Télétravail : 16 mars 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/00192

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Télétravail : 16 mars 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/00192
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16 mars 2023
Cour d’appel de Rouen
RG n°
21/00192

N° RG 21/00192 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IU6I

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 16 MARS 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 15 Décembre 2020

APPELANT :

Monsieur [U] [B]

[Adresse 4]

[Localité 3]

présent

représenté par Me Céline ULBRICH, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.S. APAVE NORD OUEST

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Marie-Odile DE MILLEVILLE de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 08 Février 2023 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 08 Février 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 16 Mars 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 16 Mars 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [U] [B] a été engagé par la société Apave le 17 juin 1991 par contrat à durée indéterminée à temps plein en qualité d’analyste programmateur en micro-informatique correspondant à la classification 270 niveau IV échelon 2, statut personnel administratif non cadre de la convention collective de la métallurgie [Localité 6]-[Localité 5].

Par avenant du 29 juin 2006, M. [B] a été promu ingénieur, position II indice 108 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie à compter du 1er juillet 2006.

Par requête du 25 mai 2020, M. [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail et condamnation en paiement de rappels de salaire et indemnités.

M. [B] a été placé en arrêt de travail à partir du 20 août 2020.

Par jugement du 15 décembre 2020, le conseil de prud’hommes a dit que M. [B] ne pouvait revendiquer la classification III A 135 de la convention nationale de la métallurgie, dit que la convention de forfait en jours était valable et opposable au salarié, débouté M. [B] de sa demande de résiliation judiciaire, condamné l’Apave à payer à M. [B] les sommes suivantes :

1 075,23 euros à titre de rappel complémentaire sur la rémunération annuelle de 2019, outre 107,52 euros au titre des congés payés afférents,

3 465,29 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er janvier 2020 au 30 novembre 2020, outre 346,52 euros à titre de congés payés afférents,

– ordonné la remise par l’Apave à M. [B] d’un bulletin de salaire relatif au rappel 2019 et 2020, débouté M. [B] du surplus de ses demandes, débouté l’APAVE de sa demande reconventionnelle, fixé à 4 018,64 euros la moyenne mensuelle des trois derniers mois de salaire de M. [B], condamné l’Apave aux dépens.

M. [B] a interjeté appel de cette décision le 13 janvier 2021, l’instance ayant été enrôlée sous le numéro RG 21/192.

La société Apave Nord Ouest venant aux droits de la société Apave a interjeté appel de cette décision le 18 janvier 2021, l’instance ayant été enrôlée sous le numéro RG 21/265.

M. [B] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 4 juin 2021.

Suivant ordonnance du 27 janvier 2022, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable l’appel incident formé par la société Apave Nord Ouest aux termes de ses conclusions remises le 5 juillet 2021 dans le dossier 21/192, ordonné la jonction des deux instances se poursuivant désormais sous l’unique numéro 21/192 et débouté la société Apave Nord Ouest de ses autres demandes.

Par conclusions remises le 4 octobre 2021, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens, M. [B] demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris sur les points critiqués et statuant à nouveau,

– lui attribuer la classification position III échelon A indice 135 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie et en conséquence, condamner la société Apave à lui payer, à titre de rappel de salaire, la somme de 7 953,31 euros bruts pour la période d’avril 2107 à mars 2020, outre les congés payés afférents de 795,33 euros, ainsi que la somme de 3 925,01 euros à titre de rappels de salaire pour la période d’avril 2020 au 30 novembre 2020, outre les congés payés afférents de 10 %, ainsi que tous les rappels de salaires dus pour la période postérieure jusqu’à l’arrêt à intervenir sur la base d’un salaire mensuel de 4 173,16 euros pour un indice 135 selon le salaire annuel minimum conventionnel pour 2020,

– condamner la société Apave à lui verser 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail pour ne pas lui avoir attribué la classification en adéquation avec ses fonctions,

– juger que la société Apave lui a appliqué une convention individuelle de forfait en jours nulle ou, à titre subsidiaire, que la convention a été mal exécutée de sorte qu’elle doit être privée d’effet et en conséquence, condamner la société Apave à lui payer à titre de dommages et intérêts la somme de 8 000 euros,

– condamner la société Apave à lui payer les sommes suivantes :

1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour son préjudice financier et moral résultant de l’absence de déclaration par la société de l’accident du travail du 14 mai 2018,

10 000 euros en réparation de son préjudice moral et de la dégradation de son état de santé résultant de la violation de l’obligation de sécurité,

10 000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à son obligation de formation et d’adaptation,

– juger que ces manquements ont un lien de causalité avec la dégradation de son état de santé et son inaptitude et en conséquence, dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et condamner la société Apave à lui payer les sommes suivantes :

3 374,73 euros (indice 135) ou, à titre subsidiaire, 550,93 euros (indice 130) au titre du solde de l’indemnité légale de licenciement doublée, déduction faite de l’indemnité conventionnelle,

25 038,98 euros (indice 135) outre 10 % de congés payés, ou, à titre subsidiaire, 24 111,81 euros (indice 130) outre 10 % de congés payés au titre de l’indemnité conventionnelle de préavis de six mois,

100 155,93 euros (indice 135), ou, à titre subsidiaire, 96 447,25 euros (indice 130) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse représentant 24 mois de salaire,

100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de bénéficier d’une retraite de base et complémentaire à taux plein,

25 038,98 euros (indice 135) ou, à titre subsidiaire, 24 111,81 euros (indice 130) au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

– débouter la société Apave de toutes ses demandes,

– ordonner la remise des documents légaux (bulletin de salaire, certificat de travail, solde de tout compte, attestation pôle emploi) sous astreinte de 200 euros par jour de retard et par document à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, la cour se réservant la compétence de liquider l’astreinte,

– assortir les condamnations d’un intérêt au taux légal conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales exigibles au moment de l’introduction de l’instance prud’homale devant être assorties d’intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes et les dommages et intérêts à compter de la décision à intervenir avec capitalisation des intérêts,

