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3 mars 2023
Cour d’appel de Lyon
RG n°
18/04138
AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 18/04138 – N° Portalis DBVX-V-B7C-LX2P
S.E.L.A.R.L. [J] YANG TING
C/
[R] [K]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOURG EN BRESSE
du 20 Mars 2018
RG : 17/103
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 03 MARS 2023
APPELANTE :
S.E.L.A.R.L. [J] YANG TING
PARTIE INTERVENANTE VOLONTAIRE
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat postulant inscrit au barreau de LYON, et représentée par Me Virginie LISFRANC-GALESNE, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS
INTIMÉE :
[T] [R] [K]
née le 11 Mai 1982 à [Localité 6]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Alban POUSSET-BOUGERE de la SELARL C.V.S., avocat au barreau de LYON
PARTIE INTERVENANTEE :
Société AGS – C.G.E.A. ILE DE FRANCE OUEST
PARTIE INTERVENANTE FORCEE
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Pascal FOREST de la SELARL BERNASCONI-ROZET-MONNET SUETY-FOREST, avocat au barreau d’AIN
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 12 Janvier 2023
Présidée par Catherine CHANEZ, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Béatrice REGNIER, président
– Catherine CHANEZ, conseiller
– Régis DEVAUX, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 03 Mars 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Béatrice REGNIER, Président et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
EXPOSE DU LITIGE
La société [B] [E] (ci-après, la société) avait pour activité la création, la fabrication en sous-traitance et la commercialisation de vêtements, articles de mode, accessoires et objets de décoration. Elle relevait de la convention collective de la maroquinerie.
Elle a recruté Mme [T] [R] [K] sous contrat à durée déterminée à temps partiel à compter du 9 septembre 2013, en qualité de responsable commerciale, statut cadre, niveau 4, échelon 3.
La relation s’est poursuivie à compter du 1er juin 2014 sous contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel par l’effet de l’avenant du 4 juin 2014.
Mme [R] [K] a été placée en congé de maternité du 27 janvier au 31 mai 2015.
Le 10 mars 2016, la société a convoqué Mme [R] [K] à un entretien préalable à son licenciement, fixé au 21 mars suivant.
Son licenciement lui a été notifié le 13 avril 2016 dans les termes suivants :
« ‘Nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour les motifs suivants : insuffisance professionnelle et comportement au travail.
Vous avez été engagée dans la société à compter du 1er juin 2014 à temps partiel, en qualité de responsable commercial, à l’issue d’un contrat de travail à durée déterminée en date du 5 septembre 2013.
Vous étiez responsable des secteurs suivants : Rhône Alpes, Franche Comté, Bourgogne et une partie de l’Auvergne (03, 43, 63). Vous étiez également chargée de la gestion téléphonique des secteurs suivants : Lorraine, Alsace, Champagne-Ardenne, Picardie, Nord Pas de Calais, Loiret et Cher.
Depuis votre retour de congé maternité en juin 2015, nous avons eu de nombreux échanges relatifs à votre travail.
En septembre 2015, constatant que vos résultats au cours de l’été 2015 était très loin de vos prévisions, vous avez émis le souhait de quitter la société dans le cadre d’une rupture conventionnelle assortie d’une indemnité d’un montant exorbitant que rien ne justifiait sans aucun rapport avec votre ancienneté et vos résultats, demande que nous avons donc refusée.
Nous avons constaté que votre chiffre avait diminué de manière très importante et était loin d’atteindre l’objectif minimum de 180 000 Euros par saison. C’est ainsi que vous avez réalisé:
– du 1er juin 2015 au 30 novembre 2015 : 35 173,08 euros TTC, moins de 50% l’objectif de l’année précédente pour la même période (du 1er juin 2014 au 30 novembre 2014 : 78 274,35 Euros TTC)
-du 1er décembre 2015 au 15 mars 2016 : 34 291,48 Euros TTC, environ 50% du chiffre d’affaires des années précédentes pour la même période (du 1e décembre 2013 au 31 mai 2014 : 77 640,50 Euros TTC et du 1er décembre 2014 au 31 mai 2015 : 63 866,93 Euros TTC).
Nous avons pourtant tout fait pour vous aider améliorer vos résultats, mettant en place des rapports d’activité pour comprendre la cause de vos difficultés, insistant pour que vous prospectiez les nouveaux clients surtout en basse saison (octobre – novembre – avril – mai) quand l’équipe est plus disponible pour s’en occuper, répondre à leurs besoins. En haute saison les clients sont trop sollicités et notre équipe est occupée à enregistrer les nouvelles commandes, à livrer, à préparer les salons etc. Nous avons insisté sur cela à plusieurs reprises depuis de nombreux mois.
Or, en novembre et décembre 2015, vous avez indiqué que vous attendiez février 2016 la réception de la nouvelle collection pour lancer la prospection. Toutefois depuis cette date, vous n’avez fourni aucune indication exploitable sur le travail effectué.
Le nombre de nos clients dans vos secteurs a diminué au lieu d’augmenter ; s’il y a eu quelques nouveaux clients, beaucoup de nos anciens clients dans votre secteur n’ont plus commandé depuis 2014 ‘
Nous déplorons également votre attitude de travail, qui est toujours très négative. Vous êtes constamment sur la défensive en rejetant la responsabilité de l’absence de développement sur votre secteur sur vos collègues et sur le siège ce qui n’a aucun sens.
Vous refusez d’admettre que vous devez travailler en étroite collaboration avec [B] [E], votre supérieure hiérarchique qui dirige l’activité commerciale. Au lieu de voir avec elle les solutions aux éventuels problèmes rencontrés, vous préférez passer directement par le siège commercial de façon non constructive ce qui a créé des difficultés, les personnes n’ayant pas toujours les bonnes informations ou réponses (par exemple : votre fichier de prospection est totalement incomplet : pas de téléphone, pas d’adresse mail, ce qui nous empêchent de pouvoir envoyer des informations sur notre travail).
Par ailleurs vous vous plaignez régulièrement que le service après-vente fonctionnerait mal alors qu’en réalité vous n’avez rencontré que très peu de problèmes avec toujours les mêmes clients (3 à 5 sacs concernés). Nous vous avons souvent expliqué que vous passiez beaucoup trop de temps alors que sur l’ensemble de l’activité nous rencontrons tel très peu de demandes SAV.
Vos clients ne sont pas suivis régulièrement, nous n’avons pas de retour régulier structuré de votre activité, de compte-rendu détaillés réguliers.
Enfin, vous êtes très difficilement joignable au téléphone. Généralement vous ne répondez pas sur votre portable pendant vos heures de travail et ne rappelez pas toujours. Pourtant, votre contrat travail stipule une durée de travail de 26 heures par semaine répartie comme suit :
Mardi: 8 heures,
Mercredi: 7 heures,
Jeudi: 7 heures,
Vendredi : 4 heures.
Cela nuit à nos rapports, engendre une perte de temps importante et ne permet pas un bon développement de l’activité… »
Mme [R] [K] a contesté son licenciement par courrier du 14 juin suivant.
Par ailleurs, la société a fait l’objet d’une procédure de sauvegarde par jugement du 12 juillet 2016 du tribunal de commerce de Paris et d’un plan de sauvegarde par jugement du 13 février 2018.
La société a finalement été liquidée par jugement du 23 juillet 2020, maître [J] étant nommée mandataire liquidateur.
Entre temps, par requête du 2 mai 2017, Mme [R] [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Bourg en Bresse, le 2 mai 2017 afin de contester son licenciement et d’obtenir la requalification de son contrat de travail en contrat à temps plein à compter du 9 septembre 2013 ainsi que la fixation au passif de diverses sommes à titre indemnitaire et salarial.
Par jugement du 20 mars 2018, le conseil de prud’hommes a :
Dit les demandes de Mme [R] [K] partiellement recevables ;
Requalifié le contrat à durée déterminée du 9 septembre 2013 en contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel ;
Fixé au passif de la société les sommes suivantes à payer à Mme [R] [K] :
1 300 euros nets à titre d’indemnité de requalification ;
900,70 euros bruts de rappel de salaire temps plein, outre 90,07 euros bruts de congés afférents ;
411,49 euros nets à payer à Mme [R] [K] à titre de remboursement de notes de frais ;
Fixé le salaire à temps partiel de Mme [R] [K] à 2 300 euros ;
Fixé au passif de la société la somme de 2 300 euros nets à titre de dommages et intérêts pour clause d’exclusivité abusive à payer à Mme [R] [K] ;
Fixé au passif de la société la somme de 12 384,64 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Fixé au passif de la société la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à payer à Mme [R] [K] ;
Ordonné à la société de remettre à Mme [R] [K] les bulletins de paie et documents de fin de contrat rectifiés ;
Débouté Mme [R] [K] de ses autres demandes ;
Débouté la société de sa demande reconventionnelle ;
Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ;
Mis l’AGS CGEA hors de cause ;
Condamné la société aux dépens.
