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2 juin 2023
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
19/13998
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-6
ARRÊT AU FOND
DU 02 JUIN 2023
N°2023/ 169
Rôle N° RG 19/13998 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BE2TK
[E] [Y]
C/
Organisme CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES DU VAR
Copie exécutoire délivrée
le : 02/06/2023
à :
Me Marjorie MEUNIER, avocat au barreau de TOULON
Me Cyril MARTELLO, avocat au barreau de TOULON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULON en date du 08 Juillet 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 17/00256.
APPELANT
Monsieur [E] [Y], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Marjorie MEUNIER, avocat au barreau de TOULON
INTIMEE
Organisme CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES DU VAR, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Cyril MARTELLO, avocat au barreau de TOULON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 Avril 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe SILVAN, Président de chambre, et Madame Estelle de REVEL, Conseiller, chargé du rapport.
Madame Estelle de REVEL, Conseiller, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Philippe SILVAN, Président de chambre
Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre
Madame Estelle de REVEL, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Juin 2023.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 Juin 2023.
Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. [E] [Y] a été engagé en qualité de technicien expert logement par la Caisse d’Allocation Familale du Var selon contrat à durée indéterminée à temps plein du 22 décembre 2010.
Il avait le statut de travailleur handicapé.
Le 25 mai 2014, il a été victime d’un accident de trajet et son contrat de travail s’est trouvé suspendu jusqu’au 22 septembre 2014. Il a repris son travail dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique jusqu’au 19 mars 2015. Il a à nouveau été placé en arrêt de travail du 24 avril 2015 au 31 juillet 2015, du 14 novembre 2015 au 31 janvier 2016 et du 22 février 2016 au 16 avril 2016.
Le 20 janvier 2017, il s’est vu notifier une mise à pied à titre conservatoire sans maintien de salaire.
Le 13 mars 2017, il a été licencié pour faute grave, après avis du conseil de discipline régional du Sud Est du 8 mars 2017.
S’estimant victime de harcèlement moral, il a saisi le conseil de prud’hommes en réparation de son préjudice et nullité de son licenciement.
Par jugement du 8 juillet 2019, M. [Y] a été débouté de l’ensemble de ses demandes, condamné au titre de l’article 32-1 du code de procédure civile à une amende civile de 3 000 euros et à verser à la CAF la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [Y] a relevé appel de la décision le 2 septembre 2019.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 mars 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, M. [Y] demande à la cour de :
‘REFORMER le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,
ET STATUANT à nouveau,
A TITRE PRINCIPAL,
Vu les dispositions des articles L1152-1 et suivants du code du travail,
Vu les dispositions des articles L1222-1 et suivants du code du travail,
JUGER que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi
JUGER Monsieur [Y] victime d’harcèlement moral
CONDAMNER Organisme de prévoyance sociale à régime général de la Sécurité Sociale CAISSE D’ALLOCATIONS DU VAR à payer à Monsieur [Y] 15 000 € à titre de dommages et intérêts du fait du harcèlement moral
JUGER nul le licenciement
CONDAMNER Organisme de prévoyance sociale à régime général de la Sécurité sociale CAISSE D’ALLOCATIONS DU VAR à payer à Monsieur [Y] :
11 243.52 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 3 747.84 € brut au titre du préavis
374.78 € brut au titre des congés payés
2 248.70 € brut au titre de l’indemnité légale de licenciement
A TITRE SUBSIDIAIRE,
Vu les dispositions des articles L1332-2 et suivants du code du travail
ANNULER l’avertissement en date du 14.03.2016 et le blâme en date du 02.12.2016
CONDAMNER Organisme de prévoyance sociale à régime général de la Sécurité
Sociale CAISSE D’ALLOCATIONS DU VAR à payer à Monsieur [Y] 2 000 € à titre de dommages et intérêts pour usage abusif du pouvoir disciplinaire
REQUALIFIER le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse
CONDAMNER Organisme de prévoyance sociale à régime général de la Sécurité sociale CAISSE D’ALLOCATIONS DU VAR à payer à Monsieur [Y] :
11 243.52 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
3 747.84 € brut au titre du préavis
374.78 € brut au titre des congés payés
2 248.70 € brut au titre de l’indemnité légale de licenciement
CONDAMNER Organisme de prévoyance sociale à régime général de la Sécurité sociale CAISSE D’ALLOCATIONS DU VAR à payer à Monsieur [Y] 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens’.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 février 2020, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, l’organisme Caisse d’allocation familiale du Var demande à la cour de :
‘DEBOUTER Monsieur [Y] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions contenues dans son appel comme étant injustifiées, infondées ou inopérantes.