– condamner la société Apave à lui payer la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Par conclusions remises le 18 janvier 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens, la société Apave Nord Ouest demande à la cour de :

– infirmer le jugement en ce qu’il a retenu une moyenne de salaire erronée, fixer la moyenne des trois derniers mois de salaire avant jugement à la somme de brute de 3 818,16 euros correspondant aux bulletins de septembre, octobre et novembre 2020,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il est entré en voie de condamnation pour des rappels de salaire et congés payés sur salaire au titre des TEGA 2019 et 2020, déclarer satisfactoire les versements apparaissant sur les bulletins de salaire des mois de mars 2020 pour le TEGA 2019 et décembre 2020 pour le TEGA 2020, condamner M. [B] au remboursement de l’excédent réglé au titre de l’exécution provisoire apparaissant sur le bulletin de salaire de janvier 2021 soit 1 578,04 euros bruts, outre les charges sociales,

– infirmer la décision l’ayant déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles et l’ayant condamné aux dépens,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [B] de ses demandes et à titre subsidiaire, si la convention de forfait était déclarée inopposable au salarié, ordonner le remboursement par M. [B] des jours de RTT encaissés sans contrepartie, soit 7 000 euros bruts,

– à titre reconventionnel, condamner M. [B] à lui payer la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles outre les entiers dépens et la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 19 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur les demandes au titre de l’exécution du contrat de travail

I – a) Sur le rappel de salaire et les dommages et intérêts liés à la classification

M. [B] demande que lui soit attribuée la classification position III échelon A indice 135 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie, son employeur s’y opposant au motif que ses attributions ne justifient pas la qualification réclamée, principalement au regard du critère de l’autonomie. Le salarié réclame subséquemment un rappel de salaire à compter du mois d’avril 2017 jusqu’à l’arrêt à intervenir, étant cependant précisé que son licenciement étant intervenu en cours de procédure, en tout état de cause, aucun rappel de salaire ne pourra être dû postérieurement à cette rupture.

La qualification du salarié se détermine en référence aux fonctions réellement exercées et au regard de la convention collective applicable, laquelle peut édicter un seuil d’accueil en fonction des diplômes obtenus.

La charge de la preuve pèse sur le salarié qui revendique une autre classification que celle appliquée.

L’article 21 de la convention collective applicable dispose en son B relatifs aux ‘ingénieurs et cadres confirmés (indépendamment de la possession d’un diplôme)’ que :

‘Les ingénieurs et cadres confirmés soit par leur période probatoire en position I, soit par promotion pour les non-diplômés, sont classés dans la position II et la position III.

Position II :

Ingénieur ou cadre qui est affecté à un poste de commandement en vue d’aider le titulaire ou qui exerce dans les domaines scientifique, technique, administratif, commercial ou de gestion des responsabilités limitées dans le cadre des missions ou des directives reçues de son supérieur hiérarchique.

Les salariés classés au troisième échelon du niveau V de la classification instituée par l’accord national du 21 juillet 1975 – possédant des connaissances générales et professionnelles comparables à celles acquises après une année d’études universitaires au-delà du niveau III défini par la circulaire du 11 juillet 1967 de l’éducation nationale et ayant montré, au cours d’une expérience éprouvée, une capacité particulière à résoudre efficacement les problèmes techniques et humains – seront placés en position II au sens du présent article à la condition que leur délégation de responsabilité implique une autonomie suffisante. Ils auront la garantie de l’indice hiérarchique 108 déterminé par l’article 22 ci-dessous.

De même, sont placés en position II, avec la garantie de l’indice hiérarchique 108, les salariés promus à des fonctions d’ingénieur ou cadre à la suite de l’obtention par eux de l’un des diplômes visés par l’article 1er, 3°, a, lorsque ce diplôme a été obtenu par la voie de la formation professionnelle continue.

Les dispositions des alinéas précédents ne constituent pas des passages obligés pour la promotion à des fonctions d’ingénieur ou cadre confirmé.

Position III :

L’existence dans une entreprise d’ingénieurs ou cadres classés dans l’une des positions repères III A, III B, III C n’entraîne pas automatiquement celle d’ingénieurs ou cadres classés dans les deux autres et inversement. La nature, l’importance, la structure de l’entreprise et la nature des responsabilités assumées dans les postes conditionnent seules l’existence des différentes positions repères qui suivent:

Position repère III A :

Ingénieur ou cadre exerçant des fonctions dans lesquelles il met en ‘uvre non seulement des connaissances équivalentes à celles sanctionnées par un diplôme, mais aussi des connaissances fondamentales et une expérience étendue dans une spécialité.

Ses activités sont généralement définies par son chef qui, dans certaines entreprises, peut être le chef d’entreprise lui-même.

Sa place dans la hiérarchie le situe au-dessus des agents de maîtrise et des ingénieurs et cadres placés éventuellement sous son autorité ou bien comporte dans les domaines scientifique, technique, administratif, commercial ou de gestion des responsabilités exigeant une large autonomie de jugement et d’initiative dans le cadre de ses attributions.

…’

En l’espèce, M. [B] a été engagé en 1991 en qualité d’analyste programmateur. A compter du 1er juillet 2016, il a été promu ingénieur, sa classification devenant position II indice 108, l’avenant précisant que son poste demeurait analyste programmateur. Au dernier état de la relation contractuelle, il était toujours classé à la position II, indice 125 en 2017 et indice 130 à compter du mois de juillet 2018.

M. [B] ne conteste pas que son activité a toujours été celle d’analyste programmateur. Il estime cependant que ce poste peut relever de la position III A au motif qu’il disposait d’une large autonomie de jugement et d’initiative dans le cadre de ses attributions, que si ses activités étaient décidées par son supérieur hiérarchique, il était amené à prendre des initiatives pour orienter les choix initiaux pris par sa hiérarchie, qu’il travaillait seul, sollicitant seulement parfois des collègues pour obtenir des informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission, définissant son rôle au sein de la société Apave Nord Ouest comme celui de ‘facilitateur du travail des utilisateurs et apporteurs de solutions’.

