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16 février 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/01362
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
15e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 FEVRIER 2023
N° RG 21/01362
N° Portalis : DBV3-V-B7F-UPTH
AFFAIRE :
[X] [R]
C/
S.A. AMONIT
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Avril 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de CERGY-PONTOISE
Section : I
N° RG : F18/00443
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Sébastien RAYNAL de la SELARL DAMY – RAYNAL – HERVE
Me Julien-Alexandre DUBOIS
Expédition numérique délivrée à : PÔLE EMPLOI
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [X] [R]
né le 05 Octobre 1964 à [Localité 6] ([Localité 4])
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Sébastien RAYNAL de la SELARL DAMY – RAYNAL – HERVE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 220
APPELANT
****************
S.A. AMONIT
N° SIRET : 409 119 419
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Julien-Alexandre DUBOIS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 Décembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Régine CAPRA, Présidente chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Juliette DUPONT,
EXPOSE DU LITIGE
M. [X] [R] a été engagé à compter du 6 juillet 2015, par contrat de travail à durée indéterminée, par la société Amonit en qualité de technico-commercial, statut agent de maîtrise, moyennant une rémunération mensuelle brute composée d’une partie fixe de 2 500 euros, portée en dernier lieu à 2 531,25 euros, et d’une partie variable liée à des objectifs commerciaux fixés unilatéralement par la direction, cette prime annuelle sur objectif étant de 10 000 euros brut à objectif atteint. Il bénéficiait également d’un avantage en nature véhicule évalué en dernier lieu à 277,68 euros brut par mois.
La relation de travail entre les parties était régie par la convention collective nationale des industries chimiques et connexes.
Après avoir notifié à M. [R], par courrier remis en main propre contre décharge le 28 mars 2018, une mise à pied à titre conservatoire dans l’attente d’une convocation à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, la société Amonit lui a notifié par courrier du 11 avril 2018 une convocation à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’à un licenciement fixé au 24 avril 2018, avec maintien, dans l’attente de la décision à intervenir, de la mise à pied conservatoire notifiée le 28 mars 2018, puis, par courrier du 2 mai 2018, elle lui a notifié son licenciement pour faute grave.
Par courrier du 14 mai 2018, le salarié a sollicité des précisions sur les motifs de son licenciement auprès de l’employeur, qui lui a répondu par courrier du 30 mai 2018, que les griefs exposés lors de son entretien préalable puis dans le cadre de la lettre de licenciement étaient suffisamment précis.
Par requête reçue au greffe le 31 octobre 2018, M. [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise, afin de contester son licenciement et d’obtenir le paiement de diverses sommes.
Par jugement de départage du 6 avril 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise a :
– dit le licenciement du salarié fondé sur une faute grave ;
– débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes ;
– condamné le salarié à payer à la société les sommes de :
– 1.197,42 euros au titre du caractère débiteur de son solde de tout compte ;
– 700 euros nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
– rejeté la demande formée par le salarié au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [R] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 6 mai 2021.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 29 juillet 2021 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, il expose notamment que :
– son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que la matérialité des faits de violence et des propos qui lui sont reprochés n’est pas établie au vu des attestations qu’il produit et que les reproches qui lui sont faits s’intègrent dans un contexte de scission de l’équipe généré par la direction ;
– l’impossibilité de son maintien dans l’entreprise n’est pas caractérisée, en ce qu’il ne s’est vu notifier verbalement sa mise à pied conservatoire que vingt jours après la date de survenance des prétendus faits ;
– le montant maximal d’indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse désormais prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail n’est pas conforme aux articles 10 de la convention n° 158 de l’Organisation Internationale du Travail sur le licenciement et 24 de la Charte sociale européenne du 3 mai 1996, en ce qu’il ne garantit pas le droit à une indemnité adéquate, ainsi qu’au principe de réparation intégrale du préjudice mentionné par la résolution 75-7 du Conseil de l’Europe.
