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3 mai 2023
Cour d’appel de Chambéry
RG n°
21/02216
COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 03 MAI 2023
N° RG 21/02216 – N° Portalis DBVY-V-B7F-G3AO
S.A.S. ALPES CONSEIL BUREAUTIQUE
C/ [O] [U]
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANNECY en date du 29 Septembre 2021, RG F 20/00274
APPELANTE ET INTIMEE INCIDENTE
S.A.S. ALPES CONSEIL BUREAUTIQUE
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Géraldine GARDILLOU de la SAS MERMET & ASSOCIES, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
INTIME ET APPELANT INCIDENT
Monsieur [O] [U]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Corinne GABBAY, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS
et par Me Franck GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat postulant inscrit au barreau de CHAMBERY
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l’audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 09 Février 2023, devant Monsieur Frédéric PARIS, Conseiller désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente, chargé du rapport, et Madame Isabelle CHUILON, Conseiller, avec l’assistance de Madame Capucine QUIBLIER, Greffier lors des débats, et lors du délibéré :
Monsieur Frédéric PARIS, Président,
Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,
Copies délivrées le : ********
FAITS ET PROCEDURE
M. [O] [U] a été engagé le 1er octobre 1990 part contrat à durée indéterminée en qualité d’ingénieur des ventes par la SAS Alpes Conseil Bureautique (ACB) ;
L’entreprise est spécialisée dans la vente et la location de photocopieurs et solutions d’impression, et notamment concessionnaire Xerox.
Elle comptait trente salariés à la date du licenciement.
En 2017 a été créée une holding ACB Investissements, détenant les parts des sociétés ACB et A2X, holding dont le capital a été réparti entre cinq salariés, dont M. [O] [U].
Le 17 mars 2020, le salarié a été placé en activité partielle à 100 % compte-tenu du confinement, puis à 50% à la levée du confinement.
Par courrier du 29 juin 2020, M. [O] [U] a été convoqué à un entretien préalable à éventuel licenciement. L’entretien s’est tenu le 8 juillet 2020.
Par courrier du 27 juillet 2020, il a été licencié pour motif économique. Il a accepté le contrat de sécurisation professionnelle le 22 juillet 2020.
Par requête reçue le 17 décembre 2020, il a saisi le conseil de prud’hommes d’Annecy aux fins notamment de voir dire que son licenciement économique ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse, et de voir condamner l’employeur à lui verser diverses sommes à ce titre, au titre du non respect de l’ordre de licenciement, de la priorité de réembauche, du travail dissimulé.
Par jugement du 29 septembre 2021, le conseil de prud’hommes d’Annecy a :
– dit que le licenciement économique de M. [O] [U] n’a pas de cause réelle et sérieuse en raison du non respect de l’obligation de reclassement,
– condamné la SAS Alpes Conseil Bureautique à verser à M. [O] [U] :
64350 euros net de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
9900 euros brut au titre du préavis, outre 990 euros brut de congés payés afférents,
4950 euros de dommages et intérêts pour non respect de la priorité de réembauche,
29700 euros de dommages et intérêts pour travail dissimulé,
1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SAS Alpes Conseil Bureautique à remettre à M. [O] [U] l’attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes au jugement,
– ordonné à la SAS Alpes Conseil Bureautique de rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômages payées au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de 6 mois d’indemnités,
– débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour non respect de l’ordre des licenciements,
– débouté la SAS Alpes Conseil Bureautique de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SAS Alpes Conseil Bureautique aux dépens, y comrpis les éventuels frais d’exécution.
Par déclaration par RPVA en date du 12 novembre 2021, la SAS Alpes Conseil Bureautique a relevé appel de cette décision. M. [O] [U] a formé appel incident.
Par dernières conclusions notifiées le 19 août 2022, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, la SAS Alpes Conseil Bureautique demande à la cour de :
– infirmer le jugement attaqué, sauf en ce qu’il a débouté M. [O] [U] de sa demande au titre du non respect de l’ordre des licenciement,
– débouter M. [O] [U] de l’ensemble de ses demandes,
– le condamner à payer à la société Alpes Conseil Bureautique la somme de 3600 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, la SAS Alpes Conseil Bureautique expose que ses difficultés économiques étaient justifiées par une baisse de son chiffre d’affaires de 35,23% entre juin 2019 et juin 2020. La comparaison entre les deux trimestres précédant le licenciement et les deux mêmes trimestres de l’exercice précédant démontre une baisse significative du chiffre d’affaires qui caractérise les difficultés économiques justifiant le licenciement.