En l’absence de tout justificatif sur les attributions qui lui étaient confiées , sur la description des tâches qu’il accomplissait au quotidien, étant rappelé que la charge de la preuve repose sur le salarié, les critiques très fournies de M. [B] sur les arguments développés par son employeur pour s’opposer à sa classification à la position III A sont indifférentes et vaines.

Ainsi, alors que la société Apave Nord Ouest verse aux débats l’attestation de M. [N], son N+1 depuis le 1er janvier 2019, qui décrit l’activité de M. [B] en indiquant que ce dernier était chargé de mettre à jour et de faire évoluer les applications informatiques utilisées par la production et les commerciaux des agences Apave, de les dépanner en cas de problèmes et d’accompagner les agences dans l’analyse des résultats, celui-ci se contente de critiquer le contenu de ce témoignage sans produire le moindre élément probant permettant de le remettre en question.

En outre, les considérations générales liées au fait, d’une part, que lui était appliquée une convention de forfait en jours qui suppose une certaine autonomie dans l’organisation de son travail et, d’autre part, qu’il lui était reconnu une expertise technique certaine en tant qu’analyste programmateur, ne sont pas des éléments suffisamment précis pour démontrer que les fonctions qu’il occupait au sein de la société Apave Nord Ouest relevaient de la classification position III A qui exigent, soit que le salarié concerné ait des agents de maîtrise et des ingénieurs et cadres placés éventuellement sous son autorité, soit que sa place dans la hiérarchie des responsabilités exige une large autonomie de jugement et d’initiative dans le cadre de ses attributions. Certes, le fait qu’il travaillait seul au service des autres salariés de la société Apave, pour résoudre leurs difficultés informatiques, lui conférait une certaine autonomie dans l’organisation de son travail, mais cette situation est totalement différente de l’exigence du texte de la convention collective, qui vise un niveau de responsabilités tel que le salarié dispose d’une autonomie de jugement et d’initiative. Or, M. [B] ne prouve pas avoir exercé ce niveau de responsabilités.

Enfin, il convient de relever que la description du poste de M. [B] telle qu’elle résulte de l’étude de poste réalisée par le médecin du travail en mars 2021, qui n’est aucunement contestée par le salarié, confirme parfaitement cette analyse.

En effet, il ressort de ce document que le poste occupé par M. [B] n’engendre aucune initiative et par suite aucune responsabilité dans la définition de ses tâches à accomplir, puisqu’il est précisé qu’elles sont toutes définies par son manager, qui fait l’intermédiaire avec les sollicitations d’intervention et qui décide de confier ou non le cas à M. [B]. Le salarié n’a, en amont de l’intervention que son manager lui assigne, aucun lien avec le collaborateur interne ou externe bénéficiant de ses services et de son intervention informatique. De même, ce n’est pas lui qui a la charge de la définition du cahier des charges propres à chaque intervention. Certes, ce document confirme qu’il est autonome dans l’organisation quotidienne de son travail, mais il précise également qu’il s’agit d’une autonomie relative car il devait rendre des comptes de manière, a minima, hebdomadaire à son manager, qui, avec lui, définissait les priorisations des actions et des projets. Au vu de ces constats, le médecin dut travail ne mentionnait que les deux éléments suivants au titre de la description de la charge mentale du poste : ‘gestion de plusieurs projets en même temps, seul dans son service’.

En conséquence, le jugement entrepris, en ce qu’il a rejeté cette demande de classification à la position III coefficient 135 de la convention collective applicable, est confirmé.

I- b) Sur la régularité de la convention de forfait en jours

Aux termes de l’article L. 3121-40 du code du travail issu de la loi du n°2008-789 du 20 août 2008 devenu L. 3121-55 du même code depuis la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, la forfaitisation de la durée du travail doit faire l’objet de l’accord du salarié et d’une convention individuelle de forfait établie par écrit.

En outre, l’article L. 3121-39 du code du travail dans sa version issue de la loi du n°2008-789 du 20 août 2008 prévoit que la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l’année est prévue par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, les articles L. 3121-63 et L. 3121-64 du même code prévoient des dispositions similaires, intégrant la jurisprudence issue de l’application de l’article L. 3121-39 sus-visé pour notamment préciser le contenu de l’accord collectif autorisant le recours au forfait annuel en jours.

En l’espèce, l’avenant au contrat de travail du 29 juin 2006 à effet au 1er juillet 2006 qui a promu M. [B] au statut d’ingénieur, prévoit la clause de forfait en jours suivante :

‘Compte tenu des fonctions et responsabilités exercées et du degré d’autonomie dont bénéficie Monsieur [U] [B] dans l’organisation de son emploi du temps, Monsieur [U] [B] relève de la catégorie des Cadres autonomes au sens de l’article L.212-15 III du Code du Travail.

A ce titre, et conformément à l’article 14 de l’avenant du 29/01/2000 à l’accord national du 28/07/98 sur l’organisation du travail dans la métallurgie étendu par arrêté du 31 mars 2000, sa durée sera appréciée en jours de travail.

La gestion de son temps de travail sera effectuée en nombre de jours, ce nombre de jours étant fixé à 214 jours par année complète d’activité et en tenant compte du nombre maximum de jours de congés définis à l’article L. 223-2 du code du travail.

Le décompte des jours de travail sera fait par Monsieur [U] [B] lui-même, conformément à la procédure mise en place dans l’Entreprise.

Monsieur [U] [B] s’engage à respecter scrupuleusement le suivi de cette procédure et à en communiquer régulièrement les éléments au service chargée de la gestion du personnel. Dans le cadre de l’aménagement de son temps de travail en jours, Monsieur [U] [B] s’engage à respecter une durée quotidienne de repos égale à au moins 11 heures consécutives et à ne pas dépasser le plafond légal maximum.

