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28 avril 2023
Cour d’appel de Toulouse
RG n°
21/01498
28/04/2023
ARRÊT N°2023/202
N° RG 21/01498 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OCMP
SB/LT
Décision déférée du 04 Mars 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Toulouse (18/1147-19/525)
M. [Z]
Section Encadrement
[U] [O]
C/
S.A.S.U. EXACTECH FRANCE
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le 28 Avril 2023
à Me MARION, Me BENOIT-DAIEF
Ccc à Pôle Emploi
le 28 Avril 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU VINGT HUIT AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANTE
Madame [U] [O]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Sophie MARION, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIM”E
S.A.S.U. EXACTECH FRANCE
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Représentée par Me Ophélie BENOIT-DAIEF de la SELARL SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de TOULOUSE
Représentée par Me Hugo DICKHARDT, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant S. BLUM”, Présidente et M. DARIES, Conseillère chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
S. BLUM”, présidente
M. DARIES, conseillère
N.BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par S. BLUM”, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre
FAITS – PROCÉDURE – PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [U] [O] a été embauchée le 6 janvier 2014 par la Sasu Exactech France en qualité de Directeur Marketing et Produits suivant contrat de travail à durée indéterminée.
Un avenant au contrat de travail a été signé par les parties le 6 septembre 2016 avec effet rétroactif au 1er septembre 2016 afin de substituer au statut de cadre dirigeant celui de cadre au forfait jour.
Au 1er janvier 2017, Mme [O] a été promue directeur commercial France.
Le 13 juin 2018, Mme [O] a été placée en arrêt maladie.
La salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse le 18 juillet 2018 pour solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur et demander le versement de diverses sommes.
Après avoir été convoquée par courrier du 12 novembre 2018 à un entretien préalable au licenciement fixé au 19 novembre 2018, Mme [O] a été licenciée par courrier du 23 novembre 2018 pour désorganisation de la société liée à son absence pour maladie.
La salariée a contesté ce licenciement par une nouvelle saisine du conseil de prud’hommes de Toulouse en date du 5 avril 2019.
Le conseil de prud’hommes de Toulouse, section Encadrement, par jugement du 4 mars 2021, a :
– prononcé le rabat de la clôture au jour de l’audience, soit le 22 octobre 2020,
– prononcé la jonction des deux instances enregistrées respectivement sous les n°RG 18/1147 et n°RG 19/525 et dit qu’elles porteront désormais le numéro unique n°RG 18/1147,
– jugé que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
– fixé la valeur salaire de référence hebdomadaire de Mme [O] à 7 726,00 euros brut,
– condamné en conséquence la Sasu Exactech France à payer à Mme [O] la somme de 23 178,00 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamné la Sasu Exactech France à payer à Mme [O] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
– dit n’y avoir lieu au prononcé de l’exécution provisoire autre que de droit,
– rappelé que les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
– condamné la Sasu Exactech France aux entiers dépens,
– rejeté toute autre demande plus ample ou contraire.
***
Par déclaration du 10 mars 2021, Mme [O] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 27 mars 2021, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
***
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 8 janvier 2023, Mme [U] [O] demande à la cour de :
– réformer le jugement en ce qu’il a fixé la valeur de référence du salaire hebdomadaire brut de Mme [O] à 7.726,00 euros bruts. En conséquence, juger que la valeur du salaire mensuel moyen brut ressort à la somme de 9.606,24 euros.
A titre principal sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :
– réformer le jugement en ce qu’il a jugé licite la convention de forfait jours et débouté Mme [O] de sa demande au titre de rappel d’heures supplémentaires, de travail dissimulé, de harcèlement moral et de résiliation judiciaire du contrat de travail. En conséquence, juger que les manquements de la Sasu Exactech France justifient que soit prononcée la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur.
Sur les conséquences de la résiliation :
– à titre principal, juger que la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d’un licenciement nul. En conséquence, condamner la Sasu Exactech France à lui payer les sommes suivantes :
28.818,72 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
2.881,87 euros au titre des congés payés sur préavis,
3.761,33 euros au titre du reliquat de l’indemnité légale de licenciement restant dû,
115.274,88 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.
– à titre subsidiaire, juger que la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. En conséquence, écarter le plafonnement prévu par l’article L.1235-3 du Code du travail en raison de son inconventionnalité. En conséquence, condamner la Sasu Exactech France à lui payer les sommes suivantes :
28.818,72 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
2.881,87 euros au titre des congés payés sur préavis,
3.761,33 euros au titre du reliquat de l’indemnité légale de licenciement restant dû,
115.274,88 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– à titre infiniment subsidiaire, juger que la résiliation judiciaire du contrat de travail produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. En conséquence, condamner la Sasu Exactech France à payer à lui les sommes suivantes :
28.818,72 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
2.881,87 euros au titre des congés payés sur préavis,
3.761,33 euros au titre du reliquat de l’indemnité légale de licenciement restant dû,
48.031,20 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail.
A titre subsidiaire, sur le licenciement :
– réformer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [O] de sa demande tendant à juger nul le licenciement. Par conséquent, juger nul le licenciement et condamner la Sasu Exactech France à lui payer les sommes suivantes:
28.818,72 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
2.881,87 euros au titre des congés payés sur préavis,
3.761,33 euros au titre du reliquat de l’indemnité légale de licenciement restant dû,
115.274,88 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.
– subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu’il a jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement et le réformer en ce qu’il a débouté Mme [O] de sa demande tendant à ce que soient écartées les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail. Juger que doit être écarté le plafonnement prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l’OIT et le droit au procès équitable. En conséquence, condamner la Sasu Exactech France à payer à Mme [O] les sommes suivantes:
28.818,72 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
2.881,87 euros au titre des congés payés sur préavis,
3.761,33 euros au titre du reliquat de l’indemnité légale de licenciement restant dû,
115.274,88 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A titre infiniment subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu’il a jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement et le réformer sur le quantum des indemnités allouées. En conséquence, condamner la Sasu Exactech France à payer à Mme [O] les sommes suivantes :
28.818,72 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
2.881,87 euros au titre des congés payés sur préavis,
3.761,33 euros au titre du reliquat de l’indemnité légale de licenciement restant dû,
48.031,20 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail.
– réformer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [O] de ses demandes en rappel d’heures supplémentaires et tendant à ce que le statut de cadre dirigeant soit jugé inopposable. Par conséquent :
– juger que le statut de cadre dirigeant est inopposable à Mme [O] .
– juger illicite et en tout état de cause inopposable à Mme [O] la convention de forfait jours appliquée par la Sasu Exactech France.
– condamner en conséquence la Sasu Exactech France à payer à Mme [O] les rappels d’heures supplémentaires découlant de l’illicéité de la convention de forfait et le cas échéant l’indemnisation des temps de trajets inhabituels et chiffrées de la façon suivante :
A titre principal:
Si la Cour retient l’inopposabilité du statut de cadre dirigeant et fait droit aux demandes de Mme [O] à compter du 20 juillet 2015 : juger que le temps de trajet est assimilé à du travail effectif et en conséquence condamner la Sasu Exactech France à lui payer la somme de 79.476,04 euros outre 7.947,60 euros au titre des congés payés y afférents.
Si par extraordinaire la Cour devait juger qu’en dépit de la particularité de la situation les heures de trajet ne sauraient être assimilées à du temps de travail effectif, condamner la Sasu Exactech France à lui payer les sommes suivantes : 47.236,99 euros au titre des heures supplémentaires outre 4.723,69 euros au titre des congés payés y afférents, et 23.847,63 euros nets au titre de l’indemnisation des temps de trajets inhabituels.
A titre subsidiaire :
Si par extraordinaire la Cour devait juger valable le statut de cadre dirigeant et ne faire droit aux demandes de Mme [O] que pour la période postérieure au 1er septembre 2016 : juger que le temps de trajet est assimilé à du travail effectif et en conséquence condamner la Sasu Exactech France à lui payer la somme de 40.795,90 euros, outre 4.079,59 euros au titre des congés payés y afférents,
Si par extraordinaire la Cour devait juger qu’en dépit de la particularité de la situation les heures de trajet ne sauraient être assimilées à du temps de travail effectif, condamner la Sasu Exactech France à lui payer les sommes suivantes : 21.083,02 euros au titre des heures supplémentaires, outre 2.108,30 euros au titre des congés payés y afférent, et 15.375,39 euros nets au titre de l’indemnisation des temps de trajets inhabituels.
– réformer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [O] de sa demande formée au titre du travail dissimulé. Par conséquent, juger que la Sasu Exactech France s’est rendue coupable de travail dissimulé et la condamner à ce titre à lui payer la somme de 57.637,44 euros.
– réformer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [O] de sa demande formée au titre de la violation par la Sasu Exactech France de son obligation de sécurité de résultat au regard du droit à la santé et du droit au repos. Par conséquent, juger que la Sasu Exactech France a violé son obligation de sécurité de résultat au regard du droit à la santé et du droit au repos et la condamner à lui payer la somme de 57.637,44 euros à titre de dommages et intérêts.
– réformer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [O] de sa demande indemnitaire formée au titre du harcèlement moral. Par conséquent, juger que Mme [O] a été victime de la part de la Sasu Exactech France d’un phénomène de harcèlement moral et condamner la Sasu Exactech France à lui payer la somme de 57.637,44 euros à titre de dommages et intérêts.
– réformer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [O] de sa demande indemnitaire du fait de l’obligation qui a été la sienne de poursuivre l’exécution du contrat de travail durant la période d’arrêt de travail pour maladie du 21 mars 2018 au 17 avril 2018. Par conséquent, condamner la Sasu Exactech France à lui payer la somme de 6.473,33 euros en réparation du préjudice subi du fait de l’obligation qui a été la sienne de poursuivre l’exécution du contrat de travail durant la période d’arrêt de travail pour maladie du 21 mars 2018 au 17 avril 2018.
– réformer le jugement dont appel en ce qu’il a débouté Mme [O] de sa demande en remboursement de frais professionnels au titre des mois de juin et juillet 2018. Par conséquent, condamner la Sasu Exactech France à lui payer la somme de 470,60 euros au titre du remboursement de frais professionnels pour la période de juin et juillet 2018.
– condamner la Sasu Exactech France à payer à Mme [O] la somme de 6.000,00 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
– condamner la Sasu Exactech France aux entiers dépens.
***
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 5 janvier 2023, la Sasu Exactech France demande à la cour de :
Sur la demande de résiliation judiciaire :
– à titre principal, si le Cour de céans devait juger que la demande de résiliation judiciaire était infondée, confirmer le jugement. En conséquence, débouter Mme [O] de l’intégralité de ses demandes.
– à titre subsidiaire, si la Cour de céans devait juger que la demande de résiliation judiciaire était fondée : statuant et jugeant à nouveau, ramener le quantum de la demande indemnitaire à de plus justes proportions.
A titre subsidiaire, sur le bienfondé du licenciement de Mme [O] :
– si la cour devait juger que le licenciement de Mme [O] était bienfondé : infirmer le jugement
– en conséquence, statuant et jugeant à nouveau, débouter Mme [O] de l’intégralité de ses demandes.
– à titre subsidiaire, si la cour devait juger que le licenciement de Mme [O] était bien dépourvu de cause réelle et sérieuse : confirmer le jugement en qu’il a considéré que le barème prévu par les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail du travail est applicable.
Statuant et jugeant à nouveau :
– ramener le quantum de la demande indemnitaire à de plus justes proportions.
Sur les autres demandes :
– confirmer le jugement,
– en conséquence, débouter Mme [O] de l’intégralité de ses demandes.
– condamner Mme [O] à régler à la société la somme de 5.000 euros,
– condamner Mme [O] aux entiers dépens.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance en date du 10 février 2023.
***
Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.
La demande de résiliation judiciaire du contrat de travail a été soumise au conseil de prud’hommes par Mme [O] le 18 juillet 2018, avant son licenciement prononcé le 23 novembre 2018 , il convient donc de statuer prioritairement sur la demande de résiliation.
Sur la demande de résiliation
Il appartient à Mme [O] d’établir la réalité des manquements reprochés à l’employeur.
Il lui appartient également d’établir que ces manquements sont d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
La demande de résiliation du contrat de travail formée par Mme [O] repose sur les 3 griefs suivants formulés à l’encontre de son employeur :
-l’illicéité et l’inopposabilité du forfait jour
– le manquement à l’obligation de sécurité
– le harcèlement moral
1) Sur le harcèlement moral
En application des dispositions de l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits à et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article 1154-1 du code de travail dispose qu’il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il en résulte que s’il appartient au salarié d’établir la matérialité des faits qu’il invoque, les juges doivent quant à eux, appréhender ces faits dans leur ensemble et rechercher s’ils permettent de présumer l’existence du harcèlement allégué.
En ce cas alors, il revient à l’employeur d’établir qu’ils ne caractérisent pas une situation de harcèlement.
Mme [O] soutient qu’elle a été victime d’agissements répétés de harcèlement qui ont détérioré ses conditions de travail et affecté son état de santé. Elle forme les griefs suivants à l’encontre de l’employeur:
– un non-respect de ses périodes d’arrêts maladie entre le 21 mars 2018 et le 17 avril 2018 et à compter du 13 juin 2018, ainsi que des sollicitations régulières le soir, le weekend, pendant les congés.
– des reproches injustifiés, des propos blessants et humiliants ainsi qu’une attitude irrespectueuse du président visant à la discréditer.
a)Sur sa sollicitation répétée par l’employeur pendant ses arrêts maladie, ainsi que le soir ou pendant ses congés et weekends.
Elle indique s’être trouvée dans l’obligation de travailler pendant son hospitalisation de jour à la clinique des Cèdres du 21 mars au 17 avril 2018 et en veut pour preuve un courriel du Président M.[R] du 11 avril lui transmettant dans les termes suivants une demande d’une entreprise cliente: ‘merci de gérer Mme la Directrice’ (pièce 12) ; de même qu’un couriel du président du 4 avril 2018 répondant à un client suisse informé par un mail de l’absence de Mme [O] jusqu’au 17 avril de ce que ‘[U] lit ses messages et y répond après18h.’Elle produit également :
-une trentaine de courriels échangés avec des collaborateurs de l’entreprise notamment avec le directeur financier M.[A] le 17 avril 2018 à 0H10 .
– un mail adressé au président M.[R] le dimanche 27 mai 2018 dans lequel elle évoque un appel téléphonique de celui-ci du 8 mai sollicitant la communication de documents.
– des courriels dont le président était en copie, adressés par la salariée le 8 mai 2018
– demande du président le vendredi 1er juin à 20h à laquelle elle a répondu le samedi 2 juin à 7h42 (pièce 100)
– des courriels d’interrogation du président à reception de sa demande de RTT le 5 juin 2018.
b) sur les reproches injustifiés, propos blessants ou humiliants
Elle évoque des remarques déplacées du président sur sa tenue vestimentaire, revenant dans un courriel adressé au Président le 27 mai 2018 sur ses remarques tenant, d’une part, au port de baskets lors d’un rendez-vous après trois jours de congrès où elle avait porté des talons, d’autre part, à la qualification de ‘stage’ des soins qu’elle a reçus en rééducation fonctionnelle du dos au sein d’une clinique en mars-avril 2018. Elle fait état par ailleurs des reproches visant à la destabiliser: celui de ‘couvrir ses arrières’ (pièce 78, ‘assez de CMYB(cover my bottoms) mais aussi celui de ne pas solliciter son aval (pièce57) en répondant à un mail qui lui était adressé et relevant de sa compétence.
