Télétravail : 7 mars 2023 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/01487

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Télétravail : 7 mars 2023 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/01487
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7 mars 2023
Cour d’appel de Besançon
RG n°
21/01487

ARRÊT N°

BUL/SMG

COUR D’APPEL DE BESANÇON

ARRÊT DU 7 MARS 2023

CHAMBRE SOCIALE

Audience publique

du 15 novembre 2022

N° de rôle : N° RG 21/01487 – N° Portalis DBVG-V-B7F-ENEW

S/appel d’une décision

du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BESANCON

en date du 20 juillet 2021

Code affaire : 80A

Demande d’indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

APPELANTE

Madame [F] [G], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Sviatoslav FOREST, avocat au barreau de BESANCON, présent

INTIMEE

S.A.R.L. M.C.G.I., sise [Adresse 1]

représentée par Me Emmanuelle-Marie PERNET, avocat au barreau de BESANCON, présente

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats du 15 Novembre 2022 :

Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre

Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller

Mme Florence DOMENEGO, Conseiller

qui en ont délibéré,

Mme MERSON GREDLER, Greffière lors des débats

Les parties ont été avisées de ce que l’arrêt sera rendu le 17 Janvier 2023 par mise à disposition au greffe. A cette date la mise à disposition de l’arrêt a été prorogé au 31 janvier 2023 puis au 28 février 2023 et au 7 mars 2023.

**************

FAITS ET PROCEDURE

Mme [F] [G] a été embauchée par contrat à durée indéterminée du 24 juillet 2019 avec effet au 2 septembre 2019 au sein de la société MCGI en qualité d’assistante comptable.

Mme [F] [G], qui souffre d’une pathologie handicapante, la maladie de Crohn, en a informé son employeur lors de l’embauche.

A l’occasion de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid19, Mme [F] [G] a été placée en arrêt de travail, considérée comme personne vulnérable, à compter du 21 mars 2020, prise en charge par l’assurance maladie jusqu’au 30 avril 2020, puis au titre du chômage partiel à compter du 1er mai 2020.

Compte tenu des difficultés financières générées par la crise sanitaire, la société MCGI a envisagé la suppression d`un poste pour sauvegarder son entreprise et par deux lettres recommandées avec accusé de réception des 29 mai et 2 juin 2020, a convoqué Mme [F] [G] à un entretien préalable à licenciement pour motif économique.

A réception, Mme [F] [G] a informé son employeur de sa qualité de travailleur handicapé par pli recommandé du 3 juin 2020, reconnaissance attribuée par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) le 20 septembre 2019, dont l’employeur n’avait pas été informé avant cette date.

Lors de l’entretien préalable du 10 juin 2020, Mme [Z], gérante de la société MCGI, a proposé à Mme [F] [G] l’adhésion au contrat de sécurisation professionnelle (CSP).

La salariée ayant adhéré au CSP le 24 juin 2020, son licenciement a donc été fixé au 1er juillet 2020, date de la fin du délai de réflexion.

Par requête expédiée le 31 août 2020, Mme [F] [G] a saisi le conseil de prud’hommes de Besançon aux fins de poursuivre la nullité de son licenciement et à défaut son absence de cause réelle et sérieuse, et obtenir l’indemnisation de ses préjudices.

Par jugement du 20 juillet 2021, ce conseil a :

– dit que le licenciement n’est pas nul et repose sur une cause réelle et sérieuse

– débouté en conséquence Mme [F] [G] de ses demandes d’indemnité pour licenciement nul et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

– dit que la société MCGI a établi et respecté les critères d’ordre de licenciement ainsi que la procédure d’ordre des licenciements

– débouté en conséquence Mme [F] [G] de sa demande de dommages-intérêts pour non respect de cette procédure

– condamné la société MCGI au paiement de la somme de 333,33 € au titre de l’indemnité légale de licenciement

– débouté Mme [F] [G] de sa demande indemnitaire au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail

– débouté la société MCGI de ses demandes reconventionnelles

– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile

– condamné la société MCGI aux entiers dépens

Par déclaration du 3 août 2021, Mme [F] [G] a relevé appel de cette décision et selon dernières conclusions du 19 février 2022, demande à la cour de :

– infirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il a condamné la société MCGI aux dépens et au paiement de la somme de 333,33 € au titre de l’indemnité légale de licenciement et en ce qu’il a rejeté les demandes reconventionnelles de celle-ci

Sur le licenciement,

– dire que le licenciement est discriminatoire comme ayant été prononcé en raison de son sexe et de son état de santé et en prononcer en conséquence la nullité

– condamner la société MCGI à lui payer la somme de 12 000 € au titre de l’indemnité pour licenciement nul

– dire que l’employeur n’a pas établi et respecté les critères d’ordre du licenciement et condamner par conséquent la société MCGI à lui payer la somme de 2 000 € à ce titre

A titre subsidiaire sur le licenciement,

– dire le licenciement dénué de toute cause réelle et sérieuse et condamner par conséquent la société MCGI à lui payer la somme de 4 000 € au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

A titre infiniment subsidiaire, sur la procédure d’ordre,

– dire que l’employeur n’a pas respecté la procédure d’ordre des licenciements et condamner par conséquent la société MCGI à lui payer la somme de 4 000 € au titre du préjudice subi

En tout état de cause,

– débouter la société MCGI de l’intégralité de ses demandes reconventionnelles

– condamner la société MCGI à lui payer la somme de 1 500 € au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail

– condamner la société MCGI à lui verser la somme de 2 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Par conclusions du 14 décembre 2021, la société MCGI demande à la cour de :

– confirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il l’a condamnée au paiement d’une indemnité légale de licenciement et à une indemnité de procédure ainsi qu’aux dépens et l’a déboutée de sa demande indemnitaire pour exécution déloyale du contrat de travail par la salariée

– débouter la salariée de sa demande de paiement de la somme de 333,33€ au titre de l’indemnité légale de licenciement et ordonner le remboursement de la somme perçue à ce titre dans le cadre de l’exécution provisoire

– débouter la salariée de sa demande au titre de l’exécution déloyale du contrat

– condamner Mme [F] [G] à lui payer la somme de 2 000 € au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail

– condamner Mme [F] [G] à lui payer la somme de 2 500 € au titre des frais irrépétibles, rejeter sa demande sur le même fondement et la condamner aux dépens

Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

I- Sur la nullité du licenciement du chef de la discrimination

Mme [F] [G] fait grief aux premiers juges d’avoir considéré que la discrimination au regard de l’état de santé ne pouvait être retenue au motif que l’employeur n’avait eu connaissance de sa qualité de travailleur handicapé que postérieurement à sa convocation à l’entretien préalable et qu’elle avait bénéficié d’un point supplémentaire au titre de ce statut dans les critères du licenciement.

Elle estime au contraire que la société MCGI a manqué à son obligation renforcée de lui conserver son emploi en tant que travailleur handicapé comme le lui imposait l’article L.5213-6 du code du travail ainsi qu’à l’ordre des licenciements, qui lui imposait de prendre en considération son statut, et que faute de justifier d’une mesure concrète de conservation de l’emploi de sa salariée, le licenciement est présumé fondé sur son état de santé.

Elle leur reproche en outre de n’avoir pas répondu au moyen relatif à la discrimination fondée sur le sexe, soutenant qu’à ancienneté égale le choix de l’employeur de conserver son collègue masculin précisément parce que c’est un homme, sous couvert de parité, est discriminant.

La société MCGI réfute toute discrimination et ne voit pas quelle mesure concrète elle aurait pu mettre en place compte tenu du motif économique du licenciement et de la taille de l’entreprise. Elle précise que dans l’ordre des licenciements, la salariée disposait d’un point et son collègue masculin occupant le même poste de trois points (ancienneté, expérience, parité). Elle soutient que la prise en compte, parmi d’autres, du critère de parité ne peut s’analyser comme une discrimination fondée sur le sexe.

Aux termes de l’article L.1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, en raison notamment de son état de santé ou de son sexe.

Tout licenciement pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance des dispositions de l’article L.1132-1 est nul, en application de l’article L.1132-4 du code du travail.

L’article L.1134-1 du même code prévoit que lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions de l’article L.1132 précité, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il est en premier lieu avéré que si l’employeur avait connaissance de la pathologie dont souffrait Mme [F] [G] dès l’embauche de celle-ci et a d’ailleurs adapté son poste de travail à ses contraintes, ce que ne remet nullement en cause la salariée dans le cadre de la présente instance, cette dernière ne l’a informé de la reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé qu’après réception de sa convocation en vue de l’entretien préalable au licenciement par une correspondance du 2 juin 2020 réceptionnée le lendemain (pièce 11).

