Télétravail : 6 avril 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/02418

·

·

Télétravail : 6 avril 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/02418
Ce point juridique est utile ?

6 avril 2023
Cour d’appel de Chambéry
RG n°
21/02418

COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 06 AVRIL 2023

N° RG 21/02418 – N° Portalis DBVY-V-B7F-G32M

S.A.S. CRISTAL HYGIENE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

C/ [T] [D]

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BONNEVILLE en date du 15 Novembre 2021, RG F 21/00005

APPELANTE ET INTIMEE INCIDENTE

S.A.S. CRISTAL HYGIENE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 8]

[Localité 5]

Représentée par Me Anne PICHON de la SELAFA SEDOS CONSEIL, avocat plaidant inscrit au barreau de SAINT-ETIENNE, substituée par Me Hervé ROCHE, avocat au barreau de LYON

et par Me Franck GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat postulant inscrit au barreau de CHAMBERY

INTIME ET APPELANT INCIDENT

Monsieur [T] [D]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Elise DETRY de l’AARPI ARCANNE, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON

et par Me Christian FORQUIN, avocat postulant inscrit au barreau de CHAMBERY

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 09 Mars 2023 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Frédéric PARIS, Président, chargé du rapport

Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,

Madame Françoise SIMOND, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Capucine QUIBLIER,

Copies délivrées le :

********

FAITS ET PROCÉDURE

M. [T] [D] a été engagé par la société Emonet sous contrat à durée déterminée en octobre 1999 puis sous contrat à durée indéterminée le 22 novembre 1999 en qualité de comptable.

Il a été promu au poste de responsable comptable.

Une convention de forfait jour a été conclue le 1er juillet 2012 pour 214 jours par an.

Le contrat a été transféré à la société Cristal Distribution devenue la société Christal Hygiène lors du rachat de la société en 2016.

La société est spécialisée dans la commercialisation de produits d’hygiène et de propreté.

Elle fait partie d’un groupe, et exploite une dizaine d’agences en France et en Belgique.

L’effectif de la société est de 132 salariés.

La convention collective du commerce de gros est applicable.

Au dernier état de la relation contractuelle, le salarié percevait un salaire mensuel brut de 4943,63 €.

Le salarié était affecté à l’établissement de [Localité 6].

La comptabilité clients de la société Emonet a été transférée sur la société Christal Distribution, et le salarié a été chargé d’un poste de responsable comptable d’une filiale Dom à la Réunion, succédant à une salariée partant à la retraite et d’une autre filiale où il prenait aussi en charge la comptabilité.

Le salarié a été placé en arrêt de travail le 20 janvier 2017, la veille de la prise du nouveau poste.

L’arrêt de travail a été prolongé, et le médecin du travail le 7 février 2019 a rendu l’avis suivant : ‘une reprise à temps partiel thérapeutique serait à envisager avec répartition harmonieuse des temps de travail sur la semaine et la journée sans excéder 4 heures de travail quotidien’.

La société a informé le salarié par lettre du 11 février 2019 qu’en raison d’une réorganisation des services comptables et financiers à [Localité 7], il n’était pas possible qu’il reprenne son poste à [Localité 6], elle a proposé une mutation à [Localité 7], ou à [Localité 5] au siège social.

Le salarié a refusé.

Il a déclaré un accident de travail le 17 avril 2019 en faisant état de la survenance d’un accident le 19 janvier 2017 et d’un syndrome anxio-dépressif.

La caisse primaire d’assurance maladie a refusé la prise en charge de l’accident déclaré.

Le médecin du travail a déclaré par avis du 15 juillet 2019 le salarié inapte à son poste avec impossibilité de reclassement.

Après consultation du comité économique et social, l’employeur a informé le salarié par lettre du 9 septembre 2019 qu’il était impossible de le reclasser.

Le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 26 septembre 2019.

L’employeur a payé au salarié une indemnité de préavis et une indemnité spéciale de licenciement.

