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31 mai 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/01153
FCOUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 31 MAI 2023
N° RG 21/01153
N° Portalis: DBV3-V-B7F-UOIU
AFFAIRE :
[D] [V]
C/
Société COMDATA HOLDING FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 février 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
N° Section : E
N° RG : F18/01918
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Isabelle TOUSSAINT
Me Aude DE GRAAF
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TRENTE ET UN MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [D] [V]
né le 9 décembre 1973 à [Localité 6]
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Isabelle TOUSSAINT, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 249 et Me Jean-Michel PENIN, Plaidant, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 565
APPELANT
****************
Société COMDATA HOLDING FRANCE venant aux droits de la société BUSINESS SUPPORT SERVICES B2S
N° SIRET : 831 004 957
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Aude DE GRAAF, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1513
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 3 mars 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [V] a été engagé en qualité de directeur comptable, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 10 avril 2008, par la société B2S.
Cette société exploitait une activité de centre d’appel. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle appliquait la convention collective des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire.
Le salarié percevait une rémunération brute mensuelle fixe de 7 016,76 euros à laquelle s’ajoutait une rémunération variable.
Il a été placé en arrêt de travail du 15 décembre 2017 au 22 décembre 2017, prolongé par la suite.
Par lettre du 18 décembre 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 3 janvier 2018.
Le salarié étant en arrêt de travail le 3 janvier 2018, la société a reporté l’entretien au 9 janvier 2018.
Le salarié a fourni une prolongation d’arrêt de travail jusqu’au 2 février 2018.
Par lettre du 12 janvier 2018, la société B2S a notifié les griefs faits au salarié dans les termes suivants :
« (‘) nous avons malheureusement constaté que vous aviez à plusieurs reprises manqué à vos obligations contractuelles en adoptant de manière récurrente un comportement déloyal vis-à-vis de votre employeur, n’exécutant pas de bonne foi votre contrat de travail.
Ainsi, nous considérons que vous avez adopté une attitude déloyale au travers notamment de propos répétés, inadaptés, dénigrant les capacités professionnelles de votre hiérarchie, contestant ses décisions voire refusant leur mise en ‘uvre’
Vous avez encore adopté un comportement de manipulation, d’instrumentalisation de vos équipes, outre un management inapproprié avec mise à l’écart de certains, pressions’
Plus encore, vous avez tenu des propos grossiers, voire humiliants envers certains personnels ou envers votre ancienne hiérarchie.
Le tout conduisant à une déstabilisation, une désorganisation du service, un épuisement de certains faute de gestion adaptée du service, le tout plaçant plusieurs de vos collaborateurs en situation de souffrance ».
Il a été licencié par lettre du 24 janvier 2018 pour faute grave dans les termes suivants:
« Dans le cadre de l’accomplissement de la procédure légale, nous vous avons convoqué, le 19 décembre 2017, par courrier recommandé avec accusé de réception à un entretien préalable à une éventuelle sanction pouvant aller jusqu’au licenciement pour le 3 janvier 2018.
Dans l’intervalle, vous nous avez fait parvenir un arrêt maladie.
Soucieux de vous donner la possibilité de présenter vos observations sur les griefs que nous avions à votre encontre et bien que nous n’y soyons pas légalement obligés, nous avons reporté cet entretien préalable au 9 janvier 2018, vous adressant une nouvelle convocation toujours par courrier recommandé, le 28 décembre 2017.
Compte tenu de votre absence à ce second entretien préalable, nous vous avons fait connaître par courrier les griefs ayant motivé la mise en ‘uvre de la procédure, vous donnant ainsi la possibilité de nous apporter vos observations écrites.
Vous avez fait le choix de ne pas répondre favorablement à cette proposition.
En conséquence, après réflexion, nous vous indiquons avoir décidé de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave, pour les motifs suivants :
Salarié de la société b2s depuis le 10 avril 2008, vous exercez, au sein de notre entreprise, les fonctions de Directeur Comptable, cadre.
Cette fonction implique de votre part, outre la bonne exécution de vos tâches et la bonne gestion du service comptable, un nécessaire respect de votre hiérarchie et des décisions de l’entreprise, une attitude adaptée vis-à-vis des autres, un management sans faille en particulier de votre équipe’
Or nous avons malheureusement constaté que vous aviez à plusieurs reprises manqué à vos obligations contractuelles.
Ainsi, vous avez adopté une attitude déloyale et non conforme à l’exécution de bonne foi de votre contrat de travail au travers notamment de propos répétés inadaptés, dénigrant les capacités professionnelles de votre hiérarchie, contestant ses décisions voire refusant leur mise en ‘uvre’
Vous avez encore adopté un comportement de manipulation, d’instrumentalisation de vos équipes outre un management inapproprié avec mise à l’écart de certains, pressions’
Plus encore, vous avez tenu des propos grossiers, voire humiliants envers certains personnels ou envers votre ancienne hiérarchie.