Cette durée du travail est assortie d’objectifs fixés par l’employeur. Ceux-ci sont définis au début de chaque exercice et pourront faire l’objet d’une note de la hiérarchie.’

Il est constant, concernant les ingénieurs et cadres de la métallurgie, que la Cour de cassation a validé les dispositions de la convention collective en constatant que selon l’article 14 de l’accord du 28 juillet 1998 sur l’organisation du travail dans la métallurgie, le forfait en jours s’accompagne d’un contrôle du nombre de jours travaillés, afin de décompter le nombre de journées ou de demi-journées travaillées, ainsi que celui des journées ou demi-journées de repos prises ; que l’employeur est tenu d’établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos en repos hebdomadaire, congés payés, congés conventionnels ou jours de repos au titre de la réduction du temps de travail ; que ce document peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l’employeur ; que le supérieur hiérarchique du salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours assure le suivi régulier de l’organisation du travail de l’intéressé et de sa charge de travail ; qu’en outre, le salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours bénéficie, chaque année, d’un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées l’organisation et la charge de travail de l’intéressé et l’amplitude de ses journées d’activité ; que cette amplitude et cette charge de travail devront rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé.

Au vu de ces dispositions auxquelles se réfère expressément l’avenant au contrat de travail de M. [B] signé le 29 juin 2006, lesquelles sont de nature à assurer une bonne répartition du travail dans le temps et à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables en ce qu’elles instituent un suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, la convention en forfait jour de M. [B] n’encourt aucune nullité.

Il convient cependant de s’assurer que la société Apave Nord Ouest a mis en oeuvre le suivi tel que prévu par cet accord, à défaut de quoi, la convention de forfait en jours sera privée d’effet à son égard.

Alors que la convention litigieuse a été signée en 2006, la société Apave Nord Ouest ne produit aucun justificatif d’entretiens individuels ou de la surveillance de la charge de travail de son salarié avant 2016. À compter de cette date, elle produit :

– un entretien annuel du 6 avril 2016 qui ne contient aucune mention ou observation sur la charge de travail du salarié,

– l’entretien annuel du 12 juin 2019 dans lequel il est indiqué que l’articulation entre la vie professionnelle et la vie privée et le droit à la déconnexion sont jugés ‘satisfaisants’, malgré par ailleurs une évaluation ‘forte’ de la charge de travail par le salarié,

– l’entretien du 13 mars 2020 qui évalue l’articulation entre vie professionnelle et vie privée comme étant ‘acceptable’ et la charge de travail ‘insuffisante’, étant précisé que le 17 juin 2020, M. [B] a refusé de valider le contenu de cet entretien, au regard de la procédure prud’homale qu’il venait d’introduire et des critiques faites sur son implication et la qualité de son travail. Toutefois, à aucun moment, il n’apparaît qu’il a remis en question sa charge de travail, se plaignant même de ne pas avoir pu travailler pendant la période de confinement.

Bien que M. [B] ne se soit jamais plaint auprès de son employeur de sa charge de travail, il ne peut être considéré que ces seuls éléments caractérisent un suivi effectif et régulier permettant de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable.

Il convient, en conséquence, de dire la convention de forfait jours inopposable à M. [B], le jugement entrepris étant infirmé sur ce point.

En ce qui concerne le préjudice en résultant, M. [B] produit aux débats de nombreux arrêts de travail pris entre 2018 et 2021, mais aucun ne mentionne sa cause.

En outre, il verse aux débats son dossier médical tenu par la médecine du travail qui montre qu’il a toujours été rencontré régulièrement, qu’il ne s’est jamais plaint de ses conditions de travail et de l’existence d’une surcharge éventuelle, commençant uniquement à évoquer un conflit avec l’employeur à compter de la visite de février 2021, après l’introduction de son action en résiliation judiciaire qu’il justifiait à l’époque devant le médecin du travail en raison de remarques et allusions désobligeantes sur son odeur corporelle trop forte, sur le fait qu’il aurait changé de bureau sans être prévenu et sur des erreurs de paiement de salaires sur ses bulletins de paie.

De même, tous les certificats médicaux produits, établis ou par son psychiatre ou par son médecin traitant, actent d’un début de suivi au plus tôt à partir d’octobre 2020, alors qu’il est déjà en arrêt depuis plusieurs mois et ce sans qu’il ne soit fait état d’une fatigue professionnelle liée à une surcharge de travail ou des exigences trop fortes imposées par l’employeur, la seule difficulté relayée à chaque fois étant la régularisation des salaires par rapport aux minima conventionnels et l’existence de la procédure prud’homale en cours dont il a pris l’initiative.

Enfin, la société APAVE Nord Ouest verse aux débats le relevé informatique des horaires de connexion de M. [B] sur les années 2019-2020 qui montrent que celui-ci prenait son poste entre 8h30 et 9h00 pour le quitter entre 16h30 et 17h00, sans jamais être présent plus de 8 heures par jour à son poste de travail et étant précisé que M. [B] ne conteste pas qu’il bénéficiait d’une pause déjeuner d’une durée d’une heure, ce qui conduit à constater qu’il ne réalisait pas plus de 35 heures par semaine. Au demeurant, le salarié ne conteste pas sérieusement cette situation, indiquant toutefois qu’il ne faut pas confondre surcharge de travail et durée du temps de travail et que par ailleurs, il lui arrivait fréquemment de travailler le soir chez lui à partir de son ordinateur personnel pour faire des recherches sur internet dans le but de trouver une solution aux difficultés qui lui étaient soumises. Toutefois, non seulement ces éléments ne sont corroborés par aucune pièce, mais l’évaluation professionnelle de M. [B] réalisée ne 2020 tend à établir le contraire, puisque sa charge de travail est jugée insuffisante. En tout état de cause, il n’est pas établi que l’employeur de M. [B] était informé de ce qu’il faisait des recherches à son domicile le soir à des fins professionnelles et que cette pratique était validée.