Contestant son licenciement, M. [D] a saisi le conseil des prud’hommes de Bonneville le 2 mars 2020 à l’effet d’obtenir diverses indemnités notamment pour harcèlement moral, manquement à l’obligation de sécurité, exécution déloyale du contrat de travail, illicéité du forfait jours et un rappel de salaires pour heures supplémentaires.

Par jugement du 15 novembre 2021, le conseil de prud’hommes a :

– dit et jugé que la convention de forfait jour est illicite et privée d’effet,

– dit et jugé que la société Cristal Hygiène a commis des actes d’harcèlement moral et manqué à son obligation de sécurité,

– dit que le licenciement est nul,

– dit que la société Cristal Hygiène n’a pas exécuté loyalement le contrat de travail,

– condamné la société Cristal Hygiène à lui payer les sommes suivantes :

* 5515,96 € de rappel d’heures supplémentaires, et 551,60 € de congés payés afférents,

* 2000 € titre de dommages et intérêts pour défaut de fixation de contre partie des temps de trajet,

* 40 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité,

* 75 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

* 1000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

* 91,74 € au titre des frais de déplacement pour la visite à la médecine du travail,

* 2500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– débouté M. [D] de sa demande de dommages et intérêts pour illicéité du forfait jour;

– débouté M. [D] de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de mise en place des tickets de restaurant,

– ordonné la remise d’une attestation Pôle emploi rectifié sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du 8 ème jour suivant la notification du jugement,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,

– débouté la société Cristal Hygiène de sa demande reconventionnelle en remboursement de l’indemnité de préavis et de l’indemnité spéciale de licenciement.

La société Cristal Hygiène a interjeté appel par déclaration du 16 décembre 2021 au réseau privé virtuel des avocats en visant expressément toutes les dispositions du jugement.

M. [D] a formé appel incident sur le rejet d’une partie de ses demandes de dommages et intérêts, et sur le montant des dommages et intérêts pour licenciement nul.

Par conclusions notifiées le 16 mars 2022 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens la société Cristal Hygiène demande à la cour de :

– infirmer le jugement,

– débouter M. [D] M. [D] de l’ensemble de ses demandes,

– condamner M. [D] à lui payer la somme de 24 588,65 € et celle de 3500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient en substance que :

La convention de forfait jour est parfaitement licite, le salarié ne s’est jamais plaint d’une surcharge de travail.

Le contrat de travail ne s’est exécuté depuis le transfert que sur six mois, et il ne peut lui être reproché de ne pas avoir organisé un entretien individuel.

Le salarié à ce titre ne démontre aucun préjudice.

Le forfait jour étant valable, la demande d’heures supplémentaires sera rejetée.

A titre subsidiaire, le décompte produit par le salarié n’est corroboré par aucun autre élément.

Le salarié n’établit pas qu’il était surchargé.

Les salariés qui l’ont remplacé n’ont éprouvé aucune difficulté.

Les mails produits ne sont pas probants, ainsi que les relevés de péage.

Sur la contre partie du temps de trajet, les temps de trajet étaient compris dans le forfait jour; subsidiairement, les relevés de péage qu’il produit ne font état en dehors des passages près de son domicile que de deux lieux distants, [Localité 3] et [Localité 4] ; [Localité 3] n’est situé qu’à une heure de son domicile ; quant au trajet pour aller à [Localité 4], il ne s’agit que d’un seul trajet.

Concernant le harcèlement moral allégué, aucune surcharge de travail n’est établie.

Le salarié fait état de mails échangés alors qu’il était en arrêt maladie.

Il s’agissait de demandes d’informations de collègues de travail, le salarié pouvait parfaitement ne pas répondre et restituer l’ordinateur. Il ne s’est jamais plaint.

La société elle même avait juste sollicité le salarié sur des informations comptables nécessaires à la poursuite de l’activité que seul le salarié détenait.

Ces demandes étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Le salarié fait enfin état d’un mail du directeur envoyé par erreur au sujet du mi-temps thérapeutique où le directeur écrit ‘et zut, il va falloir trouver une solution’.

Ce mail montre que l’employeur voulait trouver une solution, et le terme ‘zut’ traduit la difficulté qu’a rencontré l’employeur pour remplacer le salarié pendant son arrêt maladie.

Les éléments médicaux produits par le salarié sont insuffisants à caractériser l’existence d’un harcèlement moral.

Enfin le conseil des prud’hommes s’est basé à tort sur l’article L 1235-3-1 du code du travail pour fixer les dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Sur l’obligation de sécurité, le salarié n’a dénoncé une surcharge de travail et un harcèlement que quatre mois après son licenciement.

Le salarié n’a pas alerté son employeur.

Les mails qu’il produit n’établissent pas une surcharge de travail.

Sur l’exécution déloyale, les frais de déplacements n’étaient pas justifiés, et aucun manquement n’est établi sur ce point. Pour les tickets restaurants, ils sont accordés aux salarié sédentaires qu’après six mois de présence dans l’entreprise. Le salarié ne remplissant pas les conditions d’ancienneté, les tickets ne lui ont pas été remis. A titre subsidiaire le montant des tickets était réduit et le salarié ne démontre pas l’existence d’une préjudice.

A titre subsidiaire sur le licenciement, celui-ci en l’absence d’harcèlement moral, n’est pas nul.

Sur la cause réelle et sérieuse, la directrice des relations humaines avait le pouvoir de signer une lettre de licenciement.

Le CSE a été consulté régulièrement préalablement au licenciement.

Aucun manquement à l’obligation de sécurité n’a été commis.

Le licenciement repose donc sur une cause réelle et sérieuse.

Subsidiairement, le montant des dommages et intérêts devra être limité, les demandes étant excessives.

La demande reconventionnelle de restitution de l’indemnité spéciale de licenciement est fondée, l’accident déclaré par le salarié n’ayant pas été reconnu par la caisse primaire d’assurance maladie comme accident du travail.

Par conclusions notifiées le 10 juin 2022 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, M. [D] demande à la cour de:

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a :

* dit et jugé que la convention de forfait jour est illicite et privée d’effet,

* dit et jugé que la société Cristal Hygiène a commis des actes d’harcèlement moral et manqué à son obligation de sécurité,

* dit que le licenciement est nul,

* dit que la société Cristal Hygiène n’a pas exécuté loyalement le contrat de travail,

* condamné la société Cristal Hygiène à lui payer les sommes suivantes :

. 5515,96 € de rappel d’heures supplémentaires, et 551,60 € de congés payés afférents,

. 2000 € titre de dommages et intérêts pour défaut de fixation de contre partie des temps de trajet,

. 40 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité,

. 1000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

. 91,74 € au titre des frais de déplacement pour la visite à la médecine du travail,

. 2500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

* ordonné la remise d’une attestation Pôle emploi rectifié sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du 8 ème jour suivant la notification du jugement,

* débouté la société Cristal Hygiène de sa demande reconventionnelle en remboursement de l’indemnité de préavis et de l’indemnité spéciale de licenciement.

* condamné la société Christal Hygiène aux dépens.

– l’infirmer pour le surplus,

statuant à nouveau,

– condamner la société Christal Hygiène à lui payer les sommes suivantes :

* 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour la réparation du préjudice résultant de l’illécéité du forfait jour,

* 1152 € à titre de dommages et intérêts pour défaut de mise en place des tickets de restaurant,

* 120 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, ou à titre subsidiaire la somme de 76 626,11 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

A titre subsidiaire, confirmer le jugement

En tout état de cause,

– dire que les sommes porteront intérêts au taux légal à compter du jour de la demande et ordonner la capitalisation des intérêts ;

– condamner la société Christal Hygiène à lui payer la somme de 3000 €au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– la condamner aux dépens.