CONFIRMER purement et simplement le jugement dont appel,
Et y ajoutant,
Vu l’article 559 du CPC,
Vu l’arrêt de la CA d’Aix-en-Provence du 18/ 12/2018,
DIRE ET JUGER que l’appel est manifestement abusif,
CONDAMNER Monsieur [E] [Y] à payer à la Caisse d’Allocations Familiales du VAR la somme de 10.000, 00 € à titre de dommages et intérêts.
CONDAMNER Monsieur [Y] à payer à la Caisse d’Allocations Familiales du VAR la somme de 5.000, 00 €en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile, outre les
entiers dépens.’
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le harcèlement moral
L’article L.1152-1 du code du travail prévoit qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Il résulte des dispositions précitées et de l’article L.1154-1 du code du travail qu’il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail et que, dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, M. [Y] soutient qu’il a été victime de faits vexatoires et d’une ‘mise au placard’.
Il fait valoir les agissements suivants :
– le retrait de son véhicule de fonction:
Il explique qu’un scooter trois roues avait été mis à sa disposition depuis 2011 pour exécuter ses fonctions, et était financé par une subvention de l’Agefiph dans le cadre de l’adaptation de sa situation de travail rendue nécessaire par son handicap, mais qu’il ne l’a plus retrouvé après son retour de congés maladie en septembre 2014 alors que le médecin du travail continuait de préconiser un aménagement de son poste de travail.
Il produit :
– l’avis favorable rendu le 6 mai 2011 par l’Agefiph auprès de la CAF du Var pour le financement du scooter à hauteur de 90% par une subvention ayant pour objet la participation au financement de l’adaptation de la situation de travail du bénéficiaire, rendue nécessaire par son handicap et validée par le médecin du travail ;
– un mail du 5 septembre 2014 que le salarié adresse à son employeur en vue de sa reprise après son arrêt de travail depuis le 25 mai 2014: il demande de récupérer son véhicule scooter;
– la fiche d’aptitude médicale du 22 septembre 2014 le déclarant ‘apte à la reprise avec aménagement de poste, à la reprise du travail à mi-temps thérapeutique, limiter le plus possible les déplacements en véhicule 3 roues, à pied et la station debout prolongée. Etude de poste à réaliser’ ;
– un mail du 26 décembre 2014 du responsable CAF des bailleurs qui dit à sa collègue que M. [Y] ne peut plus se déplacer pour lever les déclarations d’indécence de logement et demande des précisions quant à la régularisation du poste de M. [Y] et ses possibilités de déplacements pour pouvoir répondre au bailleur qui demande une visite de son logement;
– un mail du 29 décembre 2014 entre responsables ressources humaines de le CAF à propos d’une réunion programmée la semaine suivante pour ‘fixer les nouvelles modalités d’organisation de l’activité de [E] [Y], lui permettant ainsi de reprendre rapidement les visites de logement au titre de la non décence’;
– la fiche d’aptitude médicale du 5 août 2015 le déclarant ‘apte à la reprise avec son véhicule initial (type scooter piaggo) pour pouvoir se garer à proximité des lieux de visite et de respecter son handicap’;
– la fiche d’aptitude médicale du 22 octobre 2015 le déclarant ‘apte à la reprise avec aménagement de poste afin de limiter au maximum les difficultés à la marche; mise en place d’une procédure de télétravail avec des déplacements en voiture dans les zones rurales et scooter à 3 roues (permet d’éviter l’appui sur les pieds à l’arrêt) pour les interventions en zone urbaine’;
Il ressort de ces éléments que l’utilisation du véhicule scooter qui avait été mis à disposition du salarié dans le cadre de l’aménagement de ses conditions de travail au vu de son handicap depuis 2011 n’était pas recommandée par le médecin du travail après son accident jusqu’en août 2015 (limiter le plus possible les déplacements) mais pas après cette date. Le salarié établit donc la matérialité de la suppression de ce véhicule par l’employeur à partir d’août 2015.
