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4 mai 2023
Cour d’appel de Rouen
RG n°
20/02854
N° RG 20/02854 – N° Portalis DBV2-V-B7E-IRR3
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 04 MAI 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 20 Août 2020
APPELANTE :
Madame [T] [K]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Gontrand CHERRIER de la SCP CHERRIER BODINEAU, avocat au barreau de ROUEN
INTIMÉE :
ASSOCIATION MEDICO SOCIALE DE NORMANDIE (AMSN)
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Emmanuelle DUGUÉ-CHAUVIN de la SCP EMO AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 28 Mars 2023 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 28 Mars 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 04 Mai 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 04 Mai 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [T] [K] a été engagée par l’association AMSN en qualité de secrétaire médicale par contrat de travail à durée indéterminée du 1er avril 2014.
Déclarée inapte par le médecin du travail le 22 octobre 2018, le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement a été notifié à la salariée le 29 novembre 2018.
Par requête du 22 février 2019, Mme [T] [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen en contestation de son licenciement et paiement de rappels de salaire et d’indemnités.
Par jugement du 20 août 2020, le conseil de prud’hommes a dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, débouté Mme [T] [K] de l’ensemble de ses demandes, débouté l’association AMSN de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, laissé les dépens à la charge de chacune des parties.
Mme [T] [K] a interjeté un appel total le 8 septembre 2020.
Par conclusions remises le 6 mai 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, Mme [T] [K] demande à la cour de :
– dire l’appel interjeté recevable et bien fondé,
– réformer le jugement dont appel,
en conséquence,
– dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner l’employeur au paiement des sommes suivantes :
dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 17 400 euros,
rappel d’indemnité spéciale de licenciement : 2 169 euros,
rappel d’indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis : 3 470,60 euros,
indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros,
– condamner l’employeur aux entiers dépens de l’instance.
Par conclusions remises le 10 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, l’association AMSN demande à la cour de :
– dire que le licenciement de Mme [T] [K] repose sur une cause réelle et sérieuse,
– débouter Mme [T] [K] de l’ensemble de ses demandes,
– condamner Mme [T] [K] à lui verser une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 16 mars 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I – Sur la rupture du contrat de travail
Selon l’article L.1226-10 du code du travail, lorsque le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l’article L. 4624-4, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l’aptitude du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce.
I-1 – Sur la consultation des délégués du personnel
Mme [T] [K] soutient que la consultation à laquelle est soumise l’employeur est irrégulière aux motifs que l’employeur se borne à produire le courriel à destination des délégué du personnel du 25 octobre 2018, qu’il affirme adresser le dossier complet de la salariée au terme d’une liste de pièces intitulée chronologie des faits, portant notamment mention de documents datés du 25 octobre, alors qu’il s’agit d’éléments reçus postérieurement au 25 octobre, date de la convocation.
L’association AMSN expose que les délégués du personnel ont été régulièrement consultés à la suite d’une convocation adressée le 25 octobre 2018, avec transmission dans le même temps du dossier complet pour une réunion extraordinaire du 5 novemebre 2018, soit après la constatation régulière de l’inaptitude et avant proposition d’un poste de reclassement, qu’ils ont émis un avis favorable sur l’ensemble des démarches réalisées et ont demandé que le poste de l’AMI Santé soit proposé avec information au Docteur [G].
S’il y a lieu de s’interroger sur la constitution du dossier transmis aux délégués du personnel avec la convocation pour la réunion extraordinaire du 5 novembre 2018 pour recueillir leur avis sur la situation de Mme [T] [K] en ce que certaines pièces prétendument communiquées alors ont été reçues par l’employeur postérieurement à la date d’envoi de la dite convocation, néanmoins, l’essentiel des documents ainsi transmis étaient antérieurs, l’avis a été recueilli postérieurement à l’avis d’inaptitude et préalablement à toute proposition de reclassement et il résulte suffisamment du procès-verbal de cette réunion que les délégués du personnel se sont estimés suffisamment informés et ont été en mesure d’émettre un avis éclairé sur la recherche de reclassement, faisant même des suggestions de poste, ce qui révèle l’existence d’un véritable débat.
En conséquence, la consultation est régulière et n’entache pas le licenciement.
I-2 – Sur le reclassement
Mme [T] [K] soutient que l’employeur n’a pas procédé à des recherches loyales et sérieuses de reclassement, en ne lui faisant aucune proposition au sein de l’association AMSN qui pourtant comporte 7 établissements actifs et que l’inaptitude concerne son secteur habituel de travail à savoir [Localité 5], que le seul poste proposé a consisté en un contrat à durée déterminée de deux semaines en dehors de l’association AMSN, proposition précaire qui ne peut être assimilée à une offre de reclassement, que l’employeur n’a envisagé aucun aménagement de poste, pas plus que la mise en place d’un télétravail, de sorte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
L’association AMSN expose avoir satisfait à son obligation de recherche de reclassement de manière loyale compte tenu de l’avis et des préconisations du médecin du travail.
Il résulte des éléments du débat qu’à la suite de l’avis d’inaptitude selon les termes plus avant mentionnés, l’association AMSN a identifié deux postes disponibles en son sein qu’elle a soumis au médecin du travail le 15 octobre 2018, qui a alors répondu dès le lendemain, qu’il entendait par structure différente, un établissement autre que l’AMSN, excluant ainsi sans ambiguïté toute possibilité de reclassement dans un des établissements dépendant de l’association AMSN.
C’est dans ces conditions, que l’employeur a identifié un poste certes en contrat à durée déterminée en remplacement d’une salariée en congé maladie au sein de l’association pour la médecine interentreprises et la santé au travail (AMI), qu’il a alors proposé à la salariée dans le cadre d’un reclassement externe.
Aussi, alors que l’association AMSN n’appartient pas à un groupe au sens de l’article L.1226-10 du code du travail, qu’il n’était pas envisageable un aménagement de poste qui aurait supposé que l’association AMSN reste l’employeur quelles qu’en soient les modalités, l’obligation de reclassement a été menée de façon sérieuse et loyale.
I-3 – Sur le manquement de l’employeur à l’origine de l’inaptitude
Mme [T] [K] soutient que l’employeur a commis une faute à l’origine de son inaptitude laquelle résulte d’un risque psychosocial qui n’a pas été géré, comme étant en surcharge depuis plusieurs mois, ce dont elle avait alerté l’employeur dès juin 2014, situation qui n’a fait qu’empirer jusqu’à aboutir à son arrêt de travail, ses nombreuses heures supplémentaires n’étant pas rémunérées comme admis par le conseil de prud’hommes, le poste étant marqué par une difficulté organisationnelle structurelle, l’employeur tardant à proposer des solutions comme une formation sur le logiciel Stetho.
L’association AMSN conteste tout manquement à ses obligations en faisant valoir que la salariée a été reçue dès le 23 juin 2014 après qu’elle ait sollicité un entretien individuel pour évoquer sa charge de travail et ses conditions de travail, qu’une étude de poste a été réalisée et des préconisations émises.
Il résulte de l’article L. 4121-1 du code du travail que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, lesquelles comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
Est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu’il est démontré que l’inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée.
Engagée depuis le 1er avril 2014, en juin 2014, la salariée sollicitait d’être reçue en entretien pour évoquer sa surcharge de travail et ses conditions de travail.
Elle était ainsi reçue par le directeur général, M.[E] [R] le 23 juin suivant qui, par écrit du 24 juin 2014, répondait aux doléances de la salariée en l’encourageant fortement pour prioriser ses actions et alléger sa charge de travail à se référer aux modes opératoires en vigueur dans l’association et à se référer régulièrement à sa responsable, coordinatrice des assistantes et lui rappelait que conformément à la description de ses fonctions, elle n’avait pas à :
– expliquer à l’adhérent le mode opératoire pour la mise à jour des effectifs par lui-même, son responsable ayant à disposition pour gérer ces sujets,
– déclaration SMR mal ou pas renseigné par l’adhérent : la mise à jour se fait en fin d’année et si elle n’a pas été faite, la régularisation se fera lors de la prochaine déclaration des effectifs. Une mise à jour se fait aussi, tout au long de l’année, lorsque le salarié vient en visite médicale,
– archivage des dossiers en entreprise : il s’organise au cours de l’année en accord avec son responsable. Du temps identifié lui sera donné pour réaliser cette tâche. D’une manière générale, il est possible que du travail de rangement n’ait pas été régulièrement réalisé dans les entreprises où le médecin du travail se rend et que du retard ait été accumulé. Outre que le rattrapage de ce retard n’est pas une priorité, il sera effectué en coordination avec sa responsable,
– régularisation des effectifs et gestion du retard, concernant les ‘convocables’ : le logiciel métier permet à chaque secrétaire médicale d’éditer ses ‘convocables’ ou les ‘non vus’ quand elle le souhaite, sans avoir besoin de les traiter dans un autre tableau. Vos collègues pratiquent toutes comme cela. Notre assistante informatique se rendra sur le centre d'[Localité 5] le 30 juin pour vous former à nouveau sur cette édition.
– rentrer les fiches pénibilité et fiches d’exposition : cela ne relève pas de sa mission et sa responsable se tient à sa disposition si elle a ce type de fiches par devers elle,
– procédure AES : cette procédure n’est à utiliser qu’en cas d’incident dans une entreprise et son rôle consiste alors à en informer son interlocuteur et lui envoyer la procédure.
Il était conclu que ces recommandations devraient lui permettre d’inscrire son travail dans le cadre des horaires de l’AMSN, qu’elle doit respecter, en alertant si besoin sa responsable en cas de sollicitations excessives, la salariée étant invitée à la solliciter davantage pour exercer ses fonctions dans des conditions sereines.
En dépit de ces recommandations, l’employeur admet que les difficultés se sont poursuivies en raison de la méthodologie adoptée par la salariée différente de celle de ses collègues.
En effet, Mme [O] [J], coordinatrice des assistantes médicales jusque fin septembre 2014, relate que si Mme [T] [K] a bénéficié lors de son arrivée de la même procédure d’accueil et de formation que l’ensemble des nouvelles assistantes, néanmoins, très rapidement sa façon d’organiser son secrétariat lui a semblé inutilement compliquée, ce qu’elle lui a fait remarquer à plusieurs reprises, en lui proposant son aide ; notamment elle perdait son temps à compiler des informations sous Excel alors que le logiciel métier Stheto lui donnait tous les éléments pour planifier les visites médicales ; elle ajoute que Mme [T] [K] ne tenait pas compte des remarques, qu’elle communiquait peu avec les autres et s’est enfermée dans un fonctionnement qui engendrait, selon la salariée concernée, des dépassements d’horaires et l’obligeait y compris à travailler chez elle, ce qu’elle ne lui a jamais demandé de faire.
Mme [W] [N], coordinatrice depuis novembre 2014, succédant à Mme [J], explique avoir constaté dès son arrivée que Mme [T] [K] avait des difficultés dans la gestion de son temps, de sorte qu’elle était plus présente sur son centre pour lui apporter de l’aide dans la gestion de son temps et de ses missions, alors que son poste était similaire à celui de ses homologues ; malgré l’accompagnement mis en place, Mme [T] [K] était ingérable et a persisté dans une méthodologie de travail différente de celle de ses collègues :
– travail sur fichier Excel alors qu’il existe un logiciel métier
– déplacements trop nombreux en entreprise non optimisés
– dépassement d’horaire sans validation au préalable de sa hiérarchie,
ce qui générait une charge de travail supplémentaire.
Elle ajoute qu’ils ont fait intervenir l’ergonome de l’Adesti qui a procédé à une étude de poste et n’a pas détecté d’irrégularités hormis sur ses pratiques.
Si avec Mme [V], le médecin constituant son binôme, elle se plaignait des nombreux déplacements, ce sont elles qui composaient leur planning et le modifiaient. Mme [L] leur avait suggérer de retirer deux rendez-vous à leur planning, ce qu’elles n’ont pas fait, comme il leur a été suggéré de se déplacer par journée complète, et non par demi-journée pour minimiser les déplacements, solution pas davantage retenue ; une deuxième formation a été organisée pour l’amener à utiliser le logiciel métier et lui permettre d’optimiser son temps de travail.
L’employeur communique également des échanges de mails avec le responsable informatique établissant que lorsque la salariée faisait remonter des difficultés de fonctionnement dans certaines entreprises, les solutions étaient mises en oeuvre pour y mettre un terme.
Sur interpellation du Docteur [V] relativement au temps de travail de la salariée, il lui était indiqué par réponse du 30 avril 2015 que les secrétaires doivent respecter les horaires, ce qui avait été rappelé à Mme [T] [K] par lettre en 2014 dont Mme [V] avait été mise en copie. S’il était noté le dévouement de la salariée et la satisfaction de la voir accepter d’accomplir des heures supplémentaires, voire de proposer d’en faire, néanmoins, Mme [L] ajoutait qu’elle doit s’assurer que les secrétaires médicales ne s’épuisent pas et que le temps de travail est respecté et que dans l’hypothèse où la charge de travail est surdimmensionnée, elle est invitée à en discuter avec sa supérieure hiérarchique qui auditera son poste et lui apportera des solutions en terme d’organisation ou de répartition de son travail vers d’autres collègues.
En réponse au courrier adressé par la salariée à la suite de son accident du travail du 4 novembre 2015, l’employeur lui répondait le 25 novembre 2015 que deux audits avaient été réalisés au sein de son centre d’affectation, qu’un plan d’actions issu des préconisations en résultant avait été établi pour permettre à tous de travailler sereinement, que dans ce cadre, et par dérogation aux procédures en vigueur, il avait été accepté qu’elle soit en charge de l’élaboration de son planning de travail de façon à mieux répondre à ses attentes et à celles du docteur [V], avec laquelle elle travaillait, qu’indépendamment de cette organisation, elle est tenue au même titre que l’ensemble des collaborateurs d’assister aux réunions de travail collectives et aux formations professionnelles, entraînant ainsi la déprogrammation de deux demi-journées de secrétariat de son planning de novembre 2015, et particulièrement la semaine du 2 au 6 novembre 2015, ce dont elle s’est plainte auprès de sa supérieure hiérarchique et c’est alors que cette dernière lui exposait calmement les raisons objectives de cette situation qu’elle a qualifié l’échange d’altercation et a été en arrêt de travail, de sorte que l’employeur émet des réserves sur le caractère professionnel de l’arrêt.
L’employeur rappelle également ses horaires de travail d’une durée totale de 37,50 heures par semaine et l’interdiction d’accomplir des heures supplémentaires sans l’autorisation préalable et expresse de la Direction ou son représentant.
Concernant sa charge de travail, il est rappelé qu’elle a été déchargée de la réalisation des saisies des visites médicales des salariés de l’usine suivie par le Dr [V] et qu’elle ne remplace pas ses collègues en cas d’absence ; que parallèlement, des outils ont été mis en place pour l’aider, lui faisant bénéficier de formation dans cet objectif et notamment le 5 novembre au matin avec programmation d’une formation informatique sur l’outil de convocation des salariés, dont elle sollicitait l’annulation lors de sa rencontre avec Mme [A] le 4 novembre 2015
Il a été procédé à l’étude du poste de travail de Mme [T] [K] par M. [G] médecin du travail et M. [Z] ergonome sur la base de deux rendez-vous :
– le 23 juin 2015 avec la salariée
– le 8 juillet avec Mme [A] coordinatrice.
Il en est résulté les principaux constats suivants :
La réalisation d’une vacation médicale suppose plusieurs sous activités, certaines à réaliser en amont et d’autres en aval de la vacation :
– en amont :
Planification avec suivi des effectifs, relations adhérents
Transfert des dossiers salariés si les activités de planification ne sont pas réalisées dans les mêmes lieux de consultation
– en aval
Edition des fiches d’aptitude et enregistrement des données recueillies lors de la vacation par le médecin en cas de connexion informatique impossible sur le lieu de vacation consultation et en cas de saisie de données déléguée par le médecin à son ASST
Rédaction de diverses correspondances à la demande du médecin du travail.
Ces diverses sous activités supposent de disposer de périodes de temps administratif en amont et en aval. Or, dans le planning partagé informatique ces détails ne peuvent être enregistrés par l’ASST ce qui rend l’anticipation de la gestion du temps plus difficile, une méconnaissance pour les collègues de l’équipe des activités prévues et réalisées lors d’une vacation administrative donnée, avec pour conséquence possible un dépassement d’horaire.
Le suivi de la population de salariés, servant à la planification des vacations, s’effectue sur le logiciel informatique. Or, l’ASST rencontrée, contrairement à certaines de ses collègues sur d’autres secteurs, en plus de la mise à jour des données sur cet outil, établit et tient à jour des tableaux Excel de suivi des entreprises, ce qui a pour conséquence de générer du temps administratif de secrétariat en doublon.
Il existe une problématique de connexion informatique/téléphonique impossible ou instable dans certains centres de consultations ce qui suppose une augmentation de la charge administrative en aval des vacations, la saisie de données devant alors être effectuée dans un second temps ; il en est de même de l’impossibilité d’impression de documents, nécessitant une reprise de données en aval de certaines vacations, comme d’ailleurs l’absence ou les difficultés de réception téléphonique.
Il a également été constaté une modification de la typologie des visites en raison de l’évolution de l’équipe médicale dans un contexte de déficit de temps médical sur le secteur d'[Localité 5], avec pour conséquence la planification de moins de visites périodiques au profit de visites urgentes (embauche, reprise, à la demande du salarié ou de l’employeur), lesquelles durent généralement plus longtemps, alors que le nombre de salariés planifiés et vus reste constant, ce qui engendre des dépassements d’horaire, se répercutant sur la vacation suivante en un autre lieu supposant des déplacements routiers.
Par ailleurs, deux vacations sur une même journée peuvent être effectuées en des lieux différents, ce qui peut générer un risque routier, un déjeuner pris rapidement, des retards pour la vacation de l’après-midi.
Enfin, l’existence de différents lieux de consultation implique du transport de matériel informatique, des dossiers médicaux et autres équipements.
Des pistes d’amélioration possibles ont été émises.
Cette étude a donné lieu à restitution en présence de leurs auteurs, de Mme [L], directrice, Mme [V], médecin binôme de la salariée, Mme [T] [K] et Mme [A], coordinatrice.
Il en résulte, alors que Mme [T] [K] occupe un poste de secrétaire ‘volante, ce qui engendre découpage de son activité et un travail incompressible lié à ses déplacements, activité liée aux effectifs éclatés du Docteur [V] et qu’il est proposé à cette dernière de rendre ses effectifs hors secteur pour alléger le travail de sa secrétaire, elle oppose un refus ; lorsque le docteur [G] propose de faire des journées entières sur les entreprises éloignées pour minimiser les risques routiers, Mme [V] refuse ; lorsque Mme [G] précise que les missions de la secrétaire médicale sont allégées si le médecin saisit, Mme [V] fait savoir qu’elle refuse de saisir ; sur proposition de M. [Z] d’intégrer au planning le temps de déplacement ou au moins prévoir un début de poste plus tardif, Mme [L] répond que cette solution a déjà été évoquée, qu’il n’y a pas d’objectif sur le nombre de salariés vus et qu’elle laisse au médecin le soin de coordonner et d’animer son équipe ; Mme [L] propose que pendant un mois un échange s’opère entre le poste de la salariée et celui d’une autre ASST afin de lui permettre de voir les pratiques dans un autre centre et permettre une meilleure compréhension du poste en terme d’évaluation de la charge ; est aussi évoquée la question de l’utilité du fichier Excel que seule Mme [T] [K] utilise, les trois remplacements par an que Mme [T] [K] a fait le mercredi non travaillé de [P] et les 2 à 3 vacations par mois que la salariée fait avec Mme [X].
Le 29 septembre 2015, le CHSCT a été informé de la restitution de cet audit et du projet de mise en place d’un plan d’actions, lequel a été présentée le 8 octobre 2015.
Il s’en dégage que :
– action 2. Déployer le projet de services est une solution à la surcharge, étendre la périodicité, réactualiser le rythme des vacations en entreprise où sont faites beaucoup de visites périodiques
– action 7. Respect du planning sauf événement grave
– action 8. Homogénéisation des pratiques ASST avec pour date le 5 novembre
– action 11. L’objectif serait que chaque secteur soit représenté par un médecon coordonnateur qui anime et coordonne le secteur, lesquels pourront se concerter et échanger sur les problématiques d’organisation
– action 12. La sectorisation réduit les déplacements éloignés, les présences en entreprise qui requièrent un temps de déplacement important seront organisées sur une journée plutôt que sur deux vacations distinctes.
C’est ensuite que Mme [T] [K] était convoquée par Mme [A] le 5 novembre 2015 pour répondre à l’action 8 du plan d’actions et que lui était proposée aussi une reprise de la formation sur Sthetho concernant ‘ les convocables utilisés’ conformément aux pratiques de l’ AMSN.
L’étude de poste a été présentée devant le CHSCT le 15 décembre 2015 et à cette occasion, outre qu’était mise en avant la particularité du binôme constitué de Mme [T] [K] avec le Docteur [V] lequel a des adhérents sur trois secteurs, au titre des améliorations comportant la formation au logiciel selon la procédure partagée par les ASST, il était aussi préconisé du temps de secrétariat en plus.
Alors que l’étude de poste réalisée met en exergue plusieurs causes de dépassement possibles du temps de travail en lien notamment avec la particularité du périmètre d’intervention de la salariée, des problématiques techniques rencontrées chez les adhérents, la modification de la typologie des visites dans un contexte de déficit de temps médical sur le secteur d'[Localité 5], même si du temps de travail supplémentaire a pu être généré par la pratique propre de la salariée avec la mise en place d’un document Excel alors qu’elle pouvait utiliser le logiciel métiers comme ses autres collègues et que l’employeur lui a dispensé les formations pour son utilisation dès son recrutement, puis postérieurement quand les difficultés ont été signalées, il s’en déduit qu’il existait des difficultés structurelles d’organisation qui ne pouvaient pas être méconnues de l’employeur, alerté dès juin 2014. Les réponses ponctuelles apportées ne prenant pas toute la mesure de la particularité de son poste que tardivement, les points d’amélioration permettant une évolution significative des conditions de travail n’étant proposés qu’en décembre 2015, avec notamment du temps de secrétariat supplémentaire, ce qui corrobore le surdimensionnement du poste, il est établi que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité en laissant dans la durée la salariée prendre en charge son poste dans des conditions ne lui permettant pas d’accomplir ses missions dans des conditions sereines de nature à préserver sa santé.
Le fait que l’employeur rappelle à la salariée qu’elle ne devait pas réaliser d’heures supplémentaires sans son accord alors que la configuration spécifique de son poste impliquait une charge de travail différente et plus dense de celle de ses autres collègues et qu’il a néanmoins admis qu’elle a aussi remplacé une ASST ne travaillant pas le mercredi après-midi ou qu’elle accomplissait des vacations avec Mme [D] deux à trois fois par mois, ne peut suffire à retenir que l’employeur a effectivement veillé à équilibrer sa charge de travail afin d’éviter une situation d’épuisement.
Aussi, alors que la salariée établit avoir présenté une situation d’épuisement en lien avec ses conditions de travail comme en atteste M. [H], psychiatre au centre hospitalier du [Localité 6], que l’inaptitude a été constatée par le médecin du travail dans la suite immédiate des arrêts de travail renouvelés en lien avec l’accident du travail du 4 novembre 2015, il est établi que l’inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée.
Par conséquent, la cour infirme le jugement entrepris et dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
II – Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail
II-1- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
En application de l’article 1235-3 du code du travail, compte tenu de l’ancienneté de quatre ans de la salariée, d’une indemnité comprise entre 3 et 5 mois de salaire d’un montant non discuté de 1 735,34 euros, la cour alloue la somme de 7 000 euros à titre de dommages et intérêts.
II-2 – indemnité spéciale de licenciement
Dès lors que son inaptitude est d’origine professionnelle, Mme [T] [K] sollicite le versement de l’indemnité spéciale de licenciement, auquel l’employeur s’oppose au motif qu’au jour du licenciement, il avait connaissance du rejet de la demande de reconnaissance de cette origine, l’accident du travail n’ayant été reconnu que par arrêt de la cour d’appel du 24 février 2021.
Sur le fondement des articles L. 1226-12 et L. 1226-14 du code du travail, la rupture du contrat de travail du salarié inapte à raison d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, justifiée par une impossibilité de reclassement, un refus non abusif d’une proposition de reclassement, ou par une mention expresse dans l’avis du médecin du travail selon laquelle le maintien du salarié dans l’entreprise serait préjudiciable à sa santé, ouvre droit pour le salarié à une indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis prévue à l’article L. 1234-5 ainsi qu’à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l’indemnité prévue par l’article L. 1234-9.
Par ailleurs, les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement. L’application de l’article L. 1226-10 du code du travail n’est pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d’assurance maladie du lien de causalité entre l’accident du travail et l’inaptitude.
En l’espèce, il résulte des éléments produits que le 4 novembre 2015, en fin de matinée, sur son lieu de travail au centre d'[Localité 5], Mme [V], médecin du travail travaillant en binôme avec la salariée, a été informée téléphoniquement par celle-ci de la vive altercation survenue avec sa supérieure, Mme [A], que Mme [T] [K] était en pleurs à la reprise de la vacation le même jour à 13h35, avec des pleurs incontrôlés, que Mme [V] attribuait à un harcèlement au travail durant approximativement depuis 18 mois, avec une charge de travail très importante non prise en compte.
Mme [T] [K] a été en arrêt de travail déclaré au titre d’un accident du travail, M. [I] [Y] ayant constaté qu’elle présentait une anxiété réactionnelle en lien avec une situation au travail, et du stress.
Les arrêts ont été prolongés jusqu’au 14 septembre 2018 en raison d’un état dépressif réactionnel.
Le 24 septembre 2018, M. [G], médecin du travail, écrivait qu’au vu de l’examen médical réalisé ce jour, il ne lui est pas possible de statuer quant à la reprise au poste de travail, prévoyant de la revoir dans 15 jours, après examen complémentaire.
Le 8 octobre 2018, le médecin du travail écrivait que la reprise à son poste de travail antérieur ne lui paraissait pas a priori envisageable et un reclassement semble à prévoir selon les préconisations suivantes : peut occuper un poste similaire dans une structure différente. Un nouvel examen médical devra avoir lieu en dehors d’un arrêt maladie.
Suivant avis du 22 octobre 2018, pris en application des dispositions de l’article R.4624-42 du code du travail, la salariée était déclarée inapte à son poste de travail ; capacité à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise et indications relatives au reclassement : peut occuper un même poste en dehors de l’AMSN ; capacité ou aptitude en cas d’AT/MP à bénéficier d’une formation préparant le salarié à occuper un poste adapté : formation sur un poste administratif.
Le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement a été notifié le 29 novembre 2018.
Par arrêt du 24 février 2021, la chambre sociale et des affaires de sécurité sociale, infirmant le jugement de première instance du 13 février 2018, a dit que Mme [T] [K] avait été victime d’un accident du travail.
Si à la date du licenciement, le 29 novembre 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Seine Maritime avait débouté Mme [T] [K] de ses demandes visant à la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident du travail du 4 novembre 2015, néanmoins, alors que les arrêts de travail en lien avec l’altercation survenue le 4 novembre 2015 sur le temps et au lieu du travail ont été continus, qualifiés comme pris au titre de cet accident du travail, qu’il a été reconnu que la salariée avait bien été victime d’un accident du travail par un arrêt définitif, auquel certes la cour n’est pas liée dans la présente instance, que la visite de reprise a eu lieu dans la suite immédiate de la fin des arrêts de travail et que le médecin du travail a déclaré la salariée inapte à son poste, tout en considérant qu’elle était apte au même poste en dehors de l’association AMSN, l’inaptitude a un lien même partiel avec l’accident du travail, ce que l’employeur ne pouvait méconnaître lorsqu’il a initié la procédure de licenciement.
Aussi, par arrêt infirmatif, la cour accorde à Mme [T] [K] la somme non discutée dans son montant de 2 169 euros à titre d’indemnité spéciale de licenciement et celle de 3 470,60 euros au titre de l’indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis.
Les conditions de l’article L.1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d’ordonner le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés des indemnités chômage versées à la salariée licenciée dans la limite de trois mois d’indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision.
III – Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie principalement succombante, l’association AMSN est condamnée aux entiers dépens y compris de première instance, déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à Mme [T] [K] la somme de 3 000 euros en cause d’appel pour les frais générés par l’instance et non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau,
Dit le licenciement de Mme [T] [K] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Condamne l’association AMSN à payer à Mme [T] [K] les sommes suivantes :
dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 7 000 euros
indemnité spéciale de licenciement : 2 169 euros
indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis : 3 470,60 euros
Ordonne le remboursement par l’association AMSN aux organismes intéressés des indemnités chômage versées à Mme [T] [K] dans la limite de trois mois d’indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision ;
Condamne l’association AMSN aux entiers dépens de première d’instance et d’appel ;
Condamne l’association AMSN à payer à la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel ;
Déboute l’association AMSN de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile en appel.
La greffière La présidente