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7 mars 2023
Cour d’appel de Riom
RG n°
21/01045
07 MARS 2023
Arrêt n°
FD/NB/NS
Dossier N° RG 21/01045 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FTAC
[R] [V]
/
S.A.S. SIEMENS
jugement au fond, origine conseil de prud’hommes – formation paritaire de clermont-ferrand, décision attaquée en date du 07 avril 2021, enregistrée sous le n° f 19/00359
Arrêt rendu ce SEPT MARS DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Frédérique DALLE, Conseiller
Mme Sophie NOIR, Conseiller
En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé
ENTRE :
M. [R] [V]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Pauline DISSARD, avocat de la SELARL BADJI-DISSARD, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANT
ET :
S.A.S. SIEMENS immatriculée au RCS de BOBIGNY sous le numéro 304 505 050, agissant poursuite et diligence de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me Karine BELLONE de la SELAS C2J, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
INTIMEE
Après avoir entendu Mme DALLE, Conseiller en son rapport, les représentants des parties à l’audience publique du 09 Janvier 2023, la Cour a mis l’affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur [R] [V], né le 10 mai 1966, a été embauché au sein de la société SIEMENS en qualité d’attaché commercial le 1er décembre 1988 par contrat de travail à durée indéterminée avec un statut d’itinérant. Il a été promu chef de secteur commercial sur le secteur Auvergne / Loire à compter du 1er octobre 2002. Il a été ensuite promu responsable commercial le 19 janvier 2010 avec pour mission de manager l’équipe commerciale.
Par courrier en date du 19 mars 2019, Monsieur [V] a été convoqué à un entretien préalable à licenciement, la date étant fixée au 28 mars 2019.
Par courrier recommandé avec avis de réception en date du 5 avril 2019, Monsieur [V] a été licencié pour faute grave.
Le 28 juin 2019, Monsieur [R] [V] a saisi le conseil de prud’hommes de CLERMONT FERRAND de demandes tendant à voir dire sans cause réelle et sérieuse son licenciement outre obtenir diverses sommes à titre indemnitaire.
L’audience devant le bureau de conciliation et d’orientation s’est tenue en date du 23 septembre 2019 et, comme suite au constat de l’absence de conciliation, l’affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.
Par jugement rendu contradictoirement le 7 avril 2021, le conseil de prud’hommes de CLERMONT FERRAND a :
– fixé le salaire de référence de Monsieur [R] [V] à la somme de 6.104 euros ;
– dit et jugé que le licenciement de Monsieur [R] [V] repose sur une cause réelle et sérieuse ;
– condamné la SAS SIEMENS, prise en la personne de son représentant légal, à porter et payer à Monsieur [R] [V] les sommes suivantes :
* 109.872 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
* 23.170 euros brut au titre de l’indemnité de préavis, outre 2.317 euros brut au titre des congés payés afférents,
* 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté Monsieur [R] [V] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour modification unilatérale de son contrat de travail et pour relation déloyale de son contrat de travail ;
– ordonné à Monsieur [R] [V] de cesser ses agissements déloyaux auprès des clients et partenaires de SlEMENS, directement ou indirectement, ceci sans astreinte ;
– débouté la SAS SIEMENS, prise en la personne de son représentant légal, de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la SAS SIEMENS aux dépens et dit que cette dernière devra transmettre à pôle emploi l’attestation pôle emploi corrigée des sommes correspondantes au présent jugement.
Le 6 mai 2021, Monsieur [R] [V] a interjeté appel de ce jugement notifié à sa personne le 9 avril 2021.
Vu les dernières écritures notifiées le 12 décembre 2022 par Monsieur [R] [V],
Vu les dernières écritures notifiées le 4 janvier 2023 par la SAS SIEMENS,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 12 décembre 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures, Monsieur [R] [V] demande à la cour de :
– le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes ;
– infirmer le jugement de première instance sur les chefs de jugement expressément critiqués et statuant à nouveau :
Et ainsi :
A titre principal
– infirmer le jugement de première instance et ainsi considérer que son licenciement pour faute grave s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
– confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a fixé son salaire de référence à la somme de 6.104 euros ;
– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société SIEMENS à lui verser : * la somme de 23.170 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 2.317,80 euros au titre des congés payés afférents au préavis ; * la somme de 109 .872 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et ainsi condamner la société SIEMENS à la somme de 210.000 euros nets de CSG et CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
A titre subsidiaire :
– confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a dit et jugé que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse;
– confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a fixé le salaire de référence à la somme de 6.104 euros ;
– confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a condamné la société SIEMENS à : * la somme de 23.170 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 2.317,80 euros au titre des congés payés afférents au préavis ; * la somme de 109 .872 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement.
En tout état de cause :
– constater qu’il a subi une modification unilatérale de son contrat de travail ;
– en conséquence, condamner la société SIEMENS à la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
– constater qu’il a subi une modification déloyale de sa relation de travail ayant pour objectif de tendre à la rupture de la relation de travail;
– en conséquence, condamner la société SIEMENS à la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
– constater l’absence de comportement déloyal de sa part ;
– en conséquence, débouter la société SIEMENS de ses demandes reconventionnelles ;
– confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a condamné la société SIEMENS à la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– en sus, condamner la société SIEMENS à 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
Monsieur [V] relève tout d’abord, au soutien du bien fondé de son licenciement, que les premiers juges ont statué ultra petita en référant à des éléments non visés par l’employeur, et ce alors même que le courrier de notification du licenciement fixe le litige.
Il conteste ensuite la matérialité des griefs de licenciement, et notamment avoir établi des notes de frais injustifiées, ne pas avoir accompli l’ensemble des déplacements professionnels qu’il a déclaré et avoir commis de quelconques fautes qui seraient à l’origine d’un manque à gagner pour l’entreprise. Il reconnaît en revanche avoir utilisé la carte de péage de l’entreprise à des fins personnelles.
Il conteste avoir reconnu la matérialité des faits litigieux lors de l’entretien préalable à licenciement et considère que son licenciement est entaché de nullité (à tout le moins sans cause réelle et sérieuse) et sollicite en conséquence l’indemnisation afférente. Il soutient à cet égard que le barème d’indemnisation MACRON doit être écarté en ce qu’il ne permet pas d’assurer une réparation intégrale du préjudice qu’il a subi.