– la suppression de ses fonctions et l’absence d’information sur les tâches confiées :
La suppression des fonctions est liée à celle du véhicule puisque le salarié affirme qu’après la reprise de son travail en septembre 2014, il n’a plus retrouvé son poste de travail qui consistait à effectuer des visites de logement et n’a eu aucune affectation précise.
Il soutient que malgré ses relances et demandes, il n’a pas été informé de la modification de son poste de travail.
M. [Y] produit les mêmes pièces que les précédentes ainsi que:
– la réponse à son mail du 5 septembre 2014 dans lequel il faisait une demande de télétravail, par un mail du 5 août 2015, soit un an plus tard, lui indiquant qu’il n’est pas possible de lui donner une réponse définitive avant septembre car le test ne débutera pas avant le fin du dernier trimestre 2015;
– un mail qu’il adresse à son employeur le 3 novembre 2015 dans lequel il indique n’avoir aucune information sur ses nouvelles conditions de travail et que ses conditions de travail se dégradent car il a des difficultés pour recevoir les propriétaires, pour imprimer, pour répondre ; il demande pourquoi attendre janvier pour redémarrer son activité et pourquoi il n’a pas de réponse à ses questions; ‘pourquoi de technicien expert logement, je passe à enquêteur” ..Je veux simplement retrouver mon emploi tel qu’il était avant mon accident’;
– un mails du 9 novembre 2015 dans lequel il explique ses difficultés pour répondre aux propriétaires bailleurs en l’absence de consignes;
– un mail du 10 novembre 2015 qu’il adresse à son employeur pour savoir pourquoi il doit attendre le 1er janvier pour reprendre son travail ‘alors que j’ai une centaine de visite en attente’;
– un mail du 1er décembre adressé par son employeur au médecin du travail en réponse au courrier de celui-ci pour avoir des réponses concernant la situation du salarié : il est indiqué que l’organisation proposée est un contrôle des logements sur pièce à savoir ‘mettre à jour un fichier de suivi des visites, relancer téléphoniquement les locataires et/ou bailleurs afin de connaître l’avancée des travaux, faire une étude administrative des pièces fournies, vérifier les factures acquittées correspondant aux désordres relevés afin de débloquer les dossiers’
– le mail qu’il a adressé le 12 juillet 2016 à son employeur pour connaître ses conditions de travail depuis sa reprise après son accident de mai 2014;
– le mail qu’il a adressé à son employeur le 27 octobre 2016 à propos de ses difficultés à valider la situation d’un logement sans avoir confirmation des travaux réalisés et la réponse de son employeur qui lui indique qu’étant donné qu’il ne peut plus valider la sortie de non décence d’un logements au vu de documents, il prend la responsabilité de le faire à sa place;
– le courrier recommandé du 13 janvier 2017 de son employeur lui indiquant que dorénavant il n’effectuerait plus de visite à domicile pour réaliser son pré diagnostic de non décence des logements, qu’il n’en effectue déjà plus depuis près d’un an, en raison d’une refonte de l’offre de service de la CAF du Var en la matière, en lien avec la réforme introduite par la loi ALUR du 17 août 2015 et expliquant que la CAF du Var avait conclu un partenariat avec l’ADIL, qui, au nom de l’expertise qu’elle détient, opère pour notre compte le contrôle de la décence des logements, opposable devant la justice en cas de litige. Dès lors, votre métier évolue et se recentre sur le pré-diagnostic, sans visite à domicile; Ainsi dans ces circonstances, je vous confie la tâche de rédiger un cahier des charges techniques …’
Ces éléments établissent que M. [Y] n’a plus exercé ses fonctions initiales de technicien expert logement dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités consistant en la visite de domicile pour évaluer leur décence, et que ce n’est qu’en janvier 2017 que l’employeur l’a informé des nouvelles conditions d’exercice par la communication d’une fiche de poste. Le salarié établit ses multiples relances et les difficultés à réaliser son travail entre le mois de septembre 2014 et fin 2016.
– la dégradation de son état de santé
M. [Y] soutient enfin avoir souffert de cette situation et produit le courrier du docteur [N] à la médecine du travail du 23 avril 2015 pour un état de stress aigu sur fond de syndrome post traumatique avec hypervigilance, ‘syndrome de répétition, idées noires et qui précise que sa situation professionnelle s’est détériorée depuis plusieurs mois avec un contrôle permanent de sa hiérarchie’, ainsi que la réponse du médecin du travail faisant état ‘d’une phase très difficile sur le plan atmosphère de travail’.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, M. [D] établit la matérialité d’agissements répétés qualifiés par lui de ‘mise au placard’ et de comportements vexatoires, et la dégradation contemporaine de son état de santé, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement à son encontre.
La CAF du Var ne conteste pas que le salarié n’a plus effectué de visite domiciliaire dans le cadre de la non décence des logements et que ses conditions de travail ont changé, notamment elle n’a plus mis à sa disposition le véhicule scooter trois roues. Elle fait valoir que ces changements s’expliquent par l’évolution de ses missions en raison de la refonte de l’offre de service en lien avec la réforme introduite par la loi ALUR de 2015. Elle indique avoir conclu un partenariat avec l’ADIL qui opère pour son compte et réalise le contrôle de la décence des logements et que le métier de M. [Y] a évolué et s’est recentré sur le pré diagnostic, sans visite à domicile.
L’employeur soutient également qu’il ne pouvait fournir au salarié les mêmes activités et fonctions qu’antérieurement pendant toute la période durant laquelle il était en mi-temps thérapeutique puis en arrêt maladie.
Il rappelle son pouvoir de direction qui lui permettait de modifier les conditions de travail du salarié.
Il indique par ailleurs qu’il a informé M. [Y] de la situation et de sa nouvelle fiche de poste par courrier recommandé du 13 janvier 2017.
Il conteste enfin être à l’origine de la dégradation de sa santé physique et mentale.
La CAF du Var produit le courrier recommandé du 13 janvier 2017 également présent au dossier du salarié qui fait état des nouvelles missions du salarié et d’une demande de réponse sous quinzaine pour acceptation comme suit : ‘je vous confie la tâche de rédiger un cahier des charges techniques. Ce dernier devra comporter l’élaboration d’une requête informatique – en coordination avec le service informatique- permettant de sélectionner dans le flux arrivant des demandes d’allocation logement, celles qui relèveraient potentiellement d’un logement non décent. La réalisation de ce travail permettra, par la suite, d’étudier, en amont, les logements sélectés, afin de transmettre, après un premier pré diagnostic sur papier, ou par téléphone le cas échéant, à l’ADIL, la liste des logements soupçonnés de non décence. A partir de ces éléments, cette structure pourra ainsi procéder aux visites nécessaires et nous transmettra son diagnostic et ses conclusions. En complément des signalements générés par la requête informatique interne, vous devrez également établir le pré diagnostic pour les logements soupçonnés de non décence à partir d’alertes qui pourront être remontées par d’autres canaux, à savoir, des locataires, des structures opérant sur ce champ, des observations réalisées par des ACERC, etc. Cette modification des contours de votre activité emporte, également le changement de responsable hiérarchique. Vous serez rattaché à Mme [L] (..) Ce rattachement s’effectuera le 1er février 2017 sur le site de la rode’.
La cour relève tout d’abord que l’existence d’un mi temps thérapeutique entre septembre 2014 et le 19 mars 2015, puis de plusieurs arrêts de travail en 2015 et 2016 ne constituent pas en tant que telles des justifications objectives à la suppression des anciennes missions du salarié. Dans le cadre du mi-temps thérapeutique, celui-ci venait travailler selon ‘ses choix tous les matins du lundi au vendredi pour une durée de 3h54 heures par demie journée’ (courrier des ressources humaines CAF du 17 octobre 2014) et à partir du mois d’août 2015, il était préconisé qu’il utilise le véhicule scooter 3 roues pour accomplir ses missions.
L’employeur ne justifie ensuite pas qu’elle a transféré à l’ADIL les visites de logement dans le cadre de la non décence du fait de la promulgation de la loi ALUR. Il est fait état de l’année 2015 sans plus de précision sur la date de cet éventuel accord entre la CAF du Var et l’ADIL qui ne figure pas au dossier de l’intimé étant rappelé que c’est dès le 22 septembre 2014 que M. [D] n’a plus retrouvé son emploi.
Enfin, la cour relève que ce n’est qu’en janvier 2017 que l’employeur justifie avoir informé le salarié du changement de ses missions et lui avoir communiqué une fiche de poste pour une prise de fonction en février 2017, soit près de 2 ans et 5 mois après sa reprise. Or, il n’est pas discuté que durant cette longue période, M. [Y] n’a pas effectué de visite de domicile dans le cadre de la non décence, qu’il ne disposait plus non plus du véhicule scooter et qu’il a réclamé à plusieurs reprises des explications sur cette situation.
En l’état de ces éléments et des circonstances dans lesquelles les conditions de travail de l’intéressé ont changé, le moyen tiré du pouvoir de direction de l’employeur est également inopérant à justifier de tels agissements.
Il résulte de ces éléments que l’employeur ne parvient pas à rapporter la preuve que les faits matériellement établis étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Par infirmation du jugement, il est donc retenu que M. [Y] a été victime de faits de harcèlement moral. La nature et la durée de ces faits justifient de condamner la CAF du Var à lui verser la somme de 4 000 euros.
Sur la nullité du licenciement
Il résulte des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail que le licenciement d’un salarié victime de harcèlement moral est nul si ce licenciement trouve directement son origine dans ces faits de harcèlement ou leur dénonciation.
D’autre part, l’article L.’1132-1 du code du travail, dans sa version en vigueur lors de la rupture du contrat de travail, énonce qu’aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.
Enfin, il ressort de l’article L.1132-4 du code du travail que toutes disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance du principe de non-discrimination est nul.
La lettre de licenciement adressée à M. [Y] le 13 mars 2017 et les autres éléments de preuve produits aux débats ne permettent pas d’imputer la rupture du contrat de travail au harcèlement moral subi par ce salarié.
Par ailleurs, les pièces versées aux débats ne permettent pas de laisser supposer l’existence d’un lien entre le licenciement de M.[Y] et son état de santé.
En conséquence, M.[Y] doit être débouté de sa demande de nullité de son licenciement.
Sur le licenciement
1) Sur le pouvoir disciplinaire de l’employeur
M. [Y] fait valoir que la mise à pied, qualifiée de conservatoire par l’employeur, dont il a fait l’objet à partir du 20 janvier 2017, était une sanction disciplinaire.
Selon lui, le délai dans lequel il s’est ensuite vu délivrer la convocation à un entretien préalable à un licenciement, est intervenu six jours après, soit dans un délai déraisonnable. Il en conclut qu’il ne pouvait être sanctionné à nouveau par un licenciement l’employeur ayant épuisé son pouvoir disciplinaire par cette mise à pied.
Il soutient également que la mise à pied avait donné lieu à un entretien préalable qui s’est déroulé le 20 janvier 2017, tel qu’indiqué dans la notification, de sorte qu’il ne pouvait être licencié pour faute grave le 13 mars 2017.
La CAF du Var fait valoir que la mise à pied était à titre conservatoire et qu’il n’y a pas lieu à requalifier en sanction disciplinaire cette mesure dès lors que le salarié a été convoqué à un entretien préalable dans un délai raisonnable de trois jours ouvrables.
Elle expose que la mise à pied a été notifiée au salarié un vendredi 20 janvier 2017 à 15h30, et que le mardi suivant, soit le 24 janvier, elle lui a adressé une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement et a dû le même jour convoquer l’ensemble des délégués du personnel en application de l’article 48 de la convention collective applicable; que ces formalités lourdes expliquent un temps de réaction plus long.
Il est de principe qu’une mise à pied à titre conservatoire n’est pas une sanction disciplinaire. Cependant, en application de l’article L.1332-2 du code du travail, l’employeur qui notifie une mise à pied à titre conservatoire doit immédiatement engager la procédure disciplinaire qui aboutira à la sanction, en convoquant le salarié à un entretien préalable à une éventuelle sanction. A défaut, la mise à pied sera qualifiée de disciplinaire.
L’article 48 de la convention collective des organisme de sécurité sociale prévoit que lorsque le directeur envisage de prendre une mesure de licenciement à l’encontre d’un salarié, il doit convoquer le salarié en lui indiquant l’objet de la convocation. Au cours de l’entretien, l’agent est entendu en présence des délégués du personnel.
En l’espèce, il ressort des pièces produites la chronologie suivante :
– par courrier recommandé daté du 20 janvier 2017 distribué le 21 janvier suivant, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire, sans maintien de salaire, suite à l’entretien qu’il a eu à 15h30 le même jour avec présence de son supérieur hiérarchique et d’un délégué du personnel; et ce ‘dans l’attente de la décision à intervenir’ ;
– selon lettre datée du 24 janvier 2017, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 6 février suivant, en vue d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute;
– selon la copie du résultat de la recherche effectuée auprès de La Poste sur le détail de l’acheminement, ce courrier recommandé était en cours de traitement le 26 janvier 2017;
– selon 13 courriers datés du 24 janvier 2017, 13 membres délégués du personnel ont été convoqués à assister à l’entretien préalable sur la situation de M. [Y].
La cour observe que la mise à pied à titre conservatoire a été envoyée au salarié un vendredi 20 janvier après 15h30; que si le courrier recommandé portant convocation du salarié à l’entretien préalable était en cours de traitement le 26 janvier 2017, il n’est pas fait mention de la date à laquelle il a été pris en charge par La Poste. Il n’est à ce titre pas discuté que la date portée sur la lettre de convocation est le 24 janvier 2017, et la cour relève que c’est également cette date que le salarié mentionne dans son bordereau de pièce.
Enfin, la participation des délégués du personnel à cet entretien préalable expressément prévue par la convention collective exigeait une convocation de ceux-ci, soit de 13 personnes, dans des délais contraints ce qui alourdissait de fait la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire.
Ce faisant, la cour estime au vu de ces éléments que l’employeur justifie avoir mis en oeuvre la procédure disciplinaire le 24 janvier, soit immédiatement après la mise à pied du 20 janvier, de sorte que cette mesure avait bien un caractère conservatoire.
En l’état de ces éléments, la cour considère également que l’entretien qui a eu lieu le 20 janvier 2017 ne peut être analysé en un entretien préalable prévu par l’article L.1332-2 du code du travail.
Le licenciement prononcé le 13 mars 2017 n’était pas de ce chef dépourvu de cause réelle et sérieuse.
2) Sur la faute grave
– sur la prescription de la faute :
Le salarié soutient que les faits fautifs qui lui sont reprochés et qui ont fondé son licenciement, à savoir une fraude aux prestations sociales et un travail dissimulé, étaient prescrits au moment de la mise à pied à titre conservatoire. Il fait valoir qu’aux termes de la lettre de licenciement, l’employeur était informé de ces faits dès octobre 2016 par le courrier d’huissier auquel était joint une copie d’un commandement de payer des loyers qu’il avait initié à l’encontre du locataire M. [V].
La CAF du Var n’a pas répliqué sur ce point sauf à renvoyer à l’arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d’appel ayant condamné définitivement l’appelant pour les mêmes faits que ceux ayant motivé le licenciement.
Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait n’ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.
En l’espèce, aucun élément du dossier ne permet de savoir à quelle date ont été exercées les poursuites pénales.
Il ressort de la lettre de licenciement, dont seuls des extraits sont reproduits en raison de sa longueur, que suite au courrier de la SCP Laure et Aldeguer, huissier de justice, portant sur un commandement de payer les loyers initié par le salarié à l’encontre du locataire M. [V], l’employeur a relevé la contradiction suivante :
‘- Vous attestez le 17 août 2016 que votre locataire partira le 1er septembre 2016 et qu’il est à jour de ses loyers,
– or, un commandement d’huissier indique que vous attestez que votre locataire n’a jamais payé son loyer’ et a en conséquence transmis l’affaire à la cellule de détection des fraudes qui a procédé à une enquête interne, avec auditions et investigations. La lettre de rupture mentionne que M. [Y] a été auditionné le 16 janvier 2017 où il a ‘attesté au contrôleur avoir menti et trompé par là même l’organisme (…). et que la commission fraude, sur la base du rapport du contrôleur, agent assermenté, s’est réunie le 20 janvier 2017, et a conclu à une fraude aux prestations sociales, sur deux faits ‘: faits n°1 fausse déclaration en tant que bailleur afin de percevoir indûment l’allocation logement en tant que tiers bénéficiaire de loyer dès sa constitution; fait n°2 fausse déclaration sur la situation familiale (ex: vie maritale non déclarée)’ .
Il ressort de ces éléments que ce n’est que le 20 janvier 2017, aux termes de l’enquête interne, que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs dans leur ensemble lui permettant de déclencher la procédure disciplinaire. A la date de la convocation à l’entretien préalable, soit le 24 janvier 2017, les faits fautifs n’étaient donc pas prescrits.
– sur la matérialité de la faute
Le salarié conteste la matérialité des faits fautifs affirmant que M. [V], son locataire, ne peut affirmer qu’il n’avait pas les clés du logement et qu’il n’a pas pu en jouir. Il explique qu’ils étaient amis et qu’il lui faisait confiance, excluant toute intention coupable de sa part.
Il conteste par ailleurs le travail dissimulé qui lui est reproché par l’employeur aux termes de la lettre de licenciement qui n’est pas constitué.
L’employeur fait valoir la condamnation définitive du salarié et rappelle que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont au civil autorité de la chose jugée à l’égard de tous.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il incombe à l’employeur d’en rapporter la preuve.
Vu le principe de l’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil et l’article 1351 du Code civil ;
M. [Y] a été licencié pour faute grave par lettre du 13 mars 2017 libellée notamment comme suit :
‘Fraude aux prestations sociales, escroquerie en qualité de vrai, détournement de fonds publics,
dégradation de l’image de la CAF et de ses salariés, avec la parution d’un article de presse dénonçant les faits
violation du règlement intérieur et de la charte de déontologie
manquement à l’obligation contractuelle de loyauté et de probité opposable à tout salarié de la CAF du Var
violation des valeurs de la sécurité sociale et des missions relevant du service public notamment par l’abus de confiance d’un allocataire en situation de handicap;
cumul d’emploi non déclaré et dissimulé
comportement rendant impossible la poursuite du contrat de travail’
La cour relève que suivant un arrêt du 18 décembre 2018, la cour d’appel d’Aix en provence statuant en matière correctionnelle a déclaré M. [Y] coupable d’avoir du 1er octobre 2015 au 31 août 2018, à Hyères, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, fait une fausse déclaration en vue d’obtenir d’un organisme de protection sociale ou chargé d’une mission de service public une allocation, une prestation ou un paiement indu, prévus et réprimés par l’article 441-6 du code pénal; que cette décision est définitive en l’absence de l’exercice d’une voie recours; qu’il résulte de cette décision pénale que ‘M. [Y] a perçu les APL pendant plusieurs mois alors qu’aucun loyer n’était versé; qu’en remplissant le formulaire ‘attestation de loyer’ et en affirmant, d’abord oralement aux services de la CAF qui le lui demandaient puis dans un courrier, que, contrairement à la réalité qu’il reconnaît aujourd’hui, son locataire était à jour des loyers, en omettant de mettre à jour cette attestation de loyer comme il y était tenu, dans les trois mois du non paiement des loyers, [E] [Y] a effectué auprès de la CAF une fausse déclaration de nature à induire celle-ci en erreur pour lui verser indûment des prestations. La bonne foi du prévenu ne saurait être retenue en l’état des mensonges et contradictions qui émaillent ses déclarations du fait que, lui même salarié au sein de la CAF, il était particulièrement avisé des procédures lesquelles sont d’ailleurs écrites en toutes lettres sur les formulaires employés.’; que ces faits sont identiques à ceux qualifiés dans la lettre de licenciement de fausse déclaration, fraude aux prestations sociales, détournements de fonds publics.
La cour relève en conséquence que le salarié a été sanctionné pénalement par la juridiction répressive pour les mêmes faits que certains de ceux reprochés dans la lettre de licenciement, il y a donc autorité de la chose jugée par la juridiction pénale.
Ces seuls faits, par leur nature et leur gravité, justifient le licenciement pour faute grave, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les autres faits reprochés qui n’ont pas fait l’objet de condamnation pénale.
Le jugement est par conséquent confirmé, y compris en ce qu’il a rejeté les demandes financières subséquentes.
Sur les autres demandes
Il est équitable de condamner la CAF du Var à payer à M. [D] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entreprise en ce qu’il a débouté M. [E] [Y] de sa demande de voir dire que le licenciement pour faute grave est sans cause réelle et sérieuse et en ce qu’il l’a débouté de ses demandes financières subséquentes,
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et Y ajoutant,
Dit que le licenciement est fondé sur une faute grave,
Condamne la Caisse d’Allocation Familiale du Var à payer à M. [E] [Y] les sommes suivantes :
– 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
– 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Déboute M. [E] [Y] de l’ensemble de ses autres demandes,
Condamne la CAF du Var aux dépens et première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT