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23 mars 2023
Cour d’appel de Dijon
RG n°
21/00377
RUL/CH
[W] [O]
C/
[P] [O], entrepreneur individuel exerçant sous le nom ENTREPRISE DE NETTOYAGE [P] [O]
Entreprise [P] [O]
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 23 MARS 2023
MINUTE N°
N° RG 21/00377 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FWLM
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de MACON, décision attaquée en date du 16 Avril 2021, enregistrée sous le n° F 19/00094
APPELANTE :
[W] [O]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Georges BUISSON de la SELARL CABINET COTESSAT-BUISSON, avocat au barreau de MACON/CHAROLLES
INTIMÉS :
[P] [O], entrepreneur individuel exerçant sous le nom ENTREPRISE DE NETTOYAGE [P] [O]
Entreprise de nettoyage [P] [O]
[Adresse 4]
[Localité 5]
représenté par Me Isabelle QUOIZOLA, avocat au barreau de MACON/CHAROLLES, et Me Daniel ARTAUD, avocat au barreau de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE
Entreprise [P] [O]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Isabelle QUOIZOLA, avocat au barreau de MACON/CHAROLLES
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Février 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [W] [X] épouse [O] (ci-après Mme [O]) a été embauchée sans contrat de travail écrit par l’entreprise [P] [O] en qualité d’employée administrative à temps partiel à compter du 18 novembre 2003.
Le 29 mai 2019, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 7 juin suivant.
Le 15 juin 2019, elle a été licenciée pour faute grave.
Par requête du 28 juin 2019, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Mâcon afin de contester son licenciement et faire condamner l’employeur aux indemnités afférentes, outre un rappel de salaire et des dommages-intérêts pour non paiement du salaire, exécution déloyale du contrat de travail et au titre des circonstances brusques et vexatoires de la rupture.
Par jugement du 16 février 2021, le conseil de prud’hommes de Mâcon a jugé que Mme [O] exerçait son activité à temps partiel, requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, condamné la société [O] à lui payer diverses sommes à titre de rappel de salaire pour la période du 3 mai 2019 au 15 juin 2019, d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d’indemnité légale de licenciement et rejeté les autres demandes de la salariée.
Par déclaration formée le 17 mai 2021, Mme [O] a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières écritures du 15 novembre 2021, l’appelante demande de :
– réformer le jugement déféré,
– juger que le contrat de travail à temps partiel est à temps complet,
– condamner la société [O] à lui verser les sommes suivantes :
* 11 800,24 euros bruts à titre de rappel de salaire, outre 1 180 euros bruts au titre des congés payés afférents,
* 9 865,80 euros nets à titre d’indemnité pour travail dissimulé,
– juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société [O] à lui verser les sommes suivantes :
* 2 302,02 euros bruts à titre de paiement des salaires du 3 mai 2019 au 15 juin 2019, outre 230,20 euros bruts au titre des congés payés afférents.
* 2 633,04 euros bruts à titre d’indemnité conventionnelle de préavis, outre 264,30 euros bruts au titre des congés payés afférent,
* 3 836,70 euros nets à titre d°indemnité conventionnelle de licenciement,
le tout avec intérêts légaux à compter de la date de saisine prud’homale,
* 21 375,90 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1 500 euros nets à titre de dommages-intérêts pour non-paiement du salaire,
* 10 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail,
* 10 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour circonstances brusques et vexatoires de la rupture,
– condamner la société [O] à lui remettre les bulletins de salaires, attestation Pôle Emploi et certificat de travail rectifiés conformément au jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé un délai de 10 jours à compter du prononcé du jugement,
– juger que la Cour se réserve le droit de liquider l’astreinte,
– débouter la société [O] de l’intégralité de ses demandes, notamment la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,
– condamner la société [O] à lui verser la somme de 3 000 euros nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières écritures du 21 octobre 2022, la société [O] demande de :
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit que Mme [O] exerçait une activité à temps partiel,
– l’infirmer en ce qu’il a :
* requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse avec toutes ses conséquences de droit : rappel de salaire, indemnité compensatrice de préavis, congés payés, indemnité légale de licenciement,
* condamné la société [O] à lui verser la somme de 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* mis la totalité des dépens à la charge de la société [O] ainsi que les frais d’huissier en cas d’exécution forcée par voie extra judiciaire,
* débouté la société [O] de ses demandes reconventionnelles,
– dire que le licenciement est fondé sur une faute grave,
– débouter Mme [O] de toutes ses demandes liées à son licenciement,
– la condamner à lui payer les sommes suivantes :
* 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, vexatoire et humiliante sur le fondement de l’article 1240 du code civil,
* 2 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamner aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel.
Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I – Sur la requalification du contrat de travail :
L’article L.3123-6 du code du travail dispose que le contrat de travail à temps partiel doit être écrit et comporter les mentions obligatoires suivantes : qualification, éléments de la rémunération, durée du travail et sa répartition entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, conditions de la modification de cette répartition, modalités de communication des horaires de travail au salarié et limites d’accomplissement des heures complémentaires.
A défaut, le contrat est présumé conclu à temps complet, présomption simple que l’employeur peut combattre en apportant la preuve contraire.
En l’espèce, Mme [O] soutient que dans la mesure où son contrat de travail à durée indéterminée était un contrat oral, il est présumé à temps complet.
Elle ajoute qu’elle travaillait en fonction des besoins de l’entreprise et devait s’y adapter, de sorte qu’elle s’est trouvée être à la disposition permanente de l’employeur, ce d’autant qu’elle travaillait à domicile.
Elle sollicite en conséquence un rappel de salaire sur la période du 28 juin 2016 au 28 juin 2019, tenant compte du délai de prescription applicable, calculé sur la base d’un salaire de base en équivalent temps plein s’élevant à 1 644,30 euros bruts et d’un déjà perçu établi sur la base d’une durée mensuelle de travail de 120 heures, soit la somme de 11 800,24 euros bruts, outre 1 180 euros bruts au titre des congés payés afférents (pièces n° 1, 14, 15 et 16).
L’employeur demande la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a jugé que la salariée exerçait son activité à temps partiel aux motifs que :
– la Cour de cassation reconnaît l’impossibilité d’un écrit lorsque les circonstances le justifient, ce qui est le cas en l’espèce du fait du lien matrimonial entre les parties,
– plusieurs éléments attestent que la salariée travaillait à temps partiel, en particulier :
* les bulletins de salaire font état d’une durée de travail de 120 heures mensuelles,
* la “fiche salarié” établie le 26 juin 2018 par Mme [O] elle-même indique qu’elle réalise 27,69 heures hebdomadaires réparties sur 3 jours (pièce n° 8),
* dans ses courriers, Mme [O] reconnaît l’existence de son temps partiel outre ses horaires sans contrainte puisque le 17 mai 2019 elle explique s’être présentée à son poste de travail les 10, 13 et 15 mai, c’est-à-dire les 3 jours (lundi, mercredi, vendredi) où elle travaillait à temps partiel (pièce n° 10),
* elle a déclaré à l’huissier de justice qu’elle a mandaté (pièce n° 17) «qu’elle se rend trois fois par semaine à cette adresse (domicile conjugal) pour effectuer des travaux de comptabilité et de paie de l’entreprise de nettoyage de son époux Monsieur [P] [O], chez lequel elle est salariée » (pièce n° 17),
* dans le cahier de liaison, il est indiqué à la date du 10 août 2017 que “à partir de la semaine 35 je viendrai à [Localité 6] les mardis, jeudis et vendredis” et à la date du 31 août 2018 il est noté que “à partir de la semaine prochaine, je viendrai à [Localité 6] les mardis, mercredis et vendredis” (pièce n° 7),
* dans un courrier du 11 avril 2019 elle indique que “aucun horaire de travail n’était prévu, il était convenu que j’avais une totale liberté dans l’organisation de mon temps de travail “,
et conclut que c’est la salariée qui fixait ses jours et horaires de travail, qu’elle prévoyait donc elle-même son rythme de travail et, contrairement à ce qu’elle affirme, elle n’était pas constamment à disposition de son employeur.
A cet égard, au-delà du fait que l’employeur procède par voie d’affirmation s’agissant du fait que la “fiche salarié” produite aurait été établie par Mme [O] elle-même, ce document daté du 26 juin 2018 n’étant pas signé et son auteur non identifié, la cour relève :
– d’une part que si l’entreprise [O] produit différentes pièces ou tire argument de l’examen des pièces adverses pour démontrer que la salariée travaillait seulement trois jours par semaine, cet état de fait, au demeurant non contesté, ne démontre aucunement qu’elle était à temps partiel, seulement qu’elle bénéficiait d’un aménagement de son temps de travail sur trois jours, ce qui n’est aucunement exclusif d’un temps complet,
– d’autre part que la mention de 120 heures mensuelles sur les bulletins de paye produits ne suffit pas à établir la réalité du temps partiel allégué, au demeurant contesté par la salariée,
– enfin que dans ce que l’employeur présente comme un “cahier de liaison”, en fait une simple feuille volante manuscrite dont l’auteur n’est pas identifié, les mentions qui y figurent ne sont pas celles qu’il revendique et celles qui y sont présentes ne sont pas de nature à établir que c’est la salariée qui fixait ses jours et horaires de travail.
Dès lors, en l’absence notamment de relevé d’horaires ou de pointage ou de tout autre élément permettant de déterminer la durée de travail de Mme [O], la cour considère que l’employeur ne justifie d’aucun élément de nature à démontrer en quoi la salariée n’était pas dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler ni qu’elle n’avait pas à se tenir constamment à sa disposition, l’affirmation par la salariée que “aucun horaire de travail n’était prévu, il était convenu que j’avais une totale liberté dans l’organisation de mon temps de travail” (pièce n° 4) ne concernant que ce qui était convenu lors de son embauche mais n’établit pas ce qui a prévalu durant l’exécution du contrat de travail.
Il échoue donc à renverser la présomption de travail à temps complet.
En conséquence, compte tenu des bulletins de paye produits (pièces n° 1, 14, 15 et 16), il sera alloué à Mme [O] la somme de 11 800,24 euros à titre du rappel de salaire sur la période du 28 juin 2016 au 28 juin 2019, outre 1 1802 euros au titre des congés payés afférents, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.
II – Sur le bien fondé du licenciement :
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
Il appartient à l’employeur de rapporter la preuve de la faute grave commise par le salarié.
Il est constant que lorsque les juges considèrent que les faits invoqués par l’employeur ne caractérisent pas une faute grave, ils doivent rechercher si ces faits n’en constituent pas moins une cause réelle et sérieuse de licenciement.
En l’espèce, il est fait reproche à la salariée dans la lettre de licenciement du 15 juin 2019 que ” depuis le 03 mai 2019 vous ne vous êtes pas présentée sur votre lieu de travail, au siège social de l’entreprise, alors que celui-ci vous a été indiqué par un courrier recommandé du 22 mars 2019, confirmé par un autre courrier du 19 avril 2019 […].”
L’employeur indique à cet égard que la salariée exerçait ses fonctions à son domicile situé à [Localité 6] (69) mais qu’en 2016, concomitamment à la séparation du couple, l’entreprise a transféré son siège dans des nouveaux locaux situés à [Localité 5] (69).
Le 22 mars 2019, il a avisé la salariée qu’à compter du 3 mai 2019 elle devrait travailler au siège de l’entreprise avec le même poste et la même rétribution, ce qui caractérise une modification du seul lieu de travail dans un même secteur géographique, [Localité 6] étant situé à 22km de [Localité 5].
Mme [X] aurait néanmoins décidé de son propre chef de continuer de travailler à domicile, y compris depuis son nouveau domicile à [Localité 3] (71) et ce malgré une relance le 19 avril 2019 et une mise en demeure le 7 mai suivant, se trouvant de fait en absence injustifiée à compter du 3 mai 2019.
Il ajoute que cet abandon de poste a particulièrement désorganisé l’entreprise puisqu’elle était chargée d’établir les bulletins de paie des salariés, la déclaration de TVA et la tenue de la comptabilité, ce qui l’a obligée à faire appel, en urgence, au cabinet comptable de l’entreprise afin de régulariser la situation et établir la comptabilité, ce qui a généré une facturation supplémentaire pour un montant de 1 697 euros (pièce n° 11).
Mme [O] oppose que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse pour les raisons suivantes :
– la lettre de licenciement n’est pas valablement motivée et elle démontre avoir travaillé de son domicile les 17 et 18 juin 2019 alors que l’employeur affirme l’inverse dans la lettre de licenciement,
– le point précis de la modification du contrat et/ou le changement de lieu de travail n’est pas mentionné dans la lettre et s’étant rendue sur son lieu de travail à [Localité 6], le motif de licenciement est inexistant,
– il ne peut lui être valablement reproché de ne pas s’être présentée sur le nouveau lieu de travail à compter du 3 mai 2019 dès lors qu’elle a expressément refusé cette modification dès le 11 avril 2019, l’employeur devant dès lors maintenir les conditions de travail antérieures et ce jusqu’au licenciement,
– son mode d’organisation du travail doit s’analyser en du télétravail or lorsque les parties sont convenues d’une exécution de tout ou partie du travail par le salarié à son domicile, l’employeur ne peut pas modifier cette organisation contractuelle du travail sans l’accord du salarié,
– la modification du lieu de travail est abusive et uniquement motivée par la situation personnelle des époux [O] et la procédure de divorce en cours et aucunement par une prétendue nécessité d’organisation de l’entreprise telle qu’invoquée par l’employeur.
a – Sur la motivation de la lettre de licenciement :
L’article L1232-6 du code du travail, dans sa version applicable au moment de la rupture, dispose que “lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur […]”.
En l’espèce, la lettre de licenciement du 15 juin 2019 fait mention, au titre d’un agissement constitutif d’une faute grave, du fait que “depuis le 03 mai 2019 vous ne vous êtes pas présentée sur votre lieu de travail, au siège social de l’entreprise, alors que celui-ci vous a été indiqué par un courrier recommandé du 22 mars 2019, confirmé par un autre courrier du 19 avril 2019 […].”
Dès lors que le grief reproché à la salariée est précis et explicite (absence injustifiée depuis le 3 mai 2019 par refus d’exécuter la prestation de travail au siège de l’entreprise), et peu important que le point précis de la modification du contrat et/ou le changement de lieu de travail ne soit pas mentionné, le moyen tiré de l’insuffisance de motivation n’est pas fondé et sera en conséquence écarté.
b – Sur le bien fondé de la faute grave :
Au titre de la preuve des griefs allégués, l’employeur produit les éléments suivants :
– un justificatif de transfert du siège de l’entreprise du 21 août 2019 (pièce n° 1),
– un mandat de vente du domicile conjugal à [Localité 6] daté du 20 juin 2017 et son avenant du 19 juin 2018 (pièce n° 2),
– un courrier électronique du cabinet comptable Européenne de Conseil du 13 octobre 2021 portant facturation des prestations effectuées à la place de Mme [O] (pièce n° 11).
Il est constant qu’en l’absence de clause de mobilité ou si le contrat de travail ne fixe pas précisément le lieu de travail, l’employeur ne peut imposer au salarié un changement de son lieu de travail que s’il se situe dans le même secteur géographique. À défaut, il doit recueillir l’accord exprès de celui-ci.
En l’espèce, en l’absence de contrat écrit, aucun lieu de travail n’a été déterminé par les parties et il ressort des écritures de celles-ci que jusqu’au 3 mai 2019, Mme [O] a travaillé depuis le domicile du couple à [Localité 6].
Par ailleurs, le 22 mars 2019, l’employeur a notifié à la salariée qu’à compter du 2 mai suivant le nouveau siège de la société s’établira à [Localité 2] afin de “simplifier et améliorer la communication entre les services”, transfert dont il justifie de la réalité.
Néanmoins, la cour relève qu’en faisant explicitement référence à la nécessité de “simplifier et améliorer la communication entre les services” pour justifier du fait que Mme [O] travaille désormais au siège de la société et non depuis son domicile, l’employeur entendait en réalité modifier non pas le lieu géographique d’exercice du travail de la salariée mais son mode de travail, à savoir le télétravail.
Sur ce point, l’article L1222-9 du code du travail modifié par ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 prévoit que “Sans préjudice de l’application, s’il y a lieu, des dispositions du présent code protégeant les travailleurs à domicile, le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication.
Le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social économique, s’il existe.
En l’absence de charte ou d’accord collectif, lorsque le salarié et l’employeur conviennent de recourir de manière occasionnelle au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen.
Est qualifié de télétravailleur au sens de la présente section tout salarié de l’entreprise qui effectue, soit dès l’embauche, soit ultérieurement, du télétravail tel que défini au premier alinéa.
Le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise, notamment en ce qui concerne l’accès aux informations syndicales, la participation aux élections professionnelles et l’accès à la formation.
L’employeur qui refuse d’accorder le bénéfice du télétravail à un salarié qui occupe un poste éligible à un mode d’organisation en télétravail dans les conditions prévues par accord collectif ou, à défaut, par la charte, doit motiver sa réponse.
Le refus d’accepter un poste de télétravailleur n’est pas un motif de rupture du contrat de travail.
L’accord collectif applicable ou, à défaut, la charte élaborée par l’employeur précise :
1° Les conditions de passage en télétravail et les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail ;
2° Les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en ‘uvre du télétravail ;
3° Les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ;
4° La détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail.
L’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail, au sens des dispositions de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale”.
Par ailleurs, conformément à l’article 40-VII de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, pour les salariés dont le contrat de travail conclu antérieurement à ladite ordonnance contient des stipulations relatives au télétravail, sauf refus du salarié, les stipulations et dispositions de l’accord ou de la charte mentionnés au présent article, issu de ladite ordonnance, se substituent, s’il y a lieu, aux clauses du contrat contraires ou incompatibles.
Le salarié fait connaître son refus à l’employeur dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle l’accord ou la charte a été communiqué dans l’entreprise.
En l’espèce, faute de contrat écrit, aucune stipulation ne régit les conditions d’exercice de son contrat de travail par Mme [O] mais il ressort de leurs écritures respectives que le télétravail était, jusqu’au 3 mai 2019, le mode d’exercice retenu conjointement.
Dans ces conditions, l’employeur ne saurait, sous couvert d’un transfert du siège social de l’entreprise aux fins de “simplifier et améliorer la communication entre les services”, ce dont il ne justifie d’ailleurs aucunement alors même que l’exercice par Mme [O] de son activité sous la forme du télétravail est effective depuis de nombreuses années sans qu’il soit fait état ni démontré une quelconque difficulté de “communication entre les services”, modifier une condition essentielle d’exécution du contrat de travail du salarié en télétravail en mettant fin à celui-ci.
L’ancienneté de ce mode d’organisation du travail, et le fait qu’il a persisté pendant encore trois ans entre le déménagement de l’entreprise en 2016 et la décision de celle-ci d’imposer à la salariée de travailler au siège en 2019, démontrent en outre que les parties n’ont aucunement décidé que la situation de télétravail n’était qu’occasionnelle et en l’absence de contrat de travail écrit, aucune clause ne définit qu’elle pourra être revue.
Enfin, l’employeur n’allègue pas de l’existence d’un accord collectif ou d’une charte applicable dans l’entreprise pour organiser la fin du télétravail.
Dès lors, peu important :
– d’une part que la salariée n’ait en réalité plus accès à son ancien domicile du fait de sa mise en vente consécutivement au divorce des époux puisque la modification du contrat oral de travail ne porte pas tant sur le lieu d’où s’exerce le télétravail que sur le télétravail lui-même,
– d’autre part qu’elle procède par voie d’affirmation s’agissant du fait que son changement de lieu de travail, et donc son licenciement, serait motivé par des considérations personnelles liées au divorce,
– enfin que le transfert du lieu de travail initial de [Localité 6] à [Localité 2], soit une distance de 20,5 km selon le site en ligne MAPPY, ne constitue pas un changement en dehors du secteur géographique d’origine dont la mise en oeuvre nécessite l’accord du salarié concerné,
le licenciement fondé sur le refus légitime par la salariée de mettre fin au télétravail permanent pour dorénavant exercer son activité au siège de l’entreprise ne saurait caractériser une faute grave alléguée et ne constitue pas plus une cause réelle et sérieuse, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.
A ce titre, Mme [O] sollicite les sommes suivantes :
– 2 302,02 euros bruts à titre de rappel de salaire du 3 mai au 15 juin 2019, outre 230,20 euros bruts au titre des congés payés afférents,
– 2 633,04 euros bruts à titre d’indemnité conventionnelle de préavis, outre 264,30 euros bruts au titre des congés payés afférent,
– 3 836,70 euros nets à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 21 375,90 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 1 500 euros nets à titre de dommages-intérêts pour non-paiement du salaire,
– 10 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail,
– 10 000 euros nets à titre de dommages-intérêts au titre des circonstances brusques et vexatoires de la rupture.
L’employeur conclut au rejet de ces demandes.
Compte tenu des pièces produites et de la requalification de la relation de travail en temps complet, il sera alloué à Mme [O] les sommes suivantes :
– 2 197,69 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 3 mai au 15 juin 2019, outre 219,77 euros au titre des congés payés afférents, le jugement déféré étant partiellement infirmé sur ce point,
En revanche, s’agissant de la demande de dommages-intérêts pour non paiement du salaire, la cour rappelle qu’il ne peut y avoir de réparation sans preuve du préjudice subi, l’existence et l’évaluation de celui-ci relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond sur la base des justificatifs produits aux débats.
En l’espèce, Mme [O] ne justifie d’aucun élément de nature à établir la réalité d’un préjudice distinct non indemnisé au titre du rappel de salaire. La demande à ce titre sera donc rejetée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
– 2 633,04 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis tel qu’expressément demandé, outre 263,30 euros au titre des congés payés afférents, le jugement déféré étant confirmé sur ce point,
– 3 662,82 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, conformément à l’article 4.11.3 de la convention collective des entreprises de propreté et services associés, le jugement déféré étant partiellement infirmé sur ce point,
– 9 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.
En revanche,
– s’agissant de la demande de dommages-intérêts au titre des “circonstances brusques et vexatoires de la rupture”, la salariée allègue d’une volonté de vexation et d’humiliation de la part de l’employeur, sans plus de précision, sur la base d’un échange de correspondances des 5 et 9 juillet 2019 (pièces n° 21 et 22) dont les termes sont néanmoins courtois et se bornent à mettre en oeuvre les conséquences de la rupture (documents de fin de contrat, restitution d’un véhicule).
Ces éléments ne caractérisant pas les “circonstances brusques et vexatoires de la rupture” alléguées, encore moins un quelconque préjudice, la demande sera rejetée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
– s’agissant de la demande de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail, la salariée allègue de la mauvaise foi de l’employeur, de sa volonté de nuire et de sa résistance abusive, notamment le fait de lui avoir interdit l’accès à son lieu de travail à [Localité 6] en changeant les serrures et en cessant de lui payer son salaire.
Néanmoins, au-delà du fait que la volonté de “vexation et d’humiliation” alléguée n’est aucunement démontrée puisque l’impossibilité d’accès à son lieu de travail à [Localité 6] résulte en réalité de la mise en vente de la maison et que le non paiement du salaire s’inscrit dans le cadre d’une opposition entre le salarié et son employeur sur le caractère justifié ou non de son absence, la cour rappelle en tout état de cause qu’il ne peut y avoir de réparation sans preuve du préjudice subi, l’existence et l’évaluation de celui-ci relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond sur la base des justificatifs produits aux débats.
En l’espèce, Mme [O] ne justifie d’aucun élément de nature à établir la réalité d’un préjudice distinct non indemnisé au titre de la rupture du contrat de travail. La demande à ce titre sera donc rejetée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
– s’agissant de la demande au titre du travail dissimulé, aux termes de l’article L. 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l’employeur a recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé, a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
L’article L. 8221-5 2° du code du travail dispose notamment qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.
Toutefois, la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.
En l’espèce, Mme [O] sollicite la condamnation de son employeur à lui payer une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé d’un montant équivalent à 6 mois de salaire équivalent temps plein, soit 9 865,80 euros nets.
Néanmoins, la mention sur ses bulletins de paye d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui qui a été réellement effectué ne relève pas d’une volonté avérée de dissimulation d’emploi salarié de la part de la société [O]. Le rejet de la demande d’indemnité pour travail dissimulé s’impose, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
III – Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive, vexatoire et humiliante :
L’entreprise [P] [O] sollicite la condamnation de Mme [O] à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, vexatoire et humiliante sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
Toutefois, l’exercice d’une action en justice constitue un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans les cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur équipollente au dol.
En l’espèce, il ressort des développements qui précèdent que ces conditions ne sont pas remplies. En conséquence, la demande sera rejetée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
IV – Sur les demandes accessoires :
– Sur la remise des documents légaux :
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a ordonné à l’employeur de remettre à Mme [O] des bulletins de salaires, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail rectifiés.
Il sera en revanche infirmé en ce qui concerne l’astreinte, les circonstances de l’espèce ne faisant pas apparaître la nécessité d’assortir cette remise d’une quelconque astreinte.
– Sur les intérêts au taux légal :
Le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêt au taux légal à compter de la date du jugement.
Il sera dit que les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’entreprise [P] [O] de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes.
– Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Le jugement déféré sera confirmé sur ces points.
Sur les demandes formulées à hauteur d’appel, l’entreprise [P] [O] sera condamnée à payer à Mme [O] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La demande de l’entreprise [P] [O] au titre de l’article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
L’entreprise [P] [O] succombant au principal, elle supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement rendu le 16 février 2021 par le conseil de prud’hommes de Macon sauf en ce qu’il a :
– rejeté les demandes de Mme [W] [X] épouse [O] au titre du travail dissimulé et à titre de dommages-intérêts pour non paiement du salaire, pour les circonstances brusques et vexatoires de la rupture et pour manquement de l’employeur à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail,
– rejeté la demande de l’entreprise [P] [O], prise en la personne de son représentant légal, à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, vexatoire et humiliante,
– alloué à Mme [W] [X] épouse [O] la somme de 2 633,04 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 263,30 euros au titre des congés payés afférents,
– ordonné à l’entreprise [P] [O], prise en la personne de son représentant légal, de délivrer à Mme [W] [X] épouse [O] une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision,
– condamné l’entreprise [P] [O], prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [W] [X] épouse [O] la somme de 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– mis la totalité des dépens à la charge de l’entreprise [P] [O], prise en la personne de son représentant légal, ainsi que les frais d’huissier en cas d’exécution forcée par voix extra judiciaire,
Statuant à nouveau, et y ajoutant,
REQUALIFIE la relation de travail à temps partiel en un contrat de travail à temps complet,
CONDAMNE l’entreprise [P] [O], prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [W] [X] épouse [O] la somme de 11 800,24 euros à titre de rappel de salaire sur la période du 28 juin 2016 au 28 juin 2019, outre 1 1802 euros au titre des congés payés afférents,
DIT que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE l’entreprise [P] [O], prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [W] [X] épouse [O] les sommes suivantes :
– 2 197,69 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 3 mai au 15 juin 2019, outre 219,77 euros au titre des congés payés afférents,
– 2 633,04 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 263,30 euros au titre des congés payés afférents,
– 3 662,82 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 9 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
DIT que les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’entreprise [P] [O], prise en la personne de son représentant légal, de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes,
REJETTE la demande de Mme [W] [X] épouse [O] au titre de l’astreinte,
REJETTE la demande de l’entreprise [P] [O], prise en la personne de son représentant légal, au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel,
CONDAMNE l’entreprise [P] [O], prise en la personne de son représentant légal, aux dépens d’appel.
Le greffier Le président
Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION