Télétravail : 27 juin 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 22/03258

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Télétravail : 27 juin 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 22/03258
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27 juin 2023
Cour d’appel de Poitiers
RG n°
22/03258

ARRÊT N° 319-4

N° RG 22/03258

N° Portalis DBV5-V-B7G-GWQW

CABINET D’AVOCATS [T] [W]

Me [T] [W]

C/

[P]

CONSEIL DE L’ORDRE

DES AVOCATS DU BARREAU DE [Localité 2]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 27 JUIN 2023

Suivant recours formé par la SELARL CABINET D’AVOCAT [T] [W] à l’encontre d’une décision du 02 décembre 2022 rendue par Madame le Bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de SAINTES

APPELANTES :

S.E.L.A.R.L. CABINET D’AVOCATS [T] [W]

représentée par Maître [T] [W]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Jean- Christophe BOYER, avocat au barreau de PARIS

Intervenante volontaire :

Maître [T] [W]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Jean- Christophe BOYER, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

Maître [B] [P]

[Adresse 1]

[Localité 2]

ayant pour avocat Me Laurent DELVOLVÉ de l’AARPI DELVOLVÉ PONIATOWSKI SUAY ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS

étant précisé que Me [B] [P] a comparu en personne

et que son avocat n’était pas présent le jour de l’audience

CONSEIL DE L’ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE SAINTES

Palais de Justice

[Adresse 4]

[Localité 2]

non comparant ni représenté

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 04 mai 2023, en Chambre du conseil, devant la Cour en sa formation solennelle composée conformément à l’ordonnance de la Première Présidente de la Cour d’Appel de Poitiers en date du 30 mars 2023

de :

Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

Madame Anne VERRIER, Conseillère

Monsieur Philippe MAURY, Conseiller

Madame Estelle LAFOND, Conseillère

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lilian ROBELOT,

MINISTÈRE PUBLIC :

non comparant ni représenté étant précisé que le dossier lui a été régulièrement communiqué

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre et par Monsieur Lilian ROBELOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

EXPOSÉ :

La Selarl [T] [W] est avocat inscrite au barreau de Saintes.

Elle a conclu avec Maître [B] [P] un contrat de collaboration libérale à temps partiel sur quatre jours hebdomadaires, à compter du 29 novembre 2021 stipulant une rétrocession d’honoraires d’un montant mensuel de 5.400 euros TTC.

Elle a notifié le 22 juin 2022 à Maître [B] [P] sa décision de mettre fin au contrat à effet du 24 septembre 2022.

Par requête en date du 22 août 2022, Maître [B] [P] a saisi le bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Saintes à fin de conciliation et à défaut d’arbitrage, dans le litige l’opposant à la Selarl [T] [W] du chef de l’absence de règlement de sa rétrocession d’honoraires au titre du mois de juillet 2022 et de ses notes de frais des mois de juin et juillet 2022, ainsi que de la retenue annoncée comme devant être pratiquée sur sa rétrocession d’honoraires au titre du mois d’août motif pris du nombre excessif de jours de congés qu’elle aurait prétendument pris depuis le début de sa période de collaboration.

La bâtonnière de l’ordre des avocats au barreau de Saintes ayant vainement fixé plusieurs dates pour la conciliation, a adressé finalement adressé aux deux parties un avis de mise en place d’une procédure d’arbitrage avec calendrier de procédure fixant l’audience au 2 novembre 2022.

L’audience s’est, en définitive, tenue le 28 novembre 2022.

Maître [P] a maintenu ses demandes, la Selarl [T] [W] s’y est opposée et a reconventionnellement sollicité des dommages et intérêts.

Par décision d’arbitrage du 2 décembre 2022, la bâtonnière de l’ordre des avocats au barreau de Saintes a, au visa de l’article 7 dernier alinéa de la loi du 31 décembre 1971, des articles 142 et suivants du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 et des articles 14.6 et 14.4.2 du Règlement Intérieur National (RIN) de la profession d’avocat

* condamné maître [T] [W] et la Selarl [T] [W] à régler à Maître [B] [P] la somme de 12.638 euros au titre des impayés et des factures de rétrocession d’honoraires de juillet, août et septembre 2022 ainsi que des notes de frais de juin et juillet 2022

* condamné maître [T] [W] et la Selarl [T] [W] à régler à Maître [B] [P] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive

* condamné maître [T] [W] et la Selarl [T] [W] à régler à Maître [B] [P] la somme de 1.000 euros au titre du préjudice moral

* jugé que ces sommes porteraient intérêts de droit à compter de la décision à intervenir jusqu’au complet paiement

* condamné maître [T] [W] et la Selarl [T] [W] à régler à Maître [B] [P] 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

* condamné maître [T] [W] et la Selarl [T] [W] aux dépens comprenant les frais d’exécution de la décision à intervenir

* ordonné l’exécution provisoire de la décision.

