Your cart is currently empty!
8 juin 2023
Cour d’appel de Lyon
RG n°
21/02556
AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 21/02556 – N° Portalis DBVX-V-B7F-NQJ4
Société CAISSE REGIONALE DE CREDITAGRICOLE MUTUEL LOIRE HAUTE LOIRE
C/
[F]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de SAINT ETIENNE
du 16 Mars 2021
RG : 19/00226
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 08 JUIN 2023
APPELANTE :
Société CAISSE REGIONALE DE CREDITAGRICOLE MUTUEL LOIRE HAUTE LOIRE
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat postulant du barreau de LYON et par Me Cécile CURT de la SCP FROMONT BRIENS, avocat plaidant du barreau de LYON substituée par Me Anne-sophie MEYZONNADE, avocat au barreau de LYON,
INTIMÉE :
[K] [F] épouse [X]
née le 03 Janvier 1973 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Anne-sophie XICLUNA, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 02 Mars 2023
Présidée par Vincent CASTELLI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Fernand CHAPPRON, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Nathalie PALLE, président
– Thierry GAUTHIER, conseiller
– Vincent CASTELLI, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 08 Juin 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nathalie PALLE, Président et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [K] [F] épouse [X] (la salariée) a été embauchée le 9 octobre 2006 par la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE LOIRE- HAUTE LOIRE (l’employeur) en qualité de conseillère emploi et compétences. La convention collective nationale du Crédit agricole est applicable.
A compter du 1er janvier 2017, la salariée a obtenu la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, en raison d’une pathologie antérieure au contrat de travail, résultant d’un accident survenu pendant son enfance.
Mme [X] a été placée en arrêt de travail de façon ininterrompue à partir du 14 avril 2014.
Le 25 juin 2018, le médecin du travail émettait à son égard un avis d’inaptitude en indiquant: ” Inapte au poste précédemment occupé. Cf. proposition de reclassement. -> Télétravail à temps partiel “.
Après convocation du 18 juillet 2018 à un entretien préalable et après consultation des délégués du personnel, la salariée se voyait notifier son licenciement le 8 août 2018, pour impossibilité de reclassement ensuite de son inaptitude non professionnelle.
Le 17 juin 2019, la salariée saisissait le conseil de prud’hommes de Saint-Etienne afin de contester son licenciement. Elle demandait notamment au conseil de condamner l’employeur à lui verser des indemnités :
– pour manquement à son obligation de sécurité,
– pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 16 mars 2021, le conseil de prud’hommes a notamment :
– débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité par son employeur,
– requalifié le licenciement de la salariée, en licenciement sans cause réelle et sérieuse pour non-respect de l’obligation de reclassement par l’employeur,
– condamné l’employeur à verser à la salariée :
o 8 934,39 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
o 893,43 euros au titre des congés payés afférents,
o 31 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts légaux à compter du jugement,
– condamné l’employeur à verser à la salariée la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’employeur a relevé appel de ce jugement le 9 avril 2021.
Dans ses conclusions en date du 30 décembre 2021, l’employeur demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité et d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions, et par conséquent de :
– dire et juger bien fondé le licenciement de la salariée pour impossibilité de reclassement suite à l’inaptitude médicalement constatée ;
– constater que l’employeur n’a commis aucun manquement à son obligation de santé et de sécurité ;
– constater que l’inaptitude non professionnelle médicalement constatée de la salariée n’est pas du fait de l’employeur ;
– débouter la salariée de l’intégralité de ses demandes ;
– condamner la salariée à verser à l’employeur la somme de 3 000 en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
L’employeur soutient notamment que :
– le licenciement de la salariée pour impossibilité de reclassement suite à son inaptitude d’origine non professionnelle, médicalement constatée, est fondée dès lors qu’il a mené des recherches sérieuses de reclassement, notamment en sollicitant des informations complémentaires du médecin du travail, en interrogeant l’ensemble des caisses régionales et entités du groupe et qu’il n’avait pas d’obligation de créer un poste inexistant en son sein, étant tenu d’une obligation de moyen renforcée et non de résultat.
– le lien entre l’inaptitude non professionnelle de la salariée et l’employeur n’est pas établi, dès lors qu’il a respecté ses obligations en matière de santé et de sécurité, qu’il a adapté le poste de la salariée conformément aux préconisations du médecin du travail et que la salariée fait preuve de mauvaise foi en s’appuyant sur son dossier médical alors que l’employeur ne pouvait en avoir connaissance compte tenu du secret médical.
Dans ses conclusions reçues au greffe le 10 février 2023, la salariée demande à la cour de:
– confirmer le jugement entrepris, en ce qu’il a :
” jugé le licenciement de la salariée privé de cause réelle et sérieuse,
” condamné l’employeur à lui verser la somme de 8 934,39 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 893,43 € au titre des congés payés afférents, avec intérêts légaux à compter du 17 juin 2019, date de la saisine du Conseil de prud’hommes,
” condamné l’employeur à lui verser une somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du CPC,
” ordonné l’exécution provisoire.
A titre d’appel incident,
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée des demandes suivantes :
” condamner l’employeur à verser à la salariée une somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts, pour manquement à l’obligation de sécurité.
” condamner l’employeur verser à la salariée la somme de 44 671,95 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau :
– juger que l’employeur a manqué à l’obligation de sécurité qui lui incombe,
– condamner l’employeur à lui verser une somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts, pour manquement à l’obligation de sécurité,
– juger, subsidiairement, que l’inaptitude de la salariée trouve sa cause dans le comportement fautif de l’employeur,
– condamner, en tout état de cause, l’employeur à lui verser la somme de 44 671,95 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner l’employeur à lui verser la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, en sus de l’article 500 (sic) alloué en première instance.
La salariée soutient notamment que :
– l’employeur a manqué à son obligation de sécurité en n’organisant pas de visite médicale annuelle entre 2009 et 2011, en ne respectant pas les préconisations de la médecine du travail quant à l’allègement de sa charge de travail, d’une part, et quant à la mise à disposition d’un siège ergonomique adapté, d’autre part, et en n’ayant pas recours à une adaptation sous forme de télétravail.
– l’employeur a manqué à son obligation de reclassement en ne respectant pas l’obligation de lui faire connaître par écrit les motifs qui s’opposent à son reclassement, d’une part, et en n’étendant pas ses recherches de reclassement à l’ensemble du groupe auquel elle appartient, d’autre part. Surtout, la salariée reproche à l’employeur de n’avoir donné aucune explication quant à l’impossibilité technique d’aménager son poste en télétravail. Subsidiairement, la salariée soutient que son inaptitude trouve sa cause dans les manquements à l’obligation de sécurité commis par l’employeur.
Par application des dispositions de l’article 455 alinéa 1er du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions susvisées des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le respect de l’obligation de sécurité
Aux termes de l’article L.230-2 du code du travail, dans sa version issue de la loi n°2006-686 du 13 juin 2006, et aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, dans ses versions issues respectivement de l’ordonnance n°2007-329 du 12 mars 2007 et de la loi n°2010-1330 du 9 novembre 2010, successivement applicables en l’espèce, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
L’obligation générale de sécurité se traduit par un principe de prévention au titre duquel les équipements de travail doivent être équipés, installés, utilisés, réglés et maintenus de manière à préserver la santé et la sécurité des travailleurs.
L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, doit en assurer l’effectivité en prenant en considération les propositions de mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge, à la résistance physique ou à l’état de santé physique et mentale des travailleurs que le médecin du travail est habilité à prendre.
Respecte l’obligation de sécurité, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail (actions de prévention, d’information, de formation…) et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.
En l’espèce, la salariée fait grief à l’employeur de n’avoir pas respecté deux préconisations du médecin du travail, relatives à sa charge de travail et à la mise à disposition d’un siège ergonomique adapté.
Sur l’organisation de visites médicales annuelles
Selon les dispositions de l’article R. 4624-19 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n°2008-244 du 7 mars 2008, applicable au litige, les travailleurs handicapés bénéficient d’une surveillance médicale renforcée, laquelle consiste, selon les dispositions de l’article R. 4624-17 du même code, dans sa rédaction issue du même texte, en un examen médical au moins renouvelé au moins une fois par an.
Toutefois, il est acquis aux débats que la salariée n’a obtenu la reconnaissance de travailleur handicapé que le 1er janvier 2017, soit postérieurement à la période litigieuse, comprise entre 2009 et 2011.
Cette branche du moyen tiré du manquement à l’obligation de sécurité est donc inopérante.
Sur la charge de travail
La salariée verse notamment aux débats :
– les fiches d’aptitude du médecin du travail, lesquelles indiquent, le 20 décembre 2011: ” Apte avec soins. Voir l’adéquation charge / temps de travail ” et le 4 mai 2012 : ” Essai de reprise du travail sur un temps partiel thérapeutique (mi-temps le matin). Charge de travail adaptée en conséquence ” ;
– une attestation (M. [H] [N], cadre bancaire), en date du 31 décembre 2018, qui indique que l’activité du service où travaillait Mme [K] [F] épouse [X] était ” extrêmement soutenue et que son portefeuille de clients internes était très important, nécessitant des dépassements d’horaires fréquents pour le traiter ” ;
– son dossier individuel de santé au travail, lequel mentionne notamment en date du 20 décembre 2011 : ” Diagnostic de dépression [‘] Charge de travail ++, perfectionniste, urgence des dossiers à traiter transmis par le responsable. Organisation du travail à l’intérieur de l’unité doit être débattue [‘] Voir l’adéquation charge/ temps de travail “.
Toutefois, l’employeur relève, à juste titre, qu’il était uniquement destinataire des fiches d’aptitude du médecin du travail et non du dossier médical individuel de la salariée.
Par ailleurs, bien que la salariée allègue avoir alerté l’employeur sur le caractère excessif de sa charge de travail depuis 2008, elle n’offre cependant pas de prouver ces alertes autrement que par les documents médicaux produits, lesquels ne les établissent pas.
L’attestation de M. [N], qui établit une charge de travail importante, est cependant insuffisante à démontrer que celle-ci fût excessive, étant relevé que s’agissant des ” dépassements d’horaires “, la salariée avait conclu une convention de forfait en jours et n’était pas, à ce titre, soumise à des horaires de travail précis.
Il est constant au demeurant que la salariée, à la suite des préconisations du médecin du travail, a bénéficié d’un temps partiel thérapeutique effectif à compter du mois de mai 2012.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la preuve d’une charge de travail excessive imposée par l’employeur n’est pas rapportée.
Sur la mise à disposition d’un siège ergonomique adapté
La salariée verse notamment aux débats :
– la fiche d’aptitude du médecin du travail du 30 janvier 2007, laquelle indique : ” Apte. Pas de posture assise prolongée. Siège adapté ”
– son dossier individuel de santé au travail, lequel mentionne notamment en date du 30 janvier 2009 : ” Etude en cours pour siège adapté soit avec assise moulée soit avec assise adaptable (gel ””) Recherche en cours par ergonome ” ;
– une ordonnance du 2 juillet 2012 de son médecin traitant, lui prescrivant un ” coussin gel “.
La cour observe qu’il résulte des propres écritures de l’employeur qu’un siège adapté à la pathologie de la salariée n’a été mis à la disposition de celle-ci qu’à partir de l’année 2010, soit trois ans après la préconisation du médecin du travail en ce sens. Bien que l’employeur relève à juste titre que la salariée ne justifie pas avoir émis des plaintes concernant ce siège, un tel délai, qui ne peut s’expliquer par la seule nécessité de procéder à une étude préalable des spécifications nécessaires, caractérise par lui-même une violation de l’employeur à son obligation de sécurité.
Sur les trajets routiers
Le faible nombre des déplacements justifiés par la salarié et la distance limitée des trajets réalisés (moins de deux cents kilomètres par aller-retour) ne permettent pas de caractériser un manquement de l’employeur sur ce point.
Cette branche du moyen tiré du manquement à l’obligation de sécurité est donc inopérante.
Sur la mise en place du télétravail
La salariée verse notamment aux débats :
– son dossier individuel de santé au travail, lequel mentionne notamment en date du 24 juillet 2015 : ” Le télétravail pourrait être une solution ” et en date du 14 décembre 2017 : ” Souhaiterait un télétravail à temps partiel ” ;
– un document interne à l’employeur, intitulé ” Le télétravail, une réponse aux nouvelles attentes “, qui mentionne notamment : ” Crédit Agricole SA a signé dès 2012 un premier accord annuel pour faciliter le déploiement du télétravail “.
Cependant, ainsi que le relève l’employeur, la salariée ne démontre pas que ces propositions ou suggestions du médecin du travail aient été portées à la connaissance de celui-ci, étant relevé que les fiches d’aptitudes, seules communiquées à l’employeur, n’en faisaient pas mention avant le 25 juin 2018. La salariée n’allègue pas davantage avoir expressément sollicité une telle modalité de travail auprès de l’employeur avant cette date.
Cette branche du moyen tiré du manquement à l’obligation de sécurité est donc inopérante.
Il résulte de l’ensemble des éléments ci-avant examiné que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité pour ce qui concerne la période de 2007 à 2010, en ne fournissant pas de siège adapté à la salariée selon les préconisations du médecin du travail.
Compte tenu des difficultés importantes de la salariée à maintenir une position assise prolongée et des douleurs induites par une telle position, ainsi qu’il ressort du document d’information médicale produit, le préjudice résultant du manquement de l’employeur pendant la période considérée, soit trois années, sera réparé par l’octroi de dommages-intérêts à hauteur de 10 000 euros.
Le jugement est réformé en ce sens.
Sur le respect de l’obligation de reclassement et sur la cause du licenciement
Selon l’article L. 1226-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017, applicable à la date du licenciement, lorsque le salarié victime d’une maladie ou d’un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l’article L.4624-4 à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Pour l’application de ce texte, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L.233-1, aux I et II de l’article L.233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce.
Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu’il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en ‘uvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
En l’espèce, il est acquis aux débats que le 25 juin 2018, le médecin du travail a émis à l’égard de la salariée un avis d’inaptitude mentionnant : ” Inapte au poste précédemment occupé. Cf. proposition de reclassement. -> Télétravail à temps partiel “.
Si l’employeur souligne à juste titre n’être tenu que d’une obligation de moyens renforcée, et non d’une obligation de résultat, il lui appartient cependant de démontrer qu’il a réalisé des recherches actives et loyales de reclassement, en conformité avec les préconisations du médecin du travail.
Pour justifier de l’impossibilité d’aménager le poste de la salariée sous la forme de télétravail, l’employeur soutient qu’une telle modalité n’est mise en ‘uvre que de façon restreinte et très encadrée, réservée à certains hauts cadres supérieurs du groupe et s’agissant d’activités très précises. L’employeur explique une telle restriction par des considérations impératives de sécurité liées au secret bancaire, toute connexion au serveur informatique de la caisse, même pour un poste de gestion des ressources humaines, induisant selon lui un accès aux comptes bancaires des clients de la banque.
L’employeur verse aux débats l’attestation du 30 juin 2021 de M. [G] [C], responsable développement RH, qui confirme ces allégations. L’employeur produit également un article de presse relatant les risques présentés par le télétravail face à la cybercriminalité dans le domaine bancaire.
Toutefois, si la difficulté voire l’impossibilité de développer le télétravail de façon systématique dans le groupe Crédit Agricole pouvait, à la lumière de ces éléments, être admise en 2018, en revanche l’employeur n’offre pas de prouver qu’une telle modalité fût absolument impossible pour un salarié unique, pour le cas particulier de Mme [K] [F] épouse [X].
A l’inverse, l’employeur admet dans ses propres écritures qu’une telle modalité pouvait, dès 2012, être mise en place pour certains salariés, en l’occurrence de hauts cadres supérieurs, ce qui démontre qu’aucune impossibilité technique ne s’y opposait formellement.
En outre un tel aménagement, contrairement à ce qu’indique l’employeur, n’aurait pas nécessairement supposé la création d’un nouveau poste, création à laquelle il n’était pas tenu, mais aurait pu consister uniquement en une adaptation des modalités de travail de la salariée.
Or l’employeur ne démontre pas avoir procédé à une recherche sérieuse et loyale aux fins de faire bénéficier Mme [X] d’un aménagement de son poste en télétravail, comme l’y invitait le médecin du travail.
Dans ces conditions, la cour approuve les premiers juges d’avoir considéré que l’employeur a manqué à son obligation de reclassement, et d’en avoir déduit que le licenciement de Mme [K] [F] épouse [X] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le jugement est confirmé sur ce point.
Sur les demandes indemnitaires consécutives au licenciement
La cour constate à titre liminaire que l’employeur n’a émis aucune demande, même à titre subsidiaire, quant aux sommes allouées à la salariée.
Sur l’indemnité compensatrice de préavis
Il y a lieu, comme le sollicite la salariée, de confirmer le jugement sur ce point.
Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Selon l’article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable à la date de la rupture du contrat de travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau reproduit à cet article.
Les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciement nul, le barème ainsi institué n’est pas applicable, permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.
Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est également assuré par l’application, d’office par le juge, des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail qui prévoient le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.
Il est acquis en l’espèce que la salariée cumulait 11 années d’ancienneté dans l’entreprise; l’indemnité doit être comprise entre 3 mois et 10,5 mois de salaire.
Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 21-14.490).
Il est de jurisprudence bien établie que l’assiette de calcul du salaire de référence doit comprendre, outre la rémunération de base, l’ensemble des primes et avantages consentis au salarié (Soc. 14 mai 2014, pourvoi n°12.27-928).
La cour relève que la salariée avait travaillé depuis 2006 au service de l’employeur sans faire l’objet d’aucune remontrance, qu’elle a dû rechercher un nouvel emploi à l’âge de 45 ans et qu’elle était toujours inscrite à Pôle emploi le 4 septembre 2018.
Au vu de ces éléments, la cour approuve les premiers juges d’avoir condamné l’employeur à verser à la salarié une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse fixée à la somme de 31 000 euros.
Le jugement est confirmé sur ce point.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Compte tenu de l’issue du litige, le jugement est confirmé quant aux dépens et aux frais irrépétibles.
L’employeur est condamné aux dépens d’appel.
L’équité commande de condamner l’employeur à verser à la salariée la somme de 2 000 euros au titres des frais d’appel non compris dans les dépens.
La demande de l’employeur de ce chef est rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,
INFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de Mme [K] [F] épouse [X] en paiement de dommages-intérêts au titre du manquement de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE LOIRE-HAUTE LOIRE à son obligation de sécurité ;
Statuant à nouveau du chef infirmé,
CONDAMNE la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE LOIRE-HAUTE LOIRE à verser à Mme [K] [F] épouse [X] la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du manquement à l’obligation de sécurité ;
CONFIRME le jugement en toutes ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE LOIRE-HAUTE LOIRE aux dépens d’appel ;
CONDAMNE la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE LOIRE-HAUTE LOIRE à verser à Mme [K] [F] épouse [X] la somme de 2 000 euros au titre des frais d’appel non compris dans les dépens ;
REJETTE la demande de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE LOIRE-HAUTE LOIRE au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,