Le tout conduisant à une déstabilisation, une désorganisation du service, un épuisement de certains faute de gestion adaptée du service, le tout plaçant plusieurs de vos collaborateurs en situation de difficulté voire de souffrance.
Votre attitude est constitutive de manquements graves et répétés à vos obligations contractuelles et caractérise une faute grave rendant impossible votre maintien dans l’entreprise y compris pendant le préavis.
Votre licenciement pour faute grave prend donc effet immédiatement et votre solde de tout compte est arrêté à la date d’envoi de cette lettre, sans préavis ni indemnité.
Vous cesserez ainsi définitivement de faire partie du personnel de notre entreprise à partir de la date d’envoi de cette lettre. (‘) »
Par lettre du 2 février 2018, M. [V] a demandé les motifs de son licenciement.
Par lettre du 12 février 2018, la société B2S a répondu que les motifs avaient été exposés le 12 janvier 2018 puis dans la lettre de licenciement.
Le 20 juillet 2018, M. [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, en paiement d’un rappel de salaire sur prime annuelle de 2017 et diverses sommes de nature indemnitaire.
A la fin de l’année 2018, la société B2S a procédé à une dissolution sans liquidation à la suite de la réunion de toutes les actions en la main de son actionnaire unique, la société Comdata Holding France. Il en est ainsi résulté une transmission universelle du patrimoine de la société B2S à la société Comdata Holding France, laquelle vient donc aux droits de son ancienne filiale.
Par jugement du 10 février 2021, le conseil de prud’hommes de Nanterre (section encadrement) a :
– requalifié le licenciement de faute grave en licenciement avec cause réelle et sérieuse,
– condamné la société Business Support Service B2S devenue Comdata Holding France à payer à M. [V] la somme de 22 750 euros au titre d’une indemnité pour licenciement,
– condamné la société Comdata Holding France à payer à M. [V] la somme de 27 300 euros au titre d’une indemnité compensatrice de préavis,
– condamné la société Comdata Holding France à payer à M. [V] la somme de 2 730 euros au titre des congés payés sur indemnité compensatrice,
– condamné la société Comdata Holding France à payer à M. [V] la somme de 5 000 euros au titre de la prime annuelle,
– condamné la société Comdata Holding France à payer à M. [V] la somme de 500 euros au titre des congés payés sur prime annuelle,
– condamné la société Comdata Holding France à payer à M. [V] la somme de 2 854,89 euros au titre de dommage et intérêt pour perte de de la prime de participation 2018,
– débouté monsieur [V] de l’ensemble de ses autres demandes,
– condamné la société Comdata Holding France à payer au titre de l’article 700 du code de procédure civile la somme de 1 500 euros à M. [V],
– condamné la société Comdata Holding France aux entiers dépens,
– débouté la société Comdata Holding France de sa demande reconventionnelle.
Par déclaration adressée au greffe le 16 avril 2021, M. [V] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 31 janvier 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 16 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [V] demande à la cour de :
– infirmer partiellement le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre du 10 février 2021 (RG n° F 18/01918),
– condamner la société Comdata Holding France (venant aux droits de la société B2S) à lui payer les sommes suivantes :
. 42 500 euros à titre de rappel de salaire sur prime annuelle 2017, subsidiairement, 25 000 euros à titre de rappel de salaire sur prime annuelle 2017,
. 4 250 euros à titre de rappel d’indemnité compensatrice de congés payés afférente, subsidiairement, 2 500 euros à titre de rappel d’indemnité compensatrice de congés payés afférente,
. 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, sinon exécution fautive du contrat de travail,
. 160 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, sinon sans cause réelle et sérieuse,
. 22 750 euros à titre d’indemnité de licenciement,
. 27 300 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
. 2 730 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférente,
. 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,
. 2 854,49 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de participation au titre de l’année 2018,
. 18 090 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice fiscal,
. 1 500 euros à titre d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile (première instance),
. 5 000 euros à titre d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile (appel),
– débouter la société Comdata Holding France de son appel incident et de l’ensemble de ses demandes,
– condamner la société Comdata Holding France aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 28 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Comdata Holding France venant aux droits de la société Business Support Services B2S demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre le 10 février 2021 en ce qu’il a dit et jugé le licenciement de M. [V] justifié le déboutant en conséquence de sa demande de dommages intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, en ce qu’il a partiellement débouté M. [V] de ses demandes de rappel de prime annuelle 2017, de congés payés afférents, en ce qu’il a débouté M. [V] de sa demande de dommages intérêts pour exécution fautive du contrat de travail et harcèlement moral, de sa demande de dommages intérêts pour licenciement vexatoire, de sa demande de dommages intérêts pour préjudice fiscal et de toutes autres demandes,