Il soutient ensuite que l’employeur a modifié unilatéralement ses fonctions de travail dès lors qu’il s’est vu retirer ses fonctions de manager sans qu’aucun avenant contractuel ne soit régularisé entre les parties, en sorte qu’il n’est pas établi qu’il aurait donné son accord à une telle rétrogradation et ce d’autant plus qu’il manageait convenablement son équipe. Il rappelle à cet égard que la seule poursuite du contrat de travail aux nouvelles conditions ne peut suffire à caractériser l’accord du salarié. Il sollicite l’indemnisation du préjudice subi.
Il excipe ensuite de l’exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur au motif que l’employeur aurait cherché à l’évincer des effectifs de l’entreprise étant souligné la concomitance de la procédure de licenciement avec le refus qu’il a opposé au salarié de signer des courriers que celui-ci avait établis et en dépit duquel lesdites correspondances ont été envoyées aux clients, sans son accord, avec l’apposition par l’employeur de sa signature électronique. Il sollicite l’indemnisation du préjudice subi à raison des agissements de l’employeur.
Il conteste enfin le bien fondé de la demande reconventionnelle présentée par l’employeur et conteste avoir commis de quelconques agissements déloyaux au détriment de l’employeur. Il fait valoir à cet égard qu’il n’était soumis à aucune clause de concurrence en sorte qu’il lui était loisible de travailler pour le compte d’une autre entreprise concurrente, y compris dans la même région que celle où se trouve localisée l’établissement de l’employeur et qu’il est normal dans ce cadre qu’il ait prospecté des clients de la société SIEMENS. Il réfute de même avoir dénigré son employeur et soutient plus largement que celle-ci n’a aucun intérêt à agir sur ce fondement dès lors qu’il ne fait plus partie de son effectif.
Dans ses dernières écritures, la société SIEMENS demande à la cour de :
– la juger recevable en son appel incident et ses demandes ;
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND, du 7 avril 2021, en ce qu’il a :
* débouté M. [V] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* débouté M. [V] de sa demande de dommages et intérêts pour modification unilatérale de son contrat de travail ;
* débouté M. [V] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
* ordonné à M. [V] de cesser ses agissements déloyaux auprès de ses clients et partenaires directement ou indirectement;
– réformer le jugement du conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND, du 7 avril 2021, en ce qu’il a :
* fixé à la somme de 6.104 euros le salaire mensuel brut moyen de M. [V] ;
* jugé que le licenciement de M. [V] repose sur une cause réelle et sérieuse ;
* l’a condamnée à verser à M. [V] :
– 23.170 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 2.317 euros brut au titre des congés payés afférents au préavis;
– 109.872 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
– 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
* l’a déboutée de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
* l’a condamnée aux dépens ;
* dit qu’elle devra transmettre à pôle emploi l’attestation pôle emploi corrigée des sommes visées au jugement.
Statuant à nouveau :
A titre principal :
– juger que le licenciement de Monsieur [V] repose sur une faute grave ;
– en conséquence, débouter Monsieur [V] de ses demandes de condamnation de lui verser les sommes suivantes :
– 23.170 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
– 2.317 euros bruts au titre des congés payés afférents au préavis ;
– 109.872 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
– juger qu’elle n’a pas modifié de façon unilatérale le contrat de travail de Monsieur [V] ;
– en conséquence, débouter Monsieur [V] de sa demande de dommages et intérêts pour modification imposée du contrat de travail ;
– juger qu’elle n’a pas exécuté de façon déloyale le contrat de travail de Monsieur [V] dans le but de le rompre ;
– en conséquence, débouter Monsieur [V] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
A titre subsidiaire :
– juger que le licenciement de Monsieur [V] repose sur une cause réelle et sérieuse ;
– fixer à 5.308,22 euros le salaire mensuel brut moyen de Monsieur [V] ;
– fixer à 95.547,96 euros le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement.
A titre infiniment subsidiaire :
– fixer à 15.924,66 euros le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– débouter Monsieur [V] de toutes ses demandes et plus amples demandes ;
– condamner Monsieur [V] à lui verser la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’instance d’appel ;
– condamner Monsieur [V] aux dépens en cause d’appel dont distraction au profit de Me RAHON.
La société SIEMENS réfute tout d’abord toute modification unilatérale du contrat de travail du salarié à raison de l’évolution de sa mission réorientée sur l’activité migration feu sans management d’équipe et au plus proche de ses compétences professionnelles, et souligne l’absence de toute contestation antérieurement à la présente procédure.
Elle ajoute que cette évolution est intervenue de concert avec le salarié à raison des difficultés rencontrées par Monsieur [V] dans le management de son équipe et conteste toute placardisation.
Elle soutient ensuite que le licenciement notifié pour faute grave au salarié et bien fondé et explique qu’il lui est fait grief d’avoir utilisé de manière réduite le réseau routier afin de limiter le kilométrage de son véhicule personnel, de ne pas avoir effectué l’ensemble des déplacements qu’il a déclarés et établi de fausses notes de frais, de tels manquements étant suffisamment graves pour avoir empêché la poursuite du contrat de travail. Elle conclut ainsi à son débouté s’agissant de sa demande indemnitaire et indique qu’en tout état de cause, il n’y a pas lieu d’écarter l’application du barème MACRON et relève l’absence de toute justification de sa situation par le salarié.
Elle conteste encore avoir exécuté déloyalement le contrat de travail du salarié et avoir cherché à le licencier.
Elle relève enfin, à titre reconventionnel, les agissements déloyaux de Monsieur [V] à son encontre, celui-ci ayant démarché des clients de l’entreprise pour le compte d’une société concurrente, et dénigré la SAS SIEMENS devant ceux-ci.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées.
MOTIFS
– Sur la recevabilité des conclusions n° 3 de Monsieur [V] et des pièces n° 40 et 41 –
Aux termes de l’article 16 du code de procédure civile, ‘le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.’
La société SIEMENS sollicite le rejet des conclusions n°3 de Monsieur [V] et de ses pièces n° 40 et 41 au motif que celles-ci lui ont été communiquées tardivement et que, de ce fait, le principe du contradictoire n’a pas été respecté.