Pour statuer ainsi, il a retenu, en substance,

-que n’ayant pas rompu le contrat de collaboration en application de l’article 14.4.1 alinéa 3 du RIN, la Selarl [T] [W] ne pouvait se prévaloir d’une quelconque faute pour ne pas régler la rétrocession d’honoraires pendant la période de préavis de trois mois

-qu’elle s’était obligée en notifiant la fin du contrat de collaboration à effet du 24 septembre 2022 à maintenir la rétrocession d’honoraires à sa collaboratrice jusqu’à cette date

-que le Conseil National des Barreaux a précisé que la rétrocession est due au collaborateur jusqu’à la fin du délai de préavis quand bien même il a retrouvé une autre collaboration avant la fin du délai de préavis

-que la somme de 5.400 euros versée par chèque le 18 juillet par la Selarl [T] [W] à Maître [B] [P] ne pouvait correspondre à la rétrocession des honoraires du mois de juillet, facturée seulement à la fin du mois, et correspondait manifestement au paiement de la rétrocession du mois de juin

-que la Selarl [T] [W] n’était pas fondée à prétendre opérer une retenue sur la rétrocession d’honoraires du mois d’août au motif que Maître [B] [P] aurait prétendument pris plus de congés qu’elle

ne le pouvait, alors qu’il est de l’essence même du contrat de collaboration

libéral que l’avocat collaborateur dispose d’une totale liberté dans l’organisation des conditions matérielles et temporelles de son travail et puisse se développer une clientèle personnelle ; que le versement de la rétrocession d’honoraires constituait une obligation à laquelle il ne pouvait être dérogé ; qu’il était loisible

à la Selarl [W] de rompre plus tôt la collaboration si elle n’approuvait pas les congés que prenait sa collaboratrice, ce dont elle ne prouvait au demeurant pas lui avoir jamais fait grief

-que la rétrocession était donc due, comme demandé, pour les mois de juillet, août et jusqu’au 24 septembre 2022

-que la Selarl [T] [W] reconnaissait être débitrice de 365 euros au titre des notes de frais

-que les demandes formulées par Maître [B] [P] étaient ainsi fondées

-que la résistance de la Selarl [T] [W] à honorer ses obligations avait été abusive et avait privé pendant plusieurs mois de ressources Maître [B] [P] , lui causant ainsi un préjudice matériel

-que le non-respect par la Selarl [T] [W] de ses obligations déontologiques avait causé un préjudice moral à Maître [B] [P].

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 22 décembre 2022, reçue au greffe de la cour d’appel le 23 décembre 2022, le conseil de la Selarl [T] [W] a formé appel contre cette décision d’arbitrage.

Le président de la première chambre civile à laquelle l’affaire a été attribuée a pris le 9 janvier 2023 une ordonnance, notifiée par le greffe à la Selarl [T] [W], à Maître [B] [P], au Procureur général près la cour d’appel de Poitiers, au conseil de l’Ordre du barreau de Saintes ainsi qu’au bâtonnier de ce barreau, fixant l’affaire à l’audience solennelle du jeudi 4 mai 2023 à 11h30, contenant calendrier de la procédure, rappelant que la cour statuerait après avoir invité le bâtonnier à présenter ses observations, et énonçant qu’elle valait convocation.