– de la recevoir en son appel incident et en conséquence de réformer partiellement le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre le 10 février 2021 en ce qu’il a requalifié le licenciement de M. [V] faisant ainsi droit à ses demandes d’indemnité de licenciement, d’indemnité de préavis et d’indemnité de congés payés afférentes et en ce qu’il a fait droit à sa demande de dommages intérêt pour perte de la prime de participation, en ce qu’il a fait partiellement à sa demande de prime annuelle et de congé payés afférents et à ce demande d’article 700 du code de procédure civile,
en conséquence,
à titre principal,
– débouter M. [V] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner M. [V] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile,
– condamner M. [V] aux entiers dépens,
subsidiairement, si par extraordinaire la cour devait considérer que le licenciement de M. [V] ne repose pas sur une faute grave, il conviendrait à tout le moins de dire et juger qu’il repose sur une cause réelle et sérieuse et en conséquence,
– débouter M. [V] de toutes ses demandes autres que l’indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents, et l’indemnité conventionnelle de licenciement, demandes limitées comme présenté ci-après,
à titre infiniment subsidiaire, si par impossible, la cour devait considérer que le licenciement de M. [V] n’est pas fondé et réformer le jugement entrepris, il conviendrait de limiter les demandes présenter comme suit :
. 21 050 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
. 2 105 euros à titre d’indemnité de congés payés afférents,
. 21 048 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l’article L.1235-3 du code du travail,
et en tout état de cause,
– débouter M. [V] de sa demande de rappel de prime au titre de 2017 et subsidiairement de la limiter à 5 000 euros outre les congés payés afférents à hauteur de 500 euros,
– débouter M. [V] de sa demande de rappel de participation au titre de 2018,
– débouter M. [V] de sa demande de dommages intérêts pour licenciement vexatoire, et subsidiairement de la limiter à la somme de 1 euro symbolique,
– débouter M. [V] de sa demande de dommages intérêts pour exécution fautive du contrat de travail ou harcèlement moral, ou subsidiairement pour manquement à l’obligation de santé et de sécurité et subsidiairement de la limiter à la somme de 1 euros symbolique,
– débouter M. [V] de sa demande de dommages intérêts pour préjudice fiscal et subsidiairement de la limiter à la somme de 1 euro symbolique,
– débouter M. [V] de toutes autres demandes.
MOTIFS
Sur la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral ou, subsidiairement, pour exécution fautive du contrat de travail
Le salarié soutient qu’il a été surchargé de travail ce qui, selon lui, caractérise un harcèlement moral ou, subsidiairement, une exécution fautive de son contrat de travail en raison d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
La société conteste la surcharge alléguée et tout manquement à son obligation de sécurité.
***
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l’article L. 1154-1 dans sa version applicable à l’espèce, interprété à la lumière de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, lorsque survient un litige relatif à l’application de ce texte, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Par ailleurs, en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité, l’employeur pouvant s’exonérer de sa responsabilité s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
Ces articles disposent :
. article L. 4121-1 : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
(‘)
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. »
. article L. 4121-2 « L’employeur met en ‘uvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Éviter les risques ;
2° Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
(‘)
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs. »
En l’espèce, le salarié soumet à la cour le fait suivant : un harcèlement moral par surcharge de travail ayant eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail portant atteinte à ses droits et à sa dignité, altérant sa santé physique et mentale et compromettant son avenir professionnel.
Il ressort des explications du salarié que le service comptabilité qu’il dirigeait comprenait 6 personnes en 2008 et que la taille de son équipe n’a pas augmenté, et même qu’elle a diminué, en dépit d’une forte croissance de la société.
Selon le salarié, son service de comptabilité gérait, d’une part, la comptabilité de l’ensemble du groupe qui comprenait une vingtaine de filiales et, d’autre part, les acquisitions de participations réalisées directement par la société B2S. Si la société objecte que la vingtaine de filiales intégrées dans le groupe avait chacune son service comptable qui gérait sa comptabilité, ce fait est néanmoins démenti par :
. le témoignage précis de M. [F], ancien salarié de la société B2S (directeur comptable adjoint), qui explique : « la société affirme que la comptabilité des sociétés est tenue au niveau de chaque filiale qui remonte au siège, c’est un énorme mensonge, la comptabilité du groupe a toujours été gérée exclusivement au siège social, qui était en réalité un centre de services partagés ! Seules deux filiales marocaines avaient un service de comptabilité propre » (pièce 113 du salarié),
. le témoignage d’un autre ancien salarié, M. [E] (ancien responsable comptable fournisseurs), qui indique : « Il n’y a jamais eu de comptables dans les filiales du groupe à l’exception du Maroc » (pièce 128 du salarié).
S’agissant de l’année 2017, les éléments de contexte suivants doivent être relevés :
. le rachat du groupe B2S en août 2017 par le groupe Comdata ce qui a nécessairement alourdi les tâches du service comptabilité,
. l’arrêt de travail de l’adjointe du salarié, Mme [I] [B], le 6 novembre 2017 pour un burn-out, remplacée par une intérimaire, Mme [C], que les salariés du service n’ont pu former au risque de mettre en péril leur propre activité déjà chargée (cf. courriels internes en pièces 47 et 31 du salarié).
Dans ce contexte, M. [W], du service de la comptabilité, a d’ailleurs adressé en sa qualité de représentant du personnel à la DRH (Mme [Z]) un courriel du 15 novembre 2017 ayant pour objet « urgence » (et non pas « alerte » comme l’indique à tort le salarié dans ses écritures en page 46/148) et lui a expliqué en substance que le service comptabilité était en souffrance.
Le salarié a alerté à de multiples reprises l’employeur de ce qu’il considérait son service en sous-effectif :
en avril 2014 lors de son entretien individuel, en septembre 2015 par un courriel adressé à sa directrice administrative et financière (ci-après « DAF »), Mme [U], en mars 2016 à l’occasion de son entretien annuel,
en mai 2017 dans un courriel adressé au futur nouveau DAF, M. [K], dans lequel il écrit « il est impératif de rapidement redonner des moyens au service comptable, la charge de travail a été énorme ces 5 derniers mois et tout le monde est en sur-régime (‘) si de gros dossiers devaient sortir du chapeau sous peu je pense que le service explose »,
en juin 2017 à l’occasion d’un courriel interne à propos d’une relance relative à des impayés de fournisseurs, par un courriel du 6 juillet 2017 dans lequel il se plaint du sous-effectif à son nouveau DAF, M. [K],
le 6 novembre 2017 où il dénonce auprès de son DAF une « explosion de la charge de travail » et une situation de sous-effectif,
le 8 novembre 2017 où il dénonce la situation de sous-effectif à la directrice des ressources humaines,
le 4 décembre 2017 où il écrit au DAF sur ce même sujet.
L’attestation de M. [W] (produite par l’employeur en pièce 26) montre que ce dernier avait des griefs à faire valoir à l’endroit du salarié qui était son supérieur hiérarchique. Elle montre également que le témoin impute la souffrance du service comptabilité au propre comportement du salarié qui était entré en conflit avec le DAF, M. [K], et qu’il est à l’origine du burn-out de Mme [B], laquelle partageait son temps de travail entre le service trésorerie et le service comptabilité.
Mais il en ressort aussi que « [le salarié] a organisé des réunions avec M. [K] pour que l’équipe comptable puisse exprimer les difficultés et trouver les solutions face au manque d’effectifs dont nous sommes victimes depuis certaines années ». En cela, il confirme le problème du manque d’effectifs du service.
De même, la société produit l’attestation de Mme [L] qui témoigne ainsi : « (‘) j’atteste que pour avoir échangé à plusieurs reprises avec l’équipe [du salarié] ceux-ci me précisaient que la charge de travail à laquelle il faisait souvent référence et en indiquant qu’elle était trop importante, était portée par eux et non par lui contrairement à ce qu’il pouvait prétendre. De ce fait, ses attitudes étaient fortement déplacées en s’attribuant tout le bénéfice de la charge de travail ».
La surcharge de travail du service de la comptabilité dirigé par le salarié est donc établie.
Il reste à déterminer si le salarié était lui aussi affecté par cette surcharge, ce qui est contesté par l’employeur.
A cet égard, la société objecte que le salarié n’était présent au sein de l’entreprise que trois jours par semaine et que les lundis et vendredis il télétravaillait depuis chez lui, à [Localité 5]. Cela n’est pas contesté et au demeurant confirmé par l’attestation de Mme [U], ancienne DAF jusqu’à juin 2017 qui n’était plus au service de l’employeur lorsqu’elle a rédigé son attestation dans laquelle elle indique que « [le salarié] était présent le mardi, mercredi et jeudi entre 8h et 17h environ hormis le mardi où il arrivait généralement plus tard (9h environ) et le jeudi où il partait généralement plus tôt (16h environ) ».
En outre, dans son attestation précise et circonstanciée, M. [W] explique que lorsque le salarié était en télétravail, il lui était « très difficile de le joindre pendant ces deux jours ». Il ajoute qu’ils devaient donc se retrouver « le mardi, mercredi et jeudi à multiplier les heures de travail ou annuler des congés parce que la charge de travail était mal répartie et soumise au télétravail de M. [V] ». Mme [M] (responsable juridique de la société) confirme dans son attestation « l’absence de disponibilité et de réactivité » du salarié, ajoutant que celui-ci « en télétravail plusieurs jours par semaine, ne répondait que trop rarement à [ses] sollicitations (mail ou téléphone). Il ne répondait que suite à de nombreuses relances ou parce que je mettais le responsable hiérarchique en copie. (‘) J’ai pu assister au désarroi et à la surcharge de travail de son équipe qui devait subir ses nombreuses délégations de tâches faute de disponibilité et de présence. (‘) »
Selon les témoins qui ont été amenés à travailler avec ou pour le salarié, ce dernier ne prenait donc pas sa part à la charge de travail du service.
Certes, M. [F] (attestation précitée ‘ pièce 113 du salarié), explique au contraire : « la société laisse prétendre que [le salarié] pourrait ne rien faire et regarder les autres travailler. J’ai travaillé en étroite relation avec lui et je peux certifier qu’il était seul à avoir l’expertise nécessaire sur de nombreux dossiers (développements informatiques, liasses, annexes, documents prévisionnels, rapports pour le CE, cadrage de chiffre d’affaires, gestion de l’intégration fiscale et de taxes’). Ces travaux ne sont pas du niveau des comptables assistants. Il y avait déjà une charge de travail importante alors que nous avions une douzaine de sociétés à gérer avec une dizaine de personnes. Si une baisse des effectifs est avérée vu le développement fulgurant du groupe cela est totalement irréaliste dans les faits ». Toutefois, il ressort des explications de la société ‘ sur ce point précis non contestées par le salarié ‘ que M. [F] a quitté les effectifs de la société le 7 août 2012. La partie de son témoignage consacrée à la charge de travail supportée par le salarié est donc dépourvue de caractère probant. De même en est-il de l’attestation de M. [E] (déjà citée également ‘ pièce 128 du salarié) qui estime « peu probable » que M. [W] ait géré le service seul, alors qu’il a quitté la société en mars 2011.
Par ailleurs, pour soutenir que son télétravail ne désorganisait pas le service comptable, le salarié se fonde sur l’attestation de M. [F] dont il ressort effectivement, à propos du télétravail que « M. [V] a toujours eu une très grande disponibilité et répondait toujours aux appels. M. [W] oublie de dire qu’il y a toujours eu un directeur adjoint dans l’équipe afin de gérer les comptables auxiliaires ou généraux (‘). C’est bien moi qui gérait M. [W] quand M. [V] était en télétravail. Après mon départ, c’est Mme [B] qui a repris mon poste ». Toutefois, la cour a précédemment relevé que M. [F] a quitté les effectifs de la société en août 2012. Elle observe par ailleurs que Mme [B] a cessé d’exercer à temps plein ses fonctions de directrice adjointe du salarié au début de l’année 2017 puisqu’elle a consacré la moitié de son temps de travail au service de la trésorerie.
Certes encore, le salarié produit les attestations de proches amis qui témoignent de sa très importante charge de travail, surtout en 2017, l’empêchant de prendre part à leurs activités conviviales les vendredis ou samedis soirs. Mais ces attestations ne remettent pas en cause :
. le fait, attesté par Mme [U], que le salarié était présent les mardi, mercredi et jeudi entre 8h et 17h environ hormis le mardi où il arrivait généralement plus tard (9h environ) et le jeudi où il partait généralement plus tôt (16h environ),
. le fait, attesté par plusieurs salariés de façon précise que dans les journées des lundis et vendredis, il était extrêmement difficile de joindre le salarié qui était en télétravail et qui, à ce titre, aurait dû être joignable.
Enfin, à la lecture de ses conclusions, le salarié ne recense de courriels tardifs ou durant les week-ends que pour la période comprise entre le 1er septembre 2012 et le 23 mai 2013 (pages 28 et 29 sur 148 pages de conclusions).
En définitive, si effectivement le salarié établit que son service de comptabilité faisait face à une importante charge de travail, il ne démontre pas sa propre surcharge.
Le seul fait présenté par le salarié comme contribuant selon lui au « harcèlement moral par surcharge de travail » allégué n’étant pas établi, le harcèlement moral ne peut donc être retenu même si le salarié, qui a fait l’objet d’un arrêt de travail le 15 décembre 2017 prolongé jusqu’au 2 février 2018 produit le certificat médical de son médecin traitant.
Par ailleurs, en ce qui concerne l’obligation de sécurité de l’employeur, dès lors que la charge de travail du salarié n’était pas telle qu’elle nécessitait de prendre pour lui des mesures particulières, l’employeur ne peut pas être tenu comme ayant manqué à son obligation de sécurité à son égard.
Il en résulte que le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ces demandes de ce chef, ainsi que de sa demande tendant à la nullité de son licenciement.
Sur le licenciement
Le salarié conteste les manquements qui lui sont imputés tandis que l’employeur les considère établis et comme caractérisant une faute grave.
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La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d’une importance telle qu’ils rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe exclusivement à l’employeur et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier, au vu des éléments de preuve figurant au dossier, si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail, et d’une gravité suffisante pour justifier l’éviction immédiate du salarié de l’entreprise, le doute devant bénéficier au salarié.
En l’espèce, le salarié a été licencié pour faute grave pour les motifs suivants :
. son attitude déloyale envers sa hiérarchie en raison d’un dénigrement et d’un refus de mettre en ‘uvre ses décisions,
. ses manipulation et instrumentalisation de son équipe et un management inapproprié (mise à l’écart et pressions),
. ses propos grossiers, voire humiliants envers certains personnels ou son ancienne hiérarchie,
. une gestion inadaptée de son service.
Même s’il n’est pas parvenu à établir sa propre surcharge de travail, le fait, pour le salarié, d’avoir très régulièrement réclamé des ressources supplémentaires ne traduit pas de sa part un comportement inadapté puisqu’il a été admis que le service était en sous-effectif.
En revanche, l’employeur produit l’attestation de Mme [M] s’agissant des propos tenus par le salarié à l’égard de son ancienne responsable, Mme [U] (« elle est incompétente cette connasse »). Elle ajoute :« J’ai dû subir à plusieurs reprises des blagues salaces, des allusions douteuses et déplacées auxquelles je mettais systématiquement fin. ». Elle précise encore, au sujet des propos qu’elle prête au salarié adressés à d’autres collègues : « j’ai pu en effet assister à plusieurs échanges grossiers et humiliants envers certaines personnes notamment les plus faibles (propos déplacés sur l’hygiène, la vie sexuelle et les tenues d’une personne en particulier souffrant de petits handicaps), propos sur l’hygiène des parties intimes ».
Le salarié conclut au caractère mensonger des propos de Mme [M] qui, selon lui, a été établie pour les besoins de la cause par une cadre supérieure et amie du président de la société. Cependant, ce lien n’est pas établi. Le salarié oppose ensuite à cette attestation celles qu’il produit de son côté :
. celle d’un ancien collègue, M. [F] qui estime « absurde » l’attestation de Mme [M] car, selon lui, le salarié « a toujours prôné le respect entre collaborateurs et tout particulièrement envers les femmes » ;
. celle d’amis qui ne parviennent pas à s’imaginer qu’il ait pu tenir de tels propos.
Mais ces dernières attestations ne rapportent pas des faits dont les attestataires ont été témoins. Elles ne font état que d’une appréciation subjective alors que Mme [M] rapporte, elle, des faits précis dont elle dit avoir été témoin personnellement et auxquels la cour accorde le crédit que leur dénie le salarié.
Par inattention, la DRH (Mme [Z]) a mis le salarié en copie du courriel qu’elle a adressé le 17 décembre 2017 au conseil de la société, Maître [N]. Dans ce courriel, la DRH avisait ledit conseil de ce qu’il était « fort probable [qu’elle] entame une procédure de licenciement à [l’encontre du salarié] ». Ce dernier a transféré ce courriel à M. [W] avec lequel il a alors échangé, cet échange étant versé aux débats sous la pièce 37 de l’employeur. Il en ressort notamment ‘ indépendamment du parti que le salarié entend tirer de l’erreur d’inattention de la DRH ‘ que le salarié :
. a écrit « ce sont des gros enfoirés b2s »
. a écrit à propos de M. [K] : « Putain ça va être chaud pour toi man de devoir le regarder dans les yeux et te défoncer pour lui alors qu’il a déjà niqué deux des trois de l’équipe finance (‘) »
. a tenté de convaincre M. [W] de quitter la société en sollicitant un gros chèque.
Si, comme le fait observer le salarié, cet échange a été tenu après que la société a manifesté son intention d’engager une procédure de licenciement, il demeure qu’il pouvait être retenu parmi les griefs du licenciement.
Par ailleurs, dans son attestation dense, précise et circonstanciée, M. [W] décrit de quelle façon le salarié procédait pour faire dire à ses collaborateurs ce qu’il voulait qu’ils annoncent lors des réunions : « Avant les réunions, [le salarié] nous répétait ce que nous devions dire et la manière de le dire. Il ne manquait pas de nous faire savoir après réunion et de manière agressive si nous avions oublié des mots, des phrases ou la manière de s’exprimer. Il est devenu au fil du temps de plus en plus agressif dans les mots ou le comportement. » M. [W] écrit aussi, s’agissant du positionnement de Mme [B] (initialement affectée au service de la comptabilité puis affectée par la suite à mi-temps au service de la comptabilité et l’autre mi-temps à celui de la trésorerie) : « (‘) [le salarié] a demandé à plusieurs reprises devant l’équipe et de manière agressive à [Mme [B]] de choisir de travailler avec lui. Je précise qu’un jour la pression a été tellement forte qu’elle est tombée en pleurs. J’ai rappelé [au salarié] que si décision elle doit prendre, cela doit venir d’elle et que lui mettre la pression ne lui permettra pas de choisir, alors même que la question d’un choix n’était pas d’actualité. Mme [B] a travaillé pendant des mois avec cette pression d’être entre deux feux (‘). Après le départ de [Mme [B]] pour maladie, j’ai formulé de nouvelles propositions en vue d’apaiser les choses (‘) M. [K] ayant tout mise en ‘uvre de son côté pour calmer le jeu. [Le salarié] a continué les hostilités avec beaucoup de virulence (‘) »
Les éléments qui précèdent établissent la réalité de l’attitude déloyale du salarié, d’un management inapproprié, de ses propos grossiers, voire humiliants envers certains personnels ou son ancienne hiérarchie.
La cause du licenciement présente à tout le moins un caractère réel et sérieux.
S’agissant de la gravité des fautes, compte tenu des fonctions exercées par le salarié, lequel était cadre de haut niveau au sein de la société, les fautes commises par le salarié présentent un degré de gravité suffisant pour justifier son éviction immédiate.
Le jugement sera en conséquence infirmé et, statuant à nouveau, il conviendra de dire justifié le licenciement pour faute grave du salarié et de le débouter de ses demandes tendant à la condamnation de l’employeur à lui payer une indemnité de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents.
Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire
Le salarié expose qu’il lui est reproché d’être responsable des difficultés ou souffrances vécues par ses collaborateurs, ce qui, selon lui, est diffamatoire et l’a « meurtri » parce qu’au contraire, il n’avait eu de cesse de vouloir protéger ses équipes en alertant à maintes reprises sa direction à propos de la surcharge de travail du service comptable.
Pour sa part, la société conteste les circonstances prétendument vexatoires du licenciement du salarié.
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Un salarié licencié dans des conditions vexatoires ou brutales peut prétendre à des dommages-intérêts en réparation du préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi.
En l’espèce, la cour a retenu que le salarié avait eu un management inapproprié et tenu des propos grossiers et humiliants. Les griefs retenus par l’employeur dans la lettre de licenciement ne procédaient donc pas de la diffamation, et le salarié n’établit par ailleurs pas les circonstances vexatoires qu’il dénonce.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ce chef de demande.
Sur le rappel de prime de l’année 2017
Le salarié, qui rappelle qu’il disposait d’une rémunération variable, expose que début 2017, sa directrice administrative et financière s’était engagée à lui verser à ce titre une rémunération de 40 000 euros compte tenu de l’augmentation déraisonnable de la charge de travail ; que cet engagement a été réitéré à l’occasion d’une réunion du 16 novembre 2017 qu’il a enregistrée et qu’il a fait retranscrire dans le cadre de la présence procédure. Il ajoute qu’aucun objectif ne lui a été fixé en début d’exercice en violation de son contrat de travail et qu’ainsi, il peut prétendre au maximum de la prime promise. Il l’évalue principalement à 42 500 euros expliquant son calcul de la façon suivante : il expose d’abord qu’au titre de l’année 2016, il avait perçu une prime de 25 000 euros. Il affirme ensuite que ses collègues ont, au titre de la prime de 2017 perçue en mars 2018, bénéficié d’une augmentation de 70 % de leur prime de 2016 et revendique la même augmentation. Il l’évalue subsidiairement à 25 000 euros correspondant à la prime qu’il avait perçue en 2016.
En réplique, l’employeur objecte qu’il n’a pas payé de prime annuelle de 2017 au salarié parce qu’il n’avait pas rempli ses objectifs. Il ajoute que l’augmentation de la prime, initialement fixée à 5 000 euros, n’a jamais été formalisée par écrit et que l’enregistrement retranscrit de la réunion du 16 novembre 2017 correspond à un mode de preuve illicite.
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Lorsque la prime allouée au salarié dépend d’objectifs définis par l’employeur, ceux-ci doivent être communiqués au salarié en début d’exercice, à défaut de quoi, la prime est due dans son intégralité.
La rémunération variable est incluse dans l’indemnité de congés payés si elle est perçue en contrepartie du travail du salarié, présente un caractère obligatoire et est affectée par la prise de congés payés.
Sur le principe de l’octroi d’une prime au bénéfice du salarié
En l’espèce, le contrat de travail du salarié prévoit en son article 7 qu’en sus de sa rémunération fixe, il « percevra également à titre de rémunération variable la somme de 5 000 euros maximum versée annuellement, après clôture de l’exercice, en fonction de la réalisation par celui-ci des objectifs préalablement définis par la direction ».
Dans son principe, la rémunération variable du salarié dépendait d’objectifs définis par la direction. Il n’est pas discuté que ces objectifs n’ont pas été définis pour l’année 2017.
Par conséquent, la rémunération variable du salarié lui est intégralement acquise au titre de cette année.
Il convient en conséquence d’en apprécier le montant.
Sur le montant de la prime
Ainsi que le font observer les parties, aucun autre document contractuel que le contrat de travail lui-même n’est versé aux débats. Ce document prévoit seulement une prime de 5 000 euros.
Selon « l’entretien annuel de progrès » établi le 24 mars 2016, il était promis au salarié une « prime de 20ke à objectifs atteints avec 5 % lié à l’atteinte de l’Ebit budget consolidé b2s ». Dans les faits, le salarié a perçu, au titre de l’année 2016, une prime de 25 000 euros.
Mais à défaut, pour les parties, d’avoir régularisé un avenant au contrat de travail, cette augmentation, qui était discrétionnaire, n’engageait pas l’employeur pour les années suivantes.
Pour 2017, le salarié entend se prévaloir d’un enregistrement réalisé au cours d’une réunion tenue le 16 novembre 2017. Cet enregistrement, effectué à l’insu de ses participants, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue. Et les attestations d’anciens salariés indiquant avoir entendu cet enregistrement n’évoquent à aucun moment le montant de la prime prétendument promise au salarié mais simplement que M. [K] « avait mis au budget de quoi distribuer de bonnes primes ».
A défaut, pour le salarié, d’établir le montant de prime promis pour l’année 2017, le seul document de référence consiste dans le contrat de travail, lequel en fixe le montant à 5 000 euros.
C’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes a condamné l’employeur à payer au salarié la somme de 5 000 euros au titre de la prime annuelle 2017 outre 500 euros au titre des congés payés afférents.
Le jugement sera de ce chef confirmé.
Sur la perte de participation aux résultats de l’entreprise
La société conclut à l’infirmation du jugement qui l’a condamné à payer au salarié un rappel au titre de la participation, estimant qu’il n’est pas dû dès lors que la participation dont a été gratifié le salarié a été calculée sur sa période de travail effectif durant l’année 2018 soit sur les vingt-quatre premiers jours de l’année 2018.
Il se déduit du dispositif de ses conclusions que le salarié demande la confirmation du jugement en ce qu’il condamne l’employeur à lui payer 2 854,49 euros au titre de la participation aux résultats de l’entreprise. Le salarié expose en substance que dès lors que son licenciement pour faute grave est injustifié, il aurait dû être présent dans l’entreprise jusqu’au 25 avril 2018 au titre de son préavis, ce qui a une incidence sur sa participation aux résultats de l’entreprise, ladite participation étant calculée au prorata de son temps de présence.
Toutefois, le licenciement du salarié, prononcé le 24 janvier 2018, est justifié par une faute grave, laquelle prive le salarié de son droit au préavis. Partant, il ne peut prétendre au rappel qu’il revendique, ce qui conduit à infirmer de ce chef le jugement. Statuant à nouveau, le salarié sera débouté de ce chef de demande.
Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice fiscal
Se fondant sur le fait qu’il doit lui être alloué la somme de 42 500 euros à titre de rappel de prime, outre 4 250 euros au titre des congés payés afférents, la somme de 27 300 euros au titre du préavis outre 2 730 euros au titre des congés payés afférents, soit la somme totale de 76 780 euros dont 67 000 euros nets imposables, le salarié expose qu’il subit un préjudice fiscal car le paiement de ces sommes aurait dû intervenir en 2018 ce qui lui aurait permis de bénéficier du régime d’imposition de faveur mis en place à l’occasion du passage au prélèvement à la source.
L’employeur réplique en expliquant, au fond, qu’une dette personnelle du salarié ne peut être mise à la charge de l’employeur et en soutenant que dans l’hypothèse d’une condamnation, il suffira à M. [V] d’effectuer une démarche de régularisation auprès des services fiscaux.
Dès lors que le salarié n’a pas été accueilli dans ses demandes et que seule la somme de 5 000 euros lui est accordée à titre de rappel de prime, outre celle de 500 euros au titre des congés payés afférents, le salarié ne justifie pas du préjudice qui résulte, pour lui, du paiement différé de la prime à laquelle il pouvait prétendre.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant au titre de la prime annuelle 2017, l’employeur sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.
Compte tenu de l’issue du litige, il conviendra toutefois de dire n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 code de procédure civile en cause d’appel, la condamnation prononcée à ce titre par les premiers juges étant en revanche confirmée.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
CONFIRME le jugement, mais seulement en ce qu’il déboute M. [V] de sa demande de dommages-intérêts au titre d’un harcèlement moral ou subsidiairement pour exécution fautive du contrat de travail, de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, et de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire et pour préjudice fiscal, en ce qu’il condamne la société Comdata Holding France à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de la prime annuelle outre celle de 500 euros au titre des congés payés afférents, et une indemnité de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et en ce qu’il condamne la société Comdata Holding France aux entiers dépens, et la déboute de sa demande reconventionnelle.
INFIRME le jugement pour le surplus,
STATUANT à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,
DIT le licenciement justifié par une faute grave,
DÉBOUTE M. [V] de ses demandes au titre de l’indemnité de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 code de procédure civile,
CONDAMNE la société Comdata Holding France aux dépens d’appel.
. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Marine MOURET, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente