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30 mars 2023
Cour d’appel d’Orléans
RG n°
21/00750
C O U R D ‘ A P P E L D ‘ O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE – A –
Section 2
PRUD’HOMMES
Exp + GROSSES le 30 MARS 2023 à
la SELARL LESIMPLE-COUTELIER & PIRES
la SCP FROMONT BRIENS
XA
ARRÊT du : 30 MARS 2023
N° : – 23
N° RG 21/00750 – N° Portalis DBVN-V-B7F-GKGQ
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOURS en date du 20 Janvier 2021 – Section : ENCADREMENT
ENTRE
APPELANT :
Monsieur [W] [E]
né le 23 Mai 1987 à [Localité 2] (Tunisie)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Catherine LESIMPLE-COUTELIER de la SELARL LESIMPLE-COUTELIER & PIRES, avocat au barreau de TOURS
ET
INTIMÉE :
S.A.S.U. FAIVELEY TRANSPORT TOURS
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représentée par Me Olivier THIBAUD de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de PARIS
Ordonnance de clôture : 10 janvier 2023
A l’audience publique du 12 Janvier 2023
LA COUR COMPOSÉE DE :
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité,
Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, conseiller,
Monsieur Xavier AUGIRON, conseiller.
Assistés lors des débats de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier.
Puis ces mêmes magistrats ont délibéré dans la même formation et le 30 MARS 2023, Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre, présidente de la collégialité, assistée de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier, a rendu l’arrêt par mise à disposition au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
M.[W] [E] a été engagé par la société Faiveley Transport Tours (SAS) en qualité d’ingénieur méthodes tests, catégorie cadre, position II, coefficient 100, dans le cadre d’un contrat d’un contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 17 février 2014, avec une reprise d’ancienneté au 17 novembre 2013.
Après s’être présenté dès octobre 2018 aux élections professionnelles et après leur report, M.[E] a été élu le 18 mars 2019 au comité social et économique.
M.[E] a pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier du 15 juillet 2019, en reprochant un certain nombre de manquements à l’employeur : rétrogradation, contrôle excessif, surcharge de travail puis sous-charge de travail après avoir été cantonné à son domicile, invoquant en outre l’existence d’une discrimination syndicale.
Par requête du 30 juillet 2019, M. [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Tours d’une demande tendant à reconnaître la prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur produisant les effets d’un licenciement nul, la reconnaissance d’une discrimination syndicale et d’un harcèlement moral ainsi que le paiement de diverses sommes en conséquence.
Par jugement du 20 janvier 2021, le conseil de prud’hommes de Tours a :
– Débouté M. [E] de sa demande de prise d’acte de son contrat
de travail aux torts de la Société SAS Faiveley Transport Tours produisant les effets d’un licenciement nul et dit que sa demande de prise d’acte produit les effets d’une démission,
– Débouté M. [E] de sa demande de dommages et intérêts pour
discrimination syndicale,
– Débouté M. [E] de sa demande d’indemnité pour violation du
statut protecteur
– Débouté M. [E] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral subi
– Débouté M. [E] de l’ensemble de ses demandes annexes,
– Débouté la Société SAS Faiveley Transport Tours de sa demande reconventionnelle de 3 000.00 € au titre d l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné M. [E] aux entiers dépens de l’instance.
Le 4 mars 2021, M. [E] a relevé appel de cette décision notifiée le 5 février 2021 par déclaration formée par voie électronique au greffe de la cour.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 4 janvier 2023 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [E] demande à la cour de :
– Dire et irrecevable et non fondée et l’en débouter la demande de restitution de l’ordinateur portable mis à sa disposition dans le cadre de son travail, ainsi que les accessoires associés, à la société Faiveley Transport formulée pour la première fois en cause d’appel le 23/12/2022
– Dire et juger irrecevable et mal fondée et l’en débouter la demande d’astreinte de 150 euros par jour de retard à compter d’un délai de 3 jours à compter de l’arrêt à intervenir et réserver à la Cour d’appel d’Orléans le droit de liquider l’astreinte, qui en est l’accessoire,
– Dire et juger la demande de M. [E], concluante, recevable et bien fondée ;
En conséquence :
– Infirmer le jugement du Conseil de prud’hommes de Tours :
– En ce qu’il a jugé que le harcèlement moral n’était pas fondé et qu’il a débouté le salarié de sa demande de 10 000 euros net à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
– En ce qu’il a jugé que la discrimination syndicale et élective n’était pas fondée et qu’il a débouté le salarié de sa demande de 10 000,00 euros net à titre de dommages-intérêts pour discrimination syndicale
– En ce qu’il a jugé que la prise d’acte ne pouvait pas emporter les effets d’un licenciement nul ou sans cause réelle ni sérieuse et qu’il a débouté le salarié de sa demande de 18 594,00 euros net à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,
– En ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de 4 519,37 euros net au titre de l’indemnité légale de licenciement,
– En ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de 9 297,00 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des 929,70 euros de congés-payés afférents,
– En ce qu’il a jugé qu’il n’y avait lieu de faire droit à la demande d’indemnités sollicitée jusqu’à la fin du statut protecteur et qu’il a débouté le salarié de sa demande de 92 970,00 euros net au titre de l’indemnité pour violation du statut protecteur (30 mois),
– En ce qu’il a jugé qu’il n’y avait pas lieu de condamner la société au paiement d’un article 700 du Code de procédure civile
Statuant à nouveau :
– Prononcer la prise d’acte du contrat de travail de M.[E] aux torts de la Société Faivelez, produisant les effets d’un licenciement nul.
– Condamner en conséquence la Société Faiveley Transport Tours à payer à M.[E] :
– 18 594,00 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul (6 mois)
– 10 000,00 euros nets à titre de dommages-intérêts pour discrimination syndicale
– 10 000,00 euros nets à titre de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral subi
– 9 297,00 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis en deniers ou quittance
– 929,70 euros bruts à titre de congés payés afférents en deniers ou quittance
– 4 519,37 euros nets au titre d’indemnité légale de licenciement
– 92 970,00 euros nets à titre d’indemnité pour violation du statut protecteur (30 mois)
– 5 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile en appel
– Ordonner que les intérêts majorés et capitalisés courent à compter de la saisine du Conseil des prud’hommes conformément à l’article 1154 du CPC.
– Condamner la S.A Faiveley Transports Tours, à lui remettre les bulletins de paie, certificat de travail et attestation Pôle emploi rectifiés en application des dispositions qui précèdent dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement, ou passé ce délai, sous astreinte provisoire de 50 € par document et par jour de retard, que M. [E] pourra faire liquider en sa faveur en saisissant à nouveau la présente juridiction.
– Condamner la S.A Faiveley Transports Tours, aux entiers dépens qui comprendront le cas échéant les frais d’exécution forcée ;
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 22 décembre 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Faiveley Transport Tours demande à la cour de :
– Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Conseil de prud’hommes de Tours du 20 janvier 2021, en ce qu’il a débouté M.[E] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions formulées à l’égard de la Société Faiveley Transport Tours ;
Y ajoutant :
– Condamner M.[E] à payer à la Société Faiveley Transport Tours la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 ainsi qu’aux entiers dépens ;
– Condamner M.[E] à restituer à la société Faiveley Transport l’ordinateur portable mis à sa disposition dans le cadre de son travail, ainsi que les accessoires associés, sous astreinte de 150 euros par jour de retard courant à compter d’un délai de 3 jours à compter de l’arrêt à intervenir ; réserver à la Cour d’appel d’Orléans le droit de liquider l’astreinte ;
À titre subsidiaire :
– Limiter le montant de l’indemnité pour violation du statut protecteur de M.[E] à 52.887,6 euros bruts,
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 10 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
– Sur le harcèlement moral
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il appartient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
M.[E] affirme en premier lieu qu’il a été pendant l’année 2018 surchargé de travail, mais qu’à compter de novembre 2018, juste après l’annonce de sa candidature aux élections professionnelles, ses tâches lui ont été retirées progressivement jusqu’à ce qu’on le cantonne à son domicile en mai 2019, en télétravail, étant le seul concerné par cette mesure, mais sans aucune tâche à effectuer. On lui aurait signifié, dès cette candidature, que sa progression professionnelle serait bloquée, alors qu’il avait candidaté à un poste en mobilité interne et qu’il occuperait désormais le poste de technicien développeur, ce qui correspond à une rétrogradation, sans son accord. Ses fonctions d’ingénieur proprement dites auraient été confiées à M.[C], embauché début 2019, qui aurait repris ses fonctions les plus complexes, seules les tâches de technicien lui étant dorénavant dévolues. De plus, il affirme que ses fonctions d’encadrement lui ont été retirées. Convoqué à une réunion, on lui a demandé à nouveau, le 1er juillet 2019, d’accomplir des tâches, selon lui, de simple technicien. Le 5 juillet 2019, il était placé en arrêt maladie.
Il dénonce en outre, selon les termes de sa lettre de prise d’acte, un ” contrôle excessif ” et une ” surveillance méfiante “.
Il ajoute qu’il s’est retrouvé isolé dans une salle et que son supérieur hiérarchique, M.[L], ne lui a plus adressé la parole après les élections professionnelles de mars 2019.
M.[E] produit notamment aux débats :
– Son évaluation annuelle 2018, réalisé en 2019, dans laquelle il se plaint de ce qu’il s’est ” retrouvé voué à lui-même ” et devoir ” mener de front différents développements, tout en se formant comme autodidacte “. Il dénonce la ” pression exercée par son manager ” et affirme ” enchainer des journées excédant 12 heures et qu’il travaille seul dans une salle qui est isolée et non dans l’open-space, ou chez lui en soirée ou le week-end “.
– Plusieurs attestations de salariés, qui confirment une amplitude horaire importante de M.[E] (M.[R], M.[X], M.[B]),
– M.[B] précise que depuis novembre 2018, il a constaté que M.[E] était isolé ” en salle Celje ” ancienne salle d’archives sans luminosité et sans fenêtre, alors qu’une équipe était dédiée au” développement logiciel test “, qu’en janvier 2019, cette activité a été confiée à M.[C] et que ” personne ne comprenait plus quel poste occupait M.[E] ” qui ” ne rentrait dans aucun schéma de la nouvelle organisation “.
– M.[R] a également constaté l’isolement de M.[E] dans cette salle et que M.[E] était ” très affecté par cette situation “.
– Des échanges d’email à propos de sa candidature au poste de développeur logiciel en juillet 2018, et de l’avis favorable de son supérieur hiérarchique, M.[L] à cette candidature, qui n’a finalement pas abouti .
– L’annonce de sa candidature au comité social et économique à M.[U], du service RH, aux élections professionnelles, le 24 octobre 2018 à 16h26, et la survenance d’un ” entretien RH “, accepté le même jour à 16h46, à l’occasion duquel on l’aurait informé que le poste auquel il avait postulé lui était refusé .
– De nombreuses emails qui, par comparaison avec la fiche de poste de technicien qu’il produit, démontrent selon lui qu’à compter de novembre 2018, il été cantonné à des tâches ne correspondant pas à celle d’ingénieur .
– Un email de M.[L] conférant à M.[E] la qualité de ” référent ” dans une équipe de trois personnes pendant 6 mois .
– Des emails qu’il a adressés en mars/avril/mai/juin 2019 dans lesquels il indique que son supérieur hiérarchique ne lui ” donne plus de travail ” et ne lui parle plus, qu’il souhaite ” retrouver une situation normale ” ou qu’étant convié à une réunion le 13 mai 2019, on l’a rappelé pour lui dire ” qu’on avait plus besoin de lui “. Il était autorisé par sa responsable RH, Mme [T], à télé-travailler à son domicile à partir du 23 mai 2019 ” jusqu’à nouvel ordre temps plein, du lundi au vendredi “. Par email du 24 mai 2019, il avise cette dernière de son ” défaut d’activité ” et le 13 juin 2019, indique qu’il a ” perdu confiance ” compte tenu de la ” perte de son travail au quotidien “.