La Selarl [T] [W] et Maître [T] [W] ont transmis un mémoire aux termes duquel elles demandent à la cour de

* constater la rupture contractuelle à compter du 15 août 2022

* en conséquence, débouter Maître [B] [P] de sa demande en condamnation de la Selarl [T] [W] et de Maître [T] [W] au paiement de la étrocession d’honoraires du mois de septembre 2022

* donner acte à la Selarl [T] [W] et Maître [T] [W] qu’elles entendent verser le reliquat de la rétrocession d’honoraires due pour le mois de juillet 2022 soit la somme de 2.638,03 euros

* leur donner acte qu’elles entendent verser la somme de 2.700 euros au titre de la rétrocession d’honoraires due pour le mois d’août 2022

* débouter Maître [B] [P] de sa demande de condamnation solidaire de la Selarl [T] [W] et de Maître [T] [W] à lui payer 2.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive

* débouter Maître [B] [P] de sa demande de condamnation solidaire de la Selarl [T] [W] et de Maître [T] [W] à lui payer 2.000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral

* débouter Maître [B] [P] de sa demande de condamnation solidaire de la Selarl [T] [W] et de Maître [T] [W] à lui payer 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile

* condamner Maître [B] [P] à payer à la Selarl [T] [W] et à Maître [T] [W] la somme de 6.000 euros au titre des préjudices moraux et financiers subis

* condamner Maître [B] [P] à payer à la Selarl [T] [W] et à Maître [T] [W] 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

S’agissant de la rétrocession d’honoraires de juillet 2022, elles admettent être redevables de la somme de 2.638,03 euros correspondant à la partie qu’elles n’avaient pas réglée suite à des retenues de certains jours du mois de juillet où la collaboratrice n’avait pas réellement travaillé au cabinet de [Localité 2], en indiquant qu’elles continuent à considérer qu’elles étaient dans leur droit mais ne peuvent prouver leurs dires.

S’agissant de la rétrocession pour le mois d’août 2022, elles estiment que le comportement de Me [P], consistant à s’octroyer un nombre de congés hors de proportion avec son quota, et sans demander l’autorisation, les mettant systématiquement devant le fait accompli, est constitutif d’une faute justifiant que seule la moitié de la rétrocession d’honoraires due au titre du mois d’août lui soit versée, soit 2.700 euros. Elles exposent que c’est notamment cette attitude, ainsi que le défaut de respect des directives, qui fut précisément à l’origine de la rupture du contrat de collaboration.

S’agissant de la rétrocession pour le mois de septembre 2022, elles estiment n’être redevables d’aucune rétrocession en raison du véritable abandon de poste commis par la collaboratrice, qui s’octroya indûment quatre jours de congés et fut très peu présente au cabinet.

Elles réfutent toute résistance abusive, en indiquant que le cabinet s’est trouvé fortement désorganisé par le comportement et les absences imprévisibles de Me [P].

Elles récusent le préjudice moral invoqué en soutenant qu’il n’est aucunement établi.

Elles réitèrent leurs demandes, rejetées par la bâtonnière, de dommages et intérêts,

.pour préjudice moral, en indiquant que la collaboratrice a constamment manqué aux principes de délicatesse et de confraternité en prenant des congés ou en décidant d’oeuvrer en télétravail sans prévenir ni a fortiori sans validation, puis en abandonnant son poste en septembre

.pour préjudice financier, car ces absences ont désorganisé le cabinet, qui a dû exposer des frais pour assurer par des avocats postulant les audiences où la collaboratrice devait aller.

Maître [B] [P] a transmis un mémoire daté du 7 mars 2023 aux termes duquel elle demande à la cour de

* confirmer la décision d’arbitrage prononcée le 2 décembre 2022

Par conséquent :

* condamner solidairement la Selarl [T] [W] et Maître [T] [W] à lui payer

– la somme totale de 12.638 euros au titre des impayés et des factures de rétrocession d’honoraires de juillet, août et septembre 2022 ainsi que des notes de frais de juin et juillet 2022

– la somme de 2.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive

– celle de 2.000 euros en réparation du préjudice moral causé

* dire que ces sommes porteront intérêts de droit à compter du 22 août 2022, date de la saisine du bâtonnier, jusqu’à complet paiement

* condamner solidairement la Selarl [T] [W] et Maître [T] [W] à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l’application de l’article 700 du code de procédure civile en première instance

* condamner solidairement la Selarl [T] [W] et Maître [T] [W] à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l’application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel

* condamner solidairement la Selarl [T] [W] et Maître [T] [W] aux entiers dépens, comprenant les éventuels frais d’exécution de la décision à intervenir.

Elle relate l’attitude de la Selarl [W] à partir de la notification de la décision de rompre le contrat, en indiquant qu’elle aurait été fondée à ne plus travailler pour le cabinet dès le premier impayé, afférent au mois de juillet 2022, mais avoir continué toutefois à venir travailler normalement au cabinet, ne s’abstenant qu’un jour par semaine comme prévu par son contrat à temps partiel et pour prendre des congés.

Elle fustige l’attitude de Me [W], qui a fait échec à toute tentative de conciliation du bâtonnier, n’a pas exécuté la décision d’arbitrage assortie de l’exécution provisoire et ne lui a pas transmis son mémoire d’appel, dont elle a dû se procurer copie auprès de l’ordre des avocats.

Elle observe que ses notes de frais ne lui furent pas payées alors même qu’elles n’étaient et ne sont toujours pas contestées.

Elle prend acte de l’accord de la Selarl [T] [W] pour lui payer la rétrocession de juillet, après avoir pendant des mois prétendu l’avoir déjà fait alors qu’il s’agissait d’un mensonge manifeste.

Elle réfute le grief d’avoir pris trop de congés invoqué à l’appui de la retenue pratiquée pour la rétrocession d’août et du refus de toute rétrocession pour septembre, en indiquant avoir pris le nombre de jours de congés auquel le contrat lui ouvrait droit. Elle qualifie de totalement faux le décompte adverse des jours de congés prétendument pris.

Elle maintient que la résistance de sa cocontractante a bien été abusive, faisant échouer toute tentative de conciliation en se décommandant, parfois le jour même, au mépris de toute confraternité.

Elle justifie son préjudice moral par la privation de toute ressource financière durant l’été 2022 et par le ton inapproprié et les reproches injustes du dernier courrier du 17 août 2022

L’Ordre des avocats au barreau de Saintes a transmis un mémoire en date du 29 mars 2023, reçu au greffe de la cour le 31 mars 2013, concluant à la confirmation de la décision d’arbitrage, motif pris qu’il en approuvait la motivation et les termes.

Le Procureur général près la cour d’appel de Poitiers a transmis en date du 16 mars 2023 un avis aux termes duquel il indiquait s’en remettre à la prudence de la cour.

Le greffe a porté cet avis à la connaissance des parties par lettre recommandée avec demande d’avis de réception (AR signés des 17 et 20.03.2023)

À l’audience, tenue en chambre du conseil -ce à quoi les parties ont déclaré opiner- il a été constaté que l’affaire était en état d’être jugée ; procédé

à la lecture du rapport ; après quoi il a été pris acte que le bâtonnier de l’ordre

des avocats au barreau de Saintes, avisé et averti qu’il pourrait être entendu en ses observations, n’était pas présent.

Le parquet général n’était pas représenté.

Le conseil de l’Ordre du barreau de La Rochelle – Rochefort ne l’était pas non plus.

La Selarl [T] [W] était représentée par son conseil, Me [J] [M], auquel la cour a demandé si Me [T] [W], désignée aux côtés de la Selarl [T] [W] comme concluante dans le mémoire transmis, devait être regardée comme intervenante volontaire à l’instance puisque le recours avait été formé par la Selarl Cabinet d’avocats [T] [W], à quoi il a été indiqué que c’est la Selarl qui portait l’action et que Me [T] [W] était en effet intervenante volontaire devant la cour.

Maître [B] [P] a indiqué ne pas avoir d’opposition ni d’observations à faire valoir sur cette intervention volontaire de Me [T] [W].

Il sera pris acte de cette intervention volontaire.

Le conseil de la Selarl [T] [W] et de Me [T] [W] a soutenu son mémoire. Il a indiqué que le bâtonnier avait commis une erreur de droit en tenant comme acquis que la relation liant les parties ne pouvait être rompue pendant le préavis, ce qui constituerait une solution empruntant au droit social, alors que le contrat de collaboration n’est pas un contrat de travail et qu’en vertu du droit des contrats, il doit pouvoir y être mis fin à tout moment s’il ne peut être maintenu. Il déclare tenir à cet égard pour l’expression d’un simple point de vue, et non comme une décision faisant jurisprudence la décision du bâtonnier de Paris dont argue Me [P]. Il indique qu’en raison de l’absence d’entente minimale à partir du 15 août, la relation ne pouvait plus être maintenue après cette date.

Sur interrogation de la cour pour savoir qu’il existait une décision formelle de la part de la Selarl [T] [W] ou de Me [W] de mettre fin au contrat avant l’expiration du préavis, il a indiqué que même s’il ne le formalise pas c’est ce qu’exprime le courrier du 18 août.

Maître [B] [P] -qui a indiqué se défendre en personne parce que son conseil était indisponible- a soutenu son mémoire.

Elle a dit constater que les requérantes admettent aujourd’hui ne lui avoir pas payé les honoraires de juillet qu’elles affirmaient lui avoir réglés, mais sans pour autant lui avoir adressé un règlement pour ce montant désormais reconnu. Elle indique que de même, elles ne lui ont pas versé les frais qu’elles admettent devoir lui rembourser. Elle récuse les fautes qui lui sont imputées, indique que Me [W] a cessé de lui parler et de la payer à partir du mois de juillet, et soutient que la date du 15 août, qu’elle a découverte dans les écritures, ne correspond à rien.

La cour lui a demandé d’expliquer sa prétention à voir confirmer la décision d’arbitrage et ‘Par conséquent condamner solidairement la Selarl [T] [W] et Maître [T] [W] à lui payer la somme de 2.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive et celle de 2.000 euros en

réparation du préjudice moral causé’, alors que la décision les a condamnées à lui payer la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et celle de 1.000 euros au titre du préjudice moral.

Me [P] a indiqué qu’il s’agit bien là de ses demandes qu’elle reprend devant la cour, par voie d’appel incident.

Le conseil de la Selarl [T] [W] et de Me [T] [W] a indiqué que celles-ci l’avaient compris comme un appel incident et qu’elles l’acceptent comme tel.

À l’issue des débats, la décision a été mise en délibéré à ce jour.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Il est pris acte de l’intervention volontaire à l’instance de Me [T] [W].

Celle-ci, bien qu’elle ne soit pas personnellement partie au contrat de collaboration libérale conclu entre la Selarl [T] [W] et Me [B] [P], ne conteste pas en tant que telle sa condamnation par la bâtonnière aux côtés de la société, et reprend en cause d’appel les demandes que toutes deux formulent contre la collaboratrice.

* sur la rupture du contrat de collaboration

Le contrat de collaboration libérale conclu en date du 26 octobre 2021 est un contrat à temps partiel de quatre jours par semaine et à durée indéterminée.

Il prévoit une période d’essai de trois mois, du 29 novembre 2021 au 1er mars 2022, et une rétrocession d’honoraires de 4.500 euros HT soit 5.400 euros TTC.

Le contrat de collaboration stipule en son article 12 que sauf meilleur accord des parties, chaque partie peut y mettre fin en avisant l’autre au moins trois mois à l’avance, délai augmenté d’un mois par année au-delà de trois ans de présence révolus sans qu’il puisse excéder six mois.

Il prévoit que ces délais n’ont pas à être observés en cas de manquement grave flagrant aux règles professionnelles.

Ces stipulations sont la reproduction pure et simple de l’article 14.4.1. du Règlement Intérieur National (RIN) de la profession d’avocat.

La Selarl [T] [W] a notifié par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 22 juin 2022 à Me [B] [P] sa décision de mettre fin au contrat de collaboration en précisant que le délai de prévenance de trois mois prendrait fin le 24 septembre 2022.

Le principe de cette rupture n’est pas discuté entre les parties.

Le contrat prenait donc fin au 24 septembre 2022.

* sur les rétrocession d’honoraires due pendant la période de prévenance

Le contrat de collaboration s’appliquant jusqu’au 24 septembre 2022, la rétrocession d’honoraires convenue demeurait due jusqu’à cette date.

Les motifs énoncés par la Selarl [T] [W] dans sa lettre du 22 juin 2022 pour expliquer sa décision d’y mettre fin sont sans incidence sur ce constat.

S’agissant de la rétrocession d’honoraires au titre du mois de juillet 2022, premier des trois mois de prévenance, la Selarl [T] [W] et Me [W] ont au demeurant reconnu, et reconnaissent toujours, être tenues de la verser à Me [B] [P].

Elles affirmaient devant la bâtonnière de Saintes dans leur mémoire écrit que cette rétrocession lui avait ‘d’ores-et-déjà été payée le 15 juillet 2022 au moyen d’un chèque n°1345190’.

Cette affirmation, contestée par Me [P], se heurtait à cette évidence que la rétrocession des honoraires ne pouvait pas -hors l’hypothèse d’une avance dont il n’a jamais été question ni fait état- avoir été

payée le 15 du mois alors qu’elle a toujours fait l’objet de la part de l’avocat collaborateur d’une facturation en fin de mois ou dans les premiers jours du mois suivant, ainsi que les requérantes l’exposent elles-mêmes, et de fait, la facture établie à ce titre par Me [P] pour le mois de juillet 2022 est en date du 3 août 2022.

Devant la cour, la Selarl [T] [W] et Me [W] expliquent en définitive que le paiement de 5.400 euros du 15 juillet qu’elles opposaient à Me [P] et présentaient à la bâtonnière comme afférent à la rétrocession des honoraires du mois de juillet était en réalité, comme le soutenait Me [P], afférent à la rétrocession des honoraires de juin.

La Selarl [T] [W] indique avoir réglé le 9 septembre 2022 une somme de 2.761,97 euros à l’avocat collaborateur au titre de la rétrocession de juillet et convient rester débitrice du solde, pour 2.638,03 euros.

Me [P] n’a pas confirmé expressément avoir reçu ce versement partiel, dont il n’est pas justifié autrement que par un extrait de compte émis par la Selarl [T] [W] qui ne constitue pas la preuve d’un paiement effectif, de sorte que la condamnation prononcée par la bâtonnière à payer 5.400 euros sera confirmée sauf à dire qu’elle l’est en deniers ou quittances.

S’agissant de la rétrocession d’honoraires afférente au mois d’août 2022, deuxième du délai de prévenance, la Selarl [T] [W] a réglé à Me [P] une somme de 2.577 euros à laquelle elle prétend être en droit de limiter son paiement compte-tenu du nombre selon elle excessif de jours où sa collaboratrice n’avait pas travaillé.

Devant la cour, la Selarl [T] [W] et Me [W] demandent qu’il leur soit donné acte qu’elles entendent verser la somme de 2.700 euros au titre de la rétrocession d’honoraires due pour le mois d’août 2022, tout en maintenant dans le corps de leur mémoire toutes leurs contestations. Cette formulation ‘entendent verser’ n’exprime pas de reconnaissance de dette.

Me [P] sollicite la confirmation de la décision arbitrale qui lui a alloué à ce titre 2.823 euros TTC.

De la lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 13 août 2022 par laquelle Me [W] demandait à Me [P] de lui faire ‘parvenir une feuille de rétrocession modifiée pour le mois d’août 2022′, comme des explications formulées dans son mémoire devant la cour par la Selarl [T] [W], et des exemples, dates et décomptes qu’elle met en avant à l’appui de sa position sur ce point, il ressort clairement que c’est non pas au

titre, ou en tout cas au seul titre du mois d’août 2022 concerné par cette rétrocession d’honoraires -et qui n’était même pas accompli à moitié lorsque la missive a été adressée- mais sur l’ensemble de la période de janvier à août 2022 que la Selarl [T] [W] estimait que sa collaboratrice avait déjà pris trop de jours de congés.

Ce grief était déjà contenu dans la lettre du 22 juin 2022 notifiant sa décision de mettre fin au contrat, où figurait le reproche d”absences injustifiées’ et d”absences sans motif légitime’ ‘en sus de votre jour posé dans la semaine’.

Pour autant, la Selarl [T] [W] n’avait pas mis fin au contrat à effet immédiat, comme l’eût permis son article 12, qui reprenait l’article 14.4.1, alinéa 3 du Règlement Intérieur National (RIN) de la profession d’avocat et prévoyait la possibilité d’écarter la période de prévenance en cas de manquement grave flagrant aux règles professionnelles.

La rétrocession d’honoraires était due jusqu’à la fin du contrat de collaboration, durant toute la période de prévenance.

Les affirmations de la Selarl [T] [W] et de Me [W] mises en avant à l’appui de leur retenue ne reposent que sur des allégations formulées a posteriori.

Elles ont d’emblée et constamment été contestées à partir du moment où elles ont été formulées.

Il n’a été fourni aucune preuve ni indice de difficulté au titre des congés ou absences de Me [P] depuis la conclusion du contrat.

Les affirmations de la Selarl [T] [W] et Me [W] sont, au contraire, réfutées par les pièces et explications circonstanciées fournies par Me [B] [P], notamment dans son courrier du 29 août 2022 et son tableau (ses pièces n°12.1 et 12.2) ainsi que son mémoire, dont il ressort que celle-ci a effectivement travaillé pour le cabinet -prise de conclusions, réception de clients ou visioconférence avec le client, envoi de messages professionnels, présence effective à des audiences- la plupart des jours où il lui est reproché de ne pas avoir travaillé, étant ajouté qu’en vertu de son contrat, conclu à temps partiel pour quatre jours hebdomadaires, elle n’avait pas à travailler un jour par semaine, sur la détermination duquel il n’est pas justifié des manquements à la concertation invoqués, ni de la moindre doléance de sa part avant la rupture subitement notifiée le 13 août.

Ces affirmations sont également contredites par le témoignage circonstancié du premier clerc du cabinet (pièce n°15 bis de Me [P]), qui gérait la coordination des agendas de Me [W], essentiellement présente au cabinet secondaire parisien, et de ses collaboratrices.

Elles méconnaissent en outre, comme l’énonce à bon droit la décision arbitrale querellée, la nature du contrat de collaboration libérale, dans lequel l’avocat collaborateur organise librement ses conditions de travail et dispose de la possibilité effective de se constituer et de développer une clientèle personnelle.

Ainsi, la Selarl [T] [W] et Me [W] ne justifient pas du bien fondé de la retenue qu’elles ont pratiquée unilatéralement à leurs risques et périls, et elles ne pouvaient pour ce motif refuser de verser à Me [P] la rétrocession d’honoraires due au titre du mois d’août 2022, et qui était due selon l’article 9 du contrat pour chaque mois de l’année, y compris les cinq semaines de congé, rémunérées comme une période d’activité.

Devant la cour, tout en maintenant leur position dans le corps de leur mémoire, la Selarl [T] [W] et Me [W] demandent de leur donner acte qu’elles entendent verser la somme de 2.700 euros au titre de la rétrocession d’honoraires due pour le mois d’août 2022.

La décision d’arbitrage sera ainsi confirmée en ce qu’elle les a condamnées à verser à Me [B] [P] la somme de 2.823 euros TTC au titre du solde de la rétrocession d’honoraires afférente au mois d’août 2022.

S’agissant de la rétrocession d’honoraires afférente au mois de septembre 2022, il est constant qu’elle n’a pas été versée, alors que le contrat prenait fin au 24 septembre 2022.

La Selarl [T] [W] et Me [W] le justifient par un ‘abandon de poste’ et ‘un défaut d’exécution contractuelle’ de la part de Me [P] ‘de nature à rompre la période de préavis fixée jusqu’au 24 septembre 2022’.

Elles demandent à la cour de constater la rupture contractuelle à compter du 15 août 2022.

La Selarl [T] [W] n’a pas notifié à sa collaboratrice sa décision de prononcer ou constater une telle rupture.

Elles ne peuvent utilement prétendre comme l’a fait leur conseil à l’audience sur interrogation de la cour, que leur lettre du 13 août 2022 reçue le 18 août constituerait la prise d’acte de cette rupture au 15 août, alors que cette missive ne dit ni n’implique rien de tel et que les motifs de rupture, tirés de ces prétendus abandons de poste et défaut d’exécution contractuelle sont postérieurs puisque situés par elles au mois de septembre, en l’occurrence une absence du mercredi 7 au jeudi 8 et du lundi 12 au mardi 13 septembre.

Les jours d’absence en septembre dont la Selarl [T] [W] et Me [W] prétendent tirer argument lui avaient été notifiés par Me [P] à l’avance, dans son courrier recommandé avec demande d’avis de réception du 29 août 2022 comme correspondant le 7 septembre à son jour ‘off’ hebdomadaire, le 12 à un jour de congé et le 13 au jour ‘off’ , sans qu’elles ne justifient, ni ne fassent état, d’une opposition exprimée en retour.

Au vu des éléments et décompte fournis, ces absences étaient conformes au contrat qui continuait de s’appliquer, et elles ne revêtaient aucun caractère fautif.

La Selarl [T] [W] et Me [W] ne rapportent pour le surplus ni preuve, ni indice, des abandons de poste et défaut d’exécution contractuelle qu’elles imputent à Me [P].

Elles seront déboutées de leur prétention tendant à voir constater la rupture contractuelle à compter du 15 août 2022, comme d’ailleurs à toute autre date que le 24 septembre.

Elles sont débitrices de la rétrocession d’honoraires calculée au prorata temporis compte-tenu de la cessation de la relation contractuelle le 24 du mois.

La décision arbitrale sera ainsi également confirmée en ce qu’elle a condamné la Selarl [T] [W] et Me [W] à payer 4.050 euros TTC à Me [P].

* sur le remboursement des frais

Il n’existe pas en cause d’appel de discussion sur l’obligation de la Selarl [T] [W] et Me [W] de rembourser à Me [P] le montant des deux notes de frais que celle-ci a établies pour 233 euros au titre de juin 2022 et pour 132 euros au titre du mois de juillet, soit une somme totale de 365 euros dont elles se reconnaissent redevables, sans au demeurant l’avoir réglée, encore au jour de l’audience tenue par la cour, ainsi qu’il a été constaté.

La décision arbitrale sera confirmée en ce qu’elle a condamné la Selarl [T] [W] et Me [W] à payer cette somme à Me [P].

* sur la demande de dommages et intérêts formulée par Me [P]

La Selarl [T] [W] et Me [W] ont retenu durant plusieurs mois le paiement d’une rétrocession d’honoraires qui constituait une partie substantielle des ressources de leur collaboratrice, dont elles affirment sans en justifier qu’elle percevait par ailleurs les fruits de sa clientèle personnelle.

Elles ne les ont pas versées lorsqu’elles ont annoncé se résoudre à le faire.

La privation de ces ressources substantielles pendant plusieurs mois a causé à Me [P] un préjudice matériel que réparera l’allocation d’une somme de 2.000 euros.

Elle s’est accompagnée de griefs infondés, mettant en cause ses qualités professionnelles et humaines, lui causant ainsi en cela un préjudice moral, distinct, qui sera réparé par l’allocation d’une somme de 2.000 euros.

La décision arbitrale sera réformée sur ces montants alloués.

Ces sommes étant allouées à titre indemnitaire, et évaluée au jour où la cour statue, il n’y a pas lieu de les assortir d’intérêts moratoires à compter d’une date antérieure.

* sur la demande de dommages et intérêts de la Selarl [T] [W] et Me [W]

La Selarl [T] [W] et Me [W] imputent sans les établir aucunement à Me [P] des manquements à la délicatesse et à la confraternité là encore fondés sur ces griefs de congés excessifs et indus dont il a été dit qu’ils n’étaient pas établis.

Elles invoquent un préjudice de désorganisation du cabinet dont, pas plus qu’en première instance, la réalité ni l’imputabilité à Me [P] ne sont démontrées.

Elles ont été déboutées à raison de ces demandes indemnitaires.

* sur les dépens et l’indemnité de procédure

La décision d’arbitrage a alloué à bon droit une indemnité à Me [P] au titre de ses frais irrépétibles. Son montant est adapté.

Devant la cour, la Selarl [T] [W] et Me [W] succombent en leur recours et supporteront les dépens d’appel.

Elles verseront une indemnité de procédure à Me [P] pour la couvrir des frais irrépétibles qu’elle a dû exposer devant la cour.

PAR CES MOTIFS :

DONNE ACTE à Me [T] [W] de son intervention volontaire à l’instance d’appel

DÉBOUTE la Selarl [T] [W] et Me [T] [W] de leur prétention à voir constater la rupture contractuelle à compter du 15 août 2022

CONFIRME la décision arbitrale entreprise, rendue le 2 décembre 2022 par la bâtonnière de l’ordre des avocats au barreau de Saintes, sauf à dire que la condamnation prononcée l’est en deniers ou quittances et sauf quant au montant des dommages et intérêts alloués à Me [P]

statuant à nouveau de ce chef réformé :

CONDAMNE la Selarl [T] [W] et Me [T] [W] à payer à Me [B] [P]

* 2.000 euros en réparation de son préjudice matériel

* 2.000 euros en réparation de son préjudice moral

REJETTE toutes demandes autres ou contraires

CONDAMNE in solidum la Selarl [T] [W] et Me [T] [W] aux dépens d’appel

CONDAMNE in solidum la Selarl [T] [W] et Me [T] [W] à payer à Me [B] [P] la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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