En l’absence de tout élément caractérisant l’existence d’un préjudice moral subi à raison du non-respect par l’employeur de ses obligations conventionnelles au titre du contrôle de la charge de travail de son salarié, il convient de débouter M. [B] de sa demande de dommages et intérêts.

Par ailleurs, lorsqu’une convention de forfait est privée d’effet, l’employeur peut, pour la période de suspension, réclamer le remboursement des jours de réduction du temps de travail dont le paiement est devenu indu à charge pour lui, cependant, de justifier de ce caractère indu.

A ce titre, la société Apave Nord Ouest formule une demande tendant à obtenir sur une durée de trois ans correspondant au délai de prescription le remboursement des 14 jours annuels de RTT accordés à M. [B] dans le cadre de l’application de la convention de forfait en jours.

Il convient de relever que dans le cadre du débat sur le préjudice subi par M. [B], la société Apave Nord Ouest rapporte la preuve que son salarié, bien qu’étant soumis à une convention de forfait en jours mise en place lors de sa promotion au grade d’ingénieur, n’effectuait pas plus de 35 heures de travail par semaine à sa demande et avec son accord. En outre, il est constant que de manière ponctuelle mais fréquente sur les années 2018-2019 et de manière définitive et ininterrompue à compter du 20 août 2020, M. [B] a été placé en arrêt maladie, de sorte qu’il n’exécutait pendant ces périodes aucune prestation de travail, tout en étant crédité des jours de RTT alloués en application de la convention de forfait litigieuse, ainsi que cela ressort de l’examen de ses bulletins de salaire.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la société Apave Nord Ouest rapporte la preuve suffisante du caractère indu des jours de repos dont elle réclame le remboursement.

Toutefois, il convient de relever que le calcul de l’employeur, bien que non contesté par M. [B] qui ne conclut pas sur ce point, ne peut être retenu puisqu’il est fondé sur la valeur d’une journée de RTT arrêtée en juin 2021, alors que cette valeur a varié sur la totalité de la période et qu’en outre, l’examen des bulletins de salaire montre que le nombre de jours de RTT concernés par la période non atteinte par la prescription n’est pas celui retenu par l’employeur.

En conséquence, il convient de condamner M. [B] à payer à la société Apave Nord Ouest la somme de 4 990,79 euros bruts (666,47 euros pour les 4 jours de RTTde 2021 réglés sur le reçu pour solde de tout compte et les 27 jours sur les années précédentes payés sur une base de 160,16 euros).

I – c) Sur le rappel de salaire au titre des TEGA 2019 et 2020

A titre liminaire, il convient de préciser que bien que tant M. [B] que la société Apave Nord Ouest aient uniquement conclu sur ce point en se basant sur un salaire de référence fixé en application de la convention de forfait établie pour 214 jours, la cour ne peut suivre un tel raisonnement puisqu’il résulte des motifs adoptés précédemment que cette convention est inopposable au salarié.

En conséquence, la demande présentée à ce titre par M. [B] sera appréciée par référence au salaire minimum garanti conventionnel fixé pour un horaire de travail de 35 heures par semaine.

L’article 23 de la convention collective applicable dispose que ‘les appointements minima garantis fixés par l’annexe à la présente convention correspondent à un horaire de travail hebdomadaire de 39 heures. Les appointements minima garantis comprennent les éléments permanents de la rémunération, y compris les avantages en nature. Ils ne comprennent pas les libéralités à caractère aléatoire, bénévole ou temporaire.’

L’accord du 8 janvier 2019 relatif aux salaires minimaux garantis pour l’année 2019 fixe le salaire minimum annuel garanti pour un ingénieur position II indice 130 employé dans le cadre d’une durée hebdomadaire de travail effectif de 35 heures, sur la base mensualisée de 151,66 heures, à la somme de 37 303 euros, précisant que ‘le barème ci-dessus fixant des garanties annuelles d’appointements minimaux pour la durée du travail considérée, les valeurs dudit barème seront adaptées en fonction de la durée de travail effectif à laquelle est soumis l’ingénieur ou cadre.’

Contrairement à ce que soutient le salarié, il n’est pas justifié de comparer ce montant au cumul brut annuel mentionné sur son bulletin de salaire du mois de décembre 2019.

En effet, il résulte de l’examen de l’ensemble des bulletins de salaires de l’année litigieuse que M. [B] a été en arrêt maladie à plusieurs reprises, sur plusieurs semaines. Or, les sommes versées pendant ces périodes de suspension du contrat de travail en application de l’article 16 de la convention collective, pour compléter les indemnités journalières versées par les organismes de sécurité sociale et par un régime complémentaire de prévoyance, n’entrent pas dans l’assiette de détermination des appointements minima garantis. Aussi, la cour ne retient pas comme chiffre de comparaison ce cumul brut annuel mentionné sur le bulletin de salaire du mois de décembre 2019, mais la somme de 45 117,96 euros, qui correspond au salaire de base de M. [B] auquel est ajoutée la prime de 13ème mois versée en quatre mensualités. Par ailleurs, dans le cadre de l’application de la convention de forfait en jours, il est constant que M. [B] a perçu, au mois de mars 2020, une régularisation de 3 143,47 euros au titre de l’application du salaire minimum garanti conventionnel dans le cadre d’une convention de forfait en jours qui était plus important puisque fixé à la somme de 48 494 euros.

Il ne reste donc aucune somme dûe au salarié à ce titre, le jugement étant ainsi infirmé.

L’accord du 5 février 2020 relatif au barème des appointements minimaux garantis pour l’année 2020 fixe le salaire minimum annuel garanti pour un ingénieur position II indice 130 employé dans le cadre d’une durée hebdomadaire de travail effectif de 35 heures, sur la base mensualisée de 151,66 heures, à la somme de 37 788 euros, précisant que ‘le barème ci-dessus fixant des garanties annuelles d’appointements minimaux pour la durée du travail considérée, les valeurs dudit barème seront adaptées en fonction de la durée de travail effectif à laquelle est soumis l’ingénieur ou cadre.’

À l’instar des motifs adoptés précédemment et eu égard aux arrêts maladie de M. [B] sur la période litigieuse, la cour retient, à l’examen des bulletins de salaire, que ce dernier a perçu une rémunération annuelle totale de 48 557,78 euros ( (3 470,61 euros salaire de base x 12 + 3 493,94 euros de prime d’ancienneté + 3 416,52 euros de ‘complément différentiel TEGA’).

M. [B] a donc été rempli de ses droits pour l’année 2020, de sorte que le jugement est infirmé sur ce point.

La société Apave Nord Ouest demande que soit ordonnée la restitution des sommes versées en exécution des chefs de jugements ainsi infirmés assorti de l’exécution provisoire. Cependant, le présent arrêt infirmatif constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de restitution des avances faites par la société Apave Nord Ouest au titre de l’exécution provisoire.

I – d) Sur l’indemnité pour travail dissimulé

Il résulte de l’article L. 8221-5 du code du travail qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur, soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche, soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Selon l’article L. 8223-1, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l’espèce, s’il résulte des motifs adoptés précédemment que la convention de forfait en jours conclue entre les parties n’est pas opposable à M. [B], cet élément ne permet pas à lui seul d’établir que la société APAVE aurait intentionnellement mentionné un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli par son salarié, étant fait observer que ce dernier ne s’était jamais plaint, avant l’introduction de la présente instance, de l’irrégularité de sa situation et qu’il résulte des motifs adoptés précédemment qu’il n’est pas établi que M. [B] ait réalisé des heures supplémentaires.

En conséquence, le jugement entrepris est confirmé sur ce point.

I- e) Sur l’absence de déclaration de l’accident du travail du 14 mai 2018

L’article L 441-1 du code de la sécurité sociale dispose que la victime d’un accident de travail doit, dans un délai déterminé, sauf le cas de force majeure, d’impossibilité absolue ou de motifs légitimes, en informer ou en faire informer l’employeur ou l’un de ses préposés.

L’article L. 441-2 du même code impose à l’employeur ou l’un de ses préposés de déclarer tout accident dont il a eu connaissance à la caisse primaire d’assurance maladie dont relève la victime selon des modalités et dans un délai déterminés. La déclaration à la caisse peut être faite par la victime ou ses représentants jusqu’à l’expiration de la deuxième année qui suit l’accident.

En l’espèce, il résulte de l’échange de mails produit aux débats qu’à la suite d’un courriel adressé le 14 mai 2018 à 17h49 par M. [M], supérieur hiérarchique de M. [B], s’inquiétant de ce que ce dernier était rentré chez lui sans l’en avoir informé, qu’il n’était pas joignable sur son téléphone, et lui demandant en conséquence, de le joindre pour ‘échanger sur la manière de régulariser cette absence’, M. [B] lui a fait, à 22h50, la réponse suivante :

‘Bonjour,

Ce matin, de retour à mon bureau, j’ai trouvé le décor complètement changé, fauteuil, écran… et occupé par un collègue. Un déménagement avait été effectué.

J’étais sous le choc, car à aucun moment, vu que j’étais en congés la semaine 18 et que Apave était fermée la semaine suivante, je n’ai été mis au courant de l’imminence de cette opération (même si, il y a quelques mois, [V] en avais évoqué la probabilité).

Sachant que toi [V] tu n’étais pas présent, ma réaction première a été d’aller voir M. [E] qui était en congé ce jour. Toujours sous le choc, j’ai envoyé un message à M. [I].

Dans la foulée, j’ai été pris de vertiges et me suis rend chez mon médecin qui, au vu de mon état, m’a prescrit un arrêt d’une semaine.

Je ne suis pas contre la réorganisation des bureaux, car personne n’en est propriétaire, mais je regrette fortement que cette opération ait été effectuée sans ma présence. Ce n’est que, dans la soirée, que j’ai découvert ton mail [V].

Ps: le choc a été d’autant plus violent que je pensais à 58 ans et 27 ans de services à Apave, être traité avec plus d’égard’.

M. [B] verse également aux débats un arrêt de travail ‘classique’ de quatre jours daté du 14 mai 2018 qui ne mentionne aucunement les causes dudit arrêt.

En l’absence de constatations médicales, il n’est pas possible d’affirmer que l’arrêt de travail ainsi prononcé est en lien avec l’état de choc psychologique évoqué par M. [B] dans son mail qui lui-même aurait pour origine la modification de son bureau.

Au demeurant, il convient de relever que M. [B] ne produit aucun témoignage permettant d’établir la véracité des faits qu’il relate dans son mail sur son état de choc et qu’il n’a lui-même fait aucune démarche pendant les deux ans qui ont suivi cette journée pour voir reconnaître l’existence d’un accident du travail, que ce soit par une demande faite à son employeur ou par une démarche individuelle spontanée auprès de l’organisme social. Le mail adressé le jour même à son supérieur hiérarchique ne fait pas non plus état d’un tel positionnement.

Au vu de ces éléments, il est parfaitement légitime que la société Apave Nord Ouest n’ait déclaré aucun accident du travail survenu le 14 mai 2018.

Le jugement est confirmé sur ce point.

I – f) Sur le manquement à l’obligation de sécurité

Au titre de son obligation générale de sécurité, M. [B] reproche à son employeur son manque de respect lors de son changement de bureau le 14 mai 2018, sa charge de travail trop importante dont il s’est plaint en 2019, sans qu’aucun correctif n’y soit apporté, et le manque de reconnaissance de son travail par l’application d’une rémunération en deça de ses espérances, malgré des résultats satisfaisants et une grande ancienneté. Il soutient que cette situation a conduit à la dégradation de son état de santé, sans que son employeur ne prenne de mesures pour y remédier que ce soit en le faisant accéder à des formations sur les risques psycho-sociaux ou en respectant ses obligations de visite médicale, n’ayant pas organisé de visite médicale de reprise après son arrêt maladie du 5 décembre au 7 février 2020.

