Temps partiel : les mentions du contrat de travail 

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Temps partiel : les mentions du contrat de travail 

Sous peine de requalification du contrat de travail à temps complet, le contrat de travail à temps partiel doit préciser la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine, ou entre les semaines du mois si l’on considère la durée de travail fixée mensuellement, ou les modalités de communication des horaires de travail pour les jours travaillés.

Le contrat non conforme aux dispositions légales est présumé à temps complet. Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de l’employeur.


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1

***

ARRÊT DU DIX HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX

18/11/2022

ARRÊT N°2022/502

N° RG 21/03308 –��N° Portalis DBVI-V-B7F-OJP4

MD/KS

Décision déférée du 24 Juin 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CASTRES ( 19/00129)

SECTION ENCADREMENT

MV RIVES FABRE

[W] [V]

C/

S.A.R.L FILIATERRE

INFIRMATION PARTIELLE

Grosses délivrées

le18/11/2022

à

Me Emmanuelle DESSART

Me Fanny CULIE

ccc

le18/11/2022

à

Me Emmanuelle DESSART

Me Fanny CULIE

Pôle Emploi

***

APPELANT

Monsieur [W] [V]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Fanny CULIE de la SELARL CCDA AVOCATS, avocat au barreau d’ALBI

INTIMÉE

S.A.R.L FILIATERRE

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Emmanuelle DESSART de la SCP DESSART-DEVIERS, avocat au barreau de TOULOUSE

Représentée par Me Pascale FRAISIER de la SELARL SCHWAL & ASSOCIES, avocat au barreau de NICE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. DARIES, Conseillère, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

S. BLUME, présidente

M. DARIES, conseillère

N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier, lors des débats : C. DELVER

lors du prononcé : A.RAVEANE

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

— signé par S. BLUME, présidente, et par A.RAVEANE, greffière de chambre

FAITS ET PROCÉDURE:

M. [W] [V] a été embauché le 15 octobre 2018 par la Sarl Filiaterre exerçant à l’enseigne Filiater, en qualité d’ingénieur concepteur/développeur de machines ‘gros blocs’ suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel régi par la convention collective nationale des bureaux d’études techniques.

M. [V] a démissionné par lettre du 20 avril 2019.

M. [V] a saisi au fond le conseil de prud’hommes de Castres le 29 mai 2019 pour demander la requalification de son temps partiel en temps complet, la requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse et le versement de diverses sommes.

Par ordonnance du 16 octobre 2020, le conseil de prud’hommes saisi en référé à l’encontre de M. [V] par la société Filiaterre de demandes de restitution d’une machine outil-presse d’essai, d’indemnité provisionnelle mensuelle d’immobilisation et à titre subsidiaire de dommages et intérêts, a dit n’y avoir lieu à reféré ( du fait de l’existence d’une contestation sérieuse) et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir.

Le conseil de prud’hommes de Castres, section encadrement, par jugement

du 24 juin 2021, a :

— dit et jugé que le contrat de travail comporte toutes les mentions obligatoires prévues par l’article L 3123-6 du code du travail,

— dit et jugé qu’il n’y a pas travail dissimulé,

— dit et jugé que les éléments fournis ne justifient pas les heures de travail complémentaires et supplémentaires et une requalification à temps complet,

— dit et jugé que la société Filiaterre a respecté l’exécution du contrat de travail et n’a commis aucun manquement grave empêchant la poursuite de la relation contractuelle,

— par conséquent,

— débouté M. [V] de l’ensemble de ses demandes,

— condamné M. [W] [V] à verser à la Sarl Filiaterre la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— l’a condamné aux entiers dépens.

Par déclaration du 22 juillet 2021, M. [V] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 2 juillet 2021, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.

PRETENTIONS DES PARTIES:

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique

le 15 avril 2022, M. [W] [V] demande à la cour de :

— infirmer le jugement en ce qu’il a :

*dit et jugé que le contrat de travail comporte toutes les mentions obligatoires prévues par l’article L 3123-6 du code du travail

*dit et jugé qu’il n’y a pas de travail dissimulé,

*dit et jugé que les éléments fournis ne justifient pas les heures de travail complémentaires et supplémentaires et une requalification à temps complet,

*dit et jugé que la société Filiaterre a respecté l’exécution du contrat de travail et n’a commis aucun manquement grave empêchant la poursuite de la relation contractuelle,

*débouté M. [V] de l’ensemble de ses demandes,

*condamné M. [V] à verser à la société Filiaterre la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

*condamné M. [V] aux entiers dépens,

— confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société de l’ensemble de ses demandes,

— statuant à nouveau :

*requalifier la durée du travail de M. [V] à temps complet,

*requalifier la démission équivoque en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*juger que M. [V] n’a commis aucun manquement à la loyauté contractuelle et à l’obligation de confidentialité,

— en conséquence :

*condamner la Sarl Filiaterre à verser:

. la somme de 13121,81 euros à titre de rappel de salaire, outre 1.312,18 euros au titre des congés payés afférents,

. la somme de 20 838,55 euros à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé,

. la somme de 20 838,55 euros à titre de dommages-intérêts pour dépassement de la limite du dixième des heures complémentaires,

. la somme de 6 946,18 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. la somme de 651,20 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

. la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

*débouter la société de l’ensemble de ses demandes,

*ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et se réserver le droit de liquider cette astreinte,

*condamner la société aux intérêts à taux légal à compter du jour du jugement,

*condamner la société aux entiers dépens.

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique

le 20 janvier 2022, la Sarl Filiaterre demande à la cour de :

— confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [V] de l’intégralité de ses demandes,

— infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté les demandes de condamnation de la société à l’encontre de M. [V] au titre des dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail et pour déloyauté contractuelle et manquement à l’obligation de confidentialité,

— statuant à nouveau :

*juger régulier le contrat de travail à temps partiel de M. [V],

*juger infondée la demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en temps complet,

*juger expresse et non équivoque la démission de M. [V] intervenue par courrier

du 20 avril 2019,

*juger que la société n’a pas gravement manqué à ses obligations envers M. [V],

*juger infondée la demande de requalification de la démission de M. [V] en prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de la société,

*juger non fondées dans leur principe et injustifiées dans leur montant les demandes de M. [V],

— en conséquence, débouter M. [V] de l’ensemble de ses demandes,

— faisant droit à l’appel incident :

*juger que M. [V] a rompu abusivement son contrat de travail en ne respectant pas sa période de préavis dont il n’a pas été dispensé par son employeur,

*juger que M. [V] a commis de graves manquements à ses obligations contractuelles de loyauté et de confidentialité et de respect du droit de propriété intellectuelle,

*ordonner la restitution par M. [V] à son employeur de la presse d’essai, propriété de la société,

— en conséquence :

*condamner M. [V] au paiement d’une somme de 6045,33 euros au titre du préavis de 3 mois non exécuté,

*condamner M. [V] au paiement d’une somme de 50000 euros pour déloyauté et manquement à son obligation de confidentialité,

*condamner M. [V] au paiement d’une somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance en date

du 2 septembre 2022.

Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION:

I/ Sur l’exécution du contrat de travail:

Sur le contexte:

M. [V], gérant de la société Briques Technic Concept (BTC) ayant mis au point un procédé de fabrication de briques de terre compressées de petite dimension, a été contacté en 2016 par M. [D], gérant de la société Filiaterre, afin de pouvoir concevoir et développer une machine permettant la compression des gros blocs de terre directement sur les chantiers pour assurer la mécanisation du recyclage des matériaux de remblais.

En vue d’un projet de structure commune, la sas Filiaterre a engagé M. [V] en 2018.

1/ Sur la requalification du contrat à temps partiel à temps plein:

L’article L 3123-6 du code du travail (modifié par la loi du 08 août 2016) stipule:

‘ Le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit.

Il mentionne :

1° La qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et, sauf pour les salariés des associations et entreprises d’aide à

domicile et les salariés relevant d’un accord collectif conclu en application de

l’article L. 3121-44, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ;

2° Les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification ;

3° Les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié. Dans les associations et entreprises d’aide à domicile, les horaires de travail sont communiqués par écrit chaque mois au salarié ;

4° Les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au delà de la durée de travail fixée par le contrat.

L’avenant au contrat de travail prévu à l’article L3123-22 mentionne les modalités selon lesquelles des compléments d’heures peuvent être accomplis au-delà de la durée fixée par le contrat.’

L’article L. 3123-9 dispose: « les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée de travail accomplie par un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale du travail ou, si elle est inférieure, au niveau de la durée de travail fixée conventionnellement ».

Un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel a été signé à effet du 15 octobre 2018 comportant un article 4 sur la durée du travail ainsi libellé:

‘M. [W] [V] devra respecter les horaires en vigueur dans l’entreprise. Sa durée hebdomadaire est fixée à 20,31 heures soit une durée mensuelle de travail fixée à 88 heures. Cette durée mensuelle sera répartie sur 2,5 jours d’une durée quotidienne moyenne de 8h du lundi au vendredi suivant les disponibilités de M. [W] [V] en dehors de ses activités extérieures à l’entreprise, il tiendra un planning justifié des jours de la semaine effectués. Il s’engage également à se conformer aux dispositions du règlement intérieur. ‘

M. [V] soulève que le contrat de travail ne comportant pas les mentions obligatoires, il n’avait pas connaissance de ses horaires de travail, était dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et était contraint de se tenir en permanence à la disposition de son employeur, de telle sorte qu’il ne pouvait pas planifier de tâches pour sa propre société et n’a pu se verser en 2018 que 600 euros par mois en sa qualité de gérant.

Il expose que le contrat de travail n’avait pour but que d’obtenir des aides publiques, dont un crédit d’impôt recherche (CIR) et que celles-ci ayant été accordées pour la seule réalisation du projet ‘Terva’, la société a falsifié ses feuilles de temps.

Il soutient qu’il a accompli pour le compte de l’employeur de nombreuses autres tâches au-delà des 88 heures mensuelles telles que l’obtention de marchés de maîtrise d »uvre et de bureau d’études, la participation à des évènements extérieurs, la gestion d’essais de laboratoire par le LMDC, la poursuite du travail en vue du financement à la suite de la labellisation de Macrobloc faisabilité, la relecture de divers documents intéressant la société Filiaterre, la rédaction et le dépôt de divers dossiers de demandes d’aides financières.

La société conteste les arguments de l’appelant, objectant que ce dernier organisait, en fonction de ses exigences personnelles et librement, son temps de travail au sein de l’entreprise Filiaterre à laquelle il remettait ses plannings.

Sur ce:

Il ressort des termes du contrat de travail à temps partiel que n’est pas précisée la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine, ni même entre les semaines du mois si l’on considère la durée de travail fixée mensuellement, ni les modalités de communication des horaires de travail pour les jours travaillés au motif que le choix en est laissé au salarié.

Le contrat non conforme aux dispositions légales est présumé à temps complet. Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de l’employeur.

Il s’évince de l’évolution des relations entre les parties, personnes physiques et personnes morales, qu’il existait une volonté de projets communs, tant celui expressément défini par le contrat de travail de développement d’une machine permettant la fabrication de gros blocs de terre compressées, que de partenariats entre les sociétés sur d’autres projets.

M. [V] avait néanmoins la liberté de poursuivre des activités au sein de sa société BTC et de travailler en d’autres lieux que celui de la société employeur, ainsi au sein de son atelier situé à [Localité 5] dans le Tarn, qui est son domicile ou en d’autres sites, comme précisé dans le contrat de travail.

La société Filiaterre produit des documents intitulés ‘ tableaux de suivi des heures de M. [V]’ à compter du 15 octobre 2018 jusqu’à sa démission mentionnant les dates, jours, heures théoriques par jour, le nombre d’heures réparties suivant l’activité: presse d’essai, MacroBloc, contenair, administratif, divers, le nombre d’heures effectuées, la correspondance tâches/planning notamment en presse d’essai, crédits d’heures, visites ou autres, les statuts et commentaires.

Le seul fait que par mail du 21 mars 2019, M. [V] ait adressé à M. [B] responsable scientifique R&H, le tableau de ses heures en lui écrivant: ‘ je te laisse modifier les intitulés de mes tâches pour les faire rentrer dans vos calculs de CIR’ ne caractérise pas une modification systématique à la baisse par l’employeur du nombre d’heures effectuées par le salarié au profit de la société devant justifier de certains critères d’activité pour obtenir la subvention.

M. [B], interrogé par M. [D], répondra le 22 mars 2019 à cet effet: ‘à partir de la feuille de temps d'[W], voilà ce que çà donne au niveau CIR. C’est facile, [W] ne travaille que sur une seule tâche. Il a bossé 213,5 h en tout que sur la R et D en fait’.

Les éléments communiqués par la société montrent que M. [V] participait à divers projets, certains en collaboration avec Filiater et d’autres pour la seule société BTC pendant la période de travail salariée:

. candidature pour la région Occitanie BTC et Filiater projet collaboratif Flexiterre

du 18 décembre 2018,

. description projet Flexiterre du dossier de candidature édition 2018 déposé par BTC en partenariat avec Filiater,

. lettre de labellisation du projet Flexiterre du 18 décembre 2018 du Pôle européen de la céramique adressée à BTC,

. lettre de soutien à Filiater par Capenergies sur le projet Flexiterre

du 14 décembre 2018

. mail du 26 novembre 2018 de M. [V] avec en pièce jointe les projets en cours: développement de Filiater (Macrobloc développement et faisabilité), Flexiterre (faisabilité, développement, industrialisation), BTC en cours, Presse tiers monde, BTC projet, Fusion FT/ BTC,

. des échanges de mails à partir de la messagerie ‘[Courriel 4]’ avec la société Filiater et des tiers.

L’employeur fait référence à une procédure parallèle pendante devant le tribunal de commerce de Nice, pour laquelle M. [V] indique dans ses conclusions avoir continué à activement développer son activité personnelle en concourant pour divers projets au nom de la société BTC, mais la pièce 39 mentionnée à cet effet ne correspond pas à celle portant ce numéro et versée à la procédure.

En tout état de cause, il s’évince des éléments communiqués, une imbrication des projets entre la société Filiaterre et celle dont M. [V] était gérant, sans que les pièces produites n’établissent que l’activité de l’appelant pour sa propre société ait été lourdement impactée de telle manière qu’il n’était pas en capacité de poursuivre celle-ci dans des conditions de temps adéquates.

Il sera donc considéré que M. [V] n’était pas à disposition constante de la société Filiaterredans le cadre des missions du contrat de travail signé à effet

du 15 octobre 2018.

Aussi la demande de requalification de temps partiel en temps plein sera rejetée de même celle de rappel de salaire afférente.

Le jugement du conseil de prud’hommes sera confirmé sur ce chef.

II/ Sur le travail dissimulé:

M. [V] allègue au visa de l’article L 8221-5 du code du travail, d’une part qu’il a commencé à travailler en qualité de salarié de la société Filiaterre, sans être déclaré, dès le mois d’avril 2018 et d’autre part qu’il a dépassé la durée contractuelle à compter d’octobre 2018, aucune heure complémentaire ne lui ayant été rémunérée.

Il prétend au versement d’une indemnité représentant 6 mois de salaire au titre du travail dissimulé, soit 20.838,55 euros.

L’appelant fait également valoir que le dépassement de la limite du dixième des heures complémentaires pouvant être effectuées par un salarié ouvre droit au paiement de dommages-intérêts. Sur ce fondement, il réclame paiement de 20.838,55 euros.

L’intimée conclut au débouté et à l’absence d’intention de dissimulation. Elle rétorque que dans une volonté d’un projet de mise en commun de compétences, les 2 sociétés (et non pas M. [V]) ont travaillé de concert avant le mois d’octobre 2018 sur des projets communs mais pour trouver la meilleure association, projet n’ayant pas abouti suite au choix de M. [V] de concurrencer directement la société Filiater.

Sur ce:

Il n’est pas contestable, au vu des échanges de mails versés entre la société Filiaterre et M. [V] sous la messagerie ‘[Courriel 4]’ qu’un travail en commun existait avant le contrat à effet du 15 octobre 2018. Mais, si une prestation a pu être réalisée, ces échanges ne permettent pas de caractériser une relation salariée sous lien de subordination, ce d’autant que M. [V] dans ses développements sur les manquements à l’obligation de loyauté fait valoir que sa société BTC avait initié des projets avant partenariat dans la période antérieure à la conclusion du contrat de travail.

Aussi, à défaut en outre d’une requalification du contrat de travail d’octobre 2018 à temps partiel en temps plein, aucun dépassement du dixième des heures complémentaires n’est établi ni aucun travail dissimulé.

Les prétentions de M. [V] sont rejetées et le jugement du conseil de prud’hommes sera confirmé sur ces chefs.

III/ Sur la requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse:

La démission ne se présume pas, elle doit résulter d’un acte clair et non équivoque.

L’initiative du salarié de rompre son contrat de travail ne traduit pas nécessairement une volonté réelle de mettre fin aux relations contractuelles. Pour être considérée comme telle, la démission doit résulter de la manifestation claire et non équivoque du salarié auprès de son employeur de sa volonté de rompre son contrat de travail.

Selon cette définition, la démission doit être donnée librement, c’est-à-dire en dehors de toute contrainte ou pression morale explicite et

une démission fondée sur des manquements reprochés à l’employeur peut être considérée non pas comme une démission mais comme une prise d’acte aux torts de l’employeur.

Par courriel du 22 avril 2019 confirmé par LRAR du 23 avril 2019, M. [V] a démissionné en ces termes:

‘[U], Je t’informe par la présente de ma décision de mettre un terme à notre collaboration. Je te prie donc de recevoir ma démission à effet immédiat. Je te sollicite également pour te demander de me dispenser du préavis légal’.

L’appelant soutient que sa démission était équivoque, due aux manquements de l’employeur précédemment invoqués et ayant empêché la poursuite du contrat de travail, tel que souligné par son Conseil le 3 mai 2019, soit moins de 2 semaines après, dans un courrier à la société Filiaterre précisant que l’intéressé avait été « contraint de démissionner ».

Il fait état ainsi au titre des manquements: du non paiement de nombreuses heures complémentaires, de l’absence de répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine dans son contrat de travail, de l’absence de mention des horaires de travail du salarié, de l’absence de planning horaire communiqué au salarié, de l’absence de mention de la limite d’heures complémentaires (et non supplémentaires) pouvant être effectuées par le salarié, de l’absence de mention des cas dans lesquels une modification de la répartition de la durée du travail et de la nature de cette modification peut intervenir. Les dispositions des articles L. 3123-6 et suivants du code du Travail relatif aux contrats de travail à temps partiel ne sont pas respectées et M. [V] était contraint de se tenir en permanence à disposition de la société.

La société dénie tout manquement à ses obligations et réplique que la démission de M. [V] a été motivée par sa seule volonté de cesser brutalement toute collaboration en abusant de sa confiance.

Sur ce:

Les manquements invoqués par le salarié et sus-développés n’étant pas avérés, il n’y a pas lieu à requalification en prise d’acte de rupture emportant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il sera donc considéré que M. [V] a démissionné de son emploi et il sera débouté de ses demandes afférentes à un licenciement abusif. Le jugement du conseil de prud’hommes sera confirmé sur ces chefs.

IV/ Sur les demandes reconventionnelles de la Sarl Filiaterre:

1/ Sur la demande de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail:

Lorsque le contrat de travail est rompu suite à une démission du salarié, une période de préavis doit être respectée et à défaut par le salarié de l’exécuter, l’employeur peut prétendre au versement par celui-ci de l’indemnité compensatrice de préavis.

La société énonce que l’article 15 de la convention collective nationale applicable fixe à 3 mois la période de préavis pour la catégorie des Ingénieurs et Cadres dont relève M. [V], lequel a demandé d’en être dispensé. L’employeur le lui a refusé par lettre du 25 juin 2019 mais M. [V] a maintenu son refus d’exécution du préavis et a déposé un arrêt de travail.

La société considère que ce comportement de mauvaise foi du salarié lui a

gravement porté préjudice, M. [D] ayant dû reprendre l’activité et

les projets attribués à M. [V] au pied levé, alors qu’il se trouvait en convalescence

des suites d’une hospitalisation.Elle prétend à l’allocation d’une somme équivalente au préavis, soit 6.045,33 € (3 x 2 015,11€).

M. [V] conclut au débouté. Il rétorque avoir exécuté le préavis, que le terme de la relation contractuelle n’était pas le 20 avril 2019 mais le 19 juillet 2019 tel que mentionné sur le certificat de travail et l’attestation Pôle emploi transmis par la société. Les bulletins de paie d’avril et mai 2019 ont été adressés postérieurement au 20 avril 2019 (celui de juin n’a pas été reçu) et M. [V], placé en arrêt-maladie

du 6 au 28 mai, a perçu une rémunération brute de 433,93 euros.

Sur ce:

Au vu des éléments fournis, de ce que l’arrêt-maladie non professionnel n’interrompt pas le préavis et que la société n’établit pas le caractère illicite de l’arrêt-maladie en l’absence de contestation du certificat médical, l’intimée sera déboutée de sa prétention.

2/ Sur la demande de dommages pour déloyauté contractuelle et manquement à l’obligation de confidentialité:

Le contrat de travail mentionne que M.[V] a été engagé « en qualité de concepteur / développeur de machines permettant la compression de terre de déblais et d’une manière générale de toutes machines ou équipements permettant la préparation et la fabrication de matériaux pour la construction à partir de terres de déblais de terrassements  ».

Une obligation de confidentialité a été mise à la charge du salarié selon l’article 12 du contrat ainsi libellé:

‘ Le Salarié est tenu, tant pendant la durée de son contrat de travail qu’à l’issue de celui-ci, au secret professionnel, à la loyauté et à une obligation générale de discrétion. Le Salarié s’engage donc à conserver, de la façon la plus stricte, une totale discrétion sur l’ensemb1e des informations qu’il pourra recueillir à l’occasion de ses fonctions. (..)

Il est précisé qu'[W] [V] a déjà mis au point une machine de fabrication de Brique de terre comprimée de petites dimensions à partir de terre, ce qui le rend libre en termes de confidentialité et de propriété intellectuelle (article 13 suivant) sur cette machine déjà existante, sauf pour tout ce qui pourrait s’avérer commun entre celle-ci et les machines ou équipements qu’il va développer pour la société Filiaterre. (..)’.

Aux termes des articles 13 et 13-1 du contrat sur la propriété intellectuelle, d’une manière générale, tous les droits afférents aux Contributions du salarié sont la propriété exclusive de la Société, outre les droits d’auteurs, les droits voisins de ceux-ci, les droits des marques et droits, des dessins et modèles résultant des dépôts et formalités que la société est expressément autorisée à effectuer.

La société expose que M. [V] a violé ses obligations en:

. s’alliant, pendant l’exécution du contrat de travail, avec un autre salarié M.[B],

.en évinçant la société Filiater du projet Tiga-Sylvapolis (pour le développement de filières professionnelles autour du développement durable), précédemment mené avec Filiater, tout en se prévalant de la technologie Macrobloc développée par celle-ci et demeurant sa propriété, à laquelle ils n’ont eu accès que par l’intermédiaire de leur contrat de travail respectif,

. en développant seul le projet initialement commun Flexiterre ( organisé par L’ADEME sur le thème de l’économie circulaire appliquée au bâtiment ),

. en restituant l’ensemble du matériel à l’exception de la presse d’essai en violation des droits de la propriété intellectuelle, alors que cette presse a été l’objet de son contrat de travail, qu’elle a été construite avec du matériel fourni ou exclusivement payé par l’employeur et que M..[V] a exclusivement été payé pour réaliser cette presse servant à réaliser la presse gros-blocs dans son atelier.

L’intimée affirme avoir subi un préjudice du fait de cette déloyauté, car elle aurait dû recevoir des dotations importantes pour le projet Flexiterre et le projet Tiga Sylvapolis lequel générait un chiffre d’affaires conséquent et aurait pu apporter une vente directe de la machine Macrobloc.

Elle ajoute que cette déloyauté s’est poursuivie après la rupture de la relation contractuelle.

La société Filiaterre sollicite 50000,00 euros de dommages et intérêts et la restitution de la presse d’essai.

M. [V] rétorque que seule sa société BTC détient le savoir-faire de la fabrication de machines destinées à compresser des blocs de terre et que la société Filiaterre, entreprise de promotion immobilière sans aucun moyen de production, ne lui a pas fourni les moyens nécessaires pour concevoir ou construire une presse d’essai. Celle-ci l’a été par la société BTC et ne peut appartenir à Filiaterre. Le projet de fusion des deux sociétés était d’utiliser les moyens techniques mis en ‘uvre par BTC dans le cadre de chantiers gérés par Filiaterre, laquelle lui a imposé la mention des articles 12 et 13 dans le contrat de travail, dont M. [V] a sollicité la modification courant octobre 2018 sans effet.

L’appelant énonce que:

. le projet Flexiterre a été initialement développé par la société BTC qui, sur les conseils de l’ADEME, s’est associée à la société Filiaterre pour un partenariat et non une communauté de propriété; le dépôt du projet de faisabilité et l’accord de subvention étaient antérieurs au contrat de travail tel qu’il ressort du courrier de la Sa BPI Financement du 10 octobre 2018 adressé à la société BTC qui était libre de rompre ce partenariat unilatéralement.

. le projet Tiga est également un projet de la société BTC contactée par M. [L], chef de projet au sein d’Aquitains, tel qu’il résulte d’échanges de mails des 15, 18 et 21 février 2019 et d’une attestation de M. [L].

M. [V] conclut à l’absence de préjudice, indiquant qu’à la suite d’une interrogation par mail du 6 août 2019 de M. [D] à M. [E], chercheur au sein de l’IRSTEA, ce dernier a répondu le 5 septembre 2019 que la présentation n’avait « pas été sélectionnée » et qu’il n’y aurait « pas de suite ».

L’appelant soutient en outre qu’il n’avait aucune intention de nuire et considère qu’en tout état de cause, si une violation de la clause contractuelle de confidentialité existait, le litige relèverait de la compétence du tribunal de commerce et non de celle du conseil de prud’hommes.

Sur ce:

L’obligation de loyauté découle de l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi et vaut pendant la durée d’exécution de la relation contractuelle. Elle peut se traduire notamment par l’obligation de ne pas tenir de propos préjudiciables sur l’employeur, de ne pas utiliser la propriété de son employeur à des fins personnelles, de ne pas exercer un travail rémunéré qui concurrence son employeur.

Si le non respect des obligations est avéré, la responsabilité du salarié ne peut être engagée envers l’employeur que s’il a commis une faute lourde caractérisée par une intention de nuire, ce qui implique une volonté du salarié de porter préjudice et qui ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’employeur.

En l’espèce, si les parties s’accordent sur l’existence d’un partenariat concernant les projets Flexiterre et Tiga, les pièces versées, hormis le contrat de travail sur la conception et le développement d’une machine pour fabriquer de gros blocs de terre, sont insuffisantes à déterminer s’agissant des projets Flexiterre et Tiga , les missions relevant effectivement de la relation salariée et auxquelles le salarié aurait contrevenues.

Par ailleurs, s’il était retenu une contrevenance concernant ces projets, l’employeur ne démontre ni une volonté de nuire de M. [V] ni un préjudice identifiable et déterminé compte tenu des éléments opposés par l’appelant.

S’agissant de la machine outil – presse d’essai, il n’est pas contesté que celle-ci a été fabriquée et que le savoir faire est celui de M. [V].

Néanmoins, il ressort tant du contrat de travail (articles 12 et 13) que du suivi des relevés d’heures de M. [V] qu’elle a été construite pendant l’exécution de la relation contractuelle avec la société Filiaterre et qu’elle est la propriété de celle-ci.

Si la demande de dommages et intérêts de l’intimée est écartée, il sera fait droit à celle de restitution de la presse-essai.

V/ Sur les demandes annexes:

M. [V], partie perdante, sera condamné aux dépens d’appel.

La condamnation de M.[V] par le conseil de prud’hommes aux dépens de première instance est confirmée.

L’équité commande de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile.

La condamnation de M.[V] par le conseil de prud’hommes sur ce fondement est infirmée.

La société Filiaterre est déboutée de ses demandes au titre des frais irrépétibles et dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS:

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a condamné M.[V] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant sur le chef infirmé et y ajoutant:

Condamne M. [W] [V] à restituer à la Sarl Filiaterre la machine outil – presse essai construite pendant l’exécution du contrat de travail,

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [V] aux dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par S.BLUMÉ, présidente et par A.RAVEANE, greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

A.RAVEANE S.BLUMÉ


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