Il demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
– fixer son salaire brut moyen à la somme de 3.681,42 euros ;
– prononcer l’annulation de la mise à pied conservatoire notifiée le 28 mars 2018 ;
– dire que le licenciement notifié le 2 mai 2018 est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
En conséquence, de :
A titre principal,
– dire que le plafonnement prévu à l’article L.1235-3 du code du travail doit être écarté en raison de son inconventionnalité à l’article 24 de la charte sociale européenne, aux articles 4 et 10 de la convention OIT et au droit à un procès équitable ;
– condamner la société au paiement d’une somme de 22.088,52 euros au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Subsidiairement,
– condamner la société au paiement d’une somme de 14.725,68 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En tout état de cause,
– condamner la société au paiement de sommes suivantes :
– 2.945 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
– 7.362,84 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 736,2 euros au titre des congés payés afférents ;
– 4.207,33 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et 420,7 euros au titre des congés payés afférents ;
– 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société aux entiers dépens.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 12 octobre 2021 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société Amonit soutient en substance que :
– le licenciement de l’appelant est fondé sur une faute grave, résultant des menaces et violences physiques et verbales qu’il a exercées sur deux salariées, qui sont établies et corroborées notamment par différentes attestations, l’ancienneté de l’intéressé et le caractère isolé des faits étant indifférents ;
– les attestations versées aux débats par l’appelant sont dépourvues de force probante, en particulier en ce qu’elles constituent des témoignages de complaisance émanant de ses amis ;
– la mise à pied conservatoire du salarié, qui est intervenue quatre jours après l’information officielle qu’elle a reçue des victimes le 22 mars 2018 en fin de journée, était justifiée au regard des agissements de l’intéressé et de la désorganisation qu’il a causée ;
– le barème d’indemnisation prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail est conforme aux engagements internationaux de la France et au bloc de constitutionnalité au regard des textes invoqués par le salarié et des décisions du Conseil constitutionnel, du Conseil d’Etat et des juges du fond des juridictions judiciaires ;
– elle a consenti un prêt et des avances à l’appelant, qu’il ne lui a pas remboursés.
Elle demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
– dit le licenciement du salarié fondé sur une faute grave ;
– débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes ;
– condamné le salarié à lui payer la somme de 1.197,42 euros au titre du caractère débiteur de son solde de tout compte et la somme de 700 euros nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné le salarié au paiement des dépens ;
– rejeté la demande formée par le salarié au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
En conséquence, statuant à nouveau, de :
– débouter le salarié de l’ensemble de ses demandes ;
– condamner le salarié à lui verser les sommes de :
– 1.197,42 euros au titre du remboursement de son solde de tout compte ;
– 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– assortir les condamnations de l’intérêt au taux légal ;
– condamner le salarié aux entiers dépens de l’instance.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 16 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la rupture du contrat de travail :
La lettre de licenciement notifiée à M. [R], qui fixe les limites du litige, est rédigée dans les termes suivants :
‘Le 9 mars 2018 vers 14h30, alors que vous critiquiez ouvertement les compétences de l’une de vos collègues de travail (‘[O] [T] [H] n’est là que pour ramener son boule et se maquiller quand elle veut bien’), Madame [L] [Z] vous a rejoint afin de comprendre la raison de tels propos.
Sans aucune raison, vous vous êtes alors montré agressif à l’encontre de Madame [Z].
Choquée par le caractère disproportionné de votre réaction à l’égard de Madame [Z], Madame [U] [J], également présente aux moments des faits a dû intervenir afin de calmer la situation.
Loin de vous modérer, votre comportement a au contraire empiré puisque vous avez soudainement interpellé violemment Madame [J] : ‘de toute façon ici personne ne fait son travail’, avant de la saisir par le bras, la serrant suffisamment fort pour qu’elle vous indique que vous lui faisiez mal.
Suite à cela, vous avez de nouveau porté votre hostilité sur Madame [Z] en l’agressant verbalement : ‘Reste à ta place ! Reste à ta place ! ‘
Nous ne pouvons tolérer ce type de comportement, qui outre le fait d’avoir marqué et choqué vos deux collègues de travail, ne reflète absolument pas les valeurs de notre entreprise.
Ce comportement violent et intimidant est d’autant plus inadmissible qu’il a pour effet de perturber le fonctionnement de l’entreprise, de créer un véritable trouble mais également de dégrader l’ambiance de travail, désorganisant l’activité du service dans lequel Madame [Z] et Madame [J] travaillent.
Lors de notre entretien du 24 avril 2018, vous avez contesté les faits qui vous sont reprochés, indiquant qu’il ne s’agissait ”ni plus ni moins qu’une discussion houleuse entre collègues comme cela arrive tous les jours dans de nombreuses entreprises françaises’.
Vous avez néanmoins proposé d’aménager vos conditions de travail en faisant du télétravail, estimant devoir vous tenir à distance de Madame [Z] et de Madame [J] afin d’être plus ”productif”. Vous qualifiez même votre venue dans nos locaux comme ‘contraignante et contre productive’ pour vous, ne pouvant ‘pas croiser ni échanger’ avec vos deux collègues tout en exécutant vos tâches.
Ces explications ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.
Dès lors, compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’entreprise est devenu impossible de sorte que vous ne ferez plus parti des effectifs de l’entreprise à compter de l’envoi du présent courrier. En outre, votre mise à pied conservatoire ne vous sera pas rémunérée’.
Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la faute grave qu’il invoque à l’appui du licenciement.
Afin de démontrer la matérialité des faits de violences et d’intimidation qu’il reproche au salarié d’avoir commis le 9 mars 2018, l’employeur verse aux débats deux courriers électroniques intitulés ‘déclaration d’incident’ adressés le 22 mars 2018, l’un par Mme [L] [Z] et l’autre par Mme [A], au président directeur général de la société, M. [K] [M].
Mme [Z] y écrit que M. [R] s’est énervé lorsqu’elle lui a fait part de son désaccord quant aux propos qu’il tenait à l’égard d’une de leurs collègues, en ‘devenant de plus en plus violent verbalement’. Elle indique que ‘l’intervention maladroite de [Mme [J]] n’a pas arrang[é] les choses’, en ce que le salarié ‘est devenu agressif et s’en est pris à [cette dernière] (en lui saisissant le bras) et verbalement’. Elle mentionne que M. [R] l’a ensuite prise à partie, en l’agressant verbalement puis en s’approchant d’elle et en s’arrêtant très près de son visage.
Mme [J] y écrit qu’après avoir fait montre d’une agressivité croissante à son égard, M. [R] l’a saisie par le bras en le serrant avec force, avant d’interpeller Mme [Z] sur un ton menaçant, en lui déclarant ‘Reste à ta place’, ‘Tu sais très bien où est ta place’, puis de se rapprocher physiquement de cette dernière.
Bien qu’ils émanent de deux personnes différentes, ces courriers électroniques apparaissent avoir été rédigées de concert par les deux salariées, ainsi qu’il résulte de leur date commune, le 22 mars 2018, de leur intitulé identique, ‘déclaration d’incident’ et de leur structure similaire, de sorte qu’il ne saurait être tiré aucune conclusion du caractère convergent de leur version des faits du 9 mars 2018.
Il en va de même en ce qui concerne, d’une part, leurs deux déclarations de main courante en date du 30 mars 2018 et, d’autre part, leurs deux courriers datés du 11 avril 2018 remis en main propre à M. [M], dans lesquels chacune des deux salariées écrit confirmer l’exactitude des faits rapportés à celui-ci lors de leurs entretiens des 12 et 28 mars et déclarés dans la main-courante du 30 mars.
L’employeur verse par ailleurs aux débats une attestation établie par Mme [D] [F], directrice administrative et financière, une attestation établie par M. [Y] [P], directeur technique ainsi qu’une attestation établie par M. [K] [M], président directeur général.
Mme [F] et M. [P], qui précisent avoir été informés par Mme [Z] et Mme [J], le 12 mars en ce qui concerne M. [P] et les 23 et 28 mars s’agissant de Mme [F], des faits que ces deux salariées indiquent avoir subis le 9 mars 2018, attestent avoir constaté qu’elles étaient choquées. Monsieur [M] atteste avoir constaté leur détresse le 12 mars 2018, lorsqu’il s’est rendu dans les locaux de l’entreprise après avoir été informé de la situation par M. [P].
Il convient cependant de relever que les auteurs de ces trois attestations n’ont pas été personnellement témoins des faits du 9 mars 2018 et n’ont été en contact avec Mme [Z] et Mme [J] que plusieurs jours après les faits qu’elles invoquent, de sorte que la relation entre la réalité objective des faits et la vive émotion exprimée par celles-ci est difficilement appréciable.
Les protagonistes conviennent que les faits se sont déroulés en présence de M. [G] [I] et de M. [V] [C].
Or, au soutien de ses allégations selon lesquelles il y a eu seulement un ‘échange au cours duquel des oppositions ont pu être marquées’, le salarié verse aux débats des attestations établies par M. [I] et M. [C], qui contredisent la version des faits de Mme [Z] et de Mme [J].
Si la société Amonit fait état de contentieux l’opposant à ces derniers, la cour observe que leurs attestations ont été établies le 1er et le 10 octobre 2018, à savoir avant les contentieux qu’elle invoque.
Si Mme [Z] affirme dans son courrier électronique du 22 mars 2018 que M. [I] aurait tenté de l’intimider le 12 mars 2018, ses allégations apparaissent trop imprécises et insuffisamment circonstanciées pour démontrer la matérialité de menaces.
Les attestations établies par M. [M] et M. [P] ne fournissent aucun élément sur le contenu de l’échange intervenu entre Mme [Z] et M. [I] à cette date.
Il n’existe pas non plus de véritable contradiction entre l’attestation établie par Monsieur [C] et celle établie par Monsieur [I].
Monsieur [C] fait état d’une ‘discussion qui s[e serait] envenimée de manière verbale’ à l’issue d’un désaccord entre M. [R] et les deux salariées le mettant en cause, tandis que M. [I] fait état d’une discussion qui se serait apaisée. Néanmoins, M. [I] précise que le désaccord entre les parties suscité par les critiques émises par M. [R] concernant le travail fourni par l’une de ses collègues, avait été suivi d’un vif échange entre celui-ci et les deux salariées.
La circonstance selon laquelle, selon Mme [F], qui exprime des griefs personnels vis-à-vis de M. [R], M. [C], M. [I] et celui-ci entretenaient une relation empreinte de complicité, n’est pas de nature à remettre en cause la sincérité de leurs témoignages.
S’il est établi que le 9 mars 2018, une altercation verbale a opposé M. [R], d’une part, et Mme [Z] et Mme [J], d’autre part, suite aux critiques formulées par le premier concernant une autre salariée de la société, la preuve du comportement agressif, violent et intimidant reproché au salarié n’est pas rapportée, compte-tenu des contradictions constatées entre la version des faits de Mme [Z] et de Mme [J] et la version des faits des témoins de la scène.
La preuve des propos prêtés à M. [R] selon lesquels il aurait affirmé lors de l’entretien préalable que sa venue dans les locaux de l’entreprise était contraignante et contre productive et qu’il ne pouvait pas croiser ces deux collègues ni échanger avec elles tout en exécutant ses tâches n’est pas rapportée.
Le licenciement de M. [R] est en conséquence dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il dit le licenciement du salarié fondé.
Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse :
– Sur le rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire et les congés payés afférents
La mise à pied conservatoire dont le salarié a fait l’objet n’est pas illicite, mais, en l’absence de faute grave, injustifiée. S’il n’y a pas lieu dès lors de l’annuler, le salarié est bien fondé à revendiquer le paiement de sa rémunération pour la période considérée. Il lui sera alloué en conséquence la somme de 4.207,33 euros bruts qu’il revendique au titre du rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire, dont le montant est justifié par les bulletins de paie produits, outre la somme de 420,73 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il le déboute de ces chefs.
– Sur l’indemnité de préavis et les congés payés y afférents
En l’absence de faute grave privative du préavis, il convient d’allouer au salarié au titre du préavis de deux mois qu’il revendique, la somme de 7.362,84 euros bruts à titre d’indemnité de préavis, dont le montant est justifié par les bulletins de paie produits, ainsi que la somme de 736,20 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il le déboute de ces chefs.
– Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement
En l’absence de faute grave privative de l’indemnité de licenciement, le salarié, qui disposait d’une ancienneté de deux ans et onze mois et percevait un salaire moyen de 3.681,42 euros bruts au moment de la rupture, est bien fondé à prétendre, en application de l’article 21 de l’avenant n° 2 du 14 mars 1955 relatif aux agents de maîtrise et certains techniciens à la convention collective nationale des industries chimiques et connexes, à la somme de 2.945 euros qu’il revendique à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il le déboute de ce chef.
– Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
En application de l’article L. 1235-3 du code du travail tel qu’il résulte de l’ordonnance du 22 septembre 2017, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés par ce texte. Pour déterminer le montant de l’indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l’occasion de la rupture, à l’exception de l’indemnité de licenciement mentionnée à l’article L. 1234-9. Cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités prévues aux articles L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15, dans la limite des montants maximaux prévus au même article.
Selon l’article 24 de la Charte sociale européenne, « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître :
a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ;
b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial. »
L’annexe de la Charte sociale européenne précise qu’il « est entendu que l’indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales. »
Il résulte de la loi n° 99-174 du 10 mars 1999, autorisant l’approbation de la Charte sociale européenne, et du décret n° 2000-110 du 4 février 2000 que la France a choisi d’être liée par l’ensemble des articles de la Charte sociale européenne.
Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l’Union européenne dispose d’une compétence exclusive pour déterminer s’il est d’effet direct, les stipulations d’un traité international, régulièrement introduit dans l’ordre juridique interne conformément à l’article 55 de la Constitution, sont d’effet direct dès lors qu’elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elles n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers.
Il résulte de l’annexe, de la Partie III et de la Partie V de la Charte sociale européenne que les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs, poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu’ils prennent des actes complémentaires d’application prévus par l’annexe de la Charte sociale européenne et l’article I de la partie V de ladite Charte et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique mentionné par la Partie III de l’annexe de la Charte sociale européenne.
Par conséquent, les dispositions de la Charte sociale européenne n’étant pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l’invocation de son article 24 ne peut pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail.
Il en va de même en ce qui concerne la résolution 75 (7) relative à la réparation des dommages en cas de lésions corporelles et de décès adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 14 mars 1975, lors de la 243ème réunion des Délégués des Ministres.
En outre, aux termes de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, si les organismes mentionnés à l’article 8 de ladite convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.
Les stipulations de cet article 10 qui créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l’encontre d’autres particuliers et qui, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale de la convention, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire, sont d’effet direct en droit interne. En effet, la Convention n° 158 de l’OIT précise dans son article 1er : « Pour autant que l’application de la présente convention n’est pas assurée par voie de conventions collectives, de sentences arbitrales ou de décisions judiciaires, ou de toute autre manière conforme à la pratique nationale, elle devra l’être par voie de législation nationale. »
Selon la décision du Conseil d’administration de l’OIT, ayant adopté en 1997 le rapport du Comité désigné pour examiner une réclamation présentée en vertu de l’article 24 de la Constitution de l’OIT par plusieurs organisations syndicales alléguant l’inexécution par le Venezuela de la Convention n° 158, le terme « adéquat » visé à l’article 10 de la Convention signifie que l’indemnité pour licenciement injustifié doit, d’une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d’autre part raisonnablement permettre l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.
A cet égard, il convient de relever qu’aux termes de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, l’article L. 1235-3 de ce code n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :
1° La violation d’une liberté fondamentale ;
2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;
3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4 ;
4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits ;
5° Un licenciement d’un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l’exercice de son mandat ;
6° Un licenciement d’un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13.
Par ailleurs, selon l’article L. 1235-4 du code du travail, dans le cas prévu à l’article L. 1235-3 du même code, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
Il en résulte, d’une part, que les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls dans les situations ci-dessus énumérées, le barème ainsi institué n’est pas applicable, permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.
Il en résulte, d’autre part, que le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est également assuré par l’application, d’office par le juge, des dispositions précitées de l’article L. 1235-4 du code du travail.
Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT. Il en résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail en sa rédaction issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017 sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la convention précitée.
Si M. [R] invoque en outre le droit à un procès équitable consacré par l’article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il ne précise pas en quoi cet article devrait conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail.
Il n’y a pas lieu dès lors d’écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail au présent litige.
M. [R], qui avait une ancienneté de deux années complètes à la date de son licenciement, a droit à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant minimal de 3 mois de salaire brut et d’un montant maximal de 3,5 mois de salaire brut.
Compte tenu des circonstances de la rupture, de l’âge du salarié au moment de son licenciement, 53 ans et de ses difficultés de réinsertion professionnelle, il lui sera alloué la somme de 12.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l’article L. 1235-3 du code du travail.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il le déboute de ce chef.
Sur le remboursement des indemnités de chômage à Pôle emploi
La société Amonit employait habituellement au moins 11 salariés au moment de la rupture du contrat de travail.
En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d’ordonner le remboursement par la société Amonit à Pôle emploi, partie au litige par l’effet de la loi, des indemnités de chômage qu’il a versées à M. [R] à compter du jour de son licenciement, et ce à concurrence de 6 mois d’indemnités.
