert indique ne pas être en mesure de chiffrer le préjudice à ce titre au regard des explications et documents fournis. Devant la cour, la société La Maison Nordique ne justifie pas du règlement d’honoraires de maîtrise d”uvre au maître d”uvre ayant succédé à la SELARL [B], seul élément constitutif d’un surcoût pouvant être pris en compte. En conséquence, faute de rapporter la preuve de l’existence du préjudice allégué, la demande à ce titre de la société La Maison Nordique sera écartée.
Au regard de ce qui précède, la SELARL [B] sera condamnée à payer à la société La Maison Nordique la somme de 408 850,56 euros HT avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
V. Sur la garantie de la MAF
La MAF ne dénie pas sa garantie et sera donc condamnée à ce titre, dans la limite des plafonds et franchise contractuellement prévus.
VI. Sur les autres demandes
Le sens de l’arrêt conduit à infirmer le jugement dans ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.
En conséquence, la SELARL [B] sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais d’expertise.
Enfin, la SELARL [B] sera condamnée à verser à la société La Maison Nordique la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance de PARIS en date du 15 février 2019 en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir de la SELARL [B] et la MAF, son assureur ;
L’INFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau,
DÉCLARE la SELARL [B] responsable des dommages subis par la société [Adresse 8] ;
CONDAMNE in solidum la SELARL [B] et son assureur, la MAF à payer à la société La Maison Nordique la somme de 408 850,56 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, et ORDONNE la capitalisation des intérêts pour une année entière à compter de la même date ;
CONDAMNE in solidum la SELARL [B] et son assureur, la MAF aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais d’expertise ;
ADMET les avocats qui peuvent y prétendre et en ont fait la demande au bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.
CONDAMNE in solidum la SELARL [B] et son assureur, la MAF à payer à la société La Maison Nordique la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles de première instance ;
CONDAMNE in solidum la SELARL [B] et son assureur, la MAF à payer à la société La Maison Nordique la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles d’appel.
DEBOUTE la SELARL [B] de sa demande au titre des frais irrépétibles.
La greffière, La présidente,