A titre liminaire, il résulte des motifs adoptés précédemment qu’il n’est pas établi que M. [B] ait été soumis à une surcharge de travail importante non prise en compte par son employeur, de sorte que cette situation est inopérante pour fonder sa demande d’indemnisation au titre du manquement à l’obligation générale de sécurité. Il en est de même de sa demande au titre du montant de sa rémunération, la société Apave Nord Ouest ayant elle-même procédé à la régularisation de la situation, sans qu’il ne soit, de surcroît, légitime, de critiquer le caractère annuel de cette régularisation, celle-ci étant expressément prévue par les dispositions conventionnelles applicables.

Par ailleurs, à l’instar des motifs adoptés précédemment sur le préjudice subi par M. [B] relativement à l’irrégularité de la convention de forfait en jours, il convient de rappeler que contrairement à ce que le salarié soutient, il n’est établi aucun lien de causalité entre son état de santé et ses conditions de travail.

En effet, à l’exception de multiples arrêts de travail dont la cause est, pour tous, non identifiée, M. [B] ne produit aucun justificatif médical d’un suivi personnel par son médecin traitant et/ou son psychiatre avant octobre 2020 au plus tôt, alors qu’il est déjà en arrêt depuis plusieurs mois. En outre, ces certificats médicaux ne mentionnent aucunement des conditions de travail dégradées, comme faisant uniquement référence à ‘un état dépressif en lien avec sa situation professionnelle’ ou évoque uniquement des difficultés de salaires jugés non conformes aux minima applicables.

Quant aux visites organisées auprès du service de médecine au travail, il ressort du dossier médical produit aux débats qu’alors que M. [B] a été vu en entretien au mois de juin 2020, il n’a évoqué ses épisodes dépressifs consécutifs à ses conditions de travail qu’à compter de février 2021, soit après dix mois d’arrêt maladie consécutifs. Plus précisément, le compte rendu d’entretien du mois de juin 2020, qui correspond à l’entretien le plus contemporain par rapport à l’état de santé de M. [B] avant la suspension définitive du contrat de travail (le précédent remontant à 2017), non seulement n’évoque aucune difficulté de cet ordre, mais permet également de comprendre que le dernier arrêt maladie de plus d’un mois, du 5 décembre 2019 au 7 février 2020, n’a aucun lien de causalité avec l’état de santé psychique du salarié, puisqu’il s’agissait d’un arrêt consécutif à la pose d’une prothèse de hanche droite. Il n’y a donc dans ce dossier, aucun signe de troubles psychiques liés aux conditions de travail du salarié avant février 2021.

Au vu de ces éléments, et sans qu’il ne soit question de remettre en cause les troubles dépressifs subis par M. [B] tels qu’ils ont été constatés par son médecin psychiatre, force est néanmoins de considérer qu’il n’existe aucun lien de causalité objectif établi entre cet état de santé et les conditions de travail de M. [B], qui souffre d’un mal être au travail exclusivement subjectif.

En tout état de cause, aucune faute ne peut être reprochée à la société Apave Nord Ouest pour le changement de bureau opéré le 14 mai 2018, M. [B] reconnaissant lui-même qu’il a été informé du projet et qu’il a été également informé par mail de la date effective de ce changement, le fait qu’il ait été opéré pendant son absence n’étant pas un élément de nature à caractériser un quelconque manquement à l’obligation de sécurité.

En revanche, il est exact que la société Apave Nord Ouest n’a pas respecté les prescriptions de l’article R. 4624-31 du code du travail, en ce qu’à la suite de l’arrêt maladie de M. [B] du 5 décembre 2019 au 7 février 2020, elle n’a pas procédé à l’organisation d’une visite de reprise pour s’assurer de l’aptitude de M. [B] qui venait d’être opéré de la pose d’une prothèse de hanche. Compte tenu des caractéristiques de l’emploi de M. [B] qui ne lui impose aucun effort particulier ni aucune posture physique gênante ou fatigante, le préjudice résultant de ce manquement sera équitablement réparé par l’allocation d’une somme de 200 euros.

I – g) Sur le manquement à l’obligation de formation du salarié

En application des dispositions de l’article L. 6321-1 du code du travail, l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail et veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.

En l’espèce, alors que M. [B] est présent au sein de la société depuis 1991, la société Apave Nord Ouest, pour justifier la bonne exécution de son obligation de formation, ne verse aux débats aucun justificatif probant sur les formations suivies par son salarié, le seul document évoquant son affectation à une formation ‘formation de développement agile’ courant 2016, contestée par le salarié, étant en tout état de cause insuffisant pour caractériser une exécution loyale de cette obligation.

Au vu de ces éléments, il est incontestable que la société Apave Nord Ouest a manqué à son obligation de formation.

Sur le préjudice subi par M. [B], il résulte des pièces produites aux débats qu’à l’exception d’une formation sur les ‘enjeux de l’intelligence artificielle’ qu’il a réclamée en décembre 2018 et qui lui a été refusée au motif qu’elle n’avait aucun lien de causalité avec ses fonctions, il n’a jamais interpellé son employeur sur son désir de formation qui n’était pas comblé et qui freinait sa carrière.

Au demeurant, il est constant que malgré l’absence de formation prouvée, M. [B] a bénéficié d’une évolution de carrière significative, puisqu’engagé initialement en qualité de technicien, il a accédé en 2006 au statut d’ingénieur, sans ensuite jamais revendiquer une nouvelle évolution de sa carrière professionnelle si ce n’est pour solliciter une augmentation de salaire. Ainsi, tous les mails versés aux débats convergent pour établir que la demande de M. [B] tendant à obtenir une classification plus élevée n’était aucunement motivée par la volonté d’accéder à une évolution de son poste et de ses fonctions, mais uniquement par le souhait de voir augmenter son salaire, son but explicitement affirmé dans les échanges produits, étant de partir à la retraite avec un salaire net mensuel de 3 000 euros. Il s’agit donc d’une exigence et d’un préjudice purement rémunératoires, qui a déjà été examiné dans les motifs précédents, situation pour laquelle M. [B] ne justifie d’aucun autre préjudice spécifique distinct.

Quant à son employabilité, il résulte également des échanges de mails produits aux débats que M. [B] n’a jamais eu l’intention de quitter la société Apave Nord Ouest pour tenter d’aller faire valoir ses compétences dans une autre entreprise, qu’il a ainsi, à plusieurs reprises, rappelé à son employeur que ses revendications salariales étaient motivées par son objectif de partir à la retraite à 62 ans avec un salaire qui soit le plus élevé possible. Au demeurant, M. [B], depuis la rupture de son contrat de travail, alors qu’il était âgé de 61 ans, ne justifie aucunement de la moindre démarche pour tenter de retrouver un emploi qui lui aurait été refusé, notamment en raison de son absence de formation.

Au vu de ces éléments, le préjudice moral non spécifique subi par M. [B] sera équitablement réparé par l’allocation d’une somme de 100 euros.

II – Sur la reconnaissance de l’origine professionnelle de l’inaptitude

Les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement, l’application des dispositions de l’article L. 1226-10 du code du travail n’étant pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d’assurance-maladie du lien de causalité entre l’accident et l’inaptitude.

Par ailleurs, si le juge ne peut substituer son appréciation à celle du médecin du travail quant à l’aptitude du salarié, il lui appartient au contraire d’apprécier si l’inaptitude a un caractère professionnel.

En l’espèce, dans son avis du 4 mai 2021, le médecin du travail a déclaré M. [B]’inapte’, précisant ‘tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé’.

Alors que M. [B] soutient que cette conclusion de l’avis d’inaptitude trouve sa cause dans la dégradation de ses conditions de travail et dans la faute de son employeur, les motifs adoptés précédemment établissent le contraire, puisqu’il n’existe aucun lien de causalité entre l’état de santé dépressif de M. [B] et ses conditions de travail, le simple fait que M. [B] ait déclaré au médecin du travail que son état de santé dépressif était en lien avec son activité professionnelle n’étant pas suffisant pour rapporter la preuve du lien de causalité.

Au demeurant, ce constat ressort également de l’étude de poste réalisée par le médecin du travail en mars 2021, qui, dans ce cadre, n’avait pas exclu la possibilité de déclarer le salarié apte avec réserves, puisqu’il proposait un aménagement du poste de M. [B] avec la mise en place d’un télétravail par dotation d’un ordinateur portable conformément à la proposition spontanée faite par l’employeur, accompagnée de la possibilité d’une reprise en temps partiel thérapeutique. Or, le salarié n’a pas donné suite à cette proposition sans aucune explication.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté l’origine professionnelle de l’inaptitude et débouté M. [B] de toutes ses demandes indemnitaires subséquentes

III – Sur les intérêts

Les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du jugement déféré pour les dispositions confirmées et du présent arrêt pour les dispositions infirmées.

Par ailleurs, conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil, les intérêts échus produiront intérêts dés lors qu’ils seront dus au moins pour une année entière et ce, à compter de l’arrêt.

IV – Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L’exercice d’une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une indemnisation que dans les cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équivalente au dol.

En l’espèce, la société Apave Nord Ouest ne rapporte nullement la preuve de la mauvaise foi ou d’un fait constitutif de malice ou de dol émanant de M. [B]. Il en est de même de l’existence d’un préjudice distinct des frais indemnisés au titre des frais irrépétibles.

Le jugement déféré, en ce qu’il a rejeté cette demande, sera donc confirmé.

V – Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante , il y a lieu de condamner la société Apave Nord Ouest aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [B] la somme de 1 000 euros sur ce même fondement pour les frais générés en première instance et en cause d’appel et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [U] [B] de ses demandes salariales et indemnitaires au titre de la classification, de sa demande de dommages et intérêts pour non déclaration d’un accident du travail, pour travail dissimulé et en ce qu’il a débouté la SAS Apave Nord Ouest de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

L’infirme pour le surplus ;

Vu l’évolution du litige,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute M. [U] [B] de sa demande de rappels de salaires au titre de l’application des minima conventionnels pour les années 2019 et 2020 ;

Dit n’y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l’exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour ;

Dit que la convention de forfait en jours conclue entre les parties à compter du 1er juillet 2006 est privée d’effet ;

Déboute M. [U] [B] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l’irrégularité de la convention de forfait en jours ;

Condamne la SAS Apave Nord Ouest à payer à M. [U] [B] les sommes suivantes :

200 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du manquement de l’employeur à l’organisation d’une visite médicale de reprise à l’issue de l’arrêt de travail se terminant le 7 février 2020 ;

100 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du manquement à l’obligation de formation ;

Condamne M. [U] [B] à payer à la SAS Apave Nord Ouest la somme de 4 990,79 euros bruts au titre du remboursement de jours de RTT indus à raison de l’absence d’effet de la convention de forfait en jours ;

Déboute M. [U] [B] de sa demande tendant à la reconnaissance de l’origine professionnelle de son inaptitude, de sa demande tendant à voir déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de toutes ses demandes financières subséquentes ;

Dit que les sommes allouées en première instance et en appel à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du jugement de première instance pour les dispositions confirmées et du présent arrêt pour les dispositions infirmées ;

Dit que les intérêts échus produiront intérêts dés lors qu’ils seront dus au moins pour une année entière et ce, à compter de l’arrêt ;

Condamne la SAS Apave Nord Ouest aux entiers dépens ;

Déboute la SAS Apave Nord Ouest de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Apave Nord Ouest à payer à M. [U] [B] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente

 


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