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8 juin 2023
Cour d’appel de Pau
RG n°
21/03696
AC/SB
Numéro 23/2001
COUR D’APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 08/06/2023
Dossier : N° RG 21/03696 – N° Portalis DBVV-V-B7F-IBEJ
Nature affaire :
Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail
Affaire :
[F] [N]
C/
S.A. BMSO
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 08 Juin 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 05 Avril 2023, devant :
Madame CAUTRES-LACHAUD, Président
Madame PACTEAU, Conseiller
Madame ESARTE, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
assistées de Madame LAUBIE, Greffière.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANT :
Monsieur [F] [N]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représenté par Maître ZOUGHEBI, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
S.A. BMSO
[Adresse 8]
[Localité 1]
Représentée par Maître GOTTE de la SELARL MAGELLAN AVOCATS, avocat au barreau de MONT-DE-MARSAN
sur appel de la décision
en date du 14 OCTOBRE 2021
rendue par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION DE DEPARTAGE DE BAYONNE
RG numéro : F19/00188
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [F] [N] (le salarié) a été embauché par la société PBA à compter du 5 juillet 2005, dans le cadre d’un contrat de travail non formalisé par écrit, régi par la convention collective des industries de carrières et matériaux.
Au dernier état de sa relation contractuelle, et en lecture des bulletins de salaire produits, M. [F] [N] occupait l’emploi de responsable planning livraison BPE, niveau 4, échelon 2, statut ouvrier.
Le 1er avril 2016, son contrat de travail a été transféré à la société par actions simplifiée (SAS) BMSO (l’employeur), laquelle a pris en location gérance la société PBA.
L’employeur relevait à cette occasion que cette opération n’aurait pas d’incidence sur la qualification du salarié, son niveau de classement, son salaire, son ancienneté et les droits s’y rattachant. De même, le régime et l’organisation demeuraient inchangés.
Par courrier du 5 mars 2019, l’employeur a informé M. [N] du transfert des bureaux du BPE Sud à [Localité 4], ZA de Planuya. Le courrier relève que le transfert aura lieu après l’achèvement de travaux, vraisemblablement entre les mois d’avril ou mai suivant et qu’il est justifié afin de regrouper et optimiser l’organisation de la société.
Ce courrier relève également que ce transfert du lieu de travail n’engendrait pas de modification du contrat de travail.
M. [F] [N] s’est rapproché de son employeur pour lui faire part des difficultés résultant de l’éloignement lié à ce transfert.
Par courrier du 3 mai 2019, l’employeur informait le salarié du déménagement effectif des bureaux sur le nouveau site à compter du 27 mai 2019 et qu’il bénéficierait d’une prime mensuelle de trajet de 150 euros brut par mois.
Par courrier du 16 mai 2019, la société BMSO a convoqué le salarié à un entretien, fixé le 23 mai 2016, en vue d’échanger sur une rupture conventionnelle, dont le courrier relève qu’elle a été demandée par le salarié.
Par mail du 24 mai 2019, l’employeur renonçait à la possibilité d’une rupture conventionnelle et confirmait au salarié le transfert de son lieu de travail à compter du mercredi 29 mai 2019.
M. [F] [N] a été placé en arrêt de travail à compter du lundi 27 mai 2019, prolongé jusqu’au 12 juillet 2019.
Par courrier du 20 juin 2019, M. [F] [N] a été convoqué à un entretien fixé le 1er juillet 2019 en vue de son éventuel licenciement.
Par courrier du 5 juillet 2019, la société BMSO lui a notifié son licenciement.
Le 30 août 2019, M. [F] [N] a notamment saisi la juridiction prud’homale aux fins de contester son licenciement.
Par jugement du 14 octobre 2021, le conseil de prud’hommes de Bayonne a’:
-dit que le licenciement de M. [F] [N] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
-débouté M. [F] [N] de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-débouté M. [F] [N] de sa demande d’indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail,
-condamné la société BMSO à payer à M. [F] [N] la somme de 4 659,78 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et celle de 465,97 euros au titre des congés payés y afférents, avec intérêts au taux légal,
-condamné la société BMSO à délivrer à M. [F] [N]’:
-un bulletin de salaire pour les sommes ci-dessus allouées,
-un certificat de travail,
-une attestation destinée à Pôle emploi,
-le tout sous astreinte provisoire de 30 euros par document et par jour de retard passé le délai de 20 jours à compter de la notification de la présente décision,
-rejeté la demande reconventionnelle,
-ordonné l’exécution provisoire,
-dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile,
-dit que chaque partie supporte la charge de ses propres dépens.
Le 18 novembre 2021, M. [F] [N] a interjeté appel partiel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.
Dans ses conclusions en réponse n°2 adressées au greffe par voie électronique le 2 mars 2023, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, M. [F] [N], demande à la cour de’:
-infirmer le jugement rendu le 14 octobre 2021 par le conseil de prud’hommes de Bayonne en ce qu’il a :
-dit que le licenciement de M. [F] [N] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
-débouté M. [F] [N] de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-débouté M. [F] [N] de sa demande d’indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail,
Statuant à nouveau
– dire que le licenciement de M. [N] est nul car fondé sur une cause discriminatoire et en tout état de cause dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
– condamner la société BMSO à verser à M. [N] la somme de 4.659,78 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 465,97 euros au titre des congés payés y afférents,
> A titre principal :
– dire et juger que doit être écarté le montant maximal d’indemnisation prévu par l’article L.1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l’OIT et le droit au procès équitable,
– condamner la société BMSO à verser à M. [N] la somme de 41.938,68 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
> A titre subsidiaire, si le barème n’était pas écarté :
– condamner la société BMSO à lui verser la somme de 27.958,68 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
> En tout état de cause :
– condamner la société BMSO à verser à M. [N] la somme de 10.000 euros au titre de la mauvaise exécution du contrat de travail par l’employeur,
– ordonner la remise de bulletins de paie conformes d’un certificat de travail conforme, et d’une attestation Pôle emploi conforme, sous astreinte de 50 euros par jour de retard par document à compter du prononcé de la décision à intervenir,
– intérêt au taux légal à compter de la saisine,
– capitalisation des intérêts,
– condamner la société BMSO à verser à M. [N] la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens en ce compris les éventuels frais d’exécution forcée notamment ceux découlant des dispositions de l’article 444-31 du code commerce.
Dans ses conclusions adressées au greffe par voie électronique le 31 mars 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, la société BMSO, formant appel incident, demande à la cour de’:
> A titre principal
– confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a :
– dit et jugé que le licenciement de M. [N] repose sur une cause réelle et sérieuse,
– débouté M. [N] de l’intégralité de ses demandes indemnitaires,
– infirmer le jugement de première instance en ce qu’il a :
– condamné la société BMSO à verser à M. [N] la somme de 4.659,78 euros à titre d’indemnité de préavis outre 465,67 euros au titre des congés payés afférents,
– débouté la société BMSO de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
– débouté la société BMSO de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau
– débouter M. [N] de sa demande au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents,
– condamner M. [N] au paiement de la somme de 5.000 euros pour exécution déloyale du contrat de travail,
– condamner M. [N] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner le même aux entiers dépens,
A titre subsidiaire
– réduire à plus justes mesures les demandes financières de M. [N].
L’ordonnance de clôture est intervenue le 6 mars 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le licenciement
Le 5 juillet 2019, le salarié a été licencié en ses termes :
« (‘) Cet entretien préalable a été rendu nécessaire en raison de différents échanges que nous avons eus concernant le déménagement de nos bureaux, où vous exercez le métier de responsable planning livraison, de [Localité 7] à [Localité 4]. Ces échanges nous ont conduits dans une impasse. En effet, lors des réunions des délégués du personnel d’octobre et novembre 2018, la Direction a procédé à une information collective sur le projet de déménagement de nos bureaux. Suite à cette annonce, vous avez eu l’opportunité d’échanger avec votre responsable, M. [B] [U], sur ce projet. A ce stade, et d’après votre dernier entretien annuel en date, votre niveau de mobilité était le département 64 et limitrophe.
Un courrier individuel d’information vous a été envoyé le 5 mars dernier, pour officialiser ce projet et y apporter des précisions quant à la décision de l’entreprise de regrouper et d’optimiser l’organisation du périmètre béton de PBA.
Le 3 mai, un courrier précisant la date effective du déménagement au 27 mai vous a été adressé. Dans ce courrier, nous avons proposé une prime mensuelle de trajet de 150 euros brut par mois. Suite à ce courrier, vous avez eu l’opportunité d’échanger de nouveau avec votre responsable et la responsable des ressources humaines sur votre situation : à savoir l’éloignement de votre lieu de travail par rapport à votre domicile.
Le 10 mai, vous écrivez par mail à M. [A] [P], Directeur des ressources humaines, pour lui faire part de votre situation personnelle. Nous sommes par ailleurs informés par M. [S], délégué syndical, de votre demande de rupture conventionnelle. Nous y répondons le 15 mai.
Compte tenu de ce qui précède, nous vous proposons un entretien de rupture conventionnelle fixé au 23 mai car nous tenons compte des difficultés que vous avancez pour rejoindre votre nouveau lieu de travail. Nous sommes par contre très surpris du montant de l’indemnité de rupture conventionnelle réclamée (35Keuros, soit plus de 17 mois de salaires) alors même que le motif de notre déménagement est légitime, n’entraîne pas de modification des termes de votre contrat de travail et que vous aviez vous-même confirmé dans votre entretien annuel que vous étiez mobile sur le département.
Faute de trouver un accord, le 24 mai, nous vous formalisons le refus d’une rupture amiable dans ces conditions et nous vous confirmons vous attendre à votre poste de travail dès le 29 mai.
Le 27 mai, vous adressez un mail à votre responsable pour le prévenir que vous êtes en arrêt de travail. A ce jour, vous n’avez pas repris votre poste.
Nous sommes conscients qu’un éloignement de votre domicile a un impact sur votre
confort de vie et organisation personnelle. Nous avons informé les collaborateurs concernés par le déménagement des mois à l’avance ; à vous seul, nous avons proposé une prime exceptionnelle de trajet, et enfin, avons même procédé à votre demande d’entretien de rupture conventionnelle.
Nous considérons nous être montrés prévenants, patients et compréhensifs à votre égard. Quant à vous, vos exigences successives, votre refus de rejoindre votre nouveau lieu de travail et, enfin, votre absence inopinée de dernière minute qui génère une désorganisation certaine, ne sont pas acceptables.
La succession de ces événements et la teneur de nos échanges nous amènent à mettre fin à notre collaboration. Vous refusez de travailler dans les nouveaux bureaux à [Localité 4]. Votre absence a créé une désorganisation manifeste compte tenu du rôle central que vous occupez. Nous y pallions comme nous le pouvons depuis 1 mois avec des solutions de secours non pérennes (exemple renfort de l’ATC qui vient au planning suppléer votre absence).
Compte tenu de tout ce qui précède, nous vous notifions votre licenciement pour motif disciplinaire tenant à votre refus de rejoindre votre lieu de travail ainsi que la nécessité impérieuse et urgente de pallier à votre absence.
Les motifs invoqués empêchent la réalisation du préavis puisque vous refusez de rejoindre votre nouveau lieu de travail, point encore confirmé lors de l’entretien préalable. Le licenciement prend donc effet immédiatement, sans indemnité de préavis. Votre indemnité de licenciement sera versée avec le solde de tout compte qui sera arrêté à la date d’envoi de la présente lettre et adressé à votre domicile. Vous devrez restituer l’ensemble des outils et équipements de travail en votre possession ainsi que les diverses cartes liées à votre statut de collaborateurs du groupe (…)».
Le salarié sollicite la nullité de son licenciement au motif qu’il serait fondé sur son état de santé.
En application des articles L.1132-1 et L.1132-4 du code du travail, le licenciement motivé par l’état de santé du salarié est nul en raison de son caractère discriminatoire.
L’article L.1134-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Pour étayer sa demande, le salarié produit les éléments suivants :
Un courrier du 3 mai 2019, dans lequel l’employeur informe le salarié du transfert des bureaux à compter du 27 mai 2019 et qu’il bénéficierait d’une prime mensuelle de trajet de 150 euros par mois.
Un courriel du 10 mai 2019 du salarié demandant à la direction des ressources humaines un entretien afin de lui exposer ses difficultés engendrées par le déménagement.
Un courriel du 16 mai 2019, par lequel l’employeur a convoqué le salarié à un entretien, fixé le 23 mai 2016, en vue d’échanger sur une rupture conventionnelle.
Un courriel du 24 mai 2019, par lequel l’employeur a indiqué au salarié qu’il renonçait à la possibilité d’une rupture conventionnelle et lui confirmait le transfert de son lieu de travail à compter du mercredi 29 mai 2019.
Un arrêt de travail initial du 27 mai 2019 au 12 juin 2019 et deux certificats de prolongation (du 13 juin au 1er juillet 2019 et du 1er au 12 juillet 2019) établis par le docteur [X] pour état anxiodépressif réactionnel.
Un courrier du 20 juin 2019, par lequel l’employeur l’a convoqué à un entretien préalable à son licenciement.
La lettre de notification du licenciement du 5 juillet 2019, contenant notamment les termes suivants : « (‘) Quant à vous, vos exigences successives, votre refus de rejoindre votre nouveau lieu de travail et, enfin, votre absence inopinée de dernière minute qui génère une désorganisation certaine, ne sont pas acceptables.(…) Vous refusez de travailler dans les nouveaux bureaux à [Localité 4]. Votre absence a créé une désorganisation manifeste compte tenu du rôle central que vous occupez. Nous y pallions comme nous le pouvons depuis 1 mois avec des solutions de secours non pérennes (exemple renfort de l’ATC qui vient au planning suppléer votre absence). Compte tenu de tout ce qui précède, nous vous notifions votre licenciement pour motif disciplinaires tenant à votre refus de rejoindre votre lieu de travail ainsi que la nécessité impérieuse et urgente de pallier à votre absence. Les motifs invoqués empêchent la réalisation du préavis puisque vous refusez de rejoindre votre lieu de travail (…)».
Au regard des éléments produits et de la chronologie rapprochée des faits ayant conduit au licenciement du salarié, lequel a été prononcé durant son arrêt maladie, la cour a la conviction que les éléments présentés par le salarié laissent supposer l’existence d’une discrimination en raison de son état de santé.
Dès lors, il appartient à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
L’employeur invoque dans la lettre de licenciement deux motifs : le refus du salarié de rejoindre son nouveau lieu de travail et la désorganisation de l’entreprise causée par son absence.
> Sur le refus du salarié de rejoindre son nouveau lieu de travail
Il convient d’opérer une distinction entre la modification du contrat de travail subordonnée à l’accord du salarié, et le simple changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l’employeur.
En l’absence de clause contractuelle ou de convention collective relative au lieu de travail, la notion de secteur géographique caractérise la modification du contrat de travail ou le changement des conditions de travail.
Si le changement du lieu de travail s’opère dans le même secteur géographique que le lieu de travail précédent, ce changement caractérise un changement des conditions de travail ne nécessitant pas l’accord du salarié et dont le refus est susceptible de caractériser une faute grave. A l’inverse, si le changement s’opère en dehors de ce secteur, il s’agit d’une modification du contrat subordonnée à l’accord du salarié.
Selon l’employeur, le déménagement de l’entreprise de [Localité 7] à Arcangue constitue un changement des conditions de travail, au motif que ces deux sites, distants d’une quarantaine de kilomètres, se trouvent dans le même secteur d’emploi et géographique.
Pour en justifier, il produit les éléments suivants :
Un document officiel relatif à la zone d’emploi de [Localité 5]
Un itinéraire routier indiquant le nombre de kilomètres entre [Localité 7] et [Localité 4].
L’employeur soutient que M. [N] a refusé de prendre son poste sur le nouveau site d'[Localité 4], ce qui caractérise un refus d’un changement de ses conditions de travail.
Pour étayer ses dires, il produit l’attestation de Mme [J], ancienne collègue de travail du salarié, indiquant que M. [N] lui avait signifié à plusieurs reprises son refus de collaboration sous prétexte qu’il allait quitter l’entreprise, et ce plusieurs semaines avant son arrêt maladie.
Toutefois, le refus de collaboration du salarié invoqué dans l’attestation ne saurait valablement traduire un refus de rejoindre son nouveau lieu de travail. En outre, la lettre de licenciement ne mentionne en aucun cas un “refus de collaboration”.
Par ailleurs, si l’employeur soutient que le salarié a refusé de rejoindre son nouveau lieu de travail, les pièces produites démontrent qu’il n’a pas été en mesure de prendre son poste, étant en arrêt de travail, et qu’il n’a jamais officiellement refusé de le prendre.
Ainsi, l’employeur ne peut valablement se prévaloir d’un refus du salarié de rejoindre son nouveau lieu de travail.
> Sur la désorganisation de l’entreprise
Si l’article L.1132-1 du code du travail interdit de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé, ce texte ne s’oppose pas au licenciement motivé non par l’état de santé, mais par la situation objective de l’entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l’absence prolongée ou les absences répétées de l’intéressé, entraînant la nécessité pour l’employeur de procéder à son remplacement total et définitif par l’engagement d’un autre salarié.
En l’espèce, l’employeur soutient que l’absence du salarié a engendré de graves difficultés d’organisation dans l’entreprise, au motif que M. [N] occupait le poste central de responsable planning livraison BPE (niveau 4, échelon 2 – statut ouvrier). Durant son absence, il a été remplacé temporairement par son responsable et le commercial, M. [L] (attaché technico-commercial), avant d’être remplacé définitivement à partir du 14 octobre 2019 par M. [G]. Il ajoute que le remplacement par M. [L] a impacté le chiffre d’affaire de ce dernier, et par conséquent l’entreprise.
A l’appui, il produit les éléments suivants :
Les plannings des repos des centraliers BPE des mois de mai à décembre 2019, qui démontrent que M. [L] a travaillé à la gestion des plannings 5,5 jours en mai, 6 jours en juin, 8 jours en juillet, 3 jours en août, 8,5 jours en septembre, 6,5 jours en octobre. Néanmoins, le planning de mai 2019 montre aussi que M. [L] gérait les plannings avant même l’absence de M. [N] (soit les 3, 6, 10, 13, 15, 17, 20 et 24 mai 2019) ainsi qu’après l’arrivée de M. [G], embauché en remplacement de M. [N] le 14 octobre 2019 (soit les 14, 18, 25 et 28 octobre 2019). Faute d’élément produit par l’employeur sur les contours de la fiche de poste de M. [L], il n’est pas possible de cerner si l’élaboration des plannings n’entrait pas dans ses attributions. Enfin, concernant le remplacement du salarié par son responsable, l’employeur n’apporte aucun élément permettant d’identifier ce dernier ainsi que la réalité du remplacement réalisé.
Des copies d’écran du relevé d’activité 2019 de M. [L], qui démontrent que son chiffre d’affaire pour la période de juillet à décembre 2019 a diminué par rapport à celui de l’année 2018. En revanche, il n’a pas diminué en juin 2019, alors même que M. [L] remplaçait partiellement M. [N] à cette période. A l’inverse, il n’a pas augmenté d’octobre à décembre 2019, alors que M. [Y] a été embauché à compter du 14 octobre 2019 en remplacement définitif de M. [N]. Il ressort de ces constatations que l’employeur ne rapporte pas la preuve d’un lien de causalité directe et certain entre la diminution du chiffre d’affaire de M. [L] et l’absence de M. [N].
Une copie d’écran “non figée” et non datée d’un logiciel de l’employeur reprenant les informations relatives à l’embauche de M. [G], accompagnée du planning des repos des centraliers BPE d’octobre 2019 faisant apparaître l’entrée dans l’entreprise de M. [G] à compter du 14 octobre 2014. La cour constate que le remplacement définitif du salarié est intervenu plus de trois mois après le licenciement de M. [N]. Ce délai apparaît comme étant déraisonnable au regard de la désorganisation prétenduement invoquée par l’entreprise ainsi que du faible niveau de qualification du poste de responsable de planning qu’occupait le salarié.
Ainsi, l’employeur ne démontre pas que l’absence du salarié, durant un mois et une semaine, a perturbé le fonctionnement de l’entreprise, entraînant la nécessité de le remplacer définitivement.
Il résulte de ce qui précède que l’employeur a agi dans la précipitation, sans s’assurer de la réalité du refus du salarié de rejoindre le site d'[Localité 4] et sans démontrer la réalité manifeste d’une désorganisation du fait de son absence.
C’est la raison pour laquelle seul l’état de santé du salarié a justifié son licenciement, lequel se trouve nul.
Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
Sur les conséquences indemnitaires du licenciement
> Sur l’indemnité pour nullité de licenciement
Le salarié sollicite l’octroi de dommages et intérêts sur le fondement de l’article L.1235-3 du code du travail alors même qu’il a demandé que son licenciement soit jugé nul. C’est donc l’article L.1235-3-1 du même code qui doit trouver application dans la présente espèce.
Dès lors, il n’y aura donc pas lieu de répondre au moyen relatif au montant maximal d’indemnisation prévu par l’article L.1235-3 du même code.
L’article L.1235-3-1 du code du travail prévoit que lorsqu’un licenciement est nul pour une cause discriminatoire et que le salarié ne demande pas sa réintégration dans l’entreprise ou que celle-ci est impossible, le juge lui octroie une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
En l’espèce, le licenciement de M. [N] est nul car fondée sur une cause discriminatoire liée à son état de santé. Au regard de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise au jour de son licenciement (14 ans), des conditions de la rupture et des difficultés rencontrées pour trouver un nouvel emploi, il sera alloué à M. [N] la somme de 26 507,40 € au titre de l’indemnité pour nullité du licenciement.
Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
> Sur l’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés y afférent
En application des articles L.1234-5 et L.1234-1 du code du travail, le salarié ayant au moins deux ans d’ancienneté dont le contrat de travail est rompu a droit à une indemnité compensatrice de préavis équivalent à deux mois de salaire.
L’article 3 paragraphe 3 de la convention collective nationale des ouvriers des industries de carrières et de matériaux du 22 avril 1955 (IDCC 87) prévoit qu’après six mois de présence, le délai de préavis est de un mois.
Selon l’article L.3141-24 du code du travail, le congé annuel prévu à l’article L.3141-3 ouvre droit à une indemnité égale au dixième de la rémunération brute totale perçue par le salarié au cours de la période de référence.
En l’espèce, les dispositions légales étant plus favorables que les dispositions conventionnelles, il convient d’en faire application. Il sera donc alloué au salarié la somme de 4 417,91 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis (2 208,95 x 2), outre 441,79 euros de congés payés y afférent.
Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
Sur l’exécution déloyale du contrat de travail
L’article L.1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail s’exécute de bonne foi.
En l’espèce, l’employeur et le salarié sollicitent chacun une indemnité au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail.
> La demande de l’employeur
L’employeur estime que le salarié a manqué à son obligation de loyauté en ne prenant pas en compte la désorganisation de l’entreprise causée par son absence.
Toutefois, il résulte des constatations précédemment énoncées que l’employeur ne rapporte pas la preuve de ce que l’absence du salarié a désorganisé l’entreprise.
La preuve de son préjudice n’est donc pas rapportée.
La demande de l’employeur sera rejetée, le jugement déféré confirmé sur ce point.
> La demande du salarié
Le salarié estime que l’employeur n’a pas tenu compte de l’impact du transfert de l’entreprise du site de [Localité 7] à [Localité 4] sur sa vie personnelle et familiale. Il soutient que ce déménagement aurait augmenté la distance et le temps de trajet entre son domicile et le nouveau site (augmentation de 365 kilomètres et de 5h30 par semaine, soit 1 450 kilomètres et 22 heures par mois), engendré des frais supplémentaires (frais d’essence, de péage et de garde d’enfant) et désorganisé sa vie familiale (père de deux enfants de deux et six ans et achat récent d’une maison).
Il a demandé à plusieurs reprises à s’entretenir avec la direction pour lui exposer ses difficultés. Il produit les éléments suivants :
l’attestation de Mme [Z] [C], dont la qualité n’est pas précisée : “J’ai discuté avec [F] [N] en début d’année 2019 (au mois de janvier) (…) j’ai alors conseillé à [F] [N] de prendre contact avec sa hiérarchie pour discuter de sa situation et trouver une solution (…) Entre janvier et avril 2019, [F] [N] m’a régulièrement informé du fait que son responsable lui avait indiqué à plusieurs reprises qu’il serait reçu par la direction, sans que cela ne soit le cas (…) Sans avoir eu un rendez-vous ou même un échange rapide, [F] [N] a reçu une lettre lui précisant qu’une indemnité lui était accordée à titre de compensation (…) [F] [N] a déploré auprès de moi le fait de ne pas avoir pu échanger et exposer sa situation, contrairement à ce qui lui était indiqué depuis de longs mois (…) Il souhaitait effectivement discuter en vue d’exposer sa situation pour éventuellement pouvoir trouver une solution satisfaisante pour chacun (comme par exemple faire du télétravail un jour par semaine (…)). (…) Lors d’une visite d’une personne de la Direction des Ressources Humaines, sur son lieu de travail, [F] [N] avait profité pour demander à discuter et il était très confiant face à la réponse positive de la personne des Ressources Humaines en vue de l’ouverture d’un dialogue tant attendu puisque ladite personne l’avait rassuré sur cette prochaine étape. Face au calendrier et à l’absence de contact, [F] [N] a alors pris l’initiative de contacter par écrit la Direction des Ressources Humaines pour entamer le dialogue.”
le courriel de M. [N] adressé à la direction le 10 mai 2019 : “A l’occasion d’une entrevue impromptue avec [W] [R] et [B] [U] hier, j’ai réitéré mon souhait de vous rencontrer pour vous exposer les difficultés qu’engendre pour moi le déménagement imminent du site de [Localité 7] au site d'[Localité 4]. Depuis que j’ai eu connaissance du projet de déménagement, j’ai exprimé à plusieurs reprises et auprès de différents interlocuteurs, dont notamment mon supérieur hiérarchique, le souhait de rencontrer le Service des Ressources Humaines (…) Je maintiens ma demande d’être entendu sur les réelles difficultés causées par le déménagement, et ce afin de trouver ensemble une solution qui ne lèse aucun des parties. Je me tiens donc à votre disposition pour vous rencontrer à votre meilleure convenance, et peux bien évidemment me déplacer pour vous rencontrer sur le site d'[Localité 4] (…).”
La cour constate par ailleurs que le seul entretien proposé au salarié par la direction a été celui relatif à la rupture conventionnelle, par courriel du 15 mai 2019. L’objet de celui-ci, lequel n’avait pas pour but premier d’échanger sur les difficultés du salarié ou de trouver une solution pour les deux parties.
Il ressort de ces éléments qu’en ne recevant pas le salarié afin de lui permettre d’échanger sur les difficultés causées par le transfert de l’entreprise sur sa vie personnelle et familiale, et ce malgré ses multiples demandes, alors que le salarié avait une ancienneté de 14 ans dans l’entreprise, qu’il était bien considéré par sa hiérarchie et qu’il avait une relation de travail satisfaisante avec son responsable, l’employeur a manqué à son obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail.
Le salarié soutient que ce comportement de l’employeur l’a particulièrement choqué et a eu pour conséquence son placement en arrêt de travail.
Il produit les éléments suivants :
l’attestation de Mme [Z] [C] qui révèle que M. [N] se trouvait dans un sentiment d’impuissance et de grande inquiétude face à l’absence de dialogue avec la direction, et ce alors que son responsable lui avait indiqué à plusieurs reprises qu’il serait reçu. Suite à la réception du courriel de la direction relatif à l’entretien en vu d’une rupture conventionnelle, l’attestation indique que : “M. [N] a eu à ce moment-là le sentiment que l’entreprise voulait se séparer de lui (…) M. [N] m’a expliqué que le délégué du personnel local l’avait mis en contact avec un délégué du personnel de [Localité 6] et m’a fait part de son très grand choc quand selon lui le délégué du personnel avait exagré et déformé ses propos puisque la direction des ressources humaines lui avait indiqué suite à cet échange être prête à discuter d’une rupture de son contrat de travail. En l’absence d’échange avec la direction des ressources humaines, M. [N] m’a relaté avoir l’impression que dès le premier jour, son employeur voulait supprimer son poste et que la stratégie mise en place poursuivait son objectif. Je témoigne de l’anxiété palpable et du très grand stress de M. [N] qui comprenait qu’il allait perdre son travail, alors qu’il avait récemment acheté une maison et qu’il avait deux enfants en bas âge.”
un arrêt de travail initial du 27 mai 2019 au 12 juin 2019 et deux certificats de prolongation (du 13 juin au 1er juillet 2019 et du 1er au 12 juillet 2019) établis par le docteur [X] pour état anxiodépressif réactionnel.
Il ressort de ces éléments que le comportement de l’employeur, qui a manqué à son obligation de loyauté en ne s’entretenant pas avec le salarié malgré ses multiples demandes, a causé à M. [N] un choc psychologique à l’origine d’un état anxiodépressif réactionnel. Il en résulte que le salarié démontre l’existence d’un préjudice moral, distinct de celui résultant de son licenciement, imputable au manquement de l’employeur à son obligation de bonne foi.
Une indemnité d’un montant de 5 000 euros sera allouée au salarié.
Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur la remise des documents de fin de contrat
Le salarié sollicite la remise de son bulletin et d’une attestation Pôle Emploi conformes, sous astreinte de 50 euros par jour de retard par document à compter du prononcé de la décision à intervenir, assortie de la capitalisation des intérêts sur le fondement de l’article 1154 du code civil.
Conformément aux articles L.911-8 du code de la sécurité sociale, L.1234-19, L.1234-20 et L.3243-1 du code du travail, l’employeur sera condamné à délivrer au salarié les documents demandés conformes à la présente décision, sans qu’il y ait lieu de prononcer une astreinte.
Le jugement déféré sera infirmé.
Sur les intérêts
Attendu que les sommes dues au titre des créances salariales et l’indemnité conventionnelle de licenciement portent intérêts au taux légal à compter de la notification de la saisine du conseil des prud’hommes à l’employeur, les sommes dues au titre des dommages et intérêts portent intérêts au taux légal à compter de la décision qui les fixe, et ce avec capitalisation conformément à l’article 1343-2 du code civil’
Sur les autres demandes
L’employeur succombe de sorte que le jugement sera infirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.
L’employeur sera donc condamné au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement du conseil des prud’hommes de Bayonne du 14 octobre 2021, sauf en ce qui concerne la demande de dommages et intérêts de l’employeur
Statuant de nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,
Dit que le licenciement de M. [F] [N] est nul,
Dit que la SAS BSMO a exécuté de manière déloyale le contrat de travail,
Condamne la SAS BMSO à payer à M. [F] [N] les sommes suivantes’:
26 507,40 euros au titre de l’indemnité pour nullité du licenciement,
4 417,91 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 441,79 euros de congés payés y afférent,
5 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
Ordonne à l’employeur de remettre au salarié un bulletin de salaire, un certficat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes à la présente décision sans qu’il y ait lieu de prononcer une astreinte,
Dit que les sommes dues au titre des créances salariales et l’indemnité conventionnelle de licenciement portent intérêts au taux légal à compter de la notification de la saisine du conseil des prud’hommes à l’employeur, les sommes dues au titre des dommages et intérêts portent intérêts au taux légal à compter de la décision qui les fixe, et ce avec capitalisation conformément à l’article 1343-2 du code civil’
Condamne la SAS BMSO aux entiers dépens et à payer à M. [F] [N] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame CAUTRES-LACHAUD, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,