Elle fait également état du refus de l’employeur le 5 juin 2018 de la recevoir pour échanger sur les difficultés qu’elle rencontre dans les termes suivants jugés blessants et humiliants: ‘« Je souhaiterais, et c’est ici un euphémisme, que tu cesses désormais, et une bonne fois pour toute, de te plaindre ainsi continuellement. Le rythme intense dont tu parles ne t’a pas empêché de passer hier au soir je crois une soirée chez ta s’ur à [Localité 2] puis tu es rentrée ce matin à [Localité 7]. La réunion d’hier aura duré de 10h30 à 18h30 avec une pause déjeuner d’environs 2 heures avec la visite des futurs bureaux. Tu vas être en congés 4 jours dans 72 heures. [V] ou [U] peuvent certainement évoquer un rythme intense ; ils sont sans cesse sur la route et en clientèle. Pourtant je ne les entends pas car c’est le job ! Tu es un cadre de direction, tu as le titre de Directrice commerciale ‘ Marketing et vente, une position importante, un salaire et des avantages conséquents, et les missions qui vont avec. Cette attitude nouvelle, récriminations incessantes, depuis ton retour au travail mi-avril n’apporte rien de positif pour toi-même ou pour ceux qui t’entourent, et commence à entamer la grande confiance que j’ai placé en toi. Je te remercie de considérer avec bienveillance et attention la candeur et la franchise dont je fais ici preuve à nouveau, mais je te l’écris (entre toi et moi, confidentiellement, pour éviter tout malentendu) cette attitude inadaptée ne saurait perdurer » (pièce 34).
Elle déclare ne pas avoir été la seule salariée à souffrir des agissements du président M.[R] et du directeur financier M.[A] et excipe d’une enquête interne pour ‘violation du code de conduite’ diligentée en juin 2019 par la vice présidente des ressources humaines du siège américain, Mme [L] [G], et la vice-présidente des affaires juridiques Mme [N] [S], qui après réception de plaintes de salariés, se sont déplacées en France pour entendre les salariés. Mme [O] indique avoir été entendue le 16 juin 2019 par [L] [G] et produit à cet égard des échanges de SMS avec cette dernière (pièce 49) . Elle expose qu’il a été mis fin au mandat de président de M.[R] le 12 juillet 2019 , lequel a été remplacé par M.[C] dans le poste de président dès le 12 juillet 2019 ainsi qu’en attestent les données mentionnées sur le site société.com.
Elle relève que la société Exactech s’est abstenue de communiquer les restitutions de l’enquête, et la lettre de notification de rupture du contrat de travail de M.[R] après l’enquête, en dépit de la sommation qui lui en a été faite par courrier officiel entre avocats les 25 octobre et 5 novembre 2019.
Elle soutient que le comportement de l’employeur à son égard a entrainé une dégradation de son état de santé dont attestent les pièces médicales suivantes:
– un avis d’arrêt de travail à compter du 13 juin 2018 pour syndrôme anxiodépressif , renouvelé successivement 25 septembre 2020
– un certificat médical d’un médecin généraliste du 17 septembre 2018
– le dossier de la médecine du travail qui relate ses déclarations relatives à son mal-être au travail
– des prescriptions médicamenteuses d’antidépresseurs les 20 juin 2018, 3 décembre 2018, 23 novembre 2018
– un certificat médical établi le 2 mai 2019 par le Dr [T] psychiatre , décrivant un état d’épuisement de la salariée depuis 2018, une démotivation, une perte de poids importante avec suivi psychothérapique à compter d’août 2018
Ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
La société Exactech France dénie tout fait de harcèlement et objecte que
– la salariée n’a jamais saisi le médecin du travail d’une situation de harcèlement lors des visites périodiques où elle était déclarée apte, ni entre ces visites et ne s’est jamais ouverte de tels agissements auprès de son employeur lors de l’entretien annuel du 15 décembre 2016.
– M.[R] n’a été nommé président de la société que fin 2017 et s’est contenté de recentrer la salariée sur le coeur de ses missions de directeur commercial dont elle s’était passablement éloignée . Il produit à cet égard le témoignage de M.[M] ex directeur financier et directeur général d’Exactech qui expose que Mme [O] a pu sous l’ancienne présidence, organiser son travail de façon très autonome à partir de son domicile et qu’à partir de la fin de l’année 2017 la nouvelle direction l’a réorientée avec difficulté sur les éléments fondamentaux de sa fonction, soit l’animation commerciale et la stratégie marketing.
– que c’est d’un commun accord des parties que la salariée a accepté de répondre aux mails pendant la période d’arrêt de travail. La société produit sur ce point une attestation de M.[R] (Pièce 10) , directeur général, qui déclare que c’est Mme [O] qui a proposé de poursuivre son activité pendant son absence pour rééducation fonctionnelle , que de plus elle l’a interrogé lors d’une réunion du 4 juin 2018 sur les raisons pour lesquelles elles n’avait pas reçu une proposition de type CSP dans le cadre d’un licenciement économique comme en bénéficient certains salariés affectés par le déménagement des locaux de la société de [Localité 6] et [Localité 3] à [Localité 4], alors qu’elle résidait à [Localité 7] et n’était pas touchée par cette réorganisation.
– qu’aucun comportement fautif ne peut être imputé à l’employeur , que le seul courriel du 5 juin 2018 traduisant l’exaspération du président ne saurait être assimilé, compte tenu de son caractère isolé, à un harcèlement moral, que du reste la salariée a convenu de ‘l’existence d’une bonne relation de travail de novembre 2017 à avril 2018″ dans un courriel en réponse du 6 juin 2018.’
– que la plupart des mails sont adressés à la salariée en semaine et en journée (pièce 22)
– que les témoignages de plusieurs salariés (Mme [Y], Mme [B], Mme [X]), décrivent M.[R] comme un manager à l’écoute de ses collaborateurs et soucieux de leur cadre de vie au travail ; que M.[A], directeur financier, évoque le désintérêt croissant de Mme [O] pour son travail, tous éléments qui démontrent un exercice normal du pouvoir de direction par l’employeur.
– qu’à aucun moment la salariée n’a été en arrêt de travail à l’exception du stage de rééducation fonctionnelle programmé de longue date pour une affection d’origine personnelle ; que les certificats médicaux de médecins généralistes n’établissent aucun lien de causalité entre l’activité professionnelle et l’état de santé de la salariée.
Sur ce,
La cour relève que l’absence d’arrêt de travail dont excipe l’employeur avant l’arrêt motivé par la rééducation fonctionnelle de la salariée du 21 mars 2018 au 17 avril 2018 est sans conséquence sur l’appréciation de la dégradation de l’état de santé dont justifie la salariée à compter de juin 2018. De même il ne saurait se déduire l’absence de toute difficulté d’une absence de signalement par la salariée d’agissement de harcèlement lors de l’entretien annuel du 15 décembre 2016.
Par ailleurs, outre l’absence de preuve établi de l’accord de la salariée pour poursuivre son activité au cours de son arrêt maladie, il appartenait à l’employeur qui était informé des mails tardifs de la salariée pendant cet arrêt de travail ainsi que pendant les weekends et jours de congés et jours fériés, de mettre un terme à ces débordements afin de garantir le droit au repos de la salariée.
Quant aux bonnes relations évoquées par la salariée entre novembre 2017 et avril 2018 dans un courriel adressé à l’employeur le 6 juin 2018, elles ne sont pas incompatibles avec l’altération décrite à compter de juin 2018. En outre , le recentrage de la salariée sur des tâches d’animation commerciale et de stratégie marketing, tel que rapporté par l’ancien directeur financier de la société Exactech , ne saurait légitimer les agissements reprochés à l’employeur tenant à ses propos blessants et discréditants sur l’attitude vestimentaire de la salariée, son ‘stage’ de rééducation fonctionnelle et son rythme de travail.
La cour constate par ailleurs que la sincérité des témoignages produits par l’employeur pour attester de la bonne ambiance au travail et des qualités d’écoute du président ou du comportement de Mme [O] est largement entamée par le courriel du 30 janvier 2019 de Mme [Y], responsable administrative de la société Exactech , (pièce 68) relayant les attentes de l’employeur et invitant les salariés qui ont connu Mme [O] à ‘témoigner si celle-ci a fait des confidences en disant privilégier sa vie de famille à sa vie professionnelle, de passer le plus de temps possible chez elle, de travailler aux moments qui l’arrangeaient ou toutes autres pratiques…De manière générale, il s’agit de témoigner de la bonne ambiance, des qualités d’écoute et de management et de l’incompréhension des accusations portées à l’encontre d'[W] [[R]].’
De surcroît, alors qu’une enquête a été diligentée pour violation du code de conduite par des responsables des ressources humaines et des affaires juridiques de la société mère américaine à compter de juin 2019 et que le président de la société Exactech France, M.[R] , a été démis de ses fonctions et remplacé dès le mois suivant, l’employeur n’évoque à aucun moment de ses conclusions de 47 pages le résultat des investigations. Il n’a pas davantage donné suite aux sommations qui lui ont été faites les 25 octobre et 5 novembre 2019 de communiquer le rapport d’enquête ou à tout le moins les éléments extraits de ces investigations internes ainsi que la lettre de notification de rupture du contrat de travail de M.[R], tous éléments qui étaient de nature à écarter la situation de harcèlement alléguée par la salariée, alors que les éléments produits par celle-ci en laissent supposer l’existence.
L’employeur ne s’explique aucunement sur le motif de ce défaut de production d’une pièce essentielle au débat, en considération du remplacement de M.[R] dans ses fonctions de président dès le mois de juillet 2019, au terme d’une enquête mise en oeuvre après des plaintes de salariés et alors même que la salariée établit avoir été entendue au cours d’enquête le 16 juin 2019.
Ce refus de communication d’une pièce essentielle compromet la loyauté des débats devant la cour.
La preuve n’est donc pas rapportée par l’employeur de l’exercice normal du pouvoir de direction dont il se prévaut.
Il résulte des développements qui précèdent que les explications fournies par l’employeur et les pièces produites par celui-ci ne prouvent pas que les agissements dont justifie la salariée ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il sera donc fait droit à la demande de résiliation du contrat de travail formée par la salariée, sur ce seul grief, par réformation du jugement. La résiliation produit ses effets à la date de notification du licenciement le 23 novembre 2018.
Le préjudice moral et matériel subi par la salariée du fait du harcèlement sur la période de mars à juin 2018 justifie la condamnation de l’employeur à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.
La salariée ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui qui est indemnisé au titre du harcèlement moral, et tenant à la poursuite partielle de son activité par le traitement de mails pendant son arrêt maladie du 21 mars au 17 avril 2018, fait pris en compte au titre des agissements de harcèlement. La salariée sera donc déboutée de sa demande indemnitaire à ce titre.
2)Sur la demande de rappel de salaire
-Sur le forfait jour annuel
Il résulte des dispositions de l’article L3121-39 du code du travail que la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l’année est prévue par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions.
L’article L3121-40 du code du travail dispose que la conclusion d’une convention individuelle de forfait requiert l’accord du salarié. La convention est établie par écrit.
Il est constant que la rémunération forfaitaire s’entend d’une rémunération convenue entre les parties au contrat de travail pour un nombre déterminé d’heures supplémentaires, soit pour une durée de travail supérieure à la durée légale, et que même si le principe en est posé par la convention collective, le paiement des heures supplémentaires selon un forfait ne peut résulter que d’un accord particulier entre l’employeur et le salarié.
Selon l’article L3121-64 du code du travail, l’accord collectif doit préciser :
1°Les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
2° Les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise ;
3° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l’article L. 2242-17.
Selon l’article L3121-65, l’employeur peut pallier les lacunes d’un accord collectif lorsque la convention individuelle de forfait en jours respecte les dispositions suivantes :
1° L’employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;
2° L’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
3° L’employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.
A défaut de stipulations conventionnelles prévues au 3° du II de l’article L. 3121-64, les modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion sont définies par l’employeur et communiquées par tout moyen aux salariés concernés.
Mme [O], initialement cadre dirigeant, a régularisé le 6 septembre 2016 un avenant à son contrat de travail comportant un forfait annuel jours et prévoyant une rémunération brute pour 218 jours de travail par an avec 10 jours de repos supplémentaires, adossé à un accord d’entreprise du 3 janvier 2002 et à son avenant du 1er mars 2002.
L’avenant au contrat de travail du 6 septembre 2016 prévoit en son article 6 des dispositions visant à assurer le suivi et le contrôle de la charge de travail de la salariée dans les termes suivants:
‘La société veille au suivi régulier de l’organisation du travail de la salariée, de sa charge de travail et de l’amplitude de ses journées de travail qui devront permettre à la salariée de concilier vie professionnelle avec vie privée. La salariée doit tenir informé son responsable hiérarchique des évènements ou éléments qui accroissent de façon inhabituelle ou anormale sa charge de travail. La Société met également à disposition de la salariée un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées et demi-journées travaillées qui devra être renseigné par la salariée. La société veille au suivi régulier de l’organisation du travail de la salariée, de sa charge de travail et de l’amplitude de ses journées de travail qui devront permettre à la salariée de concilier vie professionnelle avec vie privée(…). La société convoque au minimum une fois par an la salariée à un entretien individuel spécifique. Au cours de cet entretien sont notamment évoquées la charge de travail individuelle de la salariée, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie privée et la rémunération de la salariée. Un tel entretien peut également avoir lieu à l’initiative de la salariée en cas de difficulté inhabituelle. La salariée se conforme aux prescriptions relatives à l’exercice du droit à la déconnexion et à l’usage des outils numériques transmises par la société.’
Si l’employeur se prévaut de la mise en place d’un outil spécifique de planification et de suivi des journées travaillées et non travaillées mis à la disposition des salariés ; il ressort des débats que la salariée n’a pas bénéficié en 2017 de l’entretien annuel spécifique qu’il appartenait à l’employeur de mettre en place en application de l’article 6 de l’avenant au contrat de travail du 6 septembre 2016, au cours duquel devaient être évoquées la charge de travail, et l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie privée . Au surplus, il ne ressort pas du compte rendu d’entretien annuel du 15 décembre 2016 (pièce 56), que des échanges avec la salariée aient porté sur sa charge de travail et son adéquation avec sa vie privée.
Il s’en déduit que la convention de forfait est inopposable à la salariée. Il sera donc fait application des règles de droit commun relatives à la durée du travail.
-Sur la demande en rappel de salaire pour heures supplémentaires
L’article L 3171-4 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié . Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié au soutien de sa demande, le juge forme sa conviction, après avoir ordonné en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
La salariée sollicite le paiement d’heures supplémentaires effectuées depuis le 20 juillet 2015, sur la période de 3 ans précédant la saisine du conseil de prud’hommes le 18 juillet 2018. L’employeur objecte que la demande est irrecevable sur la période antérieure au 1er septembre 2016 au cours de laquelle Mme [O] bénéficiait du statut de cadre dirigeant.
Selon l’article L3111-2 du code du travail, sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.
Au cas d’espèce, Mme [O] a été engagée le 8 décembre 2013 en qualité de directrice marketing et produits. Son contrat de travail précise en son article 7 que la salariée doit s’acquitter de ses tâches conformément aux instructions données par le président de Exactech France. En vertu de la fiche de fonction correspondante, le directeur ‘marketing et produit’ rapporte directement au président pour recevoir les directives et lui rend compte de son activité.
Aucun élément produit par l’employeur ne démontre que Mme [O] participait à la direction de la société . De plus M.[P] , dont le contrat de travail est versé aux débats, a été recruté en 2017 par la société Exactech en qualité de directeur du business développement France moyennant un salaire brut supérieur à celui de Mme [O] selon un statut cadre et non de cadre dirigeant.
Ces éléments établissent que les conditions d’emploi de Mme [O] ne relevaient pas du statut de cadre dirigeant sur la période antérieure au 1er septembre 2016.
Mme [O] évalue à 1289,49 le nombre d’heures supplémentaires effectuées et non rémunérées depuis le 8 juillet 2015. Elle indique avoir toujours fait appel à une nourrice pour garder son enfant, de sorte que son travail en ‘home office’ était effectif nonobstant les remarques contraires de l’employeur. Elle ajoute que les temps de déplacements étaient importants et consacrés au travail , qu’il convient donc de les analyser en temps de travail effectif.
A l’appui de sa demande la salarié produit les éléments suivants:
– un tableau récapitulatif d’heures supplémentaires effectuées à compter du 18 juillet 2015 totalisant 1289,49 heures supplémentaires (64 à 66)
– des justificatifs de déplacement ( 6,7,54)
– un récapitulatif d’heures de déplacement (5 et 64)
– une attestation d’une nourrice employée à temps plein de juillet 2015 à avril 2019 et des relevés d’heures d’activité de nourrices entre octobre 2017 et juin 2018, des factures de halte garderie à compter de mars 2018
– deux attestations de son mari et de sa mère indiquant assurer la prise en charge de son enfant lors de ses déplacements ou en l’absence de la nourrice
– un agenda mentionnant ses jours de travail à domicile et jours de déplacements (5 à 7)
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à la société Exactech de fournir les éléments utiles à la détermination des heures de travail réellement accomplies par la salariée.
L’employeur s’oppose à la demande de rappel de salaire , faisant valoir:
– que la salariée travaillait principalement en ‘home office’ et bénéficiait d’une grande autonomie dans l’organisation de son travail ;
– que la salariée n’a pas décompté les temps de pause déjeuner à son domicile ;
– que les tableaux produits ne sont pas probants en ce qu’ils prennent en compte un temps de travail écoulé entre le 1er mail et le dernier de chaque journée de travail ;
– que les temps de déplacement ont diminué depuis le déplacement du siège de la société de [Localité 3] à [Localité 4] , étant précisé que la salariée est domiciliée à [Localité 7] ;
– que le temps de trajet est accompli pendant l’horaire de travail et ne peut donner lieu à contrepartie.
Sur ce
Selon l’article L. 3121-4 du code du travail, « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie sous forme de repos, soit financière. Cette contrepartie est déterminée par convention ou accord collectif de travail ou, à défaut, par décision unilatérale de l’employeur pris après consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel s’il en existe. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l’horaire de travail n’entraîne aucune perte de salaire. »
Au cas d’espèce l’analyse du tableau d’activité produit en pièce 64 par la salariée met en évidence que l’essentiel des déplacements a été effectué en semaine à des horaires correspondant aux heures de travail habituel, à l’exception de 8 retours tardifs en trois ans entre 21h et 22h30.
Aucun des éléments produits ne permet de démontrer que la salariée accomplissait un travail effectif au cours de ses déplacements, à défaut de corrélation claire entre les mails adressés de sa messagerie et les horaires de déplacement. Par suite , les temps de trajet ne peuvent s’analyser en temps de travail effectif et ne peuvent être pris en compte dans le décompte des heures supplémentaires établi par la salariée.
Quant au télétravail, le seul fait que la salariée ait travaillé à son domicile dans une grande autonomie ne saurait, ainsi que le soutient l’employeur, remettre en cause la réalité du travail effectif fourni sur l’ensemble des journées mentionnées sur le tableau récapitulatif précité (pièce 64). La cour relève toutefois l’absence de mention de pauses déjeuner lors de certaines journées de travail mentionnées sur le tableau récapitulatif d’activité, ainsi qu’un décompte des heures de travail établi sur la base de l’écart entre le premier courriel des journées de travail et le dernier, alors que les courriels traduisent une intervention ponctuelle autant que limitée sans pouvoir illustrer la continuité d’une action de travail jusqu’à l’heure de leur émission , et que les éléments produits ne permettent pas de vérifier les horaires de travail évoqués par Mme [O].
La cour a la conviction, au vu des pièces produites, que la salariée a accompli des heures supplémentaires qui n’ont pas été rémunérées. Toutefois les considérations susévoquées conduisent la cour à accueillir partiellement la demande formée par la salariée et à fixer à la somme de 4830,10 euros le rappel de salaire du à Mme [O] au titre des heures supplémentaires , outre 483 euros d’indemnité de congés payés correspondante.
– Sur la demande d’indemnités de trajet inhabituels
La salariée est fondée à solliciter une indemnisation en contrepartie de la sujétion résultant des déplacements inhabituels accomplis au cours de l’exécution du contrat de travail, dont le détail mentionné sur le tableau d’activité (pièce 64) n’est pas remis en cause par l’employeur. Il lui sera donc alloué à ce titre une contrepartie financière sous la forme d’une indemnité de 4300 euros à titre de d’indemnité.
3)Sur le travail dissimulé
L’article L. 8221-5 du Code du travail dispose qu’« est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur (..) de mentionner sur le bulletin de paie (.. ) un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli».
Toutefois, la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.
La cour estime que le caractère intentionnel de la dissimulation d’emploi ne peut se déduire du seul accomplissement d’heures supplémentaires par Mme [O] et que le défaut d’entretien annuel spécifique portant sur la charge de travail et son adéquation avec la vie privée alors que l’intéressée était soumise à une convention de forfait en jours ne permet pas de caractériser l’intention frauduleuse nécessaire à l’établissement du travail dissimulé. Mme [O] sera déboutée de sa demande en ce sens.
4)Sur l’obligation de sécurité
En vertu de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
En s’abstenant de convoquer la salariée à un entretien annuel visant à évaluer sa charge de travail et l’articulation avec sa vie privée, ainsi qu’en s’abtenant d’informer la salariée des modalités d’exercice de son droit à la déconnexion avec la mise en place de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale, l’employeur a manqué à l’obligation de sécurité.
Ce manquement a contribué à la détérioration de l’état de santé de la salariée caractérisé par les pièces médicales précédemment évoquées.
Il sera alloué à Madame [O] la somme de 3000 € en réparation du préjudice résultant du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Le jugement sera réformé de ce chef.
5)Sur les conséquences financières de la résiliation du contrat de travail
La résiliation du contrat de travail fondée sur le harcèlement moral produit les effets d’un licenciement nul.
En l’état de son ancienneté de 4 ans et 10 mois, et sur la base d’un salaire mensuel de référence de 7 860,16 euros établi sur la moyenne des 12 derniers mois travaillés majorés du rappel de salaire pour heures supplémentaires, la salariée est fondée à recevoir les sommes suivantes:
– 23 580,50 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
– 2 358,05 euros d’indemnité compensatrice de congés payés
Mme [O] a perçu une indemnité de licenciement de 8560 euros .En l’état d’une ancienneté de 5 ans et un mois, comprenant la période de préavis, elle est en droit de prétendre à une indemnité légale de licenciement s’établissant comme suit en application de l’article R1234-2 du code du travail:
– 1/4 de mois de salaire par année d’ancienneté, soit 7 860,16/4×5=9 825,20 euros
163,75 euros (un mois d’ancienneté), soit un total de 9 988,95 euros
Il est donc justifié d’allouer à la salariée un complément d’indemnité légale de licenciement de 1 428,95 euros.
La salariée était âgée de 36 ans lors de la rupture du contrat de travail , elle établit avoir perçu des allocations chômage d’octobre 2020 à septembre 2022. Le préjudice matériel et moral qu’elle subit du fait de la résiliation produisant les effets d’un licenciement nul, justifie la condamnation de la société Exactech à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts.
6)Sur le remboursement de frais professionnels
La salariée était en arrêt de travail pour maladie à compter du 13 juin 2018. Elle fonde sa demande de remboursement de frais professionnels sur la pièce 36 qui correspond au dossier médical. Cette demande insuffisamment documentée sera rejetée par confirmation du jugement.
Sur les demandes annexes
La SAS Exactech , partie principalement perdante, supportera les entiers dépens d’appel.
Mme [O] est en droit de réclamer l’indemnisation des frais non compris dans les dépens qu’elle a dû exposer à l’occasion de cette procédure. La SAS Exactech sera donc tenue de lui payer la somme complémentaire de 2500 euros en application des dispositions de l’article 700 al.1er 1° du code de procédure civile.
Le jugement entrepris est confirmé en ses dispositions concernant les frais et dépens de première instance.
La SAS Exactech est déboutée de sa demande formée au titre des frais et dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort
Infirme le jugement déféré sauf en ses dispositions ayant rejeté la demande relatives aux frais professionnels et au travail dissimulé et en celles concernant les frais et dépens de première instance
Statuant à nouveau
Ordonne la résiliation du contrat de travail à effet au le 23 novembre 2018
Dit qu’elle produit els effets d’un licenciement nul
Condamne la SAS Exactech France à payer à Mme [U] [O] :
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral
– 4 830,10 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires
– 483 euros à titre d’indemnité correspondante de congés payés
– 4 300 euros d’indemnité pour déplacements inhabituels
– 3 000 euros de dommages et intérêts au titre de l’obligation de sécurité
– 23 580,50 euros de dommages et intérêts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
– 2 358,05 euros à titre d’indemnité de congés payés correspondante
– 1 428,95 euros à titre de complément d’indemnité légale de licenciement
– 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résiliation du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement nul
– 2 500 euros au titre des frais irrépétibles d’appel
Rejette toute demande plus ample ou contraire des parties
Condamne la SAS Exactech aux entiers dépens d’appel
Le présent arrêt a été signé par S. BLUM”, présidente et C. DELVER, greffière.
LA GREFFI’RE LA PR”SIDENTE
C. DELVER S. BLUM”
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