Télétravail : 31 mai 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00297

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Télétravail : 31 mai 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00297
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31 mai 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
22/00297

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 31 MAI 2023

N° RG 22/00297

N° Portalis DBV3-V-B7G-U7ID

AFFAIRE :

[C] [P]

C/

S.A.R.L. RONT GESTION ET DEVELOPPEMENT

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Janvier 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ARGENTEUIL

N° Section : C

N° RG : F21/00070

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Aminata NIANGHANE

la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE ET UN MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [C] [P]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Aminata NIANGHANE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0063

APPELANTE

****************

S.A.R.L. RONT GESTION ET DEVELOPPEMENT

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Claire GINISTY MORIN de la SELARL GINISTY MORIN LOISEL JEANNOT, Plaidant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000057

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 – N° du dossier 20220082

S.A.R.L. RONT

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Claire GINISTY MORIN de la SELARL GINISTY MORIN LOISEL JEANNOT, Plaidant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000057

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 – N° du dossier 20220082

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue en chambre du conseil le 18 Avril 2023, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle MONTAGNE, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dévi POUNIANDY,

EXPOSE DU LITIGE

[C] [P] a été engagée par la société Ront Gestion et Développement, qui emploie habituellement moins de onze salariés, suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 mai 2017 en qualité d’acheteuse et employée marketing, niveau 5, échelon 1, en référence aux dispositions de la convention collective nationale de commerces de gros. En dernier lieu, elle occupait les fonctions de responsable marketing, niveau 5, échelon 1.

Par lettre datée du 14 avril 2020, l’employeur a convoqué la salariée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 27 avril suivant, reporté à la demande de la salariée par lettre du 24 avril au 5 mai suivant, puis par lettre datée du 9 mai 2020, lui a notifié son licenciement pour cause réelle et sérieuse avec dispense d’exécution du préavis de deux mois qui lui a été rémunéré.

Par lettre datée du 30 mai 2020, la salarié a contesté son licenciement auprès de l’employeur.

Le 1er mars 2021, [C] [P] a saisi le conseil de prud’hommes d’Argenteuil afin de faire juger que les sociétés Ront Gestion et Développement et Ront étaient ses co-employeurs, que le licenciement est nul ou sans cause réelle et sérieuse et d’obtenir la condamnation solidaire des deux sociétés à lui payer divers rappels de salaire et indemnités tant au titre de l’exécution que de la rupture du contrat de travail.

Par jugement mis à disposition le 13 janvier 2022, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, les premiers juges ont débouté [C] [P] de ses demandes et la société Ront Gestion et Développement de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et au titre du remboursement pour frais de déplacement professionnel et ont mis les dépens à la charge de [C] [P].

Le 31 janvier 2022, [C] [P] a interjeté appel à l’encontre de ce jugement.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (Rpva) le 7 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile, [C] [P] demande à la cour d’infirmer le jugement, et statuant à nouveau, de juger que les sociétés Ront Gestion et Développement et Ront étaient ses co-employeurs, que le licenciement est nul, à titre subsidiaire qu’il ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse, de condamner solidairement les sociétés sus-mentionnées à lui verser les sommes suivantes :

* 2 500 euros à titre d’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,

* 30 000 euros à titre d’indemnité en réparation du préjudice causé par le licenciement nul, à titre subsidiaire 30 000 euros à titre d’indemnité en réparation du préjudice causé par le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 30 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi,

* 3 350 euros à titre d’indemnité de la perte de chance de prime d’objectif,

* 1 822,12 euros à titre de rappel de salaire d’avril 2020,

* 182,21 euros au titre des congés payés afférents,

dire que toutes les condamnations prononcées seront assorties du taux d’intérêt légal à compter de la date de convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, de débouter les sociétés sus-mentionnées de toutes leurs demandes, à titre subsidiaire, d’ordonner une compensation entre les sommes qui seront mises à la charge des deux sociétés et la somme de 500 euros réclamée au titre des frais de déplacement professionnel, de condamner solidairement lesdites sociétés à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 3 avril 2023 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Ront Gestion et Développement et la société Ront demandent à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il déboute l’appelante de ses demandes, de l’infirmer pour le surplus, de juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, de débouter l’appelante de l’ensemble de ses demandes, de prononcer la mise hors de cause de la société Ront, de condamner l’appelante à restituer à la société Ront Gestion et Développement la somme de 500 euros à titre d’avance pour frais de déplacement professionnel et à leur verser la somme de 2 500 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

Une ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 11 avril 2023.

MOTIVATION

Sur la régularité de la procédure de licenciement

La salariée fait valoir que la procédure de licenciement est irrégulière car la lettre de convocation à l’entretien préalable ne lui a pas été remise cinq jours au moins avant la date de l’entretien, que l’employeur a refusé un report de l’entretien après la période de confinement, qu’elle n’a pu correctement préparer sa défense, que souhaitant être assistée d’un conseiller du salarié, elle n’a pu se présenter à l’entretien préalable ; elle réclame une indemnité pour réparer le préjudice causé par cette irrégularité de procédure à hauteur de 2 500 euros.

La société Ront Gestion et Développement réplique que le délai de cinq jours a été respecté, la lettre ayant été présentée à la salariée le 20 avril 2020 pour un entretien fixé au 27 avril 2020, qu’en tout état de cause, l’entretien a été reporté à la demande de la salariée par lettre du 24 avril au 5 mai 2020, qu’aucun texte n’interdisait la tenue d’un entretien préalable pendant la période de confinement, que la salariée doit être débouté de sa demande d’indemnité pour irrégularité de la procédure et le jugement confirmé sur ce point.

L’article L. 1232-2 du code du travail dispose que :

‘L’employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable.

La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l’objet de la convocation.

L’entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation’.

Il ressort en premier lieu des pièces produites aux débats que par lettre datée du 14 avril 2020 adressée par l’intermédiaire de la société de transport Tnt, l’employeur a convoqué la salariée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 27 avril 2020 et que le bon émis par le transporteur mentionne : ‘colis livré le 20 avril 2020 à 18h57, réceptionné par : [P] [C]’. Il s’ensuit que la convocation, qui a été régulièrement envoyée via un système de transport rapide permettant de justifier des dates d’expédition et de réception, a été présentée à la salariée dans un délai d’au moins cinq jours ouvrables avant la date de l’entretien préalable dans la mesure où la lettre a été présentée le vendredi 20 avril 2020 à la salariée et où l’entretien était fixé à la date du vendredi 27 avril 2020. De plus, l’employeur a accédé à la demande de la salariée, formée par courriel du 23 avril 2020, de report de la date de l’entretien préalable, en lui adressant une nouvelle convocation datée du 24 avril 2020 pour un entretien fixé au 5 mai 2020.

En outre, aucune disposition légale ou réglementaire ne prohibant la tenue d’un entretien préalable à un éventuel licenciement pendant la période de confinement, l’employeur n’était pas obligé de reporter la date de l’entretien préalable à une date postérieure à la fin de la période de confinement.

Enfin, la salariée ne justifie pas de l’impossibilité dans laquelle elle se serait trouvée de se faire assister par un conseiller du salarié à la date du 5 mai 2020, la seule pièce produite au soutien de cette allégation étant une attestation (pièce 32) qui n’est pas datée et qui doit par conséquent être écartée.

Le moyen tiré d’une irrégularité de la procédure de licenciement n’est pas fondé.

La salariée sera déboutée de sa demande d’indemnité de ce chef et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la situation de co-emploi

La salariée soutient qu’elle se trouvait en situation de co-emploi en faisant valoir qu’elle exerçait ses fonctions dans les locaux de la société Ront, filiale de la société Ront Gestion et Développement, que ces deux sociétés ont le même gérant, que sa mission permanente ne relevait pas de l’activité de holding de la société mère mais de celle de commerces de gros de la société Ront, que son activité était intégrée dans l’organisation de la société Ront.

Les sociétés font valoir que la salariée ne démontrant pas l’immixtion permanente de la société Ront dans la gestion économique et sociale de la société Ront Gestion et Développement conduisant à une perte d’autonomie de cette dernière, elle doit être déboutée de sa demande aux fins de reconnaissance d’une situation de co-emploi et que la société Ront doit être mise hors de cause.

En application de l’article L. 1221-1 du code du travail, hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée de co-employeur du personnel employé par une autre que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière.

L’argumentation développée par la salariée est inopérante à démontrer la situation de co-emploi alléguée, aucune démonstration n’étant apportée de l’immixtion permanente de la société Ront dans la gestion économique et sociale de la société Ront Gestion et Développement qui employait la salariée.

Le moyen n’est pas fondé. Il convient de débouter la salariée de toutes ses demandes formées à l’encontre de la société Ront. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la validité et le bien-fondé du licenciement

La lettre de licenciement notifié à la salariée est rédigée ainsi qu’il suit :

‘(…) Nous constatons et déplorons votre absence à votre poste de travail depuis le 10 avril 2020 et ce en dépit de mises en demeure de notre part des 26 mars 2020, 3 et 6 avril 2020, vous demandant de bien vouloir vous présenter dans les bureaux d'[Localité 6], afin d’effectuer vos missions habituelles aux horaires de travail.

En effet, dans un premier temps, vous nous avez opposé un droit de retrait, que nous avons considéré et que nous considérons toujours comme injustifié et donc abusif, l’entreprise respectant notamment les recommandations gouvernementales liées au Covid 19.

Finalement, le 7 avril 2020, vous avez accepté les modalités de transport proposées le 6 avril 2020.

Néanmoins, sous des motifs fallacieux, vous avez refusé de vous présenter à votre poste de travail.

Votre persistance à ne pas accomplir loyalement votre travail, notamment en opposant un comportement nuisible au bon fonctionnement de l’entreprise, compromet la bonne marche de l’entreprise.

Ce comportement caractérise notamment de votre part, outre un non respect des règles applicables au sein de l’entreprise, un manquement à votre obligation de loyauté à notre égard (…)’.

La salariée conclut principalement à la nullité du licenciement et subsidiairement à son absence de cause réelle et sérieuse. Elle fait valoir que l’employeur l’a placée d’office en chômage partiel total à compter du 17 mars 2020, ce qu’elle a contesté, qu’il ne lui a pas transmis d’autorisation de déplacement mentionnant ses fonctions réelles, malgré ses demandes, qu’il lui a, de manière injustifiée et persistante, refusé le bénéfice du télétravail qu’elle demandait, qu’il a tenté de lui imposer une modification de son contrat de travail, qu’elle a été la seule salariée placée en chômage partiel total, ce qui constitue un traitement discriminatoire en raison de son état de santé supposé, qu’elle a exercé son droit de retrait le 29 mars 2020, que l’employeur ne justifie pas avoir appliqué les recommandations des autorités publiques, ni les dispositions relatives au document unique d’évaluation des risques et qu’elle n’a pas été remplacée ce qui laisse penser que le véritable motif du licenciement est économique.

La société Ront Gestion et Développement conclut au débouté des demandes de la salariée et à la cause réelle et sérieuse du licenciement en répliquant que celle-ci n’a pas été placée en chômage partiel total comme elle l’allègue, qu’elle disposait d’une autorisation de déplacement pour se rendre à son travail, que la mise en place du télétravail n’était pas possible au regard des fonctions qu’elle exerçait, qu’elle a renoncé à l’exercice de son droit de retrait le 7 avril 2020, que la règlementation et les directives gouvernementales relatives à la santé et la sécurité des travailleurs à cette époque de la pandémie ont été appliquées, qu’il a été viré une somme de 500 euros à la salariée à titre d’avance de frais professionnels pour lui permettre de se rendre sur son lieu de travail en Vtc, que son argumentation relative à un licenciement économique déguisé n’est pas pertinente, qu’elle a refusé de prendre son poste de travail de manière injustifiée et persistante, ce qui justifiait son licenciement.

S’agissant de l’exercice du droit de retrait

L’article L. 4131-1 du code du travail dispose que :

‘Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente une danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection.

Il peut se retirer d’une telle situation.

L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection’.

L’exercice du droit de retrait par le salarié rend nul le licenciement fondé sur l’exercice de ce droit dès lors que l’un des reproches formulés par l’employeur dans la lettre de licenciement repose sur l’exercice de ce droit de retrait.

En l’espèce, la salariée a, par courriel du 29 mars 2020, informé l’employeur être dans l’obligation d’exercer son droit de retrait à compter du 30 mars 2020 suite au refus d’adapter son poste au télétravail et en raison de trois heures de transport quotidien en temps normal, en invoquant des raisons de sécurité sanitaire ‘évidentes’. Dans ses écritures, elle indique que le changement de missions que l’employeur a tenté de lui imposer du fait de la nature des activités impliquant la manipulation successive d’objets par plusieurs personnes et la confection de colis l’exposait à un risque accru pour sa santé dans le contexte de la pandémie et qu’il n’est pas justifié de l’évaluation de ces risques ou de l’établissement et l’actualisation du document unique d’évaluation de risques avant l’exercice de son droit de retrait.

S’agissant des tâches exercées par la salariée, il ressort des pièces produites devant la cour que celle-ci a indiqué dans un courriel antérieur à période de confinement, du 7 février 2020 qu’elle ‘occupe tour à tour les fonctions de web master, Sav, approvisionneuse voire magasinière’, ‘dans un effort d’organisation, j’avais proposé à [O] qu’à tour de rôle, on allait se consacrer la matinée au travail de fond et l’après-midi sur le quotidien Sav, stock etc’, ‘La nature de notre stock (diversité des produits) fait qu’on a besoin d’un aménagement spécifique : en bas et pas sur les étagères par exemple et on a clairement pas de place. Je suis souvent obligée de me déplacer pour trouver les produits car c’est rangé tant bien que mal. Je suis en train de réorganiser avec [X] en bas’.

Il s’ensuit que les tâches habituellement confiées à la salariée dans le cadre de son exercice professionnel nécessitaient une présence physique sur le lieu de travail, celles-ci étant en lien avec le stock. L’allégation de la salariée relative à une tentative de l’employeur de modifier son contrat de travail ne repose sur aucun élément de fait précis et n’est pas établie.

S’agissant du refus de l’employeur d’aménager le poste de travail en télétravail, il ressort d’un échange de courriels entre la salariée et une de ses collègues, [K] [F], des 16 et 17 mars 2020 que cette dernière s’est plaint de demandes à distance de la salariée relatives à l’impression de bons de livraison ainsi qu’il suit : ‘désolée mais le télétravail ne doit pas donner plus de travail à celles qui se déplacent et qui sont déjà débordées’.

Il s’ensuit que le refus de l’employeur d’accéder à la demande de télétravail de la salariée, alors que ses tâches habituelles nécessitaient pour une part significative sa présence physique sur le lieu de travail à [Localité 6] et qu’au moins une de ses collègues s’est plaint d’une augmentation de sa charge de travail à la suite de demandes d’effectuer certaines de ses tâches par la salariée se trouvant hors de l’entreprise, ne revêt pas de caractère abusif ou injustifié, et ce, en dépit de la période de confinement en raison de la pandémie de Covid-19.

S’agissant de la situation de danger grave et imminent pour sa santé et sa sécurité alléguée par la salariée pour justifier l’exercice de son droit de retrait, l’employeur établit qu’il a mis en oeuvre les mesures recommandées par les autorités publiques pour préserver la santé et la sécurité des travailleurs et la salariée n’allègue d’aucun fait précis qui l’aurait placée dans une situation de danger grave et imminent pour sa santé et sa sécurité dans l’entreprise. Au moment de l’exercice du droit de retrait par la salariée, l’entreprise disposait d’un document unique d’évaluation des risques et celui-ci a été actualisé dans une période contemporaine à l’exercice du droit de retrait de la salariée, puisque la société justifie l’avoir adressé à l’inspecteur du travail le 16 juin 2020 et que celui-ci en a accusé réception le 25 juin 2020 sans formuler d’observation.

Il ressort encore des échanges écrits entre l’employeur et la salariée en avril 2020 que la société a proposé à la salariée d’effectuer ses trajets domicile/travail au moyen d’un Vtc pris en charge par la société et lui a adressé un virement bancaire de 500 euros à titre d’avance sur frais de transport à cet effet et que la salariée a répondu par écrit le 7 avril 2020 en ces termes : ‘J’accepte les modalités de transport telles que vous les proposez à savoir le transport de personnes en Vtc pour une personne par véhicule intégralement à votre charge afin de me faire éviter les transports en commun et je vous remercie de cette proposition qui avait été effectivement abordée mais sans être approfondie’, (…), ‘En conséquence, merci de me transmettre un justificatif de déplacement professionnel mis à jour comportant mes missions véritables. Je me déplacerai sur place à la condition d’effectuer mon travail habituel’. Dans cet écrit du 7 avril 2020, la salariée ne fait plus référence à l’exercice de son droit de retrait, n’évoque plus de situation de danger grave et imminent pour sa santé et sa sécurité et indique être prête à prendre son poste de travail dans la société sous réserve de disposer du justificatif de déplacement professionnel mis à jour alors en vigueur pour effectuer un déplacement hors du domicile.

Il ressort des considérations qui précèdent que l’exercice du droit de retrait par la salariée n’était pas justifié par un danger grave et imminent pour sa santé et sa sécurité et que celle-ci n’est donc pas fondée à invoquer que le licenciement est en lien avec l’exercice d’un droit légitime de retrait.

S’agissant de la discrimination en raison de l’état de santé

En application des dispositions de l’article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié notamment en raison de son état de santé.

Aux termes de l’article L. 1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

La salariée fait valoir qu’elle a été la seule salariée de l’entreprise à avoir été placée d’office en chômage partiel total le 16 mars 2020 puis que l’employeur a pris l’initiative d’un arrêt de travail et qu’elle a ainsi fait l’objet d’un traitement discriminatoire injustifié en raison de son état de santé supposé.

Au soutien de son allégation, la salariée produit une pièce 10 totalement illisible ainsi que des échanges de courriels intervenus entre les 19 et 31 mars 2020 avec notamment [R] [V] [W], responsable administrative et financière de la société, insuffisants à établir la matérialité tant d’un placement de la salariée en chômage partiel total, cette allégation étant d’ailleurs démentie par l’employeur, que d’un arrêt de travail de celle-ci à l’initiative de l’employeur.

Force est donc de constater que la salariée ne présente aucun élément de fait précis au soutien de la discrimination en raison de l’état de santé supposée qu’elle allègue. Le moyen n’est pas fondé.

S’agissant des motifs du licenciement

En application de l’article L. 1232-1 du code du travail, un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n’appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d’instruction qu’il juge utile, il appartient néanmoins à l’employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué.

Il ressort des pièces produites au débats que si, comme le lui reproche la lettre de licenciement, la salariée ne s’est pas présentée à son poste de travail à compter du 10 avril 2020 jusqu’au licenciement, malgré trois mises en demeure de l’employeur des 26 mars, 3 avril et 6 avril 2020, la salariée fait cependant valoir à juste titre que l’employeur ne lui a adressé aucun justificatif de déplacement professionnel valide, en application des dispositions du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, puisque le seul justificatif produit aux débats est valable jusqu’au 31 mars 2020 et que l’employeur n’allègue ni ne justifie avoir établi et fourni à la salarié un justificatif de déplacement professionnel à compter du 10 avril 2020 afin de lui permettre de justifier auprès des autorités publiques de tout déplacement hors du domicile pour se rendre sur son lieu de travail.

Dans ces conditions, l’employeur n’est pas fondé à reprocher à la salariée une absence injustifiée au poste de travail à compter du 10 avril 2020, ni un manquement aux règles applicables au sein de l’entreprise ou un manquement à l’obligation de loyauté.

Le licenciement n’est pas nul mais est dénué de cause réelle et sérieuse.

En application de l’article L. 1235-3 du code du travail, la salariée qui présentait une ancienneté de trois années complètes dans l’entreprise qui comptait habituellement moins de onze salariés a droit à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un mois et quatre mois de salaire brut.

Eu égard à son âge (née en1980), à son ancienneté, à son salaire moyen de 2 500 euros, à sa situation professionnelle postérieure au licenciement (prise en charge par Pôle emploi puis embauche dans le cadre d’un contrat à durée déterminée ainsi qu’il ressort d’une attestation établie par le rectorat de l’académie de [Localité 7] le 12 juillet 2021 indiquant son contrat est renouvelé du 1er septembre au 31 décembre 2021), il sera allouée à la salariée à la charge de la société Ront Gestion et Développement une somme de 7 500 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société sera en outre condamnée au paiement de la somme de 1 822,12 euros à titre de rappel de salaire dont la salariée a été privée de manière injustifiée au mois d’avril 2020 ainsi que celle de 182,21 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés incidents.

Le jugement sera infirmé sur ces points.

La salariée sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral à défaut de justifier d’un préjudice distinct de celui déjà réparé au titre de la rupture sans cause réelle et sérieuse du contrat de travail.

Sur la perte de chance de prime d’objectif

La salariée fait valoir qu’à la suite du licenciement, elle n’a pas bénéficié de la prime à l’objectif et forme une demande d’indemnisation au titre de la perte de chance de percevoir cette prime.

La société réplique que la salariée ne justifie pas de son allégation relative au travail effectué contribuant à générer des bénéfices liés au contexte de la pandémie.

Par courriel du 18 février 2020, [H] [Y], gérant de la société, a indiqué à la salariée qu’elle bénéficierait à compter du 1er mars 2020 d’une prime de 2 % brut de la progression du chiffre d’affaires par rapport à l’année n-1, calculée tous les six mois, valable un an.

A défaut de produire un quelconque élément permettant de retenir que l’éventualité de percevoir la prime en cause aurait été favorable, la salariée sera déboutée de sa demande au titre de la perte de chance. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la demande reconventionnelle de la société Ront Gestion et Développement

La société demande la condamnation de la salariée à lui restituer la somme de 500 euros à titre d’avance sur frais professionnels qu’elle lui a consentie.

La salariée relève que cette somme n’a pas été réclamée dans le cadre de l’établissement du solde de tout compte consécutif au licenciement et demande à titre subsidiaire que soit ordonnée la compensation entre les sommes qui seront mises à la charge de l’intimée et la somme de 500 euros correspondant aux frais de déplacement professionnel.

L’employeur justifiant du versement de la somme de 500 euros à titre d’avance de frais professionnels à la salariée et au vu de l’absence d’engagement de frais professionnels par la salariée, la créance de l’employeur est fondée.

Il sera ordonné la compensation entre les sommes mises à la charge de la société et la créance de 500 euros de celle-ci.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur les intérêts au taux légal

Il est rappelé que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Ront Gestion et Développement de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes et les créances de nature indemnitaire portent intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Eu égard à la solution du litige, le jugement sera infirmé en ce qu’il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.

La solution Ront Gestion et Développement sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et à payer à la salariée la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement en ce qu’il déboute [C] [P] de ses demandes d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de rappel de salaire pour avril 2020 et congés payés afférents, et en ce qu’il statue sur les intérêts, les dépens et les frais irrépétibles,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Ront Gestion et Développement à payer à [C] [P] les sommes suivantes :

* 7 500 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1 822,12 euros à titre de rappel de salaire d’avril 2020,

* 182,21 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés incidents,

RAPPELLE que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Ront Gestion et Développement de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes et les créances de nature indemnitaire portent intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

ORDONNE la compensation entre les sommes mises à la charge de la société Ront Gestion et Développement et la somme de 500 euros réclamée par ladite société au titre de l’avance de frais professionnels à [C] [P],

CONDAMNE la société Ront Gestion et Développement aux entiers dépens,

CONDAMNE la société Ront Gestion et Développement à payer à [C] [P] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE les parties du surplus des demandes,

CONFIRME le jugement pour le surplus des dispositions,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Dévi POUNIANDY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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