Il fait valoir que suite au rachat de la société, l’entreprise a été réorganisée, il existait une incertitude sur son poste en raison de doublons. Il a été chargé de deux filiales, la Dom Hygiène et la filiale Alambal. A cette lourde charge s’est ajouté un déménagement des locaux et la gestion d’un changement informatique dont il a été chargé suite au licenciement du responsable informatique. Il n’y avait plus aucun manager sur place. Il en est résulté une surcharge de travail.

Le forfait jour n’a pas fait l’objet d’un suivi de la charge de travail, il n’a bénéficié d’aucun entretien annuel sur la charge de travail et l’articulation entre la vie professionnelle et la vie privée. Le forfait est donc nul.

L’employeur ne peut prétexter que la relation de travail n’a duré que six mois alors que le contrat de travail a été transféré avec ses droits et obligations depuis décembre 2015, seule la gestion de la paie n’ayant été transférée qu’en juillet 2016. La nouvelle société est responsable des manquements du précédent employeur.

Il a subi un préjudice du fait du non respect des obligations de l’employeur.

Il a réalisé de nombreuses heures supplémentaires du fait de la surcharge de travail, il verse aux débats une attestation d’un collègue de travail attestant de cette surcharge ; il produit de nombreux mails et des relevés de péage d’autoroute, précision faite qu’il fallait quinze minutes pour arriver sur son lieu de travail.

Il démontre après avoir réalisé un travail de reconstitution qu’il effectuait 43 heures et 42 minutes de travail par jour entre septembre 2016 et janvier 2017.

L’employeur ne justifie en rien du temps de travail du salarié. Il verse des attestations qui ne sont pas probantes.

Sa demande de paiement des heures supplémentaires est donc justifiée.

Il réalisait souvent des trajets pour se rendre à [Localité 7], [Localité 3] ou d’autres lieux et la société n’a mis en place aucune compensation financière tenant compte de ces trajets.

Il doit donc être indemnisé.

Il avait alerté sa hiérarchie.

Pendant son arrêt de travail, il devait répondre à 350 mails, dont 138 de son employeur qui n’a rien fait pour assurer son remplacement. Il a même été amené à se rendre physiquement sur son lieu de travail pour aider à établir le bilan.

L’employeur doit veiller à ce que le salarié en arrêt maladie ne travaille pas que cela soit en présentiel ou en télétravail.

Il ne s’agissait pas de demandes ponctuelles. Il n’était pas le seul à détenir l’accès aux documents comptables nécessaires comme l’affirme l’employeur, il avait communiqué les codes d’accès.

Il s’agit d’un véritable comportement harcelant ou à tout le moins d’un manquement à l’obligation de sécurité.

Le mail du 7 février suite à la proposition de mi-temps thérapeutique est méprisant. Un jour plus tard l’employeur lui indiquait que cela était possible s’il acceptait une mutation à [Localité 7] ou à [Localité 5] alors qu’il savait qu’il ne pouvait quitter sa région. Pourtant il réalisait ses prestations à distance, et rien ne justifiait une mutation, si ce n’est que le placer dans une impossibilité de réintégrer son poste de travail.

Le délai extrêmement bref de réponse de l’employeur témoigne du peu de diligences de l’employeur pour mettre en oeuvre la recommandation du médecin du travail.

Le refus du mi-temps thérapeutique n’était pas légitime et justifié. L’employeur ne verse aucune pièce justifiant de son refus.

L’employeur a donc manqué à ses obligations.

Son état de santé s’est dégradé, il a été arrêté pour burn out, il est suivi dans le cadre d’un traitement anti-dépresseur lourd, il a été hospitalisé en hôpital de jour et a effectué une cure.

Il est toujours en soin.

Il a été placé en invalidité catégorie 2 en juillet 2019.

Il bénéficie du statut de travailleur handicapé depuis le 16 janvier 2020.

Sa demande de dommages et intérêts est parfaitement justifiée.

Sur l’exécution déloyale, l’employeur ne lui avait pas payé des frais de trajet, et des tickets restaurant. Les frais de trajet étaient justifiés et l’octroi des tickets de restaurant n’était pas conditionné à une ancienneté précision faite que son ancienneté était de vingt ans.

Concernant la rupture du contrat de travail, l’inaptitude résulte du comportement harcelant et fautif de l’employeur et le licenciement est donc nul.

Il est en tout cas sans cause réelle et sérieuse, le comité économique et social lors de la consultation ayant reçu une information incomplète et l’employeur ayant manqué à son obligation de sécurité.

Il subi un préjudice d’emploi très important.

L’attestation Pôle emploi devra être rectifiée, comme mentionnant les salaires perçus lors des douze mois précédant le licenciement alors que doit être indiqués les salaires perçus des douze derniers mois précédant le dernier jour travaillé.

Enfin la demande de remboursement des indemnités de préavis et de licenciement au motif qu que la caisse d’assurance maladie n’a pas reconnu le caractère professionnel de la maladie ne sont pas fondés.

Le droit du travail est autonome par rapport au droit de la sécurité sociale.

Compte tenu qu’il existe un lien entre l’inaptitude et le comportement de l’employeur, le caractère professionnel de la maladie est parfaitement établi.

L’instruction de l’affaire a été clôturée le 9 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la convention de forfait jour, la possibilité de recourir à un forfait jour pour les cadres est expressément prévue par la convention collective applicable.

Le salarié est cadre, le forfait jour a été conclu avec l’accord du salarié par avenant signé le 7 juin 2012, il prévoit 214 jours de travail par année complète.

L’avenant stipule que conformément à l’article L 3121-46 du code du travail, un entretien sera organisé concomitamment à l’entretien annuel individuel permettant aux parties d’échanger particulièrement sur :

– la charge de travail,

– l’organisation de son travail et l’amplitude de ses journées de travail,

– l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale,

– sa rémunération.

En cas de litige, il appartient à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a exécuté ses obligations, en particulier sur l’entretien annuel relative à la charge de travail.

L’employeur ne produit aucune pièce sur ce point.

Il n’est donc pas établi que l’employeur ait veillé à la charge de travail et à ce que le salarié ait bénéficié de repos suffisants.

Le forfait jour doit dès lors être privé d’effet.

Le salarié est recevable à demander le paiement d’heures supplémentaires, le forfait jour étant privé d’effet.

Il résulte de l’article L 3171-4 du code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties ; l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande.

Au dernier état de la jurisprudence de la cour de cassation (Cass soc 18 mars 2020 n°18-10.919 P+B+R) ‘le salarié doit présenter des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur qui assure le contrôle des heures effectuées d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments’ ; après analyse des pièces produites par l’une et l’autre partie, ‘dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant’.

Le salarié produit un décompte précis du nombre d’heures travaillées par semaine sur l’année 2016 et les trois premières semaines de l’année 2017.

Il verse une attestation d’une collègue de travail, Mme [Y] [N] qui relate qu’en 2016 ‘nous avons dû faire face à une charge de travail supplémentaire du fait du basculement informatique de la société Emonet vers la société Christal Distribution. A la suite de ce basculement nous avons constaté des anomalies sur les coordonnées bancaires de nos clients (clé RIB fausse) ce qui a engendré des retards de paiement et de nombreuses démarches auprès de nos clients afin de régulariser leurs dossiers…Pendant toute cette période, j’ai constaté que M. [T] [D] , mon supérieur direct était déjà surchargé de travail et moins disponible pour répondre à mes sollicitations’.

Le salarié produit des relevés de badges accès autoroute montrant qu’il arrivait sur Cluse, ville où il travaillait et qu’il en repartait fréquemment dix heures ou douze heures plus tard.

Si ces relevés n’établissent pas un nombre d’heures de travail, ils constituent cependant un indice d’une amplitude de journée de travail importante.

Le décompte horaire présenté par le salarié apparaît cohérent avec la charge de travail supportée et le nombre d’heures supplémentaires réclamé sur plus d’une année n’est pas excessif.

Avec ces éléments l’employeur était en mesure de justifier des heures de travail du salarié.

L’employeur sur ce point ne verse aucun justificatif.

Il ne peut se justifier en invoquant un seul mail ponctuel où le salarié évoque un voyage aux Etats Unis alors même que le salarié fait état dans ce mail qu’il est très occupé par son travail.

Il n’est établi par aucune pièce que les salariés ayant remplacé le salarié devait assumer l’ntégralité des tâches du salarié ; leurs témoignages relatant qu’ils n’étaient pas surchargés ne sont donc pas probants.

Dans ces conditions il sera fait droit à la demande en paiement des heures supplémentaires outre les congés payés afférents.

Sur les temps de trajet, le salarié fait état d’une liste de dix déplacements. Il ne verse aucune pièce probante établissant qu’il a effectué ces trajets (ordre de missions, note de frais, réclamations auprès de l’employeur…).

Sa demande de ce chef sera rejetée et le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur le harcèlement moral, l’article L 1152-1 du code du travail dispose : ‘Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour

effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.’.

L’employeur doit veiller à ce que ses salariés n’adoptent pas des agissements de harcèlement moral et prendre toutes dispositions pour prévenir ou faire cesser ce type de comportement.

En application de l’article L 1154-1 du code du travail cas de litige, il appartient d’abord au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ; que l’employeur doit ensuite prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étranger à tout harcèlement.

Les méthodes de gestion dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible notamment de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, ou d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel peuvent caractériser un harcèlement moral.

Le juge doit considérer les faits pris dans leur ensemble pour apprécier s’ils permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Les règles de preuve plus favorables à la partie demanderesse ne dispensent pas celle-ci d’établir la matérialité des éléments de fait précis et concordants qu’elle présente au soutien de l’allégation selon laquelle elle subirait un harcèlement moral au travail.

Le salarié fait état que l’employeur lui demandait d’effectuer des tâches lors de son arrêt maladie.

Si le salarié établit qu’il recevait de nombreux mails de collègues de travail et de son employeur, il ne produit aucun élément montrant que l’employeur ait exercé une quelconque pression sur le salarié pour qu’il réponde à ces mails. Il n’est produit sur ce point aucune instruction précise de l’employeur ou aucun ordre express de répondre aux mails qu’il lui était adressés.

Si l’attitude de l’employeur est fautive en ce qu’il n’a pas respecté l’obligation de ne pas confier du travail au salarié au cours de la suspension de l’arrêt de travail, elle ne constitue pas un agissement d’harcèlement moral.

Le salarié produit un mail du directeur envoyé par erreur au sujet du mi-temps thérapeutique où le directeur écrit ‘et zut, il va falloir trouver une solution’.

Si ce commentaire est maladroit et montre le peu d’attention de l’employeur à la situation de santé du salarié, il n’a pas été envoyé volontairement, le salarié ayant été destinataire par erreur.

Il s’agit en tout cas d’un fait isolé qui ne s’est pas répété.

Enfin, le refus du mi-temps thérapeutique est une décision de l’employeur dont le bien fondé peut être contesté et n’est pas en soi un agissement de harcèlement moral, quand bien même le refus ne paraît pas justifié.

Si le harcèlement moral n’est pas établi, l’employeur a commis des manquements à son obligation de sécurité en laissant son salarié travailler lors de l’arrêt maladie alors que

celui-ci était motivé par un burn out, en ne veillant pas à sa charge du travail dans le cadre du forfait jour.

Il en est résulté une dégradation de son état de santé.

En effet le salarié produit un certificat médical du 27 mars 2019 certifiant qu’il est traité depuis le 20 janvier 2017 pour un syndrome anxio-dépressif d’épuisement.

Il justifie qu’il bénéficie d’une prise en charge par un psychiatre depuis le 30 janvier 2017, le suivi était toujours en cours au 4 septembre 2019. Le psychiatre a adressé au médecin conseil de la caisse primaire d’assurance maladie une demande de maladie professionnelle le 29 mars 2019.

Il bénéficie également d’une prise en charge en hôpital de jour.

Le salarié produit une lettre du docteur [O] [U] de l’Espace Divonne Centre en date du 29 mai 2018 indiquant que le salarié a suivi une cure du 11 mai au 30 mai 2018, que les conclusions étaient les suivantes:

Proposition diagnostiques : épisode de burn out avec dépression secondaire dans un contexte d’anxiété et de haut potentiel en voie de lente rémission

Propositions thérapeutiques :

– poursuite de la prise en charge actuelle,

– renouvellement éventuel de la cure thermale.

Il produit aussi un rapport du docteur [I] [A] du 13 octobre 2018 qui a examiné le salarié. Ce médecin dispose d’une attestation d’étude universitaire de la réparation juridique du dommage corporel, de médecin d’assurances vie, et de médecine du travail.

A l’issue de l’examen, le médecin a conclu comme suit :

L’affection responsable de l’arrêt de travail actuel débute en début d’année 2017 : elle semble secondaire à des difficultés professionnelles avec en particulier une surcharge de travail. Au départ elle s’exprime par de l’angoisse, une insomnie majeure et une perte d’élan vital. Dès janvier 2017 débutent l’arrêt de travail et le traitement antidépresseur en sus de la psychothérapie. Son état a malgré tout continué à se détériorer. Une tentative de reprise avait été organisée début janvier 2018 qui s’est soldée presque quasiment immédiatement par un échec, l’arrêt de travail a donc été renouvelé. Il n’y a pas d’autres pathologies interférant avec cet arrêt de travail. Les items de dépression sont en voie d’amélioration. Persistent asthénie, difficultés de concentration, ralentissement psychomoteur. Des antécédents sont déclarés mais sont sans lien avec l’affection responsable de l’arrêt de travail actuel.

Par ces éléments, le salarié établit avoir souffert d’une surcharge de travail ayant entraîné des conséquences sérieuses sur son état de santé. En ne veillant pas sérieusement à la charge de travail, l’employeur a contribué à l’épuisement professionnel et engagé sa responsabilité. Le préjudice est parfaitement établi. Il sera alloué à titre de dommages et intérêts la somme de 7000 €, précision faite que le salarié ne peut réclamer deux fois le même préjudice, le préjudice résultant du non respect des obligations du forfait jour étant le même que celui résultant du manquement à l’obligation de sécurité.

Sur l’exécution déloyale du contrat de travail, un transfert du contrat de travail opère un transfert des droits et obligations du contrat de travail au nouvel employeur conformément à l’article L 1224-1 du code du travail.

Il est constant que l’employeur n’a pas accordé au salarié des tickets de restaurant alors que ce type d’avantage doit profiter à tous les salariés remplissant les conditions

d’ancienneté requises depuis le début du contrat de travail et non à la date du transfert du contrat de travail, en raison du transfert.

Une telle pratique de l’employeur est particulièrement infondée.

Le salarié a subi un préjudice financier résultant de ces faits équivalent à la perte de 9 € par jour sur la période courant du 1er juillet 2016 au 19 janvier 2015, soit la somme demandée de 1152 €.

L’employeur n’a pas pris en compte non plus les frais de trajet du salarié pour se rendre au rendez-vous de la médecine du travail,

Le jugement condamnant l’employeur à rembourser les frais de trajet (rendez-vous médecine du travail).

L’attitude de l’employeur au regard de ces circonstances a été déloyale, la condamnation de ce dernier à payer des dommages et intérêts de 1000 € prononcée de ce chef par le conseil des prud’hommes sera confirmé. .

Sur la rupture du contrat de travail, la nullité du licenciement n’est pas encourue en l’absence d’harcèlement moral.

En revanche l’employeur en manquant à son obligation de sécurité a contribué à la dégradation de l’état de santé du salarié et à son inaptitude.

Le licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le salarié bénéficiait d’une ancienneté de plus de dix neuf années.

Il percevait un salaire mensuel brut moyen de 4943,63 €.

Il a droit au minimum à trois mois de salaire et maximum à quinze mois conformément à l’article L 1235-3 du code du travail.

Le salarié disposait d’un salaire substantiel et aura des difficultés à retrouver à son âge un emploi autant rémunérateur d’autant qu’il a le statut de travailleur handicapé.

Il ne perçoit à ce jour qu’une allocation adulte handicapée et n’a pas retrouvé un travail.

La perte financière résultant du licenciement est donc très importante.

Au regard de ces éléments, les dommages et intérêts seront fixés à hauteur de 74 154 € correspondant à quinze mois de salaire.

Si le salarié a soutenu dans ses écritures que l’attestation Pôle emploi était affectée d’une erreur matérielle en ce qu’elle mentionne les douze derniers mois de salaires précédant le licenciement en lieu et place des douze derniers mois précédant le dernier jour travaillé, il n’a formulé aucune prétention sur ce point dans le dispositif des conclusions. La cour n’est donc pas saisie d’une demande de rectification.

La demande reconventionnelle en remboursement de l’indemnité compensatrice de préavis et du double de l’indemnité de licenciement sera rejetée, l’inaptitude étant d’origine professionnelle au vu des éléments développés ci-avant, peu important que la caisse d’assurance maladie n’ait pas reconnu le caractère professionnel de la maladie, le juge du travail ayant une compétence autonome par rapport au contentieux de la sécurité sociale dans l’appréciation du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie.

Les condamnations portent intérêts au taux légal à compter du jour de la demande pour le créances salariales et à compter du jugement pour les créances indemnitaires.

Les intérêts échus produiront eux-mêmes des intérêts pourvu qu’il s’agisse d’intérêts échus dus au moins sur une année entière.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

CONFIRME le jugement du 15 novembre 2021 rendu par le conseil de prud’hommes de Bonneville en ce qu’il a :

– dit et jugé que la convention de forfait jour est illicite et privée d’effet,

– dit et jugé que la société Cristal Hygiène a manqué à son obligation de sécurité,

– dit que la société Cristal Hygiène n’a pas exécuté loyalement le contrat de travail,

– condamné la société Cristal Hygiène à payer à M. les sommes suivantes :

* 5515,96 € de rappel d’heures supplémentaires, et 551,60 € de congés payés afférents,

*1000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

* 91,74 € au titre des frais de déplacement pour la visite à la médecine du travail,

* 2500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– ordonné la remise d’une attestation Pôle emploi rectifié sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du 8 ème jour suivant la notification du jugement,

– débouté la société Cristal Hygiène de sa demande reconventionnelle en remboursement de l’indemnité de préavis et de l’indemnité spéciale de licenciement.

– condamné la société Christal Hygiène aux dépens.

L’infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées,

CONDAMNE la société Christal Hygiène à payer à M. [T] [D] les sommes suivantes :

* 7000 € à titre de dommages et intérêts pour la réparation du préjudice résultant de l’illécéité du forfait jour, et du manquement à l’obligation de sécurité ;

* 1152 € à titre de dommages et intérêts pour défaut de mise en place des tickets de restaurant,

* 74 154 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

DÉBOUTE M. [T] [D] de sa demande au titre de contre partie des frais de trajet domicile/travail et de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral;

DÉBOUTE M. [T] [D] du surplus de ses demandes à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et au titre du manquement à l’obligation de sécurité et au forfait jour ;

DIT que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter du jour de la demande pour le créances salariales et à compter du jugement pour les créances indemnitaires ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts au titre des intérêts échus dus au moins sur une année entière ;

DÉBOUTE la société Christal Hygiène de sa demande reconventionnelle

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Christal Hygiène aux dépens d’appel ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Christal Hygiène à payer la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Ainsi prononcé publiquement le 06 Avril 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x