Sur la demande reconventionnelle :
En application de l’article 954, alinéas 1 et 3, du code de procédure civile, dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée, les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour d’appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
A l’appui de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 1.197,42 euros net, la société Amonit produit le bulletin de paie du salarié du mois de mai 2018, le solde de tout compte établi sur la même base le 2 mai 2018, que le salarié a refusé de signer, qui fait état d’un solde débiteur de 1.197,42 euros net dû par le salarié, compte tenu, d’une part, de la somme de 2 064,55 euros net qu’il reconnaissait devoir au salarié, au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés de 2 453,31 euros brut et de l’indemnité de RTT de 292,06 euros brut, sous déduction des cotisations sociales de 680,82 euros, d’autre part, de la somme de 3 261,97 euros net qu’il estimait lui être due par celui-ci, dont 2 886,97 net à titre de remboursement de prêts et 375 euros net à titre de remboursement d’avances, ainsi que le courrier explicatif adressé à celui-ci le 18 mai 2018 mentionnant :
– un 1er prêt d’un montant de 2 000 euros consenti le 11 avril 2017, dont le remboursement a été suspendu pendant deux mois en 2017, dont le solde restant dû est de 1 098,20 euros au 28 février 2018, dont il a indique avoir déduit deux mois d’intérêts ;
– un 2ème prêt d’un montant de 2 150 euros consenti le 2 mars 2018, dont le solde restant dû est de 1 796,93 euros au 30 avril 2018 ;
– des avances octroyées les 4 et 13 avril 2018 pour un montant total de 375 euros.
Les bulletins de paie de septembre 2017 à février 2018 produits par M. [R] mentionnent un remboursement de prêt d’un montant net de 254,37 euros, ce qui représente une somme totale de 1 526,22 euros. Le bulletin de paie du mois de mars 2018 produit par M. [R] mentionne un remboursement de prêt d’un montant net de 268,05 euros.
Pour faire droit à la demande de l’employeur, le conseil de prud’hommes a retenu que cette demande de remboursement ne fait l’objet d’aucune contestation de la part du salarié.
Si M. [R] a fait appel de la disposition du jugement l’ayant condamné à payer à la société Amonit la somme de 1.197,42 euros au titre du caractère débiteur de son solde de tout compte et demande à la cour dans le dispositif de ses conclusions d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, il ne demande pas à la cour, dans le dispositif de ses conclusions, de débouter la société Amonit de sa demande reconventionnelle et ne soulève non plus aucun moyen de fait ou de droit dans ses conclusions à l’appui de l’infirmation de ce chef du jugement.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il condamne le salarié à payer à la société Amonit la somme de 1.197,42 euros.
Sur les intérêts
La société Amonit sollicite que les condamnations qu’elle revendique soient assorties de l’intérêt au taux légal.
La somme de 1.197,42 euros due par le salarié à l’employeur ayant vocation à se compenser avec l’indemnité de licenciement de 2.945 euros due par l’employeur au salarié à la fin du contrat de travail, ne produira pas intérêts au taux légal et il en sera de même de la part de la créance d’indemnité de licenciement du salarié correspondant au montant de cette dette.
Sur les dépens et l’indemnité de procédure
La société Amonit, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et sera déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Il convient de la condamner, en application de l’article 700 du code de procédure civile, à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros pour les frais irrépétibles qu’il a exposés.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme partiellement, dans la limite des prétentions des parties, le jugement du conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise en date du 6 avril 2021, et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :
Dit le licenciement de M. [X] [R] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société Amonit à payer à M. [X] [R] les sommes suivantes :
– 4.207,33 euros bruts à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied injustifiée ;
– 420,73 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
– 7.362,84 euros bruts au titre de l’indemnité de préavis ;
– 736,20 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
– 2.945 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
– 12.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Dit que la somme de 1.197,42 euros que M. [X] [R] a été condamné à payer à la société Amonit ne produira pas intérêts et qu’il en sera de même de la part de la créance d’indemnité de licenciement de M. [X] [R] correspondant au montant de cette dette ;
Ordonne le remboursement par la société Amonit à Pôle emploi des indemnités de chômage qu’il a versées à M. [R] à compter du jour de son licenciement, et ce à concurrence de 6 mois d’indemnités ;
Condamne la société Amonit à payer à M. [R] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société Amonit aux dépens de première instance et d’appel.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier , auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,