Le versement de dividendes aux associés d’ACB et de A2X était rendu obligatoire par le pacte d’associés d’ACB Investissements.
Le reclassement suppose l’existence d’un poste disponible. Le registre des entrées et sorties du personnels des sociétés ACB et A2X démontre qu’elles n’ont effectué aucune embauche à la date du licenciement du salarié. Seule une apprentie, qui n’est pas considérée comme une salariée, a été engagée. Peu importe qu’elle soit encore dans l’entreprise dans la mesure où son embauche a été effectuée deux mois après le licenciement, alors que le reclassement ne doit être recherché que jusqu’à la notification de celui-ci. La période d’essai du technico-commercial engagé le 2 mars 2020 était terminée à la date du licenciement. Ce salarié et M. [O] [U] n’avaient par ailleurs pas les mêmes compétences.
Aucun ingénieur commercial n’a été engagé par la société après le licenciement. L’offre d’emploi sur ce poste qui figurait sur le site de la société avait été publiée par M. [O] [U] lui-même en 2016, la recherche d’un employé sur ce poste avait été abandonnée. Par ailleurs M. [O] [U], qui n’était plus commercial depuis 2007, n’avait aucune expérience de la vente des produits et solutions d’impression actuels. Il s’occupait de marketing et de communication, ce qui correspondait à sa formation initiale, et n’était plus un commercial.
Si des commerciaux ont été embauchés postérieurement au licenciement, c’était après la fin de la période de réembauchage.
Durant le confinement, il était difficile pour la société, comme pour toutes les entreprises, d’imaginer une fermeture totale sans aucun suivi des dossiers et plus aucune réponse aux clients. C’est pourquoi l’employeur a demandé à ses salariés de rester en contact épisodique. M. [O] [U] n’a consacré que quelques minutes de temps à autre à répondre à des courriels sur la période du 20 mars au 23 avril 2020, et pour la période postérieure, c’est de sa seule initiative qu’il a continué à envoyer des courriels alors que son employeur avait insisté pour que les salariés ne répondent plus à aucun courriel. Le VPN de la société était d’ailleurs coupé.
Le travail dissimulé nécessite pour être caractérisé une intention de dissimuler, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Par dernières conclusions notifiées le 22 avril 2022, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, M. [O] [U] demande à la cour de :
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a :
* dit que son licenciement économique n’a pas de cause réelle et sérieuse,
* condamné la SAS Alpes Conseil Bureautique à lui verser 4950 euros de dommages et intérêts pour non respect de la priorité de réembauche, 29700 euros de dommages et intérêts pour travail dissimulé, 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* condamné la SAS Alpes Conseil Bureautique à lui remettre l’attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes au jugement,
* ordonné à la SAS Alpes Conseil Bureautique de rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômages payées au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de 6 mois d’indemnités,
– réformer le jugement pour le surplus, et statuant à nouveau:
* condamner la SAS Alpes Conseil Bureautique à lui verser 99000 euros de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* condamner la SAS Alpes Conseil Bureautique à lui verser 14850 euros brut, outre 1485 euros brut de congés payés afférents, au titre du préavis,
– condamner la SAS Alpes Conseil Bureautique à lui verser la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, ainsi qu’aux dépens d’appel, y compris les éventuels frais d’exécution.
Au soutien de ses demandes, M. [O] [U] expose que dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, la période retenue pour justifier de difficultés économiques est réduite à 5 mois, de décembre 2019 à mai 2020, soit moins de deux trimestres, et ne porte pas sur une comparaison avec la même période de l’année précédente.
L’employeur ne justifie pas d’une baisse de son chiffre d’affaires sur deux trimestres consécutifs en comparaison avec la même période de l’année d’avant.
Le chiffre d’affaires du premier trimestre 2020 est en augmentation de plus de 11% par rapport au premier trimestre 2019. Les ventes de contrats de service « tout compris » sont sur les mêmes périodes en augmentation de plus de 20%.