Par déclaration du 5 juin 2018, la société et l’administrateur judiciaire ont interjeté appel de ce jugement. Après une première clôture au 23 juin 2020 et un renvoi à la mise en état ordonné après l’audience du 23 septembre 2020, l’AGS a été assignée par Mme [R] [K] par acte du 9 septembre 2020 et le mandataire judiciaire par acte du 10 septembre 2020.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 29 septembre 2020, maître [J], es qualité de mandataire liquidateur de la société, demande à la cour de juger recevable son intervention volontaire es qualité, et indique reprendre à son compte l’intégralité des conclusions déposées par la société et par maitre [D], anciennement commissaire à l’exécution du plan, lesquelles demandaient à la cour de :
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fixé au passif de la société les sommes suivantes :
2 300 euros à titre de dommages et intérêts pour clause d’exclusivité abusive ;
12 384,64 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
En conséquence, débouter Mme [R] [K] de sa demande de dommages et intérêts pour clause d’exclusivité abusive et de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Confirmer le jugement s’agissant des demandes relatives à la qualification du contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à compter du 9 septembre 2013, au rappel de salaire et congés payés afférents au remboursement des frais, au télétravail, aux dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat ;
A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour ferait droit à la demande de requali”cation du contrat à temps partiel en contrat à temps complet à compter du 9 septembre 2013, juger que les calculs de Mme [R] [K] sont erronés et la débouter de sa demande ;
A titre infiniment subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour dirait que le contrat à temps partiel doit être requalifié en un contrat à temps complet à compter du 4 juin 2014, juger que les calculs de Mme [R] [K] sont erronés et la débouter de sa demande ;
Débouter Mme [R] [K] de ses demandes de fixation au passif à titre subsidiaire ;
Condamner Mme [R] [K] à payer à la société [B] [E] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 14 janvier 2021, Mme [R] [K] demande à la cour de :
-Prendre acte de ce qu’elle ne sollicite pas la réformation du jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société à lui verser les sommes de 1 300 euros nets à titre d’indemnité de requalification, 900,70 euros bruts de rappel de salaire temps plein et 90,07 euros bruts de congés payés afférents et fixé au passif de la société la somme de 411,49 euros nets à titre de remboursement de notes de frais, mais, compte tendu de la liquidation judiciaire, fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société les sommes suivantes :
1 300 euros nets à titre d’indemnité de requalification,
900,70 euros bruts à titre de rappel de salaire temps plein ;
90,07 euros bruts de congés payés afférents ;
-Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a limité la requalification du contrat de travail à durée déterminée du 9 septembre 2013 de Mme [R] [K] en contrat de travail à durée indéterminée mais à temps partiel seulement, débouté Mme [R] [K] de sa demande indemnitaire au titre de la violation de la réglementation sur le télétravail et de sa demande indemnitaire au titre de l’exécution déloyale de son contrat de travail ;
-Statuant à nouveau,
A titre principal, sur la requalification de la relation de travail,
Requalifier le contrat de travail à durée déterminée du 9 septembre 2013 en contrat de travail à durée indéterminée temps plein ;
Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société les sommes suivantes :
2 678,58 euros nets à titre d’indemnité de requalification ;
44 198,39 euros bruts de rappel de salaire à hauteur d’un temps plein ;
4 419,84 euros de congés payés afférents ;
1 854,36 euros bruts de rappel de salaire (période intercalaire) ;
185,44 euros bruts de congés payés afférents ;
A titre subsidiaire, sur la requalification de la relation de travail,
Requalifier le contrat de travail à durée déterminée du 4 juin 2014 en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein ;
Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société les sommes suivantes :
2 678,58 euros nets à titre d’indemnité de requalification ;
34 511,70 euros bruts de rappel de salaire à hauteur d’un temps plein ;
3 451,17 euros de congés payés afférents ;
Sur l’exécution de la relation de travail, fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société les sommes suivantes :
3 096,16 euros nets de dommages et intérêts pour clause d’exclusivité abusive ;
3 096,16 euros nets de dommages et intérêts pour violation de la réglementation sur le télétravail ;
3 096,16 euros nets de dommages et intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail ;
Sur la rupture du contrat de travail, fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société la somme de 18 576,96 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En tout état de cause, ordonner au liquidateur judiciaire de lui remettre les bulletins de paye et documents de fin de contrat rectifiés en fonction des condamnations prononcées sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 8ème jour calendaire suivant la notification de la décision à intervenir et se réserver le droit de liquider l’astreinte ;
Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Laisser les dépens à la charge de la liquidation.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 20 octobre 2020, l’AGS CGEA demande à la cour de :
-Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fixé au passif de la société les sommes suivantes à payer à Mme [R] [K] :
– 2 300 euros à titre de dommages et intérêts pour clause d’exclusivité abusive ;
– 12 384,64 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
-Débouter Mme [R] [K] de sa demande de dommages et intérêts pour clause d’exclusivité abusive ;
-Débouter Mme [R] [K] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
-Confirmer le jugement querellé en ce qui concerne :la qualification du contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à compter du 9 septembre 2013 et le rappel de salaires et congés payés afférents.