En l’espèce, il est constant que les conclusions n°3 de Monsieur [V] ont été communiquées à la société SIEMENS le jour de l’ordonnance de clôture, soit le 12 décembre 2022. En outre, ces conclusions visent deux nouvelles pièces, les pièces n° 40 et 41.
Il ressort cependant de la lecture des conclusions n°3 de Monsieur [V] que celles-ci n’évoquent qu’un seul nouveau moyen de droit portant sur le principe de l’application du barème dit Macron et que la société SIEMENS a pu répondre sur ce point dans ses conclusions d’intimée récapitulatives aux fins de rejet et au fond en date du 4 janvier 2023.
Il convient également de relever que les pièces n° 40 et 41 consistent en une fiche de paye actualisée du salarié et un article de presse sur la société SIEMENS.
Le principe du contradictoire ayant été respecté, la société SIEMENS sera déboutée de sa demande de voir rejeter les conclusions n°3 de Monsieur [V] ainsi que les pièces n° 40 et 41.
– Sur la rupture du contrat de travail –
Si l’employeur peut sanctionner par un licenciement un acte ou une attitude du salarié qu’il considère comme fautif, il doit s’agir d’un comportement volontaire (action ou omission). À défaut, l’employeur ne peut pas se placer sur le terrain disciplinaire. La faute du salarié correspond en général à un manquement aux obligations découlant du contrat de travail. Elle ne doit pas être prescrite, ni avoir déjà été sanctionnée.
Le code du travail ne donne aucune définition de la faute grave. Selon la jurisprudence, la faute grave se définit comme étant celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations qui résultent du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat de travail.
La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d’appréciation ou l’insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, en tout cas une rupture immédiate du contrat de travail avec dispense d’exécution du préavis.
Il incombe à l’employeur d’apporter la preuve de la faute grave qu’il invoque. Le doute doit profiter au salarié.
En cas de faute grave, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs, mais le maintien du salarié dans l’entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises.
Le licenciement pour faute grave entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement. Elle peut justifier une mise à pied conservatoire, mais le prononcé d’une telle mesure n’est pas obligatoire.
Monsieur [V] relève tout d’abord, au soutien du bien fondé de son licenciement, que les premiers juges ont statué ultra petita en référant à des éléments non visés par l’employeur, et ce alors même que le courrier de notification du licenciement fixe le litige.
Il conteste ensuite la matérialité des griefs de licenciement, et notamment avoir établi des notes de frais injustifiées, ne pas avoir accompli l’ensemble des déplacements professionnels qu’il a déclaré et avoir commis de quelconques fautes qui seraient à l’origine d’un manque à gagner pour l’entreprise. Il reconnaît en revanche avoir utilisé la carte de péage de l’entreprise à des fins personnelles.
Monsieur [V] réfute avoir reconnu la matérialité des faits litigieux lors de l’entretien préalable à licenciement et considère que son licenciement est entaché de nullité (à tout le moins sans cause réelle et sérieuse) et sollicite en conséquence l’indemnisation afférente.
La société SIEMENS soutient que le licenciement notifié pour faute grave au salarié et bien fondé et explique qu’il lui est fait grief d’avoir utilisé de manière réduite le réseau routier afin de limiter le kilométrage de son véhicule personnel, de ne pas avoir effectué l’ensemble des déplacements qu’il a déclarés et établi de fausses notes de frais, de tels manquements étant suffisamment graves pour avoir empêché la poursuite du contrat de travail.
En l’espèce, Monsieur [R] [V], né le 10 mai 1966, a été embauché au sein de la société SIEMENS en qualité d’attaché commercial le 1er décembre 1988 par contrat de travail à durée indéterminée avec un statut d’itinérant.
Il a été promu chef de secteur commercial sur le secteur Auvergne / Loire à compter du 1er octobre 2002.
Il a été ensuite promu responsable commercial le 19 janvier 2010 avec pour mission de manager l’équipe commerciale.
Par courrier en date du 19 mars 2019, Monsieur [V] a été convoqué à un entretien préalable à licenciement, la date étant fixée au 28 mars 2019.
Par courrier recommandé avec avis de réception en date du 5 avril 2019, Monsieur [V] a été licencié pour faute grave.
Le courrier de notification est ainsi libellé :
‘Monsieur,
Nous faisons suite à l’entretien du 28 mars 2019 préalable à une éventuelle sanction pouvant aller jusqu’au licenciement, pour lequel vous avez été convoqué et auquel vous vous êtes presenté accompagné de M.[R] [D].
Les faits qui vous sont reprochés et évoqués lors de l’entretien sont décrits ci-après.
Vous avez été embauché le 1er décembre 1988 et occupez les fonctions de chef de secteur commercial depuis le 1er octobre 2002. Dans ce cadre, vous êtes responsable des objectifs de ventes (marges et volumes) qui vous sont attribués et avez pour missions la prospection de nouveaux clients, le développement de nouveaux secteurs et/ou la fidélisation de votre portefeuille de clients. Aussi, vous bénéficiez du statut d’itinérant et votre contrat de travail précise l’indemnisation des frais kilométriques réalisés avec votre véhicule personnel dans le cadre de votre activité professionnelle.
Le 7 mars 2019, lors d’un appel téléphonique à M,[G], M. [T], coordinateur SSI, a mentionné que le Centre Hospitalier Spécialisé de [Localité 5] n’avait pas reçu de visite d’un collaborateur Siemens dernièrement. Ce retour a suscité l’étonnement de M.[G], puisque vous lui aviez communiqué vous être rendu le 12 février 2019 au CH d'[Localité 5], et avez par ailleurs émis une note de frais pour vous faire indemniser 264km (soit 157€) au titre de ce déplacement. Or, le 15 mars 2019, M.[G] a contacté M.[N] (du site de CH d'[Localité 5]), que vous affirmiez avoir rencontré sur le site. Ce dernier a évoqué un échange téléphonique avec vous mais n’a pas confirmé votre visite du 12 février.
Cet événement nous a mis en porte-a-faux par rapport au coordinateur SSI et par rapport au client, et a fait naître un soupçon quant a la realité de vos rendez-vous clients et votre bonne foi dans la déclaration de vos notes de frais.
Par ailleurs, M. [G] a échangé par telephone avec un representant du théâtre de [Localité 12] qui a également fait état d’une absence de visite commerciale de la part de Siemens ; ce qui ne correspond ni à vos dires ni a la note de frais du 22 octobre 2018, dans laquelle vous avez déclaré 255 km (soit 85,94€) effectués pour vous rendre à [Localité 12].
De nouveau, M. [G] a été mis en porte~a~faux vis-a-vis de ce client ; et pour faire suite a ces différentes incohérences, votre management a demandé le relevé de votre carte péage depuis début 2018. Ce dernier a soulevé plusieurs questionnements :
1. Nous constatons que des péages interviennent souvent le soir, pour un même montant l3,3€ ou 15,76 et ne peuvent que correspondre à des déplacements privés compte-tenu des jours et/ou heures relevés. A titre d’exemple pour 2018 : le 12/01, le 21/02, le 09/03, le 28/03, le 20/04, le 18/05, le 08/06, le 29/06, le 17/07, le 31/08, le 21/09, le 19/10.
2. Les montants de plusieurs péages présents sur le relevé ne concordent pas avec l’activité que vous déclarez et les notes de frais que vous réalisez.
Ainsi:
– Le 05/02/2018 : vous avez déclaré et avez été indemnisé de 175 km au titre d’un déplacement à [Localité 14]. Le relevé Shell indique quant à lui 24,10€ de frais de péage sur cette journée ce qui ne correspond pas au trajet autoroute de [Localité 14]. Vous avez donc manifestement soit fait un faux sur votre note de frais, soit utilisé indûment la carte Shell.
– Le 22/02/2018: vous avez été indemnisé pour un déplacement à [Localité 13], le relevé Shell devrait donc indiquer 6,20 € au maximum de frais de péage et non 13,30€. De la même façon, soit votre note de frais pour [Localité 13] est une fausse déclaration, soit vous avez utilisé à tort votre carte péage.
– Le 23/02/2018 : vous avez déclaré une note de frais pour [Localité 7] (160€ de frais kilométriques), pourtant il n’y a pas de trace de péage alors que l’itinéraire le plus court pour s’y rendre consiste à emprunter l’autoroute. Vous avez déclaré en entretien ne pas prendre systématiquement l’autoroute, or cela nous étonne à plus d’un titre, et notamment pour les motifs expliqués plus bas.
– Le 15/03/2018: vous avez indiqué un rendez-vous à [Localité 9]; les 15,7€ de frais de péage présents sur le relevé a 14h10 et 18h51 ne permettent pas de valider la véracité de cette information, puisqu’ aucun péage nest necessaire pour se rendre à [Localité 9] depuis votre domicile ou depuis l’agence. Vous avez manifestement passé l’après-midi ailleurs, en déclarant malgré tout 44km pour cet apres-midi, ce qui ne peut que confirmer votre absence d’activité commerciale sur cette demi-journée alors que vous n’avez déclaré aucune absence dans le système de gestion des temps.
– Le 27/03/2018: vous avez indiqué un rendez vous a [Localité 11]. ou le prix du péage est de 3,60 € au maximum. Pourtant vous avez dépense 15,70 € de péage ce jour-là à 8h54 et nous retrouvons le même montant le lendemain a 20h38 !. Nous ne savons pas où vous avez passé ces deux jours et vous ne pouvez serieusement declarer un rendez-vous a [Localité 11] avant 8h54, à plus d’une heure de route de votre domicile.
– Le 25/06/2018 : vous avez été indemnisé au titre d’un deplacement à [Localité 14], qui nécessite 5,40€ au plus de frais de péage, en passant par l’autoroute. Or, le relevé Shell indique 10,70€ de péage à 8h38, puis 15,70 € à 12h46. Nous ne pouvons que nous questionner sur votre lieu de présence la matinée du 25 juin en conséquence. Ceci confirme une fois de plus vos déplacements privés durant vos journées de travail, avec utilisation indue de la carte péage de l’entreprise.
– Le 18/07/2018 : vous affirmez vous être rendu à [Localité 6] et avez été indemnisé de 334 km à ce titre, mais un péage de 13,30 € à 14h47 infirme vos déclarations car aucun péage n’est nécessaire pour vous rendre à [Localité 6] depuis votre domicile. Par ailleurs, nous constatons un péage du même montant (13,30 €) la veille à 21h22. Vous avez donc manifestement passé la nuit et une partie de la journée du 18/07 ailleurs, et n’avez pas pu assurer un rendez-vous à [Localité 6] puisque cette destination nécessite minimum 2h30 de route.
Les exemples ainsi recensés sont malheureusement nombreux et incompréhensibles au regard de l’activité déclarée.
Lors de l’entretien, sur le premier point, vous avez tout d’abord soutenu avoir rencontré M.[N] au CH Ainay- le-chåteau le 12 février 2019. D’une part, cela vient en totale contradiction avec le retour client et d’autre part, aucun péage ce jour-là ne permet de confirmer vos propos. Vous avez alors expliqué que votre carte péage vous avait été retirée, et que depuis vous ne preniez plus l’autoroute mais uniquement la nationale. Outre le caractère peu probable d’effectuer autant de kilomètres par la route nationale pour un déplacement professionnel, cette explication n’est pas crédible puisque vous bénéficiez toujours de votre carte péage à cette date-là.
Sur le second point, concernant le théatre de [Localité 12], vous avez au départ expliqué vous y être rendu.
Lorsque M. [G] a insisté sur le retour clu client qui affirme ne pas vous avoir vu, vous avez finalement admis que vous n’aviez pas assuré ce rendez-vous!. Cette attitude pendant l’entretien visait donc à nous mentir afin de vous dédouaner sur les faits qui vous étaient reprochés.
Sur les autres points, lorsque nous avons mentionné les péages récurrents de 13,3€ ou 15,7€, vous avez reconnu avoir utilisé la carte péage de l’entreprise pour des déplacements personnels à [Localité 10], uniquement le soir après votre journée de travail. Vous ne pouviez ignorer la politique relative à l’utilisation de la carte carburant qui précise : ” les frais liés à l’utilisation à titre privé (essence, péage autoroute etc.) sont exclusivement à la charge du salarié. En conséquence, l’utilisation de tout moyen de paiement société (type carte essence) durant des jours ou heures non ouvré(e)s et non travaillé(e)s (vacances, weekend, jours fériés) pour acquitter ces frais est interdite, le non-respect de cette règle etant considéré comme constitutif d’une faute grave. En aucun cas, les cartes carburant ne peuvent être utilisées pour regler les péages et autres prestations liés a des déplacements privés.’
De surcroît, à plusieurs reprises, ces déplacements ont été effectués en pleine journée, alors même que vous étiez censé vous trouver dans une autre ville.
Au sujet des incohérences entre les péages et vos notes de frais, vous avez vainement tenté de vous justifier et de trouver une explication plausible. Cependant, au vu des éléments dont nous disposions, lorsque nous vous avons mis face a vos contradictions et que nous avons détaillé chacune des incohérences, vous avez finalement reconnu avoir menti sur vos destinations et avoir déclaré des kilomètres indus dans plusieurs de vos notes de frais. Nous constatons donc que vous avez effectué de fausses déclarations kilométriques, utilisé votre carte péage à des fins personnelles, et que vous avez délibérément menti pendant l’entretien. Nous ne pouvons que déplorer le fait que vous n’ayez admis les fautes que lorsque vous n’étiez plus en mesure de les contester.
Eu égard à votre ancienneté dans vos fonctions, vous ne pouvez sérieusement ignorer ni la gravité de vos manquements et de vos déclarations mensongéres, ni leurs conséquences. Au-delà de l’aspect financier, de tels agissements trahissent la confiance que vous accordait votre management.
Votre refus de partager votre calendrier avec votre manager malgre plusieurs relances, ainsi que votre obstination à ne pas bénéficier d’un vehicule de société nous laissent penser que vos agissements étaient parfaitement prémédités, bien que vous affirmiez ne pas avoir « fait cela pour rargent ”.
En outre, le flou quant à votre réelle activité commerciale engendre un manque d’entrée de commandes vous concernant, avec un résultat de seulement 350.000 euros d’enregistrement à fin février 2019 pour un objectif annuel de 1.100.000 euros.
Enfin, vous vous étes obstiné lors de l’entretien à nous mentir jusqu’à ce que nous ayons réfuté chacun de vos arguments et que vous ne puissiez plus nier l’évidence, et que vous n’ayez d’autre choix que d’admettre les faits reprochés, ce qui rend votre attitude pendant l’entretien une fois de plus malhonnête.
En conclusion, nous considérons que les faits précités constituent une faute grave rendant impossible votre maintien même temporaire dans l’entreprise, nous conduisant a vous notifier, par la présente votre licenciement pour faute grave.
Votre licenciement sera donc effectif dès la première présentation de cette lettre, sans préavis, ni indemnité de rupture. Nous tenons à votre disposition vos attestations pôle emploi, certificat de travail et reçu pour solde de tout compte.
A réception de ce courrier, vous voudrez bien procéder à la restitution auprès de votre hiérarchie, de l’ensemble des biens, matériels et documents appartenant à notre société (notamment du véhicule professionnel mis à votre disposition).
Depuis le 1er janvier 2015, le Compte Personnel de Formation (CPF) a remplacé le DIF. Les heures de DIF dont vous disposiez au 31 décembre 2014 ne sont pas perdues et pourront être utilisées, dans le cadre du CFF, jusqu’au 1er janvier 2021. Vous trouverez toutes les informations sur le fonctionnement du CPP et les formations éligibles au CPF sur le site moncompteformation.gouv.fr.
Vous pourrez conserver gratuitement à l’issue de votre contrat de travail, et sous réserve de votre prise en charge par le régime d’assurance chômage, le bénéfice du régime de frais et de santé et de prévoyance en vigueur au sein de Siemens. Nous attirons votre attention sur le fait que les garanties maintenues sont celles dont bénéficient les salariés Siemens pendant votre période de chômage, de sorte que toute évolution collective de ces garanties à compter de votre départ vous sera opposable.
Le maintien desdites garanties cessera à l’issue d’une période de douze mois ou avant si vous cessez de bénéficier des allocations de chômage pour quelque cause que ce soit.
Nous attirons votre attention sur l’obligation qui vous incombe de transmettre régulièrement les justificatifs de prise en charge par le régime d’assurance chômage. Le bénéfice de la portabilité en frais de santé comme en prévoyance est en effet assujetti à la présentation de ces justificatifs.
Dans l’hypothèse où vous ne seriez plus pris en charge au titre de l’assurance chômage avant la fin de la période de portabilité, vous devriez nous tenir informés de votre changement de situation et nous présenter un justificatif.
Vous avez la possibilité de renoncer au maintien de ces garanties en le notifiant expressément par écrit à l’entreprise. Pour cela. vous disposez d’un délai de dix jours. A défaut de renonciation expresse par écrit, vous serez réputé avoir accepté le bénéfice desdites garanties.
Enfin, en tant que de besoin, nous levons toute clause de non-concurrence pouvant avoir été prévue à votre contrat ou à tout avenant contractuel.
Nous vous prions de croire, Monsieur,, en l’expression de nos sentiments distingués.
[B] [F]
Responsable Ressources Humaines.’
Il ressort de la lettre de licenciement, laquelle fixe les limites du litige, que la société SIEMENS reproche à Monsieur [V]:
– d’avoir établi des notes de frais mensongères à l’occasion d’un prétendu déplacement au CHS d'[Localité 5] le 12 février 2019 et d’un prétendu déplacement au théâtre de [Localité 12] le 22 octobre 2018 ;
– d’avoir utilisé la carte de péage mise à sa disposition pour effectuer des déplacements de nature privée ;
– d’avoir établi des notes de frais mensongères, les relevés de péage du salarié ne correspondant pas aux activités déclarées par ce dernier.
– Sur les notes de frais mensongères établies à l’occasion de prétendus déplacements –
La société SIEMENS reproche au salarié d’avoir établi des notes de frais mensongères à l’occasion d’un prétendu déplacement au CHS d'[Localité 5] le 12 février 2019 pour un montant de 157 euros, correspondant à un trajet de 264 kilomètres, et d’un prétendu déplacement au théâtre de [Localité 12] le 22 octobre 2018 pour un montant de 85,94 euros, correspondant à un trajet de 225 kilomètres.
En ce sens, l’employeur produit les éléments de preuve suivants:
– un courriel de Monsieur [N], l’interlocuteur de la société au CHS d'[Localité 5], confirmant qu’il n’avait pas rencontré Monsieur [V] le 12 février 2019 ;
– un compte-rendu d’entretien préalable ainsi qu’une attestation rédigés par Monsieur [D], conseiller du salarié présent lors de l’entretien préalable au licenciement, lequel affirme que Monsieur [V] aurait reconnu au cours de cet entretien ne pas être allé au théâtre de [Localité 12].
En outre, la société SIEMENS précise qu’à l’occasion de ces deux prétendus déplacements, le salarié n’a remis aucun frais de péage permettant de confirmer la réalité de ses trajets.
En réponse, Monsieur [V] soutient qu’il s’est bien rendu à [Localité 5] le 12 février 2019, comme l’établit la note de boulangerie dont il s’est acquitté le 12 février 2019 à [Localité 5], et que, malheureusement, Monsieur [N] n’était pas présent ce jour là.
Il affirme également s’être rendu à [Localité 12] le 22 octobre 2018 pour rencontrer Monsieur [Z], responsable sécurité de la ville, puisque c’est la ville de [Localité 12], propriétaire du théâtre, qui gère les investissements en sécurité pour ce bâtiment.
A l’appui de ses dires, il verse aux débats un courriel de Monsieur [Z] en date du jeudi 11 avril 2019 où celui-ci confirme l’avoir rencontré le 22 octobre 2018 au sujet du devis en lien avec la migration du SSI du théâtre de [Localité 12].
S’agissant de l’absence de frais de péage engendrés par ces trajets, Monsieur [V] explique souffrir depuis plusieurs années d’un syndrome d’apnées du sommeil, pathologie qui lui occasionne une somnolence importante notamment lorsqu’il est en conduite monotone. C’est pourquoi il affirme avoir effectué ces trajets par des routes départementales plutôt qu’en empruntant l’autoroute.
Il produit ainsi le certificat médical suivant, établi par le Docteur [I], médecin du centre du sommeil du CHU de [Localité 8] et à la clinique du Grand Pré à DURTOL, en date du 22 juin 2020:
‘Ce patient présente un syndrome d’apnées du sommeil, appareillé depuis plusieurs années. Malgré tout, cette pathologie est à l’origine d’une somnolence importante surtout lorsque le patient est en conduite monotone. C’est pourquoi, lors de tout déplacement professionnel ou privé, il doit privilégier les trajets sur route secondaire et ne pas prendre l’autoroute, ce qui entraîne une exagération de la somnolence diurne excessive.’
Si la société SIEMENS reproche au salarié de ne jamais lui avoir donné connaissance de ces éléments médicaux auparavant, notamment dans le cadre de ses visites auprès du médecin du travail, il convient de relever que ce dernier n’a aucune obligation de faire état auprès de son employeur d’informations éminemment personnelles en lien avec son état de santé.
En ce qui concerne la valeur probatoire du compte-rendu d’entretien préalable et de l’attestation rédigés par Monsieur [D], force est de constater, d’une part, que le salarié a refusé de signer le compte-rendu en question, estimant qu’il ne reflétait pas la réalité du déroulement de l’entretien, et, d’autre part, que d’après ses explications, Monsieur [V] ne s’est effectivement pas rendu au théâtre de [Localité 12] mais a rencontré le responsable sécurité de la ville en charge des investissements en sécurité du bâtiment.
Ainsi, le premier manquement lié à l’établissement de fausses notes de frais à l’occasion de déplacements fictifs n’est pas établi.
– Sur l’utilisation de la carte de péage pour effectuer des déplacements de nature privée –
A l’appui de son licenciement pour faute grave, la société SIEMENS fait valoir que Monsieur [V] a utilisé la carte de péage mise à sa disposition pour effectuer des déplacements de nature privée.
La société estime que l’examen du relevé de la carte de péage du salarié démontre l’existence de frais de péage à hauteur de 13,30 euros ou 15,70 euros, lesquels sont incompatibles avec des déplacements professionnels, survenant la plupart du temps les vendredi soirs.
Or, il ressort de la note de service transmise à l’ensemble des salariés que l’utilisation à des fins non-professionnelles de la carte de péage est interdite.
Monsieur [V] réplique que s’il a utilisé quelques fois sa carte de péage à titre personnel c’est par erreur et manque d’informations. En effet, il était persuadé que son utilisation était uniquement proscrite les jours de congés et de week-ends.
Il reconnaît avoir utilisé la carte de péage certains jours de semaine pour se rendre chez sa compagne, laquelle résidait à [Localité 15], et précise qu’il a immédiatement proposé à son employeur de rembourser les sommes ainsi indûment perçues, lesquelles s’élevaient à moins de 200 euros.
Ce manquement du salarié visé dans la lettre de licenciement est établi.
– Sur les notes de frais mensongères en raison d’une discordance entre les relevés de péage du salarié et ses activités déclarées –
La société SIEMENS reproche, à l’appui du relevé de péage du salarié, d’avoir établi d’autres notes de frais mensongères et d’avoir fait un usage frauduleux de la carte de péage mise à sa disposition dans les conditions suivantes:
– déplacement du 5 février 2018: Monsieur [V] a sollicité un remboursement au titre d’un prétendu déplacement à [Localité 14] pour des frais de péage de 24,10 euros alors que les frais pour un trajet depuis [Localité 8] s’élèvent à 10,80 euros ;
– déplacement du 22 février 2018: Monsieur [V] a sollicité un remboursement au titre d’un prétendu déplacement à [Localité 13] pour des frais de péage de 13,30 euros alors que les frais pour ce trajet s’élèvent à 6,20 euros ;
– déplacement du 23 février 2018: Monsieur [V] a sollicité un remboursement au titre d’un prétendu déplacement à [Localité 7] (soit 268 kilomètres et 159,46 euros) alors qu’il n’y a aucune trace de ce trajet sur le relevé de péage ;
– déplacement du 15 mars 2018: Monsieur [V] a engagé des frais de péage de 31,40 euros pour un prétendu déplacement à [Localité 9] alors qu’il n’y a aucune autoroute entre ce lieu et l’agence ou son domicile ;
– déplacement du 27 mars 2018: Monsieur [V] a sollicité un remboursement au titre d’un prétendu déplacement à [Localité 11] pour des frais de péage de 15,70 euros alors que les frais pour ce trajet s’élèvent à 3,60 euros ;
– déplacement du 25 juin 2018: Monsieur [V] a sollicité un remboursement au titre d’un prétendu déplacement à [Localité 14] pour des frais de péage de 10,70 euros (aller) alors que les frais pour ce trajet s’élèvent à 5,40 euros ;
– déplacement du 18 juillet 2018: Monsieur [V] a sollicité un remboursement au titre d’un prétendu déplacement à [Localité 6] pour des frais de péage de 13,30 euros alors qu’il n’était pas nécessaire d’emprunter l’autoroute depuis son domicile.
En réponse, Monsieur [V] fait part des éléments suivants:
– Sur le déplacement du 5 février 2018: il s’est bien rendu à une maison de retraite à proximité de [Localité 14] comme en témoignent les photos prises lors de la visite ainsi que le courriel envoyé à ses collègues à son retour de la visite. Les frais de péage supérieurs s’expliquent du fait qu’il était chez sa compagne, à [Localité 15], la veille du déplacement.
– Sur le déplacement du 22 février 2018: Monsieur [V] n’a pas déclaré s’être rendu à [Localité 13] le 22 février 2018 mais le 12 février 2018, ce qui est confirmé par Monsieur [C], président de la SAS [C], par courriel du 4 juin 2019.
– Sur le déplacement du 23 février 2018: le salarié s’est bien rendu à [Localité 13] et à [Localité 7] le 23 février, où il a rencontré Monsieur [P], responsable technique de l’entreprise DESMERCIERES, et Monsieur [O], directeur de la maison d’enfants de [Localité 7], comme il en ressort de l’attestation établie par Monsieur [P] et du courriel rédigé par Monsieur [O].
– Sur le déplacement du 15 mars 2018: Monsieur [V] affirme s’être rendu à la société RESINTEL à [Localité 9] à 9 heures, avoir ensuite travaillé à l’agence SIEMENS jusqu’à 12 heures et avoir fait du télétravail, comme il y était autorisé, au domicile de sa compagne à [Localité 15], l’après-midi.
– Sur le déplacement du 27 mars 2018: le salarié produit une attestation de Monsieur [L], gérant de la SARL [L], lequel confirme s’être rendu avec lui à la maison de retraite de [Localité 11] le 26 mars 2018. En effet, Monsieur [V] indique avoir commis une erreur de saisie, le déplacement à [Localité 11] correspondant au 26 mars et non au 27 mars 2018.
– Sur le déplacement du 25 juin 2018: Monsieur [V] s’est bien rendu sur un chantier à [Localité 14] ce jour-là, comme il en résulte de l’attestation établie par Monsieur [K], responsable technique de la compagnie de [Localité 14]. Les frais de péage supérieurs s’expliquent du fait qu’il a effectué une partie du déplacement chez sa compagne, à [Localité 15].
– Sur le déplacement du 18 juillet 2018: les discordances s’expliquent à nouveau par une erreur de saisie, le déplacement ayant en réalité été effectué le 17 juillet 2018, et par un déplacement chez sa compagne, à [Localité 15].
Ce dernier manquement n’est pas établi, l’employeur n’apportant pas la preuve que le salarié a intentionnellement établi des notes de frais mensongères. En outre, il n’y a pas lieu de développer davantage sur les considérations annexes de l’employeur quant aux horaires de travail effectifs du salarié pendant ces déplacements dans la mesure où Monsieur [V] n’était soumis à aucun horaire de présence en tant qu’itinérant et était libre de gérer son emploi du temps comme il le souhaitait.
Ainsi, il ressort de tout ce qui précède que l’employeur n’établit aucunement que Monsieur [V] aurait déclaré des déplacements fictifs ou établi des notes de frais mensongères pour bénéficier d’un remboursement de frais indu.
Le seul manquement pouvant être établi à l’encontre du salarié consiste en l’utilisation de la carte de péage, mise à sa disposition par l’employeur, pour effectuer des déplacements de nature privée, à savoir pour se rendre au domicile de sa compagne, laquelle résidait à [Localité 15].
Alors que Monsieur [V] bénéficiait d’une ancienneté de 30 ans, n’avait jamais fait l’objet d’une quelconque sanction disciplinaire et que les sommes susceptibles d’avoir été détournées sont faibles (quelques centaines d’euros), de tels faits ne sont pas de nature à rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ni de constituer une cause réelle et sérieuse d’un licenciement.
Le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il dit que le licenciement de Monsieur [R] [V] repose sur une cause réelle et sérieuse et, statuant à nouveau, la cour dit que le licenciement de Monsieur [R] [V] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse.
– Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail –
– Sur le salaire de référence –
La société SIEMENS fait valoir que le salaire de référence du salarié doit être fixé à la somme de 5.308,22 euros.
Cependant, il résulte de l’examen des bulletins de paie du salarié que ce dernier percevait une rémunération mensuelle brute de 6.104 euros correspondant à la moyenne des salaires bruts des 12 derniers mois, dont la somme est de 73.243 euros.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a fixé le salaire de référence de Monsieur [R] [V] à la somme de 6.104 euros.
– Sur l’indemnité de licenciement et l’indemnité de préavis –
Au moment de son licenciement, Monsieur [V] était âgé de 54 ans, bénéficiait d’une ancienneté de 30 ans et percevait un salaire mensuel moyen de 6.104 euros.
Au vu des dispositions de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie applicable, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a condamné la SAS SIEMENS à payer à Monsieur [R] [V] les sommes de 109.872 euros au titre de l’indemnité de licenciement et de 23.170 euros au titre de l’indemnité de préavis, outre 2.317 euros au titre des congés payés afférents.
– Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse –
Aux termes de l’article L.1235-3 du code du travail, lorsque le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse et que le salarié bénéficie d’une ancienneté, en années complètes, de 30 ans, celui-ci peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 et 20 mois de salaire brut.