L’employeur a trouvé dans la baisse de ses chiffres liée uniquement au confinement un prétexte pour l’évincer.
Le bilan final d’ACB pour 2020 fait apparaître une baisse de chiffre d’affaires minime de 4,4% et un résultat toujours largement bénéficiaire, avec une augmentation de ses capitaux propres.
Les sociétés ACB et A2X bénéficiaient de réserves importantes du fait des bénéfices antérieurs qu’elle ont préféré redistribuer à leurs actionnaires. Le pacte d’associé n’a d’effet obligatoire qu’entre les actionnaires de la société ACB Investissements, actionnaires qui sont à l’origine du choix de ne pas solliciter le différé des remboursements du prêt contracté pour l’acquisition des parts de la société ACB dont ils sont les bénéficiaires effectifs.
Ces distributions de dividendes décidées en juin 2020, au moment où son employeur engageait sa procédure de licenciement, ont été faites en violation de l’interdiction faite par le gouvernement aux entreprises ayant bénéficié d’aides de l’Etat dans le cadre de la situation d’urgence sanitaire de distribuer des dividendes à leurs actionnaires en 2020.
Il n’était pas une charge financière pour la société, qui a bénéficié à compter de mars 2020 d’une prise en charge totale puis partielle de son salaire.
L’employeur ne démontre pas avoir recherché une solution de reclassement à son profit au sein d’ACB comme au niveau du groupe.
Il avait manifesté son souhait de bénéficier de la priorité de réembauchage par courrier du 30 juillet 2020. Or l’employeur était en recherche d’un ingénieur commercial, selon offre d’emploi figurant sur son site internet. Une salariée a été embauchée en qualité de commerciale en septembre 2020. Des ingénieurs commerciaux ont par ailleurs été embauchés dès la période de réembauchage terminée.
Durant une période d’activité partielle, le contrat de travail du salarié est suspendu. Durant cette période, l’employeur ne peut lui demander de travailler, même en télétravail. Le non-respect de cette règle est susceptible de constituer l’infraction de travail dissimulé. Or, par plusieurs courriels envoyés durant le confinement, l’employeur lui a demandé de travailler, alors qu’il était en « chômage technique 100% » puis en activité partielle. Il a travaillé à temps plein en mars, et encore partiellement en avril. L’employeur a ensuite intentionnellement mentionné sur ses bulletins de paie un nombre d’heures de travail accomplies inférieur à la réalité. Tout en bénéficiant d’une prise en charge par l’Etat de sa rémunération, son employeur a continué à le faire travailler.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 décembre 2022. Le dossier a été évoqué à l’audience du 9 février 2023. A l’issue, il a été mis en délibéré au 25 avril 2023, délibéré prorogé au 4 mai 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement économique
Aux termes de l’article L 1233-3 du code du travail, « constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés. Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés’.
Est donc considérée comme significative une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires qui se poursuit sur deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés, et ce en comparaison avec la même période que l’année précédente.
La durée d’une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, telle que définie à l’article L. 1233-3, 1°, a) à d) du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, de nature à caractériser des difficultés économiques, s’apprécie en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d’affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l’année précédente à la même période (Cass. Soc. 1er juin 2022 n°20-19.957).
Le contrat a été rompu par lettre du 27 juillet 2020 après acceptation du salarié du contrat de sécurisation professionnelle.
L’employeur dans ce courrier rappelle les motifs économiques l’ayant amené à envisager la rupture du contrat de travail :
« Notre entreprise est confrontée à de sérieuses difficultés économiques. Depuis le début de l’exercice nous constatons une baisse du chiffre d’affaires. La vente d’équipements et solutions est en très net repli. 553 K€ HT à mai ‘ versus 3.2 M€à la fin décembre 2019). La vente de Page Pack affiche une énorme baisse. (526 K€ à fin mai ‘ versus 1.9 M€ à fin décembre 2019).
Nous ne couvrons plus notre point mort, à raison de plus de 50000 € HT par mois. Et l’avenir sur les prochains mois ne laisse pas augurer d’une amélioration suffisante pour atteindre l’équilibre.
Notre niveau de trésorerie est en ligne avec les éléments ci-dessus. Le prêt garanti d’Etat nous permet aujourd’hui d’honorer les fournisseurs. Mais cette situation n’est pas vivable.
Aussi nous sommes contraints, pour assurer la pérennité de l’entreprise, de réduire nos charges de structure. Cette réorganisation passe par la suppression de votre service, et par conséquent de votre emploi. ».
Il résulte des pièces produites par l’employeur que le chiffre d’affaires de la société ACB entre janvier et juin a diminué en 2020 par rapport à 2019. Cependant, son chiffre d’affaires n’a pas diminué sur deux trimestres consécutifs avant le licenciement, soit janvier à mars et avril à juin, en 2020 par rapport à la même période de 2019, puisque le chiffre d’affaires soumis à TVA était en augmentation de janvier à mars 2020, avec un montant de 985607 euros, par rapport à janvier à mars 2019 avec un montant de 876423 euros.
Il en est de même pour le chiffre d’affaires « Page Pack », dont l’employeur soutient qu’il s’agit de l’activité permettant, dans son modèle économique, de financer une grande partie de la structure et des salaires du personnel « support », c’est-à-dire non directement en contact avec les clients, auquel appartient M. [O] [U].
Il en est également de même, tant pour le chiffre d’affaires global que pour le chiffre d’affaires « Page Pack », s’agissant de la société A2X appartenant également à la holding ACB Investissements: le chiffre d’affaires enregistré entre janvier et mars 2020 est en augmentation par rapport à celui enregistré entre janvier à mars 2019.
Ainsi, l’employeur ne pouvait justifier les difficultés économiques alléguées pour motiver le licenciement économique du salarié en se fondant sur la baisse de son chiffre d’affaires, dans la mesure où celui-ci n’enregistrait pas une baisse significative au sens de l’article L 1233-3 du code du travail de nature à caractériser des difficultés économiques.
Si l’employeur évoque au sein de la lettre de licenciement la question du niveau de sa trésorerie, il ne produit aucune pièce de nature à l’apprécier à la date du licenciement.
L’employeur ne produit aucun élément de nature à justifier l’allégation contenue dans la lettre de licenciement selon lequel il ne couvrirait plus son « point mort » à hauteur de plus de 50000 € HT par mois.
Ainsi, il résulte de ces constatations que l’employeur ne justifie pas de difficultés économiques au sens de l’article L 1233-3 du code du travail de nature à justifier le licenciement économique de M. [O] [U].
En conséquence, le jugement du conseil de prud’hommes sera confirmé en ce qu’il a jugé le licenciement économique sans cause réelle et sérieuse.
Le salarié a droit à une indemnité compensatrice de préavis, la chambre sociale de la cour de cassation jugeant que ‘en l’absence de motif économique de licenciement, le contrat de sécurisation professionnelle n’a pas de cause et l’employeur est alors tenu à l’obligation de préavis et des congés payés afférents’. (Cass soc 30 novembre 2017, n° 16-24227).
Il n’est pas contesté que le préavis de M. [O] [U] était, en tant que cadre, de trois mois. Celui-ci est donc en droit de se voir allouer au titre de l’indemnité de préavis la somme de 14450 euros brut, outre 1445 euros brut de congés payés afférents. Le jugement sur ce point du conseil de prud’hommes sera dès lors infirmé.
S’agissant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le barème de l’article L 1235-3 du code du travail prévoit pour 22 ans d’ancienneté un minimum de 3 mois de salaire et un maximum de 20 mois.
Le salarié percevait un salaire mensuel brut de 4950 euros et bénéficiait d’une ancienneté de 29 ans. Il avait 53 ans à la date du licenciement. Il a crée sa société, dont il est associé unique et gérant non rémunéré au mois jusqu’en décembre 2022, en septembre 2021. Il justifie d’un résultat déficitaire pour la première année d’exploitation de cette société. Il percevait toujours en juillet 2022 l’allocation de retour à l’emploi pour un montant mensuel net moyen de 2051 euros, avec une durée d’indemnisation restant à courir à cette date de 181 jours.
Compte-tenu de ces éléments, la décision du conseil de prud’hommes sera infirmée et il sera alloué à M. [O] [U] la somme de 69300 euros net d’indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit 14 mois de salaire.
En application de l’article L 1235-4 du code du travail, il convient de confirmer la décision du conseil de prud’hommes en ce qu’elle a ordonné le versement par l’employeur des indemnités de chômage du jour du licenciement jusqu’au jour du présent arrêt dans la limite de 6 mois.
Sur la demande de dommages et intérêts pour non respect de la priorité de réembauche
Aux termes de l’article L 1233-45 du code du travail, le salarié licencié pour motif économique bénéficie d’une priorité de réembauche durant un délai d’un an à compter de la date de rupture de son contrat s’il en fait la demande au cours de ce même délai.
Dans ce cas, l’employeur informe le salarié de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification. En outre, l’employeur informe les représentants du personnel des postes disponibles.
Le salarié ayant acquis une nouvelle qualification bénéficie également de la priorité de réembauche au titre de celle-ci, s’il en informe l’employeur.
Aux termes de l’article L 1235-13 du code du travail, en cas de non-respect de la priorité de réembauche prévue à l’article L1233-45, le juge accorde au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.
Le salarié justifie avoir manifesté le souhait de bénéficier de la priorité de réembauche par courrier du 30 juillet 2020.
Il résulte de l’extrait du registre du personnel de l’employeur que ce dernier a engagé le 18 septembre 2020 Mme [Y] [J] en temps qu’apprenti dans le cadre d’un CDD. L’employeur reconnaît au sein de ses écritures l’avoir ensuite engagée comme commercial en CDI à la suite de son contrat d’apprentissage.
Or la priorité de réembauche ne se limite pas aux contrats à durée indéterminée (Cass. soc., 26 janv. 1994, n° 92-43.839 ; Cass. soc., 8 avr. 2009, n° 08-40.125), elle concerne également les emplois à durée déterminée.
M. [O] [U] a été engagé le 1er octobre 1990 par la société ACB en tant qu’ingénieur des ventes. Ses fonctions étaient celles d’un commercial, fonctions qu’il a occupées jusqu’en juillet 2007, avant d’occuper des fonctions de directeur du marketing. Il est diplômé d’une école de commerce et de marketing, détient un master en marketing.
Il résulte de ces constatations que le poste de commercial qui a été pourvu dans le cadre d’un contrat à durée déterminée durant la période de priorité de réembauche correspondait au poste occupé par M. [O] [U] pendant 17 ans au sein de l’entreprise; que celui-ci avait nécessairement acquis, compte-tenu de son expérience professionnelle et de son ancienneté dans l’entreprise, une bonne connaissance des techniques de vente et des produits ou services commercialisés par l’entreprise; qu’ainsi l’emploi de commercial pourvu durant la période de la priorité de réembauche était compatible avec la qualification du salarié; que l’employeur n’a donc pas respecté la priorité de réembauche.
En conséquence, la décision sur ce point du conseil de prud’hommes sera confirmée.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre du travail dissimulé
Aux termes des dispositions de l’article L 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.
Aux termes des dispositions de l’article L. 8223-1 du même code : ‘ En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel l’employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.’
Il appartient au salarié de démontrer le caractère intentionnel de la commission des faits prévus à l’article L 8221-5.
Aux termes de l’article L5122-1 du code du travail, le contrat de travail des salariés placés en activité partielle est suspendu pendant les périodes où ils ne sont pas en activité.
Il résulte des pièces produites aux débats qu’en application de cet article, le contrat de travail de M. [O] [U] était suspendu durant la période de confinement du 17 mars au 10 mai 2020, puisqu’il a bénéficié à 100% du dispositif exceptionnel d’activité partielle mis en place par l’Etat.
Or, dès le 17 mars 2020, l’employeur envoie un courriel aux salariés, y compris à ceux sensés être à 100% en « chômage technique », leur indiquant notamment « Confinés chez vous, comme c’est prévu, vous aurez tous les outils pour continuer à mettre à jour votre ERP, échanger avec vos clients et préparer la sortie de crise. Il n’est en effet pas envisageable de devoir remettre la machine en route après cet épisode (aussi long soit-il) ».
Dans un courriel du 20 mars 2020 adressé au salarié, l’employeur lui indique « Pour nous l’ERP est primordial. Aussi, [H] et toi ont entendu de notre bouche « nous allons combler le 84% à 100% ». Nous le ferons. Nous avons besoin de votre focus à chaque instant pour que notre ERP soit fonctionnel. En conséquence, lorsque nous connaîtrons à l’euro près les salaires, [S] et moi, trouverons une formule pour compenser financièrement (en CCB par exemple).
Dans un courriel du 25 mars 2020, l’employeur demande au salarié « Aussi, pourrais-tu faire un emailing sur la technologie Page Wide d’une part et faire une extraction de silver avec un fichier d’environ 500 adresses mail valides. »
Dans un courriel du 31 mars 2020, l’employeur indique au salarié « conformément à notre accord, et compte-tenu de ton investissement dans la mise en place de notre ERP, nous allons faire un complément de salaire sur mars pour faire un 100% du net. Versé en CCB dès qu’il sera possible de rencontrer ».
Ces courriels démontrent que l’employeur a demandé à M. [O] [U] de continuer à travailler pour son compte alors que le contrat de travail de celui-ci était suspendu, évoquant une compensation en chèques cadeaux de nature à compléter le manque à gagner du salarié.
Le salarié justifie par la production de courriels avoir poursuivi une activité professionnelle sur cette période.
Les fiches de paye du salarié pour les mois de mars, avril et mai 2020 ne mentionnent aucune heure travaillée ni aucune rémunération, que ce soit en chèques cadeaux ou autres, au titre d’heures travaillées sur cette période.
Il résulte de ces constatations que l’employeur a sollicité le salarié afin qu’il effectue des heures de travail alors même que son contrat de travail était suspendu, et qu’il n’a pas mentionné sur les bulletins de paye du salarié les heures de travail effectuées par celui-ci durant la période du confinement.
Ces éléments caractérisent le caractère intentionnel de la commission de ces faits, constitutifs du travail dissimulé.
La décision du conseil de prud’hommes sur ce point sera donc confirmée.
Sur la remise des documents de fin de contrat rectifiés
Elle sera ordonnée, conformément aux dispositions du présent arrêt.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
La décision du conseil de prud’hommes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens sera confirmée.
La SAS Alpes Conseil Bureautique sera condamnée aux dépens d’appel, à l’exception des frais d’exécution et des droits de recouvrement, ces créances n’étant pas établies à ce jour, précision faite que le droit de recouvrement n’est pas dû par la partie qui demande l’exécution d’un titre exécutoire constatant une créance née de l’exécution d’un contrat de travail conformément aux article R 444-53 et R 444-55 du code de commerce.
La SAS Alpes Conseil Bureautique sera également condamnée à verser à M. [O] [U] la somme de 1800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
DÉCLARE recevables les appel et appel incident de la SAS Alpes Conseil Bureautique et de M. [O] [U],
CONFIRME le jugement du 29 septembre 2021 rendu par le conseil de prud’hommes d’Annecy en ce qu’il a :
– jugé que le licenciement de M. [O] [U] est sans cause réelle et sérieuse,
– condamné la SAS Alpes Conseil Bureautique à verser à M. [O] [U] :
4950 euros de dommages et intérêts pour non respect de la priorité de réembauche,
29700 euros de dommages et intérêts pour travail dissimulé,
1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SAS Alpes Conseil Bureautique aux dépens,
– ordonné à la SAS Alpes Conseil Bureautique de rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômages payées au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de 6 mois d’indemnités,
INFIRME pour le surplus,
Et statuant à nouveau,
CONDAMNE la SAS Alpes Conseil Bureautique à verser à M. [O] [U] les sommes suivantes :
14450 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1445 euros brut de congés payés afférents,
69300 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Y ajoutant:
ORDONNE à la SAS Alpes Conseil Bureautique de remettre à M. [O] [U] l’attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt,
DIT qu’une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée à Pôle Emploi Rhône-Alpes – service contentieux – [Adresse 1].
CONDAMNE la SAS Alpes Conseil Bureautique aux dépens, à l’exception des frais d’exécution et des droits de recouvrement ;
CONDAMNE la SAS Alpes Conseil Bureautique à payer à M. [O] [U] une somme de 1800 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
Ainsi prononcé publiquement le 03 Mai 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président