Télétravail : 9 mars 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/01918

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Télétravail : 9 mars 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/01918
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9 mars 2023
Cour d’appel de Grenoble
RG n°
21/01918

C 2

N° RG 21/01918

N° Portalis DBVM-V-B7F-K3BB

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Typhaine ROUSSELLET

la SELARL DAVID LONG

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 09 MARS 2023

Appel d’une décision (N° RG 18/01166)

rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 25 mars 2021

suivant déclaration d’appel du 24 avril 2021

APPELANTE :

Madame [T] [L]

née le 22 Février 1983 à [Localité 5] (BRESIL)

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Typhaine ROUSSELLET, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

S.A.S. HYSEAS ENERGY, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié audit siège

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me David LONG de la SELARL DAVID LONG, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

DÉBATS :

A l’audience publique du 18 janvier 2023,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère chargée du rapport et M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, les parties ne s’y étant pas opposées ;

Puis l’affaire a été mise en délibéré au 09 mars 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L’arrêt a été rendu le 09 mars 2023.

EXPOSE DU LITIGE

Courant septembre 2016, M.'[W] [G], président de la société par actions simplifiées (SAS) Hyseas Energy, a rencontré Mme [T] [L], docteur en chimie, engagée par contrat de travail conclu avec la société Intelligent Energy et ces derniers ont multiplié des échanges relatifs au projet de la société Hyseas Energy portant sur la commercialisation d’un système de pile à combustible alimentée à l’hydrogène destinée au milieu maritime.

Mme [T] [L] est devenue associée de la SAS Hyseas Energy par l’acquisition de 12’900 actions, selon acte de cession d’actions en date du 1er juin 2017.

A partir de novembre 2017, Mme [T] [L] et la SAS Hyseas Energy ont échangé plusieurs courriels relatifs à la négociation d’un contrat de travail.

Un projet de contrat de travail à durée indéterminée a été établi début 2018, pour engager Mme [T] [L] au poste de directrice scientifique et technique de la société Hyseas Energy avec une prise de fonction au 2 février 2018.

Le 16 janvier 2018, Mme [T] [L] a conclu une rupture conventionnelle avec la société Intelligence Energy.

Le 2 février 2018, Mme [T] [L] et la société Hyseas Energy ont échangé au sujet de la finalisation du projet de contrat de travail.

Par courriel en date du 7 février 2018, la SAS Hyseas Energy a écrit à Mme [T] [L] pour l’informer qu’elle n’entendait pas poursuivre les négociations sur son contrat de travail. Mme [T] [L] a répondu le même jour.

Le 29 juin 2018, Mme [T] [L] a cédé l’ensemble de ses actions de la société’Hyseas Energy.

Par requête en date du 25 octobre 2018, Mme [T] [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Grenoble aux fins d’obtenir le paiement de diverses sommes liées à l’existence et à la rupture d’un contrat de travail.

La SAS Hyseas Energy s’est opposée aux prétentions adverses en concluant l’absence d’un lien de subordination et de prestation de travail caractérisant un contrat de travail et a sollicité, à titre reconventionnel, des dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire.

Par jugement en date du 25 mars 2021, le conseil de prud’hommes de Grenoble a’:

– donné acte à la SAS Hyseas Energy du versement à Mme [T] [L], devant le Bureau d’Orientation et de Conciliation, de la somme de 647,96 € à titre de remboursement des frais engagés pour son voyage au Japon,

– dit qu’il n’a jamais existé de lien de subordination entre la SAS Hyseas Energy et Mme'[T]'[L],

– dit que Mme [T] [L] n’a jamais fourni une quelconque prestation de travail mais une collaboration bénévole,

– dit qu’à aucun moment Mme [T] [L] n’a été embauchée par la SAS Hyseas Energy,

– dit que la SAS Hyseas Energy ne s’est pas rendue coupable de l’infraction de travail dissimulé,

En conséquence,

– débouté Mme [T] [L] de l’ensemble de ses demandes,

– débouté la SAS Hyseas Energy de ses demandes reconventionnelles,

– laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 21 mars 2022 par la SAS Hyseas Energy et le 26 mars 2021 par Mme'[T]'[L].

Par déclaration en date du 24 avril 2021, Mme'[T]'[L] a interjeté appel à l’encontre dudit jugement.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 18 novembre 2022, Mme'[T]'[L] sollicite de la cour de’:

Réformer le jugement rendu le 25 mars 2021 par le conseil de prud’hommes de Grenoble ;

Statuant à nouveau :

– Juger que la SAS Hyseas Energy a dissimulé l’activité de Mme'[T]'[L]

– Constater que le contrat de travail a été brutalement rompu ;

– Juger que cette rupture doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse’;

En conséquence,

– Condamner la SAS Hyseas Energy au paiement des sommes suivantes :

– 30.000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;

– 40.000 euros nets à titre de préjudice financier lié à l’absence d’indemnisation chômage;

– 15.000 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 1.500 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

– 5.000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

– 3.000 euros nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens;

Incidemment :

– Débouter la SAS Hyseas Energy de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire ;

– Débouter la SAS Hyseas Energy de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 22 novembre 2022, la SAS’Hyseas Energy sollicite de la cour de’:

Vu les articles l’article L. 1221-1 et suivants, L. 8221-5 du code du travail,

Vu l’article 1112 et suivants du code civil,

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces,

Juger qu’il n’a jamais existé de lien de subordination entre la SAS Hyseas Energy et Mme'[T] [L] ;

Juger que Mme'[T]'[L] n’a jamais fourni une quelconque prestation de travail,

Juger qu’à aucun moment Mme'[T]'[L] n’a été embauchée par la SAS Hyseas Energy;

Juger que la SAS Hyseas Energy ne s’est pas rendue coupable de l’infraction de travail dissimulé ;

En conséquence,

– Confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a débouté Mme'[T]'[L] de ses demandes pour travail dissimulé, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents et pour préjudice financier au titre du différé d’indemnisation pôle emploi

Reconventionnellement

– Infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a débouté la SAS Hyseas Energy de sa demande de dommage et intérêt au titre du préjudice subi pour procédure abusive et vexatoire

– Condamner Mme'[T]'[L] à verser à la SAS Hyseas Energy la somme de’15.000 euros au titre des dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire.

– Condamner Mme'[T]'[L] à verser à la SAS Hyseas Energy la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article’455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 24 novembre 2022.

L’affaire, fixée pour être plaidée à l’audience du 18 janvier 2023, a été mise en délibéré au’9’mars 2023.

MOTIFS’DE L’ARRÊT

1 ‘ Sur la qualification de la relation contractuelle entre les parties

1.1 ‘ Sur la situation entre septembre 2016 et février 2018

Il résulte des dispositions de l’article 1779 du code civil que le contrat de travail est une convention par laquelle une personne s’engage à travailler pour le compte d’une autre et sous sa subordination moyennant une rémunération.

Il appartient à celui qui se prévaut d’un contrat de travail de rapporter la preuve de l’existence d’une activité rémunérée accomplie sous la subordination de l’employeur conformément aux dispositions des articles L.1221-1 et suivants du code du travail, le lien de subordination étant caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Dès lors, l’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination de leurs conventions, mais se caractérise par les conditions de faits dans lesquelles s’exerce l’activité professionnelle.

En présence d’un contrat de travail écrit ou apparent, il appartient à celui qui entend en contester l’existence de rapporter la preuve de son caractère fictif.

En l’absence d’écrit ou d’apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d’en rapporter la preuve.

La preuve du’contrat de travail’est libre. Tous les procédés de preuve peuvent donc être utilisés et tout élément matériel peut être pris en compte.

Au cas d’espèce, Mme [T] [L], qui se prévaut de l’existence d’une activité rémunérée accomplie sous la subordination de l’employeur dès le mois de septembre 2016, produit des copies de courriels échangés avec M. [W] [G] et s’appuie sur la régularité et la technicité de leurs échanges.

Il ressort de ces courriels qu’elle avait proposé sa contribution au projet en indiquant, dès le’5’octobre 2016, « je peux faire un template draft pour le scope du projet technique, si tu as besoin de support n’hésites pas », puis qu’elle s’était notamment vu demander de présenter un document formalisant un «’cahier des charges / work package’».

Aussi, la réponse de M. [W] [G] en date du 8 décembre 2016 «’Merci encore pour ton temps et ton intervention hier et aujourd’hui. J’apprécie énormément l’aide que tu apportes à HySeas’» confirme l’existence de l’aide apportée par Mme [T] [L].

Mme [T] [L] justifie également de la rédaction d’une annexe technique d’un accord de collaboration qui confirme qu’elle a réalisé des prestations pour le compte de la société Hyseas Energy.

Pour autant, ces contributions, même conjuguées à la fréquence des échanges et à la technicité des informations partagées ne suffisent pas à démontrer que Mme [T] [L] a accompli cette activité sous la subordination d’un employeur.

En effet, Mme [T] [L] n’explicite nullement avoir reçu des ordres ou des directives en vue de leur exécution. Elle n’allègue ni ne justifie de l’assignation de directives, ni d’un contrôle de leur exécution, ni de la soumission à des contraintes d’horaires ou délais.

Au contraire outre la grande liberté d’organisation dont a bénéficié Mme [T] [L], il ressort de ces échanges que M. [W] [G] n’a exprimé aucune directive, ni délai, tout en la remerciant pour ses contributions.

Ainsi, quand M. [W] [G] lui demande, le 8 décembre 2016, «’D’ores et déjà regarde sur internet les BSPCE et leurs spécificités. Encore une fois merci beaucoup’!’», elle expose son organisation personnelle : «’je compte faire ça pendant les vacances de Noël, si le timming est encore ok pour toi, je suis désolée, mais cette fin d’année est un peu chargée pour moi. Merci le retour à propos des termes de l’offre et les informations à propos de BSPCE, je serais ravis d’en discuter quand il sera un bon moment pour toi. […] », sans que M.'[W] [G] ne lui impose aucune contrainte «’J’avais oublié de te parler de ton travail sur le SOW Hyseas / CEA que tu avais fait et je m’en excuse. [‘] Ton draft va beaucoup m’aider. [‘] La fin d’année est toujours chargée. Il n’y as pas d’urgence’».

Aussi, l’attribution d’une adresse mail au sein de la société Hyseas et la production d’une annexe technique à un projet et de supports commerciaux ne constituent que des indices sans que la salariée ne produise d’élément suffisant pour caractériser l’existence d’un lien de subordination.

Enfin, à titre superfétatoire, la cour constate que Mme [T] [L] ne justifie pas de l’octroi d’une rémunération fixe autre que la contrepartie financière obtenue avec sa promotion au statut d’associée, le 1er juin 2017.

En conséquence, Mme [T] [L] échoue à démontrer qu’elle est intervenue dans le cadre de l’exécution d’un contrat de travail entre septembre 2016 et février 2018.

1.2 ‘ Sur la situation à partir de février 2018

L’article 1112 du code civil, dans sa version issue de l’ordonnance du 10 février 2016 entrée en vigueur le 1er octobre 2016 énonce’:

L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.

En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages.

L’article 1113 du code civil’prévoit :

Le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager. Cette volonté peut résulter d’une déclaration ou d’un comportement non équivoque de son auteur.

Selon les’articles 1114’à’1122 du code civil’:

– l’offre de contrat, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation. A défaut, il y a seulement invitation à entrer en’négociation’;

– l’offre de contrat peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire’;

– l’offre de contrat ne peut être rétractée avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable. La rétractation de l’offre en violation de cette interdiction empêche la conclusion du contrat ; elle’engage’la responsabilité extra-contractuelle de son auteur dans les conditions du droit commun sans l’obliger à compenser la perte des avantages attendus du contrat ;

– l’offre de contrat est caduque à l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, à l’issue d’un délai raisonnable. Elle l’est également en cas d’incapacité ou de décès de son auteur, ou de décès de son destinataire ;

– l’acceptation de l’offre de contrat est la manifestation de volonté de son auteur d’être lié dans les termes de l’offre. Le contrat est conclu dès que l’acceptation parvient à l’offrant. Le silence ne vaut pas acceptation, à moins qu’il n’en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d’affaires ou de circonstances particulières. Tant que l’acceptation n’est pas parvenue à l’offrant, elle peut être librement rétractée, pourvu que la rétractation parvienne à l’offrant avant l’acceptation. L’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet, sauf à constituer une offre nouvelle.

L’article 1124 du code civil dispose’:

La promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire.

La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis.

Le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul.

Il en résulte que l’acte par lequel un employeur propose un engagement précisant l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation, constitue une offre de contrat de travail, qui peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire.

La rétractation de l’offre avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable, fait obstacle à la conclusion du contrat de travail et engage la responsabilité extra-contractuelle de son auteur.

En revanche, la promesse unilatérale de contrat de travail est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat de travail, dont l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction sont déterminés et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire.

La promesse d’embauche correspond à la promesse unilatérale telle qu’elle résulte des dispositions de l’article 1124 du code civil, dès lors que parmi ses éléments constitutifs outre la désignation de l’emploi et la date d’entrée en fonction, figure la rémunération et l’offre, faite à l’autre partie, de conclure ce contrat, le bénéficiaire devenant titulaire d’une option.

La promesse unilatérale du contrat de travail vaut contrat de travail dès lors que le bénéficiaire a consenti.

La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat de travail promis.

La distinction entre l’offre de contrat et la promesse unilatérale porte non sur le contenu ou l’objet du contrat envisagé, mais sur l’intensité de l’engagement des parties.

En l’espèce, il ressort des courriels produits que les parties ont négocié entre novembre et décembre 2017 les termes d’un contrat de travail, dont la rédaction était confiée à un cabinet extérieur, en vue de l’embauche de Mme [T] [L] à compter du 2 février 2018.

Par courriel du 1er février 2018, Mme [T] [L] indiquait attendre la transmission de la dernière version du projet de contrat puisqu’elle indiquait «’je n’ai toujours pas reçu de retour du cabinet RH concernant mon contrat pour l’évaluer avec la signature de demain. Est-ce que tu as eu un retour’».

Les éléments produits démontrent, d’une première part, que la société Hyseas Energy a clairement affirmé sa volonté d’embaucher Mme [T] [L] selon les dernières modalités convenues avant le’2’février 2018.

En effet par courriel du 2 février 2018 à 10h34’M. [W] [G] s’adressait au cabinet en charge de la rédaction du contrat et confirmait son intention d’embaucher Mme'[T]'[L] dans les termes suivants : «’Aujourd’hui est le premier jour de travail de Mme'[T] [L]. Malheureusement nous n’avons pas de contrat définitif à signer. C’est très regrettable. [‘] Pour information les réponses que vous avez apportées sont tout à fait satisfaisantes et nous pouvons avancer et transformer le projet de contrat en contrat définitif [‘] J’aimerais comprendre car cela jette un froid avec notre nouvelle collaboratrice sur les épaules de laquelle repose beaucoup de nos espoirs, exactement au moment de son entrée dans l’entreprise.’»

Par ailleurs, Mme [T] [L] justifie de plusieurs circonstances antérieures qui confirment le sérieux du projet d’embauche puisque l’intéressée s’était vu communiquer un bulletin individuel d’affiliation au contrat santé entreprise, qu’elle utilisait une adresse courriel de la société depuis le mois de décembre’2017, que son nom était mentionné sur deux documents de présentation de la société pour le poste de directrice scientifique et technique et que M. [W] [G] envisageait, en janvier 2018, une commande de matériel informatique qui lui était destinée.

Surtout, il est acquis que les parties avaient préparé une mission confiée à Mme'[T]'[L], devant se dérouler au Japon entre le’25’février et le 5 mars 2018, pour laquelle l’intéressée avait personnellement contribué aux frais de déplacement, qui lui ont été remboursés par la société Hyseas Energy par remise d’un chèque de 647,96 euros devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes de Grenoble le’20’décembre’2018.

D’une seconde part, il est acquis que la société Hyseas Energy a transmis à Mme'[T]'[L], par courriel du 2 février 2018 à 12h25, un projet de contrat définissant précisément une embauche à compter du’2’février 2018 en qualité de directrice scientifique et technologique avec une période d’essai de quatre mois, moyennant une rémunération annuelle forfaitaire brute de 60’000 euros, les fonctions étant exercées en télétravail à domicile dans le cadre d’un forfait annuel de 218 jours.

D’une troisième part, la cour constate que Mme [T] [L] n’a pas accepté la promesse d’embauche ainsi transmise, étant relevé qu’elle ne développe pas de moyen pour prétendre qu’il y aurait d’ores et déjà un contrat de travail apparent.

Ainsi, par courriel du même jour à 13h35, Mme'[T]'[L] a sollicité un entretien avec M. [W] [G] au sujet de ce contrat pour «’quelques points à discuter’». Puis, à l’issue de l’entretien fixé à 16h00, elle a proposé des modifications au contrat formalisées sur un document informatique transmis par courriel expédié à 18h05.

Outre de simples corrections orthographiques, ces observations ne mettaient en cause ni le lieu, ni le temps de travail convenus. Ainsi, s’agissant du lieu de travail fixé à son domicile, elle proposait de «’ne pas exclure le co-working’» et de «’garder l’option de travail au CEA Grenoble dans le cadre d’un accord de collaboration pour le Dev Technologique’»’. S’agissant des modalités de télétravail, elle proposait de prévoir un «’début de plages horaires fixé à 9h00’» au lieu de 8h00, tout en ajoutant « on pourrait garder le droit de travailler le soir aussi’».

En revanche, au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, elle sollicitait une indemnité spéciale forfaitaire mensuelle d’un montant équivalent à la totalité du salaire mensuel au lieu de l’indemnité proposée à hauteur de 5/10ème de la rémunération mensuelle moyenne.

Aussi, elle a proposé plusieurs suppressions au sein de l’article 3 définissant les fonctions de directrice scientifique et technique, et notamment les mots «’sans que cette liste soit limitative’» en observant «’Texte à améliorer. Suggestions à rajouter – Management projet et programme scientifique et technologique’; – Stratégie technologique’».

Ces observations ne peuvent s’analyser en une acceptation de la promesse d’embauche dès lors qu’elles tendent à modifier de manière substantielle les missions relevant de la fonction de directrice et les conditions financières de la clause de non-concurrence.

Ces contre-propositions constituent donc un refus de la promesse unilatérale d’embauche par Mme'[T] [L]. Ce refus a donc fait obstacle à la formation du’contrat’de travail.

D’une troisième part, les échanges subséquents révèlent que les parties ont poursuivi les pourparlers en vue de réaliser l’embauche sans que la société Hyseas Energy n’accepte les contre-propositions.

Ainsi, par courriel du 5 février 2018, M. [W] [G] a fixé rendez-vous à Mme'[T]'[L] dès le lendemain’pour échanger sur ces modalités du contrat en précisant «’Le motif principal est le sujet du contrat qui est plus complexe que prévu [‘]’Le sujet de la non concurrence est aussi un point sur lequel nous devons échanger entre autres.’».

Finalement, M. [W] [G] a mis fin aux pourparlers par courriel du 6 février 2018, en précisant qu’il mettait fin au projet d’embauche du’2’février’2018 et qu’il décidait d’annuler les déplacements prévus ainsi que la commande d’ordinateur.

Cette rétractation par la société Hyseas Energy dans la semaine suivant l’envoi de promesse d’embauche, a donc empêché la formation du contrat de travail.

Faute de preuve de l’existence d’un contrat de travail liant les parties depuis septembre 2016 et février 2018, Mme [T] [L] doit être déboutée de ses prétentions formulées au titre de l’exécution et de la rupture d’un contrat de travail.

Par confirmation du jugement entrepris, elle est donc déboutée de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé et de ses demandes au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2 – Sur la demande indemnitaire à titre de préjudice financier lié à l’absence d’indemnisation chômage

Au visa des dispositions des articles 4 et 16 du code de procédure civile, la cour constate, d’une part, que la partie appelante, qui conclut que la société Hyseas Energy «’doit a minima voir sa responsabilité extracontractuelle être engagée tant la mauvaise foi est démontrée’», sollicite l’indemnisation d’un préjudice financier subi du fait de s’être retrouvée sans activité ni revenu et que, d’autre part, la société Hyseas Energy se fonde sur les dispositions de l’article 1112 du code civil précité pour soutenir qu’il ne peut lui être reproché d’avoir rompu les négociations contractuelles de sorte que cette prétention s’analyse en demande indemnitaire fondée sur une responsabilité extra-contractuelle au titre d’une rupture abusive des pourparlers.

En application de l’article 1112 du code civil, un abus dans la’rupture’est notamment caractérisé dès lors que son auteur a’rompu’brutalement et unilatéralement des négociations engagées et manqué aux règles de bonne foi dans les relations.

Il ressort des éléments précédemment décrits que les pourparlers étaient engagés entre les parties au moins depuis trois mois et que la société Hyseas Energy avait manifesté son intention d’engager Mme'[T] [L] de manière claire et sérieuse, matérialisée par l’envoi d’une promesse d’embauche le 2 février 2018,

Aussi, la société Hyseas Energy a entretenu Mme'[T] [L] dans la certitude d’un accord, la durée des discussions et leur intensité ayant atteint un degré suffisant pour faire croire à l’imminence d’un accord, M. [W] [G] écrivant encore, le’5’février’2018, «’Il est important de faire cette réunion toutes affaires cessantes car ta venue dans l’entreprise est stratégique et les retards dans l’arrivée de ton contrat doivent être comblés’».

L’intéressée avait donc légitimement acquis l’espoir objectif de voir poursuivre et aboutir ses négociations avec la société Hyseas Energy, nonobstant les points de désaccords et les contre-propositions formulées.

De surcroît, la société Hyseas Energy n’ignorait pas que Mme'[T] [L] avait mis fin à son précédent contrat de travail avec effet au’18 janvier 2018 dans le cadre d’une procédure de rupture conventionnelle conduite avec la même société prestataire en ressources humaines que celle chargée de l’élaboration du projet de contrat de travail litigieux, sollicitée sur recommandation de la société Hyseas Energy.

Pour autant, la société Hyseas Energy, qui se prévaut de la liberté de rompre les négociations, n’explicite nullement quels éléments objectifs l’ont conduit à mettre fin aux négociations en cours de manière subite dès le lendemain de leur dernier entretien en date du 6 février 2018.

En effet, il ressort du courriel transmis par M. [W] [G], le 7 février 2018, que sa décision semble ne résulter que de deux difficultés, à savoir d’une part, les «’factures de Ricardo’» au sujet desquelles il n’est apporté aucune explication objective et d’autre part, la «’proposition de contrat’» au sujet de laquelle le dirigeant se limite à des considérations subjectives «’je ressors clairement de notre conversation avec une première et forte récrimination de grave négligence sur mes épaules. Je pense que cela jette un discrédit très fort sur nos avancées », sans préciser quels points de désaccords ont pu faire échec aux négociations jusqu’à le conduire à renoncer à l’embauche.

La décision de M. [W] [G] est donc intervenue de manière unilatérale sans que la société Hyseas Energy n’ait permis à Mme'[T]'[L] de l’appréhender. La rupture des pourparlers a donc été subite, sans explication susceptible d’objectiver l’échec des négociations.

Dans ces conditions, la’rupture’brutale par la société intimée des négociations engagées avec Mme'[T] [L] caractérise un abus dans l’exercice du droit de se rétracter et de rompre les pourparlers.

Il convient de rappeler que la réparation du préjudice qui résulte de la rupture abusive des négociations ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages.

En l’espèce Mme'[T] [L] sollicite l’indemnisation de préjudice financier subi du fait du report du versement des indemnités chômage au 27 septembre 2018, lequel résulte de la rupture de son précédent contrat de travail ainsi que des choix opérés dans le cadre de la procédure rupture conventionnelle.

Mme'[T] [L] qui a ainsi participé à la réalisation de son propre préjudice, n’en est pas pour autant exclusivement responsable dès lors que les modalités de la rupture conventionnelle ont été négociées sur les conseils de la société prestataire en ressources humaines en charge de l’élaboration de son nouveau contrat de travail, et recommandée par la société Hyseas Energy.

Mme'[T] [L] démontre ainsi qu’elle s’est trouvée placée dans une situation de précarité économique tout en étant privée de toute activité, non seulement en raison de la perte de son projet d’emploi auprès de la société Hyseas Energy, préjudice non indemnisable, mais également en raison de la rupture de son précédent contrat négociée avec l’aide d’un prestataire en ressources humaines sur incitation de la société Hyseas Energy dans l’optique d’une embauche par cette dernière.

Par voie de conséquence elle démontre suffisamment avoir subi un préjudice financier imputable à la rupture fautive des pourparlers par la société Hyseas Energy.

Infirmant le jugement entrepris, la cour évalue la réparation due au titre du préjudice résultant de la rupture brutale des négociations à un montant de 6 000 euros nets.

3 ‘ Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire

Au visa des articles 1240 du code civil et 32-1 du code de procédure civile, quoique Mme'[T] [L] soit déboutée de ses prétentions à l’encontre de la société Hyseas Energy, cette dernière ne rapporte pas la preuve que l’action à son encontre a été engagée avec légèreté blâmable procédant d’une faute caractérisée commise par Mme'[T] [L] qui a pu, sans abus, agir notamment à son encontre pour discuter des conditions dans lesquelles elle a collaboré à la réalisation d’un projet commun et négocié son embauche.

Confirmant le jugement déféré, la société Hyseas Energy est donc déboutée de ce chef de demande.

4 ‘ Sur les prétentions accessoires

Au visa des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la société Hyseas Energy doit être tenue de supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.

Par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile elle est condamnée à verser à Mme [T] [L] une indemnité de 2’000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l’appel et après en avoir délibéré conformément à la loi’;

CONFIRME le jugement entrepris SAUF en ce qu’il a’:

– débouté Mme [T] [L] de sa demande en dommages et intérêts,

– débouté Mme [T] [L] de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

Statuant des chefs du jugement infirmé et y ajoutant,

CONDAMNE la société Hyseas Energy à payer à Mme [T] [L] la somme de 6’000 euros (six mille euros) à titre de dommages et intérêts ;

CONDAMNE la société Hyseas Energy à payer à Mme [T] [L] une indemnité de  2’000 euros (deux mille euros) au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’;

CONDAMNE la société Hyseas Energy aux entiers dépens.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président

 


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