La cour ayant retenu que le licenciement de Monsieur [V] était dénué de cause réelle et sérieuse, le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a débouté Monsieur [R] [V] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Au vu des éléments d’appréciation dont la cour dispose, il y a lieu de condamner la SAS SIEMENS à payer à Monsieur [R] [V] la somme de 91.560 euros (brut), correspondant à 15 mois de salaire brut, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– Sur la demande de dommages et intérêts au titre de la modification unilatérale du contrat de travail –
Monsieur [V] soutient que l’employeur a modifié unilatéralement ses fonctions de travail dès lors qu’il s’est vu retirer ses fonctions de manager sans qu’aucun avenant contractuel ne soit régularisé entre les parties, en sorte qu’il n’est pas établi qu’il aurait donné son accord à une telle rétrogradation et ce d’autant plus qu’il manageait convenablement son équipe. Il rappelle à cet égard que la seule poursuite du contrat de travail aux nouvelles conditions ne peut suffire à caractériser l’accord du salarié. Il sollicite l’indemnisation du préjudice subi.
La société SIEMENS réfute toute modification unilatérale du contrat de travail du salarié à raison de l’évolution de sa mission réorientée sur l’activité migration feu sans management d’équipe et au plus proche de ses compétences professionnelles, et souligne l’absence de toute contestation antérieurement à la présente procédure.
Elle ajoute que cette évolution est intervenue de concert avec le salarié à raison des difficultés rencontrées par Monsieur [V] dans le management de son équipe et conteste toute placardisation.
En l’espèce, il ressort des éléments versés par la société SIEMENS, et notamment des évaluations professionnelles et entretiens d’évaluation professionnelle pour les années 2013, 2014, 2015 et 2018 du salarié, que la réorientation des fonctions de Monsieur [V], consistant à réorienter sa mission sur l’activité migration feu sans management d’équipe, correspond à une évolution intervenue de concert avec le salarié.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté Monsieur [R] [V] de sa demande de dommages et intérêts pour modification unilatérale de son contrat de travail.
– Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail –
Monsieur [V] excipe de l’exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur au motif que l’employeur aurait cherché à l’évincer des effectifs de l’entreprise étant souligné la concomitance de la procédure de licenciement avec le refus qu’il a opposé au salarié de signer des courriers que celui-ci avait établis et en dépit duquel lesdites correspondances ont été envoyées aux clients, sans son accord, avec l’apposition par l’employeur de sa signature électronique. Il sollicite l’indemnisation du préjudice subi à raison des agissements de l’employeur.
La société SIEMENS conteste avoir exécuté déloyalement le contrat de travail du salarié et avoir cherché à le licencier.
En l’espèce, force est de constater que si Monsieur [V] se présente comme un ‘lanceur d’alerte’ en ce qui concerne les consignes en matière d’obsolescence données par son employeur ainsi que sur des faits d’entente en lien avec un marché d’appel d’offres, aucun élément de preuve n’est fourni à ce sujet hormis des articles de presse écrite se rapportant à d’autres situations que celles du présent litige.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté Monsieur [R] [V] de sa demande de dommages et intérêts au titre de l’exécution déloyale de son contrat de travail.
– Sur la demande reconventionnelle –
Monsieur [V] conteste le bien fondé de la demande reconventionnelle présentée par l’employeur et conteste avoir commis de quelconques agissements déloyaux au détriment de l’employeur. Il fait valoir à cet égard qu’il n’était soumis à aucune clause de concurrence en sorte qu’il lui était loisible de travailler pour le compte d’une autre entreprise concurrente, y compris dans la même région que celle où se trouve localisée l’établissement de l’employeur et qu’il est normal dans ce cadre qu’il ait prospecté des clients de la société SIEMENS. Il réfute de même avoir dénigré son employeur et soutient plus largement que celle-ci n’a aucun intérêt à agir sur ce fondement dès lors qu’il ne fait plus partie de son effectif.
La société SIEMENS relève, à titre reconventionnel, les agissements déloyaux de Monsieur [V] à son encontre, celui-ci ayant démarché des clients de l’entreprise pour le compte d’une société concurrente et dénigré la SAS SIEMENS devant ceux-ci.
En l’espèce, il ressort de la lecture du contrat de travail de Monsieur [V] que celui-ci n’était effectivement soumis à aucune clause de non-concurrence et de la lecture des courriels litigieux que ceux-ci tendaient davantage à vanter les mérites des services qu’il était amené à promouvoir dans le cadre de son nouveau travail qu’à dénigrer son ancien employeur.
Le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a ordonné à Monsieur [R] [V] de cesser ses agissements déloyaux auprès des clients et partenaires de SIEMENS, directement ou indirectement, ceci sans astreinte.
– Sur les frais irrépétibles et les dépens –
Les dispositions du jugement déféré relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance seront confirmées.
En équité, la SAS SIEMENS sera condamnée à payer à Monsieur [R] [V] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
La SAS SIEMENS sera condamnée au paiement des dépens en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
– Déboute la SAS SIEMENS de sa demande de voir rejeter les conclusions n°3 de Monsieur [R] [V] ainsi que les pièces n° 40 et 41 ;
– Infirme le jugement déféré en ce que le conseil de prud’hommes a dit que le licenciement de Monsieur [R] [V] repose sur une cause réelle et sérieuse et, statuant à nouveau, dit le licenciement de Monsieur [R] [V] sans cause réelle et sérieuse;
– Infirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté Monsieur [R] [V] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et, statuant à nouveau, condamne la SAS SIEMENS à payer à Monsieur [R] [V] la somme de 91.560 euros (brut), à titre de dommages et intérêts, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– Infirme le jugement déféré en ce qu’il a ordonné à Monsieur [R] [V] de cesser ses agissements déloyaux auprès des clients et partenaires de SIEMENS, directement ou indirectement, ceci sans astreinte, et, statuant à nouveau, déboute la SAS SIEMENS de sa demande reconventionnelle ;
– Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
– Condamne la SAS SIEMENS à payer à Monsieur [R] [V] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
– Condamne la SAS SIEMENS au paiement des dépens en cause d’appel ;
– Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le greffier, Le Président,
N. BELAROUI C. RUIN