– Un certificat médical du médecin traitant de M.[E] qui indique que son patient l’a consulté de novembre 2018 à juillet 2019 en raison d’un ” état anxio-dépressif suite à des difficultés professionnelles “, avec prescription d’anxiolytiques .
– Un document attestant d’appels de M.[E] sur la permanence d’accompagnement psychologique d’un institut parisien .
– Un arrêt de travail du 5 juillet 2019 pour ” stress professionnel, insomnie “.
Les éléments invoqués par le salarié font apparaître un mal-être au travail ressenti par M.[E] et un sentiment de déclassement, pouvant avoir pour origine un refus d’évolution professionnelle, injustifié selon lui, opposé par l’employeur qui l’aurait cantonné à des tâches peu valorisantes, provoquant ainsi une mise à l’écart, accentuée par des relations tendues avec son supérieur hiérarchique direct. Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent donc supposer l’existence, compte tenu des documents médicaux produits, d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail. En revanche, la ” surveillance excessive ” et la ” surveillance méfiante ” dont fait état M.[E] dans sa lettre de prise d’acte n’apparaissent pas matériellement établis, les échanges électroniques produits relevant notamment de simples échanges professionnels sans connotation particulière.
La société Faiveley Transport Tours soutient de son côté que M.[E] n’a aucunement été rétrogradé à un poste de technicien, mais que fin 2017, une réflexion a été engagée sur l’organisation des activités de validation, de sorte qu’il a été procédé à une dissociation des activités au sein des services au cours du premier trimestre 2018. Il a alors été présenté à M.[E] une nouvelle définition de ses fonctions qu’il n’a pas approuvée, à la différence d’autres salariés, de sorte qu’il a continué à être affecté sur des projets relevant de ses missions d’ingénieur méthodes test, de mise à jour des plans d’essais de série et de suivi des développement des logiciels de commandes des moyens de test automatisés (projet ECRC) ; il a travaillé à partir de mai 2019 sur le nouveau projet ECRC 400 pour la mise à jour documentaire et des logiciels de commandes des moyens de tests automatisés. La société Faiveley Transport Tours conteste avoir remplacé M.[E] par M.[C], alors que ce dernier occupe le poste pour lequel M.[E] avait précisément postulé, et non celui qu’il occupait originairement. C’est, selon l’employeur, le refus opposé d’accéder à ce poste qui a provoqué chez M.[E] l’expression d’une ” mauvaise volonté délibérée ” caractérisée par une ” indisponibilité permanente ” vis-à-vis de ses collègues et un ” manque d’implication “. La société Faiveley Transport Tours conteste que M.[L] ait cessé d’adresser la parole à M.[E], et affirme qu’il était convié aux réunions hebdomadaires d’équipe, alors même qu’il bénéficiait de la possibilité de télé-travailler (ce dont d’autres salariés bénéficiaient), période pendant laquelle il venait néanmoins régulièrement travailler dans l’entreprise. M.[E], selon l’employeur, disposait d’un bureau dans l’open-space, même si, de sa propre initiative, il venait s’isoler dans la salle Celje.
La société Faiveley Transport Tours produit notamment aux débats :
– Un procès-verbal de réunion du comité d’entreprise du 20 décembre 2017 décrivant la nouvelle organisation à mettre en place .
– L’évaluation annuelle 2018, réalisé en 2019, de M.[E], dans laquelle son responsable mentionne que celui-ci ” a réalisé une année très compliquée, il n’a pas réussi à sortir les activités demandées malgré le fait d’être mobilisé uniquement sur 3 projets. Sa disponibilité, ses heures de présence sur le site, sa présence aux réunions ont toujours été problématiques. Les services annexes ont manifesté un mécontentement sur son implication et sa disponibilité. [W] doit aussi revoir son intégration au sein du service, il travaille trop en autarcie sans travailler en collaboration avec ses collègues “.
– Une attestation de Mme [H], responsable de production, qui stigmatise le fait que M.[E] était ” rarement présent avant 10 heures ou au moins joignable par téléphone “, ” même les jours où il était convenu avec lui qu’il viendrait pour intervenir conjointement avec les équipes de production “. ” Le phénomène était tellement connu sur le terrain que cela décrédibilisait notre organisation, en plus de la pénaliser “.
– La fiche de poste d’ingénieur méthodes test qui décrit les missions confiées à M.[E] : réalisation et analyse des tests et développement des moyens de test, notamment par la rédaction de notices de contrôle et de plan d’essais .
– Une notice de contrôle dont l’auteur est désigné comme étant M.[E] le 21 février 2018 .
– Les plans d’essai des programmes Madhepura en novembre 2018, celui du programme ECRC16 d’avril 2019, mentionnant également l’intervention de M.[E] .
– De nombreux emails afférents au programme ECRC 16, et notamment un dernier échange, daté des 26 juin 2019 et 5 juillet 2019, afférent au ” projet d’avancement et clôture ” de ce programme .
– Des emails afférents au programme ERC400 .
– La fiche de poste d’un développeur logiciel test, pour lequel M.[E] n’a pas été sélectionné, pour un motif mentionné dans un email du 22 février 2018, indiquant : ” [W], même si on sent une volonté et une motivation pour s’orienter vers cette activité, n’est pas un développeur logiciel de formation et son expérience professionnelle est insuffisante dans ce domaine pour en faire un développeur logiciel expérimenté “.
– Un email du même jour l’informant de ce refus dont, dans une réponse du 9 mars, il se déclare ” très déçu “.
– Les fiches récapitulant les programmes d’essai réalisés par M.[E] pendant la période 2018/2019 .
– Une attestation de M.[S], membre FO (comme M.[E]) du comité social et économique, qui conteste que M.[E] ait été laissé ” isolé, seul, dans une petite salle, alors que c’est lui-même qui avait voulu s’isoler là-bas pour être plus tranquille “.
– Une attestation de M.[V], délégué syndical CDFT, qui indique que M.[E] ” n’a pas fait l’objet, à (sa) connaissance, de mesure forcée d’isolement physique “, la salle Celje étant ” une salle de travail comme une autre utilisée par tout le service pour développement, tests, essais “.
– Une attestation de M.[I] indiquant qu’il a travaillé lui-même dans cette salle à ” usage libre “, ” en présence de M.[E] qui, à ma connaissance, n’a jamais fait l’objet de mesure d’isolement dans cette salle de travail “.
– Une attestation de Mme [T], responsable RH, qui indique que le télétravail a été accordé à plusieurs salariés, nommément désignés, et qu’une charte est en cours d’élaboration.
– Le relevé de pointage de M.[E] des mois de mai et juin 2019.
Il résulte de ces éléments que :
– Si M.[E] s’est plaint d’une charge importante de travail en 2018, soit plusieurs mois avant le harcèlement qu’il dénonce, telle que relatée dans son entretien d’évaluation réalisé début 2019, cette situation n’aura manifestement été que momentanée puisque c’est plutôt d’un ” bore-out ” pendant les mois suivants dont se plaint M.[E] .
– Les éléments produits par l’employeur permettent d’écarter tout manquement de l’employeur quant à la fourniture d’un travail à son salarié : Pendant toute la période considérée, M.[E] n’apparaît pas avoir été privé de travail, y compris pendant la période de télétravail, la société Faiveley Transport Tours produisant des éléments jusqu’au 5 juillet 2019. L’autorisation qui lui a été donné de télé-travailler ne permet pas non plus de considérer que M.[E] y ait été contraint, pas plus d’ailleurs qu’il ait été totalement absent de l’entreprise, la possibilité de télé-travailler sans contrainte horaire précise devant être analysée comme une latitude donnée à M.[E], ce qui n’empêchait en rien qu’il soit régulièrement présent dans l’entreprise si nécessaire, comme cela résulte des relevés de pointage produits pour les mois de mai et juin 2019.
– La réalité de la rétrogradation invoquée par M.[E] n’est pas établie, les pièces produites par l’employeur permettant d’écarter une évolution de ses fonctions vers moins de sophistication, quand bien même celles produites par M.[E] illustreraient des fonctions moins valorisantes également propres à sa fonction. A cet égard, il est rappelé que de l’aveu même de M.[E], ses fonctions d’ingénieur relevaient à la fois de tâches ” ingénieur pur ” mais aussi de tâches moins élaborées. La convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie indique d’ailleurs que la position II dont bénéficiait M.[E] est définie comme suit : ” Ingénieur ou cadre qui est affecté à un poste de commandement en vue d’aider le titulaire ou qui exerce dans les domaines scientifique, technique, administratif, commercial ou de gestion des responsabilités limitées dans le cadre des missions ou des directives reçues de son supérieur hiérarchique “.
– Les fonctions d’encadrement que M.[E] a ponctuellement occupées n’étaient manifestement pas prépondérantes mais au contraire résiduelles, de sorte que ce moyen est inopérant, sachant que de telles fonctions ne figurent pas dans la classification de la convention collective ni dans sa fiche de poste.
– M.[C] a été embauché sur un poste sur le site U3, pour lequel M.[E] lui-même avait postulé en janvier 2018, de développeur logiciel, ce qui permet d’en déduire que ce poste est différent de celui qu’il occupait d’ingénieur méthodes test, la définition des fonctions, selon les fiches de postes produites, étant bien distinctes, de sorte qu’il n’est pas établi que ses fonctions d’ingénieur, en raison de l’embauche de M.[C], aient été vidées de leur substance .
– Aucun élément n’établit que la mutation de M.[E] sur le poste auquel il a postulé en juillet 2018, de développeur logiciel sur le site U1, qui avait certes reçu l’avis favorable de son supérieur M.[L], ait fait l’objet d’une validation définitive par l’employeur.
– Si M.[E] se plaint d’avoir eu à travailler dans la salle Celje, il n’est pas établi qu’il y ait été contraint.
Dans ces conditions, compte tenu de l’ensemble ces éléments, la société Faiveley Transport Tours démontre que les agissements que M.[E] dénonce ne sont pas constitutifs de harcèlement moral.
Celui-ci sera, par voie de confirmation du jugement entrepris, débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts formée à ce titre.
– Sur la discrimination syndicale
L’article L.2141-5 du code du travail prévoit interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d’avancement, de rémunération et d’octroi d’avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.
En application de l’article L.1134-1 du code du travail, il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de faits laissant supposer l’existence d’une discrimination et il appartient à l’employeur qui conteste le caractère discriminatoire d’établir que les mesures prises sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
M.[E] invoque en premier lieu l’existence d’un harcèlement moral dont la motivation aurait été sa candidature, puis son élection, aux élections professionnelles.
Tout fait relevant de la qualification de harcèlement moral étant exclu, et notamment toute privation de travail ou rétrogradation, la demande de M.[E] visant à voir reconnaître, sur ce fondement, l’existence d’une discrimination doit être rejetée.
S’agissant de sa demande de mutation interne, elle aurait été rejetée, selon M.[E], le jour même de l’annonce de sa candidature au comité social et économique.
Il justifie avoir rencontré les responsables du service U1, Messieurs [A] et [Z], en juillet 2018, à propos de sa candidature au poste de développeur logiciel. Le 5 juillet 2018, M.[A] lui demande de l’appeler pour ” organiser les prochaines étapes “. M.[E] indique, dans un email du 6 juillet 2018, que son supérieur hiérarchique, M.[L], y était favorable.
Le 2 octobre 2018, M.[E] est convoqué par M.[L] pour ” ” un point de finalisation objectif dans work-day “, tel que c’est mentionné sur son agenda électronique : selon M.[E], il s’agissait de clôturer les objectifs avant son intégration au service contrôle commande en novembre 2018.
Par ailleurs, M.[E] affirme qu’il a été convoqué le 24 octobre 2018 par M.[U], responsable RH du site U3, une vingtaine de minutes après avoir adressé sa candidature aux élections professionnelles pour une entrevue le lendemain, au cours de laquelle il lui aurait été ” annoncé ” que sa ” progression professionnelle serait bloquée “, selon les termes de ses écritures.
M.[U] reconnaît, dans l’attestation qu’il a établie, avoir reçu M.[E] le lendemain de sa candidature, mais seulement pour ” faire état de la prise d’acte de sa candidature et m’assurer de sa connaissance du protocole électoral et interroger la concomitance d’une candidature pour un investissement de long terme sur U3 et le souhait manifesté quelques semaines plus tôt d’être affecté en U1 “.
La société Faiveley Transport Tours explique que son affectation sur le site U1 aurait eu pour conséquence de lui faire perdre son mandat électif sur le site U3. La notice d’information sur les élections professionnelles mentionne en effet l’existence de deux comités sociaux et économiques distincts : l’un pour le site de [Localité 3] et l’autre pour le site de la Ville aux Dames, sur lequel travaillait M.[E].
M.[U] indique enfin : ” j’affirme en tout cas ne pas avoir déclaré à M.[E] que sa candidature aux élections professionnelles allait le bloquer sur le plan de son évaluation professionnelle “.
Il résulte de ces éléments que si la concomitance entre les élections professionnelles et le rendez-vous avec le responsable RH, au cours duquel sa candidature, finalement rejetée, a été évoquée, ainsi que sa possible nouvelle affectation sur un autre site de l’entreprise, peut laisser supposer l’existence d’une discrimination, les éléments apportés par ailleurs par l’employeur permettent d’écarter l’hypothèse d’un rejet de la mutation interne de M.[E] en raison de cette candidature, et donc d’une discrimination.
La demande en paiement de dommages-intérêts formée à ce titre par M.[E] sera, par voie de confirmation, rejetée.
– Sur la prise d’acte de rupture du contrat de travail
Le salarié qui reproche à l’employeur des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail peut prendre acte de la rupture de son contrat. Lorsque ce salarié prend acte de la rupture de son contrat, en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d’un licenciement nul, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.
C’est au salarié, qui reproche les manquements à l’employeur, de démontrer les griefs qu’il invoque et le doute profite à l’employeur. Ces manquements doivent empêcher la poursuite du contrat de travail.
M.[E] invoque dans sa lettre de prise d’acte les faits déjà évoqués, en concluant qu’il ne ” peut accepter cette absence de reconnaissance ” qu’il lie au rejet du poste de ” développeur logiciel test ” et la ” modification de (ses) attributions fonctionnelles sur fonds de discrimination syndicale “.
Ces manquements reprochés à l’employeur ont été rejetés par la cour, de sorte que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté M.[E] de sa demande visant à ce que la rupture du contrat de travail soit imputée à l’employeur, et de toutes ses demandes subséquentes.
– Sur la demande reconventionnelle de la société Faiveley Transport Tours de restitution de l’ordinateur portable
La société Faiveley Transport Tours demande la restitution d’un ordinateur portable lui appartenant que M.[E] aurait conservé, affirmant que ce dernier n’a pas répondu à sa demande en ce sens contenue dans un email du 30 octobre 2019 et une lettre du 12 novembre 2019.
M.[E] soulève l’irrecevabilité de cette demande à la fois en raison de son caractère prescrit et parce qu’elle est nouvelle en cause d’appel. Sur le fond, il affirme qu’il a restitué cet ordinateur.
La cour relève effectivement que cette demande n’a pas été formée en première instance, alors que sa cause était déjà existante, de sorte que par application de l’article 564 du code de procédure civile, elle sera déclarée irrecevable.
– Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
La solution donnée au litige commande de condamner M.[E] à payer à la société Faiveley Transport Tours la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, de rejeter sa propre demande au même titre, et de le condamner aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 20 janvier 2021 par le conseil de prud’hommes de Tours en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déclare irrecevable la demande de la société Faiveley Transport Tours visant à la restitution d’un ordinateur ;
Condamne M.[W] [E] à payer à la société Faiveley Transport Tours la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et le déboute de sa propre demande au même titre ;
Condamne M.[W] [E] aux dépens de première instance et d’appel.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier
Fanny ANDREJEWSKI-PICARD Laurence DUVALLET