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8 juin 2023
Cour d’appel de Dijon
RG n°
21/00687
DLP/CH
[Z] [U]
C/
E.P.I.C. UNION DES GROUPEMENTS D’ACHATS PUBLICS
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 08 JUIN 2023
MINUTE N°
N° RG 21/00687 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FZOJ
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section Encadrement, décision attaquée en date du 13 Septembre 2021, enregistrée sous le n° 20/00461
APPELANTE :
[Z] [D]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Marie RAIMBAULT de la SCP SOULARD-RAIMBAULT, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉE :
E.P.I.C. UNION DES GROUPEMENTS D’ACHATS PUBLICS
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Pierrick BECHE de la SARL PIERRICK BECHE – CABINET D’AVOCATS, avocat au barreau de DIJON, et Me Patricia TALIMI de la SCP P D G B, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Camille BOULANGER, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 09 Mai 2023 en audience publique devant la Cour composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre, Président,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
qui en ont délibéré,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Kheira BOURAGBA,
ARRÊT rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Kheira BOURAGBA, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
Mme [U] a été engagée par l’Union des groupements d’achats publics (UGAP) le 6 mai 2014 en qualité de chargée de clientèle grands comptes.
Elle s’est portée candidate aux élections du CSE du 12 juin 2019, sans toutefois être élue.
Le 13 mars 2020, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 30 mars suivant.
Le 20 mars 2020, elle a été informée que cet entretien était reporté « compte tenu des circonstances exceptionnelles ».
Le 3 juin 2020, elle a reçu une nouvelle convocation pour le 19 juin suivant.
Son licenciement pour faute grave lui a été notifié le 26 juin 2020.
Par requête déposée au greffe le 9 septembre 2020, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Dijon aux fins de voir juger son licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, obtenir le paiement des indemnités afférentes, outre des dommages et intérêts pour irrégularité de la lettre de licenciement, exécution déloyale du contrat de travail et licenciement discriminatoire.
Par jugement du 13 septembre 2021, le conseil de prud’hommes :
– dit et juge que le licenciement de Mme [U] est régulier,
– requalifie le licenciement pour faute grave de Mme [U] en licenciement pour cause réelle et sérieuse,
– condamne l’UGAP à payer à Mme [U] les sommes suivantes :
* 19 570,80 euros bruts d’indemnité compensatrice de préavis,
* 1 957,08 euros bruts de congés payés afférents,
* 9 785,40 euros nets d’indemnité de licenciement conventionnelle,
* 1 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– précise que conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les condamnations prononcées emporteront intérêt au taux légal,
* à compter de la réception de la requête par l’employeur pour les créances de nature salariale, soit le 10 septembre 2020,
* à compter du prononcé du présent jugement pour toutes les autres sommes,
– dit qu’il y a lieu à exécution provisoire dans les limites de l’article R. 1454-28 du code du travail et fixe la moyenne des trois derniers mois de salaires à 3 236,65 euros bruts,
– déboute les parties du surplus de leurs demandes,
– condamne l’UPAG aux dépens.
Par déclaration enregistrée le 8 octobre 2021, Mme [U] a relevé appel de cette décision.
Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par voie électronique le 16 mars 2023, elle demande à la cour de :
– infirmer le jugement déféré et statuant à nouveau,
– dire que le licenciement est discriminatoire et par conséquent nul,
– en conséquence, prononcer sa réintégration avec toutes conséquences s’y attachant, et à défaut condamner l’UGAP à lui payer la somme de 78 283,80 euros nets pour licenciement nul,
A titre subsidiaire :
– dire que le licenciement ne repose ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse, et en conséquence,
– condamner l’UGAP à lui payer les sommes de :
* 22 832,60 euros nets pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 19 570,80 euros bruts d’indemnité compensatrice de préavis,
* 1 957,08 euros bruts de congés payés afférents,
* 9 785,40 euros nets d’indemnité de licenciement conventionnelle,
Et, à titre encore plus subsidiaire, dans l’hypothèse où le licenciement serait jugé comme reposant sur une cause réelle et sérieuse :
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné l’UGAP à lui payer les sommes suivantes :
* 19 570,80 euros bruts d’indemnité compensatrice de préavis,
* 1 957,08 euros bruts de congés payés afférents,
* 9 785,40 euros nets d’indemnité de licenciement conventionnelle,
En toute hypothèse,
– condamner l’UGAP à lui payer la somme de 9 785,40 euros nette pour exécution déloyale du contrat de travail,
– condamner l’UGAP à lui payer la somme de 70,30 euros au titre des frais professionnels de février 2020,
– condamner l’UGAP à lui payer une indemnité correspondant aux jours de télétravail compris entre le 1er juin 2019 et le licenciement survenu le 26 juin 2020,
– et à défaut de vouloir satisfaire à son obligation, à lui payer une indemnité forfaitaire de 2 000 euros à ce titre,
– confirmer le jugement rendu le 13 septembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Dijon en ce qu’il a condamné l’UGAP à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la première instance,
– condamner l’UGAP à lui payer la somme supplémentaire de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens.
Par ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 3 avril 2023, l’UGAP demande à la cour de :
Confirmer le jugement déféré en ce qu’il a :
– débouté Mme [U] de sa demande tendant à sa condamnation à lui payer la somme de 78 283,30 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
– débouté Mme [U] de sa demande tendant à sa condamnation à lui payer la somme de 22 832,60 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– débouté Mme [U] de sa demande tendant à sa condamnation à lui payer la somme de 9 785,40 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
L’infirmant pour le surplus et, statuant à nouveau :
– à titre principal, débouter Mme [U] de l’intégralité de ses demandes,
– à titre subsidiaire, limiter sa condamnation à la somme de 19 570,80 euros en cas de requalification du licenciement de Mme [U] en licenciement nul,
– à titre infiniment subsidiaire, limiter sa condamnation à la somme de 9 785,40 euros bruts en cas de requalification du licenciement de Mme [U] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– prendre acte de ce que l’UGAP entend faire droit à la demande de remise des titres restaurants de Mme [U] dus pour la période entre le 1er juin 2019 et le 26 juin 2020,
– à titre subsidiaire, limiter la condamnation de l’UGAP à ce qu’elle doit à Mme [U], soit la somme de 299,70 euros au titre de la part patronale,
– en tout état de cause, condamner Mme [U] à lui payer la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR LA NULLITÉ DU LICENCIEMENT
1 – Sur la discrimination syndicale
Mme [U] recherche la nullité de son licenciement en se fondant sur la discrimination syndicale dont elle prétend avoir fait l’objet.
En réponse, l’UGAP conteste toute forme de discrimination syndicale à l’endroit de la salariée.
Les articles L. 1132-1 et suivants du code du travail ont introduit le principe de non-discrimination interdisant que des différenciations soient opérées entre des salariés en fonction de différents critères, notamment celui de ses activités syndicales ou de l’exercice de son mandat électif.
Selon l’article L. 1134-1 du même code, il incombe seulement au salarié d’établir l’existence d’éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, puis à l’employeur d’établir que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Ici, pour fonder sa demande au titre d’une discrimination syndicale, Mme [U] soutient qu’elle a en réalité été licenciée en raison de son activité syndicale.
A cet effet, elle justifie du fait que, peu de temps avant les griefs retenus à son encontre, elle a, le 8 novembre 2019, donné l’alerte en réunion d’équipe sur la souffrance au travail rencontrée au sein de l’équipe de [Localité 8], ce qui a conduit à la rédaction, le 3 février 2021, d’un rapport d’expertise du cabinet Syndex commandé par le CHSCT sur les conditions de travail des salariés dudit site (pièces 39 et 50). Mme [U] excipe de la réaction négative de sa hiérarchie à l’issue de la réunion plénière du 8 novembre 2019 et produit à l’appui l’attestation de sa collègue, Mme [J] (pièce 49). Elle verse également aux débats d’autres attestations sur ses implications syndicales qui ont notamment “permis d’assainir le site de [Localité 8]” (pièces 10 à 12). Mme [U] se reporte en outre aux tracts diffusés par les organisations syndicales dénonçant “l’avalanche de licenciements” opérés par l’employeur en raison d’un “besoin de régler ses comptes face à des salariés qui alertent leur hiérarchie sur des situations de management abusif, de surcharge de travail” (pièce 6). Elle ajoute qu’un autre salarié ayant utilisé son véhicule de service pendant ses congés n’a pas subi le même traitement qu’elle (pièce 53) et allègue de l’absence de contrôle et de sanction des autres salariés disposant d’un véhicule de service. Elle se réfère encore, en en justifiant, au fait que son statut protecteur expirait le 18 décembre 2019 et que les faits datés dans la lettre de licenciement débutent dès la fin de la période de protection liée à son statut de salariée protégée. Elle se prévaut également de son absence de tout antécédent disciplinaire en plus de 6 ans d’exercice et du fait qu’elle a recueilli des éloges et primes exceptionnelles en reconnaissance de la qualité de son travail et de son implication jusqu’au 8 novembre 2019 (pièce 48). Elle invoque enfin la condamnation de l’UGAP pour attitude discriminatoire en raison de l’activité syndicale par jugement du conseil de prud’hommes de Meaux du 30 mai 2008 (pièce 42).
Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’une discrimination liée à une activité syndicale. Il appartient, dès lors, à l’UGAP de prouver que le fait d’avoir licencié Mme [U] était justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En réponse, l’employeur fait valoir que le licenciement est fondé sur des griefs totalement étrangers aux activités syndicales de Mme [U] et que la salariée ne rapporte pas la preuve d’un lien de causalité entre ses activités syndicales et son licenciement. Il prétend également démontrer que le dialogue social était important au sein de l’entreprise et que, sur 35 représentants du personnel qui n’ont pas vu leur mandat se renouveler en 2019, aucun n’a fait l’objet d’un licenciement, Mme [U] étant une exception.
Il convient d’apprécier, en premier lieu, si les fautes retenues à l’encontre de Mme [U] sont réelles et sérieuses ou si son licenciement y est totalement étranger.
Il résulte des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
Il est en outre constant que lorsque les juges considèrent que les faits invoqués par l’employeur ne caractérisent pas une faute grave, ils doivent rechercher si ces faits n’en constituent pas moins une cause réelle et sérieuse de licenciement.
En l’espèce, il sera liminairement rappelé, en réponse au moyen soulevé sur ce point par la salariée, que l’employeur n’était pas tenu de procéder à une mise à pied conservatoire avant d’engager une procédure de licenciement pour faute grave, d’autant plus dans le contexte de crise sanitaire (confinement lié au COVD 19) qui existait à l’époque de l’engagement de la procédure de licenciement.
De plus, le report de l’entretien préalable ne prive pas le licenciement de cause, l’entretien devant se dérouler en la présence physique du salarié et le contexte sanitaire de l’époque empêchant d’organiser un entretien physique avec Mme [U], l’entreprise ayant de surcroît fermé ses locaux du 16 mars au 18 mai 2020 et maintenu ses restrictions par une reprise progressive du travail à partir du 8 juin 2020 sur la base du volontariat. L’entretien préalable de la salariée a été reporté après le déconfinement et la mise en place des protocoles sanitaires au sein de l’UGAP. Enfin, en application de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relatif à la prolongation des délais échus pendant la période d’urgence, l’UGAP pouvait engager des poursuites discilinaires juqu’à deux mois après la fin de la période d’urgence sanitaire. La procédure est donc parfaitement régulière.
Mme [U] a été licenciée pour faute grave pour avoir transgressé de façon récurrente les procédures de gestion applicables à l’activité commerciale :
– en faisant une utilisation abusive de son véhicule de service représentant 323 km injustifiés entre le 30 janvier et le 26 février 2020 ;
– en réalisant une demande de remboursement de frais de restaurant pour le 15 janvier 2020 à [Localité 6] sans avoir déclaré de rendez-vous dans cette ville.
Les deux motifs du licenciement se reportent donc à de fausses déclarations de frais liés aux visites clients non conformes aux visites réellement effectuées en présentiel au travers des notes de frais, et à l’utilisation abusive du véhicule de service. Ces motifs sont suffisamment précis et fixent les limites du litige, étant précisé que les faits dont se prévaut l’employeur sont respectivement datés des 15 et 30 janvier 2020, ainsi que des 5, 12, 13, 19 et 26 février 2020.
Sur l’utilisation abusive du véhicule de service
– sur les faits du 30/01/20
La lettre de licenciement énonce : « Le 30 janvier 2020, vous n’avez indiqué dans votre agenda Outlook et sur votre outil CRM7 aucune visite client. Votre agenda Outlook précisait simplement un rendez-vous privé de 16 heures à 17 heures 30. Vous ne déclarez pas de frais professionnels pour cette journée. Vous avez indiqué sur le carnet de bord de votre véhicule avoir parcouru 122 kilomètres. Or, le trajet aller/retour entre votre domicile et votre lieu de travail n’est que de 20 kilomètres. Vous ne justifiez donc pas du différentiel de 102 kilomètres déclarés en plus sur votre carnet de bord sur cette journée ».
La politique automobile de l’entreprise prévoit que les déplacements effectués avec le véhicule de service font l’objet d’un suivi déclaratif via un carnet de bord, qui doit être complété à chaque trajet par l’utilisateur du véhicule de service (pièces 14 et 38 de l’employeur).
Il est par ailleurs indiqué dans la charte automobile signée par Mme [U] que : « Le non-respect de la charte est susceptible d’entraîner le retrait provisoire ou définitif du véhicule ainsi que les sanctions prévues au règlement intérieur, selon la gravité de la faute ».
En l’occurence, Mme [U] admet avoir effectué 122 km pour une visite qui n’était pas programmée et qui n’a pas eu lieu, et avoir effectivement mentionné ces kilomètres sur le carnet de bord. Elle a donc satisfait à son obligation de déclaration à ce titre.
L’employeur lui reproche plus précisément de ne pas justifier des 122 km parcourus, tels que déclarés dans son carnet de bord, soit un usage abusif de la voiture de service ce jour-là en l’absence de visite programmée.
En réponse, la salariée se prévaut d’un rendez-vous non programmé auquel elle se serait rendue “fort probablement” au CH d'[Localité 5] sur sa pause méridienne pour rencontrer M. [F], visite qui ne se serait cependant pas concrétisée. Elle invoque un usage dans l’entreprise validant les déplacements dans le cadre d’une prospection du portefeuille et justifie de ses habitudes en ce sens par le mail adressé par M. [F] (pièce 31) et l’attestation de son binôme, Mme [J] (pièce 49).
L’employeur ne produit en retour aucun ordre de mission quotidien qui aurait été envoyé à la salariée, cadre autonome. La déclaration des 122 km est par ailleurs cohérente avec le déplacement invoqué si, comme l’indique à juste titre Mme [U], on tient compte et on ajoute 36 km domicile-travail. Au surplus, l’UGAP ne produit pas le justificatif de remboursement de frais afférents à ce trajet et ne justifie pas avoir refusé, compte tenu de l’usage prétendument abusif du véhicule de service ce jour-là, de lui rembourser ses frais professionnels.
L’usage abusif du véhicule de service n’est pas suffisamment démontré, étant rappelé que le doute doit profiter à la salariée.
– sur les faits du 5, 12, 13, 19 et 26 février 2020
Il est ici reproché à la salariée un écart non justifié entre les déclarations de son carnet de bord et les estimations basées sur l’application MAPPY, avec un différentiel de :
* 74 km le 5/02,
* 50 km le 12/02,
* 42 km le 13/02,
* 42 km le 19/02,
* 13 km le 26/02.
L’employeur produit, au soutien de ces griefs, l’agenda Outlook de la salariée et des extraits du logicel CRM7. Or, il ne retient que des simulations de trajets au plus court, sur la base d’estimations données par MAPPY, sans tenir compte du trajet domicile-travail (36km), ni des aléas du trafic, ni des pratiques de prospection pouvant notamment expliquer que, le 5 février 2020, la salariée se soit déplacée à [Localité 7], ce qui correspondrait au différentiel reproché compte tenu de la distance entre cette ville et [Localité 9]. Aucune fausse déclaration n’est établie, l’UGAP ne démontrant pas que Mme [U] n’aurait pas assuré les rendez-vous renseignés, et aucun abus n’est suffisamment caractérisé par l’employeur auquel incombe la charge de la preuve alors, de surcroît, que Mme [U] répond systématiquement par une explication plausible (prospection, co-voiturage pour certains rendez-vous en commun). Par ailleurs, l’UGAP ne justifie pas, là encore, du remboursement des frais du mois de février 2020 ou de son refus de la défrayer.
L’usage abusif du véhicule de service n’est donc pas suffisamment établi sur les dates précitées.
– pour le surplus
La salariée demande que soient écartés les griefs formulés par l’employeur pour le 4 février et le mois de mars qui ne sont pas mentionnés dans la lettre de licenciement du 26 juin 2020.
En effet, dans ses conclusions page 27, l’UGAP ajoute que Mme [U] a de nouveau abusé de l’utilisation du véhicule de service durant la période entre le 4 et le 15 mars 2020 puisqu’il existe un delta de 100 kms parcourus et injustifiés durant cette période. Il explique que, si les visites clients se déroulaient en présentiel de janvier jusqu’au 16 mars 2020, elles devaient se dérouler uniquement en visioconférence à partir de cette date et ce, jusqu’à fin juin 2020. Il n’y avait aucune visite de clients hospitaliers durant cette période COVID. De même, il indique que le rapprochement des relevés d’achats de carburant sur la période du 4 mars 2020 au 18 juin 2020 et les visites clients en présentiel permet, selon lui, de voir que Mme [U] a eu un seul rendez-vous client présentiel le 12 mars, au CHU de [Localité 8]. Or, la distance kilométrique entre le domicile de Mme [U] et le CHU est de 9 km (soit 18 mms aller-retour). Si l’on rajoute à ce parcours, les trajets domicile-travail en comptant un temps de présence de 6,5 jours à l’agence (à supposer qu’elle soit venue à l’agence du 6 au 16 mars) Mme [U] aurait dû parcourir 304 kilomètres au total.
Ces griefs ne sont pas mentionnés dans la lettre de licenciement et le juge doit prendre en compte tous les éléments indiqués dans la dite lettre, qui fixe les limites du litige, pour apprécier la légitimité de celui-ci. La lettre de licenciement vise de manière limitative et exhaustive les faits précédemment énoncés, commis courant janvier et février 2020, et non pas ceux commis depuis cette date. Il n’y a donc pas lieu de les examiner au soutien du bien-fondé du licenciement.
Sur la fausse déclaration de frais professionnels
La lettre de licenciement énonce : “Enfin, le 15 janvier dernier, vous avez réalisé une demande de remboursement de frais de repas du midi pris au restaurant « le relais des gourmets » à [Localité 6]. Or, ce même jour, vous ne déclarez pas de rendez-vous client à [Localité 6]. Ce restaurant se trouve à plus de 40 kilomètres de détour de votre seul lieu de rendez-vous client de la journée situé à [Localité 10]. Ce détour induit donc ainsi, à nouveau, la réalisation de 80 kilomètres aller/retour non justifiés”.
L’employeur expose qu’aucun rendez-vous n’est indiqué dans l’agenda Outlook le matin et que seule une visite au CH avec M. [Y] de 14h à 16h à [Localité 10] est mentionée l’après-midi. Il ajoute qu’il en va de même dans le logiciel CRM7.
Mme [U] répond qu’elle avait bien rendez-vous au centre hospitalier d'[Localité 6] à 10h30 avec M. [G] et à 11h avec M. [T] et M. [E], et qu’elle a ensuite déjeuné à [Localité 6]. Elle en justifie par l’attestation de M. [E] (pièce 51) qui confirme que le rendez-vous de 11h était commun avec le responsable informatique du centre hospitalier d'[Localité 6], M. [T]. Si l’employeur conteste la fiablité de ce témoignage, il ne produit pour sa part aucune attestation contraire.
En conséquence, il convient de considérer que ce grief n’est pas suffisamment fondé, le doute devant là encore profiter à Mme [U].
***
Au vu de l’ensemble des éléments susvisés, les griefs invoqués par l’employeur ne sont pas établis et ne peuvent dès lors expliquer et fonder le licenciement pour faute grave de Mme [U].
Les fautes retenues contre la salariée, non avérées, ne permettent donc pas de renverser la présomption de discrimination.
Quant à l’absence de discrimination globale alléguée par l’employeur, à l’absence de discrimination vis-à-vis de la CFDT, au dialogue social très riche au sein de l’UGAP, ils sont inopérants à renverser la présomption de discrimination à l’endroit de Mme [U] en particulier. Enfin, dans le reste de son argurmentation, l’employeur se contente de critiquer les pièces versées aux débats par la salariée mais ne produit pour sa part aucune pièce contraire.
Il convient, par conséquent, de considérer que le licenciement trouve sa cause réelle dans une discrimination syndicale commise à l’égard de Mme [U] de sorte que le licenciement sera, par infirmation du jugement, déclaré nul.
Conformément à la demande en ce sens de la salariée et en l’absence d’impossibilité matérielle de l’entreprise, il sera fait droit à la demande de réintégration de Mme [U] au sein de cette dernière.
2 – Sur l’indemnisation du licenciement nul
Le salarié, victime d’un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration, a droit, d’une part, aux indemnités de rupture, y compris l’indemnité compensatrice de préavis (sauf si elle a déjà été versée au moment du licenciement), d’autre part à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement au moins égale à 6 mois de salaire.
Au cas d’espèce, le jugement sera confirmé en ce qu’il a octroyé à Mme [U] les sommes, non valablement contestées en leur quantum, de 19 570,80 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 957,08 euros de congés payés afférents, et de 9 785,40 euros au titre de l’indemnité de licenciement.
Enfin, compte tenu de son ancienneté (6 ans), des circonstances de la rupture, du montant de sa rémunération (3 236,65 euros), de son âge (49 ans au moment du licenciement), des conséquences du licenciement, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, dans sa version applicable au présent litige, la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice qu’elle a subi en raison de son licenciement nul.
Ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter du prononcé du présent arrêt pour les sommes de nature indemnitaire.
SUR L’EXÉCUTION DE LOYALE DU CONTRAT DE TRAVAIL
Il est constant que l’employeur, au même titre que le salarié, a l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi. Il se doit ainsi de respecter les règles légales, conventionnelles, contractuelles ou simplement d’usage dont il a connaissance et est notamment tenu d’une obligation de sécurité de moyen renforcé.
La preuve de l’exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur doit être rapportée par le salarié qui l’allègue.
Ici, Mme [U] invoque, au soutien de sa demande indemnitaire pour exécution déloyale du contrat de travail, les pratiques managériales inadaptées de l’employeur et le manquement de ce dernier à son obligation de sécurité en ayant exposé ses salariés, elle en particulier, à des risques psychosociaux et des souffrances morales.
Elle cite à ce titre :
– le fait qu’elle a dû travailler pendant la crise sanitaire avec l’attente d’un futur entretien préalable,
– le fait qu’il lui a été demandé de se justifier sur des déplacements professionnels de plus de 6 mois après leur réalisation,
– le fait pour l’UGAP de ne pas lui avoir remboursé ses frais de février 2020,
– le fait que l’UGAP n’a donné suite aux plaintes qu’elle a formalisées les 28 novembre 2018 et 1er octobre 2019 relatifs à son collègue, M. [N], qui abusait de sa supériorité hiérarchique.
Or, la salariée ne produit aucun élément laissant supposer des faits de harcèlement à son encontre ni un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur, aucune alerte la concernant n’ayant été adressée directement à la hiérarchie. Au surplus, M. [N] a été remplacé suite à une promotion le 1er décembre 2018 de sorte que ses agissements ne pouvaient plus préjudicier à la salariée. En tout état de cause, Mme [U] ne justifie d’aucun préjudice à l’appui de sa demande de dommages et intérêts alors qu’il ne peut y avoir de réparation sans preuve du préjudice subi.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté cette prétention.
SUR LA DEMANDE EN PAIEMENT AU TITRE DES FRAIS PROFESSIONNELS
Mme [U] réclame le paiement de la somme globale de 70,30 euros au titre des frais professionnels de février 2020.
Il ressort de la pièce 15 de l’UGAP (instruction relative aux conditions et modalités de règlement des frais professionnels) que “le droit à remboursement de frais professionnels est subordonné à un ordre de mission lorsque le déplacement dépasse les limites de la circonscription territoriale de la direction d’affectation du salarié”.
Dans le corps de ses conclusions, la salariée demande la condamnation de son employeur à lui payer les sommes de 29,90 euros + 31,50 euros au titre des frais professionnels engagés les 12 et 26 février 2020 et non remboursés par l’UGAP. Or, outre le fait que le total n’atteint pas la somme réclamée de 70,30 euros, Mme [U] ne démontre pas qu’elle remplissait les conditions requises pour en bénéficier. Elle ne peut se contenter de dire que l’UGAP ne produit aucun justificatif de remboursement des frais du mois de février 2020.
Sa demande sera donc rejetée.
SUR LA DEMANDE EN PAIEMENT AU TITRE DES JOURS DE TÉLÉTRAVAIL ET DES TICKETS RESTAURANT
Mme [U] sollicite le paiement d’une indemnité correspondant aux jours de télétravail compris entre le 1er juin 2019 et son licenciement. A défaut, elle sollicite une indemnité forfaitaire de 2 000 euros.
Or, pour fonder sa demande, elle se contente de produire en pièce 20 une communication CFDT-CGT mentionnant la condamnation définitive, par jugement du 3 mars 2022, de l’UGAP à attribuer un ticket-restaurant aux salariés se trouvant en situation de télétravail à compter du 1er juin 2019, pour chaque jour télétravaillé au cours duquel le repas est compris dans l’horaire de travail journalier et n’ayant pas donné lieu à l’attribution d’un titre-restaurant.
Outre le fait qu’elle chiffre son indemnité de manière forfaitaire à 2 000 euros, Mme [U] n’explique pas en quoi elle remplissait les conditions pour y prétendre.
Sa demande sera donc rejetée sans qu’ily ait lieu de limiter la condamnation de l’UGAP à payer la somme de 299,70 euros au titre de la part patronale à la salariée.
Enfin, il n’y a pas lieu de prendre acte de ce que l’UGAP entend faire droit à la demande de remise des titres restaurants de Mme [U] dus pour la période entre le 1er juin 2019 et le 26 juin 2020 dès lors que ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir ‘constater’ ou ‘donner acte’.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
La décision attaquée sera confirmée en ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
L’UGAP, qui succombe pour l’essentiel, doit prendre en charge les dépens d’appel et supporter, à hauteur de cour, une indemnité au visa de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en celles ayant rejeté la demande en nullité du licenciement, requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, en celles ayant rejeté la demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif et en celles relatives au point de départ des intérêts légaux,
Statuant à nouveau dans cette limite,
Prononce la nullité du licenciement de Mme [U],
Ordonne la réintégration de Mme [U] au sein de la société Union des groupements d’achats publics,
Condamne la société Union des groupements d’achats publics à payer à Mme [U] la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,
Dit que les sommes portant condamnation de la société Union des groupements d’achats publics produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de la société Union des groupements d’achats publics devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter du prononcé du présent arrêt pour les sommes de nature indemnitaire,
Y ajoutant,
Dit n’y avoir lieu de prendre acte de ce que l’UGAP entend faire droit à la demande de remise des titres restaurants de Mme [U] dus pour la période entre le 1er juin 2019 et le 26 juin 2020,
Rejette les demandes en paiement de Mme [U] au titre des frais professionnels et des jours de télétravail et tickets restaurant,
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Union des groupements d’achats publics et la condamne à payer complémentairement en cause d’appel à Mme [U] la somme de 1 500 euros,
Condamne la société Union des groupements d’achats publics aux dépens d’appel.
Le greffier Le président
Kheira BOURAGBA Olivier MANSION