Si la société MCGI en déduit avec pertinence qu’elle n’a pu engager la procédure de licenciement du fait du statut de travailleur handicapé de sa salariée, il n’en demeure pas moins que cette dernière peut en revanche estimer que cette décision est en lien avec sa pathologie et son état de santé, dont avait connaissance l’employeur dès l’origine.

L’appelante indique à cet égard que le seul autre assistant comptable de la société a été recruté le même jour qu’elle, présentait donc la même ancienneté et était pareillement célibataire sans enfant.

Mme [F] [G] considère en outre que sa mesure de licenciement est discriminante en ce qu’elle repose sur un choix de l’employeur consistant à privilégier un collègue de sexe masculin.

Elle s’appuie à ce titre sur :

– l’attestation de M. [D] [J], présent lors de l’entretien préalable en tant que conseiller du salarié, qui témoigne : ‘aucune référence n’a alors été faite aux critères d’ordre de priorité, mais seulement une réponse que je cite : ‘je préfère garder votre collègue car il est de genre masculin”

– un document signé par elle-seule et à ce titre dépourvu de force probante intitulé ‘Compte-rendu de l ‘entretien préalable à un licenciement pour motif économique concernant Mme [G] [O] (en réalité [F]) en date du 10 juin 2020″, duquel il ressort que questionné sur les raisons du choix du salarié concerné par la mesure, l’employeur rétorque n’avoir aucun grief à l’encontre de sa salariée et être très satisfait de son travail mais préférer ‘garder son collègue homme’

Ce faisant, Mme [F] [G] présente des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination, de sorte qu’il incombe à la société MCGI de faire la démonstration que sa décision repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En premier lieu, si Mme [F] [G] fait à juste titre valoir que connaissance prise de son statut de travailleur handicapé le 3 juin 2020, la société MCGI était dès lors tenue de prendre en considération ce statut dans le cadre de la procédure de licenciement pour motif économique engagée à son encontre (Soc. 11 octobre 2006 n°04-47168), il apparaît que tel a été le cas dans la mesure où l’employeur a attribué un point à sa salariée à raison de ce handicap dont il a tenu compte dans l’appréciation de l’ordre des licenciements.

En outre, l’article L.5213-6 du code du travail, invoqué par l’appelante, prévoit que ‘Afin de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard des travailleurs handicapés, l’employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1° à 4° et 9° à 11° de l’article L. 5212-13 d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée.

L’employeur s’assure que les logiciels installés sur le poste de travail des personnes handicapées et nécessaires à leur exercice professionnel sont accessibles. Il s’assure également que le poste de travail des personnes handicapées est accessible en télétravail.

Ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en oeuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l’aide prévue à l’article L. 5213-10 qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l’employeur.

Le refus de prendre des mesures au sens du premier alinéa peut être constitutif d’une discrimination au sens de l’article L. 1133-3″.

Pour autant, si l’employeur ne produit aucun élément ni d’ailleurs n’allègue avoir pris des mesures en vue de la conservation du poste de sa salariée handicapée, le texte ne lui impose cette obligation que dans la limite d’une proportion des charges qu’induiraient de telles mesures.

Or, le licenciement étant fondé en l’occurrence sur un motif économique annoncé dès la convocation à l’entretien préalable à une date où l’employeur ignorait le statut de travailleur handicapé de sa salariée, en lien avec une perte de clientèle et de trésorerie consécutive à la crise sanitaire liée à la Covid19, la suppression du poste d’assistante comptable de l’intéressée, dans une entité ne comportant que trois salariés (deux postes de ce type en plus d’un poste de comptable) ne permettait à l’évidence pas, dans cette stricte limite, la conservation d’un poste compatible avec la qualification de l’appelante.

Par ailleurs, les articles L.1233-5 et 7 du code du travail imposent à l’employeur qui décide d’un licenciement pour motif économique de prendre notamment en compte l’ensemble des critères suivants, même s’il peut privilégier l’un d’eux :

1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés

2° L’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise

3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés

4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie

A cet égard il résulte des pièces communiquées que la situation de famille de Mme [F] [G] est identique à celle de son collègue, M. [P] [Y], puisqu’étant respectivement nés en 1996 et 1997 ils sont tous deux célibataires sans enfant à charge.

En revanche, leur ancienneté de service, en dépit d’un recrutement concomitant le 2 septembre 2019 par la société MCGI ne permet pas de retenir, comme le prétend l’appelante, que leur ancienneté serait identique.

En effet, selon l’article L.1234-8 du code du travail, l’absence d’un salarié pour maladie non professionnelle entraîne une suspension du contrat de travail, dont la période n’entre pas en compte pour calculer la durée de l’ancienneté de service du salarié.

Il s’ensuit que Mme [F] [G] ayant été en situation d’arrêt de travail du 21 mars au 30 avril 2020, son ancienneté est moindre, de sorte que l’employeur, qui a fixé un ordre de licenciement attribuant 0 point en-deça de huit mois d’ancienneté et 1 point de huit à douze mois d’ancienneté a pu valablement attribuer un point à M. [P] [Y] et 0 point à l’appelante à ce titre, dans la mesure où la période de six semaines d’arrêt de travail pour maladie non professionnelle du 21 mars au 30 avril 2020 doit être retranchée.

Au surplus, doivent également être retranchées de ce calcul la période de chômage partiel dont a bénéficié la salariée du 1er au 29 mai 2020 et la période de congé sans solde du 9 au 13 septembre 2019, soit onze semaines au total.

S’agissant de leur expérience et qualités professionnelles respectives, il est admis que l’employeur est seul juge de leur appréciation sous réserve que cette appréciation repose sur des éléments objectifs et ne procède pas d’un excès de pouvoir (Soc 22 septembre 2021 n°19-23.679).

En l’espèce, M. [P] [Y] a tout d’abord, en dépit d’un recrutement à la même date que l’appelante, mis davantage à profit son expérience au sein de cette entreprise du fait de l’absence de Mme [F] [G] durant onze semaines.

En outre, les curriculum vitae respectifs donnent à voir qu’avant son engagement par la société MCGI, et hormis un job d’été en qualité de comptable en entreprise (juillet/août 2017) Mme [F] [G] ne fait état que de stages, en l’occurrence d’assistante comptable (avril/juin 2015), en audit (avril/juin 2018) et en comptabilité et audit (janvier/juillet 2019) sur une période totale de treize mois, alors que son collègue justifie, outre d’un job d’été (2 mois en 2017) en tant que gestionnaire de portefeuille chez Groupama, d’une expérience de stages en tant qu’aide-comptable dans un cabinet d’expertise comptable de 2015 à 2017 (parallèlement à son BTS) et d’un poste en alternance de 2017 à 2019 parallèlement à l’obtention de son diplôme de comptabilité et de gestion.

Il apparaît à la cour que l’appréciation objective des éléments ci-dessus met en évidence un avantage au bénéfice du collègue de Mme [F] [G].

Enfin si l’appelante reproche à son employeur de n’avoir pas appréhendé l’un des critères légaux, en l’occurrence celui des qualités professionnelles, l’examen du tableau définissant l’ordre des critères de licenciement suffit à établir le contraire.

Ainsi à ce stade, Mme [F] [G] a été créditée d’un point au titre du critère ‘caractéristiques sociales’ en raison de son handicap et M. [P] [Y] de deux points au titre des critères d’ancienneté et d’expérience et qualités professionnelles, de sorte que même sans avoir égard au critère de parité, retenu également par l’employeur, le choix porté sur le licenciement de l’appelante n’apparaît pas discriminant.

A cet égard, l’employeur a parfaitement pu intégrer le statut du handicap dans l’attribution des points aux salariés concernés aussitôt qu’il en a eu connaissance, le 3 juin 2020, sans que Mme [F] [G] puisse en déduire que les critères d’ordre auraient été définis postérieurement à son licenciement.

Surabondamment, la société MCGI a retenu également le critère de parité en attribuant 1 point à M. [P] [Y] dans la mesure où sur l’ensemble des salariés de l’entreprise, qui ne comptait que trois salariés, Mme [B] [A], cadre collaboratrice comptable, Mme [F] [G] et M. [P] [Y], tous deux assistants comptables, il était le seul salarié de sexe masculin, comme en atteste le registre du personnel édité le 23 septembre 2020 (pièce 17).

Mme [F] [G] ne peut sérieusement prétendre que son licenciement serait discriminatoire à raison de son sexe en se prévalant des termes utilisés par son employeur lors de l’entretien préalable au licenciement, qui indiquait préférer ‘conserver son collègue homme’ comme en atteste en forme de droit M. [D] [J], présent lors de cet entretien, dès lors que le critère de la parité est l’un des critères pris en compte parmi d’autres par l’employeur et qu’il est apprécié de façon objective dans le souci légitime d’établir au sein de cette très petite entreprise (TPE) qui ne comportait que trois salariés, un équilibre en terme de parité hommes/femmes et une égalité de traitement.

Au regard des éléments qui précèdent, la société MCGI démontrant que le licenciement de sa salariée était justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, il y a lieu, confirmant le jugement, de rejeter le moyen tiré de la discrimination,de débouter l’appelante de sa demande de nullité du licenciement et de rejeter sa demande indemnitaire à ce titre.

II- Sur l’absence de cause réelle et sérieuse au licenciement économique

En vertu de l’article L.1233-3 du code du travail :

‘Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d’activité de l’entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.’

Au cas particulier, la lettre de licenciement du 19 juin 2020, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigé :

‘..Nous vous informons de notre décision de procéder à votre licenciement pour motif

économique.

Celui-ci est justifié par les éléments suivants: nous enregistrons depuis janvier 2020, une

dégradation de notre trésorerie qui a été accentuée par la crise sanitaire de mars 2020. Cette dégradation est la conséquence de délais de paiements allongés par certains clients

rencontrant des difficultés financières, de perte de dossiers suite à des décisions de nos clients de vendre leur entreprise ou de partir en retraite. La crise relative au Covid-19 n’a fait que renforcer ces difficultés qui devaient être provisoires et semblent se pérenniser. Aussi, afin de sauver notre entreprise qui existe depuis 30 ans, nous sommes contraints de prendre des mesures pour diminuer les frais fixes.

Ce motif nous a conduits à supprimer votre poste…’

Mme [F] [G] fait grief aux premiers juges d’avoir considéré établi le caractère réel et sérieux du motif économique au regard de la perte financière démontrée par la société MCGI à hauteur de 54 375,72 euros, suite à la crise sanitaire et de la perte d’importants clients.

Elle estime au contraire que les difficultés économiques alléguées ne sont pas significatives au regard du texte précité puisqu’au moment de son licenciement son employeur enregistrait une perte de chiffre d’affaire de 20 704 euros sur 11 mois pour un chiffre d’affaire de 296 000 euros en 2018/2019 et de 275 000 euros en 2019/2020.

Il incombe donc à la cour d’apprécier, à la date de notification du licenciement, soit le 19 juin 2020, si la dégradation de la trésorerie aggravée par la pandémie et la fermeture des magasins et la baisse de chiffre d’affaires qui constituent les motifs avancés par l’intimée pour justifier le congédiement de sa salariée, étaient réelles et de nature à justifier son licenciement pour motif économique.

Il ressort des éléments versés aux débats que la société MCGI a subi une perte de chiffre d’affaire de 28 930,72 euros sur la période du 30 septembre 2019 au 30 septembre 2020, auquel l’expert comptable indépendant et commissaire aux comptes Mme [H] [I], explique qu’il convient d’y ajouter la perte de chiffre d’affaire à venir de 25 445 euros résultant de la résiliation des lettres de mission de plusieurs clients.

Ainsi il doit être retenu, selon ce professionnel, une perte globale de chiffre d’affaire de 54 375,72 euros, indiscutablement significative pour une TPE dont le chiffre d’affaire au 30 septembre 2020 s’élève à 297 793 euros (Pièces 26-1 à 26-3).

Il est par ailleurs démontré que l’intimée a dû solliciter un étalement des charges dues à l’URSSAF pour un montant de 12 000 euros et un prêt garanti par l’Etat à hauteur de 45.000 euros, accordé le 2 novembre 2020 ainsi qu’un prêt auprès de la région d’un montant de l5.000 obtenu le 23 juillet 2021, afin de pallier les difficultés financières traversées, qui ont donc subsisté après le licenciement litigieux (Pièces 19, 31 et 43).

Il résulte incontestablement du registre du personnel (pièce 17) que le poste d’assistante comptable de l’intéressée n’a pas été maintenu et qu’il n’a pas été pourvu par un autre salarié.

L’argument de l’appelante selon lequel une proposition de recrutement apparaîtrait sur le site internet de la société MCGI à la date du 29 juillet 2020 ne saurait convaincre la cour, dès lors que M. [S] [V], informaticien qui a créé ledit site, atteste qu’il s’agit simplement d’un onglet dédié aux candidatures spontanées, en aucun cas un appel à candidature sur un poste vacant, et qu’il existait depuis 2016.

Enfin, la société MCGI étant une TPE ne comportant que trois salariés au jour du licenciement, il n’existe aucun poste disponible permettant le reclassement de Mme [F] [G], ce qui n’est pas formellement contesté par celle-ci.

Il résulte des développements qui précèdent que la réalité de difficultés économiques significatives invoquées au soutien de la mesure de licenciement prononcée à l’égard de Mme [F] [G] est suffisamment démontrée au regard du texte précité, à la date du 19 juin 2020.

C’est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu que le licenciement pour motif économique de l’intéressée reposait sur une cause réelle et sérieuse et ont rejeté les demandes subséquentes. Le jugement déféré sera confirmé de ces chefs.

III- Sur le respect des critères et de la procédure d’ordre des licenciements

Reprenant le même argumentaire qu’au soutien de sa demande tendant à voir dire discriminatoire son licenciement, Mme [F] [G] prétend qu’aucun critère d’ordre n’a été établi avant le licenciement et que la procédure n’a pas été observée puisque son collègue a la même ancienneté, le même emploi et le même salaire alors qu’il n’est pas atteint d’un handicap.

Elle souligne que le critère légal des qualités professionnelles n’a pas été pris en compte et qu’aucun point n’a été retenu pour son ancienneté alors qu’elle était supérieure à huit mois à la date du licenciement, en raison d’un calcul erroné de celle-ci et qu’elle pouvait en toute objectivité obtenir trois points là où son collègue, pourtant conservé dans l’effectif, n’en avait que deux, hors critère de parité.

Il a été précédemment exposé que selon l’article L.1233-7 du code du travail ‘lorsque l’employeur procède à un licenciement individuel pour motif économique, il prend en compte, dans le choix du salarié concerné, les critères prévus à l’article L. 1233-5″

Il a été démontré que la société MCGI avait appliqué les critères d’ordre de licenciement définis par elle, incluant les critères légaux définis à l’article L.1233-5 du code du travail, auxquels elle a ajouté un critère de parité, et qu’au regard de la situation de chacun des trois salariés (Mme [B] [A] bénéficiant de 10 points notamment en raison de son ancienneté, de son âge, de son expérience et de sa situation familiale), ces critères d’ordre avaient été respectés par l’employeur.

Par ailleurs c’est en vain que Mme [F] [G] tente de soutenir que la procédure de licenciement économique poursuivie à son encontre n’aurait pas été respectée au motif que les critères d’ordre de licenciement n’auraient été définis que postérieurement à son entretien préalable, dès lors que ces critères ne doivent être définis qu’au jour où la décision de licencier est prise et qu’il ne peut être reproché à l’employeur de communiquer en la cause un tableau dépourvu de date (Pièce 30) alors qu’il n’était pas tenu de l’adresser à sa salariée, qui disposait de la possibilité d’en faire par écrit une demande de transmission, conformément aux articles L.1233-17 et R.1233-1 du code du travail, ce qu’elle n’a pas fait.

Dans ces circonstances, l’appelante ne peut sérieusement s’étonner, ni en tirer la moindre conséquence, du fait que son handicap, dont l’employeur a été informé le 3 juin 2020, ait pu être pris en considération dans les critères d’ordre.

Il suit de là que c’est encore à bon droit que les premiers juges ont débouté Mme [F] [G] de ses deux demandes distinctes de dommages-intérêts sur ce fondement.

IV- le droit à une indemnité légale de licenciement

Mme [F] [G] conclut à la confirmation du jugement déféré qui lui a alloué au titre de l’indemnité légale de licenciement la somme de 333,33 euros, alors que la société MCGI soutient qu’elle ne justifiait pas des conditions d’ancienneté pour y prétendre, dès lors que la période de suspension du contrat n’entre pas dans le calcul de l’ancienneté, et que la salariée ne justifiait pas de huit mois minimum d’ancienneté.

En vertu de l’article L.1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Selon l’article L.1234-11 du même code, ‘les circonstances entraînant la suspension du contrat de travail, en vertu soit de dispositions légales, soit d’une convention ou d’un accord collectif de travail, soit de stipulations contractuelles, soit d’usages, ne rompent pas l’ancienneté du salarié appréciée pour la détermination du droit à l’indemnité de licenciement.

Toutefois, la période de suspension n’entre pas en compte pour la détermination de la durée d’ancienneté exigée pour bénéficier de ces dispositions’.

Mme [F] [G] a été engagée le 2 septembre 2019 et son contrat de travail a été rompu le 1er juillet 2020, après expiration du délai de réflexion imparti à la salariée ayant accepté un contrat de sécurisation professionnelle (Pièce 10).

Faisant application du texte susvisé, il y a lieu de retrancher les périodes de suspension de son contrat de travail (congé sans solde, arrêt pour maladie non professionnelle et chômage partiel du 1er mai au 1er juillet 2020), de sorte que la salariée ne justifie pas d’une ancienneté d’au moins huit mois pour prétendre à l’indemnité réclamée.

Le jugement querellé sera infirmé en ce qu’il a fait droit à la demande d’indemnité de licenciement.

S’il est demandé le remboursement par l’intimée de la somme de 333,33 euros versée à son ancienne salariée au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré, le présent arrêt constituant le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées à tort au titre de l’exécution provisoire, il n’y a pas lieu de statuer sur cette demande.

V- Sur l’exécution déloyale du contrat de travail

Selon l’article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

Mme [F] [G] prétend que la société MCGI a été déloyale à son égard en lui proposant de poser des congés ou de demeurer en chômage partiel, au prétexte d’un manque d’activité en juin 2020, alors qu’il s’agissait de réaliser des économies.

Or, une telle suggestion ne saurait constituer une forme d’exécution déloyale du contrat à l’égard de la salariée dès lors que d’une part dans le contexte de la crise sanitaire liée à la Covid19 le gouvernement a en effet autorisé les entreprises à imposer à leurs salariés la prise de congés payés dans la limite de six jours et que d’autre part le chômage partiel s’avérait justifié par la réduction drastique de l’activité de l’entreprise liée à la période de confinement.

Aucune exécution déloyale du contrat par l’employeur n’est donc démontrée.

La société MCGI pour sa part reproche à sa salariée un comportement déloyal dans l’exécution du contrat, motif pris de ce qu’elle a :

– tu l’existence d’une auto-entreprise de même que son statut de travailleur handicapé dès sa reconnaissance par la MDPH

– sollicité des sommes à titre de dommages-intérêts sans les étayer par le moindre fondement sérieux

Or, aucun texte n’exige tout d’abord d’un salarié qu’il informe son employeur de sa qualité de travailleur handicapé s’il ne souhaite pas s’en prévaloir lui-même.

Dans ces conditions, la société MCGI ne peut valablement faire le reproche à sa salariée de ne lui avoir fait part de sa reconnaissance de travailleur handicapée que postérieurement à l’embauche dès lors qu’il est admis qu’un salarié qui procède ainsi ne commet aucune faute et doit bénéficier des bénéfices attachés à ce statut (Soc. 7 novembre 2006 n°05-41380).

De même, sauf clause d’exclusivité, inexistante en l’espèce, le cumul d’activité n’a pas à être porté à la connaissance de l’employeur, de sorte que l’activité accessoire de vente à domicile en tant qu’auto-entrepreneur exercée par Mme [F] [G], alors qu’aucune concurrence déloyale n’est alléguée par l’intimée, ne saurait constituer un manquement à l’obligation d’exécution loyale du contrat.

Par ailleurs, les demandes formées en justice ne peuvent être constitutives d’une faute sauf pour la partie qui s’en prévaut de justifier l’intention de nuire de leur auteur, ce que ne fait pas l’intimée.

Il s’ensuit que le jugement sera confirmé en ce qu’il débouté Mme [F] [G] et la société MCGI de leur demande respective de dommages-intérêts formée au titre de l’exécution déloyale du contrat.

VI- Sur les demandes accessoires

L’équité commande de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles qu’elles ont exposés en première instance et en appel. En revanche il y a lieu de condamner aux dépens de première instance et d’appel la salariée qui succombe en ses demandes et sa voie de recours.

Le jugement déféré sera infirmé en sa disposition relative aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives à l’indemnité légale de licenciement et aux dépens.

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DEBOUTE Mme [F] [G] de sa demande d’indemnité légale de licenciement.

DEBOUTE Mme [F] [G] et la société MCGI de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE Mme [F] [G] aux dépens de première instance et d’appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le sept mars deux mille vingt trois et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.

LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,

 


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