La clôture est intervenue le 3 mars 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour rappelle qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques ou qu’elles constituent en réalité des moyens.
Par ailleurs, la demande de fixation au passif de la liquidation des sommes auxquelles le conseil de prud’hommes aurait condamné la société est sans objet, le conseil ayant prononcé la fixation au passif de ces sommes et non la condamnation de la société.
1-Sur la requalification des contrats de travail à temps partiel en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein
La requalification du contrat de travail à durée déterminée conclu le 9 septembre 2013 en contrat de travail à durée indéterminée a été ordonnée par le conseil de prud’hommes et cette disposition n’est pas querellée.
En revanche, Mme [R] [K] sollicite la réformation du jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de requalification en contrat à temps plein, aux motifs que ses horaires de travail n’étaient pas précisés pour chaque journée travaillée et qu’elle devait se tenir en permanence à la disposition de son employeur.
L’avenant du 4 juin 2014 augmente la durée hebdomadaire du travail à 24 heures, réparties de la façon suivante : mardi : 8 heures ; mercredi : 7 heures ; jeudi : 7 heures et vendredi 4 heures.
Il revient à Mme [R] [K] d’apporter la preuve qu’elle travaillait en réalité à temps plein. Or, il ressort de ses échanges avec la société lors des négociations antérieures à la conclusion du contrat de travail à durée indéterminée, qu’elle travaillait bien à temps partiel. La dirigeante lui a notamment proposé un temps plein, mais en région parisienne, ce qu’elle a refusé.
Mme [R] [K] verse par ailleurs aux débats les attestations de Mmes [I] et [S], respectivement responsable de communication et responsable clients internationaux, qui évoquent exclusivement leurs propres conditions de travail, mais aucunement celles de l’intéressée, ainsi que des courriels qu’elle a envoyés ou reçus en dehors des heures de travail. Ces courriels ont tous pour objet la négociation de son contrat de travail ; il s’agit souvent de réponses à ses propres sollicitations et ils ne prouvent pas qu’elle devait se tenir en permanence à la disposition de la société sur la période postérieure.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de requalification de son contrat à temps partiel en contrat à temps plein et des demandes subséquentes.
2-Sur le licenciement
Aux termes de l’article L.1235-1 du code du travail, le juge doit apprécier la régularité de la procédure de licenciement et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur.
En application de l’article L.1232-6 du même code, la lettre de licenciement fixe les limites du litige. La cause du licenciement doit être objective et reposer sur des faits matériellement vérifiables. Les faits doivent être établis et constituer la véritable cause de licenciement. Enfin, les faits invoqués doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement. Il appartient au juge du fond, qui n’est pas lié par la qualification donnée au licenciement, de vérifier la réalité des faits reprochés au salarié et de les qualifier, puis de dire s’ils constituent une cause réelle et sérieuse au sens de l’article L.1232-1 du code du travail, l’employeur devant fournir au juge les éléments lui permettant de constater le caractère réel et sérieux du licenciement.
L’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité objective, non fautive et durable, d’un salarié à accomplir correctement la prestation de travail pour laquelle il est employé, c’est-à-dire conformément à ce qu’on est fondé à attendre d’un salarié moyen ou ordinaire, employé pour le même type d’emploi et dans la même situation.
Pour constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, elle doit être caractérisée par des faits objectifs et matériellement vérifiables. Il incombe à l’employeur d’apporter au juge des éléments objectifs à l’appui des faits qu’il invoque.
En l’espèce, la lettre de licenciement vise deux griefs :
l’insuffisance professionnelle, à savoir une diminution très importante du chiffre d’affaires de la salariée sur la période juin-novembre 2015 par rapport à la même période sur 2014 (50%) et sur la période de décembre 2015 au 15 mars 2016 par rapport à la période de décembre 2013 à mai 2014 et à celle de décembre 2014 à mai 2015 (50%), malgré l’aide apportée, et une diminution du nombre de clients ;
le comportement au travail, soit une attitude très négative, un refus de travailler avec la dirigeante, Mme [E], un temps excessif consacré au service après-vente, un suivi irrégulier des clients et des difficultés pour la joindre par téléphone.
La société et les organes de la procédure collective exposent que la baisse de chiffre d’affaires invoquée était due aux carences de Mme [R] [K] alors que son temps de travail était passé de 17 heures hebdomadaires à 26 heures en 2014, et qu’elle enregistrait peu de commandes en dehors des salons alors qu’elle aurait dû faire de la prospection.
Ils font valoir que le chiffre d’affaires des 3 autres commerciaux évoqués par la salariée ne peut être comparé au sien dans la mesure où l’un a été malade, l’autre a pris sa retraite tout en poursuivant son activité et le troisième a changé de domaine.
Ils n’apportent cependant aux débats aucune pièce qui permettrait à la cour d’opérer une comparaison entre les chiffres d’affaires de ces commerciaux lorsqu’ils exerçaient normalement leur activité et le chiffre d’affaires de Mme [R] [K], notamment afin de savoir si l’objectif de 180 000 euros semestriel fixé à la salariée pouvait être atteint et d’apprécier ses résultats par rapport à ceux de ses collègues.
Ils ne communiquent pas davantage de pièces sur le chiffre d’affaires de la société en France, alors que Mme [R] [K] fait remarquer avec pertinence qu’elle a fait l’objet d’un redressement judiciaire avant d’être finalement liquidée et qu’elle évoque dans un courriel envoyé à Mme [E] le 2 juin 2015, soit juste après son retour de congé de maternité que la collection Eté 2015 aurait été « difficile à écouler ». Dans un tel contexte, la baisse du chiffre d’affaires de Mme [R] [K] ne peut donc être reliée avec certitude à l’incapacité de la salariée à accomplir correctement sa prestation de travail.
Les appelants ne justifient pas non plus des mesures prises par la société pour aider Mme [R] [K] à améliorer son chiffre d’affaires, en particulier par des formations. Bien au contraire, les courriels versés aux débats montrent que la dirigeante répondait à ses interrogations sur le retard apporté à lui envoyer le catalogue, sur la conjoncture économique, sur l’inadéquation entre les produits proposés et les besoins exprimés par les clients’par des exigences de plus en plus grandes sur les comptes rendus d’activité qu’elle lui demandait sans lui apporter le moindre conseil.
Enfin, sur les périodes visées par la lettre de licenciement, Mme [R] [K] a été absente à plusieurs reprises, du 27 janvier au 1er juin 2015, du 31 août au 13 septembre 2015 et du 29 janvier au 12 février 2016. Elle affirme sans être contredite que les commandes portant sur la collection d’été 2015 avaient déjà été passées lorsqu’elle est rentrée de congé maternité le 2 juin 2015 et qu’elle n’a pas été invitée aux derniers salons parisiens pour des raisons économiques.
L’employeur ne démontre donc pas que la diminution du chiffre d’affaires de Mme [R] [K] était due à son insuffisance professionnelle.
Quant aux griefs portant sur le comportement de Mme [R] [K] au travail, l’employeur ne justifie pas de faits précis.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a déclaré que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Mme [R] [K] comptant plus de deux ans d’ancienneté dans l’entreprise au jour de son licenciement et celle-ci employant habituellement au moins onze salariés, ainsi qu’elle en apporte la preuve, trouvent à s’appliquer les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, selon lesquelles, en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
En considération de sa situation particulière, notamment de son âge (34 ans) et de son ancienneté (2 ans) au moment de la rupture, des circonstances de celle-ci, de sa capacité à retrouver un emploi compte tenu de sa formation, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer le préjudice résultant pour elle de la rupture abusive de la relation de travail à la somme de 13 800 euros. Le jugement sera réformé en ce sens.
3-Sur la demande de dommages et intérêts pour violation de la réglementation sur le télétravail
Il est constant que Mme [R] [K] travaillait essentiellement à son domicile, même si elle était également amenée à se déplacer pour rencontrer des clients et pour se rendre occasionnellement au siège et à des salons.
Cependant, le contrat de travail à durée déterminée mentionne expressément que l’activité est exercée au siège de la société, à [Localité 7]. Mme [R] [K] ne peut justifier ni d’un accord postérieur modificatif, les avenants étant muets sur le lieu de travail, ni de l’impossibilité pour elle de travailler au siège de la société, ni d’une demande de son employeur.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
4-Sur la demande de dommages et intérêts pour clause d’exclusivité abusive
Le contrat de travail contient la clause suivante :
« Pendant toute la durée du contrat, vous vous engagez à réserver l’exclusivité de votre activité au sein de la société [B] [E].
Par conséquent, il ne pourra y avoir par ailleurs aucune autre occupation professionnelle même non susceptible de concurrencer les activités de la société. Toute violation à cette clause pourrait entraîner la rupture du présent contrat pour faute grave . »
Une clause d’exclusivité non justifiée par la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et par la nature de la tâche à accomplir et disproportionnée au but recherché est nulle, a fortiori lorsque le salarié est embauché à temps partiel.
La société et les organes de la procédure ne le contestent pas. Ils évoquent une erreur lors de la rédaction du contrat.
Dès lors, Mme [R] [K] peut prétendre à des dommages et intérêts. En considération de la durée de la relation de travail et de l’absence de toute réaction de la salariée avant l’instance prud’homale, le jugement sera infirmé et la somme de 500 euros sera fixée au passif de la liquidation à ce titre.
5-Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
En application de l’article L1222-1 du contrat de travail, le contrat de travail s’exécute de bonne foi. Cette obligation est réciproque.
Mme [R] [K] justifie d’un certain nombre de pratiques déloyales de la part de la société : le retard apporté au paiement de ses salaires et au remboursement de ses frais professionnels, la fourniture tardive de catalogues et de modèles à présenter aux clients et prospects, les fortes exigences de la dirigeante et son ton particulièrement inadapté.
Contrairement à ce que soutiennent les appelants, les faits invoqués ne sont pas tous anciens et ils n’apportent pas la preuve que Mme [R] [K] tentait de se faire rembourser des frais kilométriques indus.
Le jugement sera donc infirmé et une somme de 1 000 euros sera fixée au passif de la liquidation à titre de dommages et intérêts.
6-Sur le remboursement des allocations chômage
Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du même code qui l’imposent et sont donc dans le débat, de fixer d’office au passif de la liquidation le remboursement des indemnités de chômage éventuellement versées à la salariée, dans la limite de six mois d’indemnités.
7-Sur les documents de fin de contrat
Le liquidateur devra remettre à Mme [R] [K] les documents de fin de contrat dûment rectifiés.
8-Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Les dépens de première instance et d’appel seront fixés au passif de la liquidation.
L’équité commande de fixer au passif la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure en appel, au profit de Mme [R] [K].
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement prononcé le 20 mars 2018 par le conseil de prud’hommes de Bourg en Bresse sauf en ses dispositions relatives aux dommages et intérêts pour clause d’exclusivité abusive, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour exécution déloyale du contrat de travail ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Fixe au passif de la liquidation de la société [B] [E] les sommes suivantes, dues à Mme [T] [R] [K] :
13 800 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
500 euros nets de dommages et intérêts pour clause d’exclusivité abusive ;
1 000 euros nets de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d’appel ;
Ordonne à la SELARL [J] Yang Ting, es qualité de liquidateur de la société [B] [E], de remettre à Mme [T] [R] [K] les documents de fin de contrat dûment rectifiés ;
Fixe les dépens de première instance et d’appel au passif de la liquidation de la société [B] [E] ;
Fixe au passif de la liquidation de la société [B] [E] les indemnités de chômage éventuellement versées à Mme [T] [R] [K], dans la limite de six mois d’indemnités et dues au Pôle emploi ;
Le Greffier La Présidente