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15 juin 2023
Cour d’appel de Dijon
RG n°
21/00764
OM/CH
[Y] [A]
C/
S.A.R.L. CHARL’ANTOINE BOURGOGNE
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 15 JUIN 2023
MINUTE N°
N° RG 21/00764 – N° Portalis DBVF-V-B7F-F2GR
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section Commerce, décision attaquée en date du 21 Octobre 2021, enregistrée sous le n° F20/00140
APPELANT :
[Y] [A]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Cédric MENDEL de la SCP MENDEL – VOGUE ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON substitué par Me Claire DE VOGÜE, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉE :
S.A.R.L. CHARL’ANTOINE BOURGOGNE
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Anne-Marie MARCHAL, avocat au barreau de STRASBOURG
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Mai 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Olivier MANSION, Président de chambre chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [A] (le salarié) a été engagé le 4 juin 2010 par contrat à durée indéterminée en qualité de chauffeur par la société Charl’antoine Bourgogne (l’employeur).
Il a pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur le 23 octobre 2019.
Le salarié a saisi, le 23 avril 2020, le conseil de prud’hommes qui, par jugement du 21 octobre 2021, a rejeté toutes ses demandes et l’a condamné à payer à l’employeur diverses sommes.
Le salarié a interjeté appel le 19 novembre 2021.
Il demande l’infirmation du jugement et le paiement des sommes de :
– 1 454,64 euros de rappel de salaires,
– 145,46 euros de congés payés afférents,
– 2 146,80 euros de rappel de prime d’encaissement,
– 214,68 euros de congés payés afférents,
– 4 251,63 euros de rappel d’heures supplémentaires,
– 425,16 euros de congés payés afférents,
– 3 383,26 euros au titre des repos compensateurs non pris,
– 338,33 euros de congés payés afférents,
– 14 367,14 euros d”indemnité pour travail dissimulé,
– 4 789,08 euros d’indemnité de préavis,
– 478,91 euros de congés payés afférents,
– 5 716,96 euros d’indemnité de licenciement,
– 21 550,86 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 1 800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
et réclame la délivrance d’une fiche de paie, l’attestation destinée à Pôle emploi et un solde de tout compte.
L’employeur conclut à la confirmation du jugement et sollicite le paiement de 1 800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties échangées par RPVA les 3 mai 2022 et 7 avril 2023.
MOTIFS :
Sur la prise d’acte de rupture du contrat de travail :
La prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquement suffisamment grave de celui-ci qui empêche la poursuite du contrat de travail.
Si les faits invoqués par le salarié justifient la rupture du contrat de travail, dans ce cas elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, à défaut, celui d’une démission.
En l’espèce, le salarié reproche à l’employeur un non-paiement des heures supplémentaires, l’absence d’augmentation du salaire brut de base, l’absence de paiement de la prime d’encaissement, l’absence de paiement de l’abonnement Internet dans le cadre du télétravail et l’absence d’information sur le dispositif de géolocalisation.
1°) Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, le salarié rappelle qu’il occupait en dernier lieu les fonctions de responsable service cuisine (pose des cuisines aménagées) et d’agent administratif, produit un décompte des heures effectuées sous forme de tableau (pièce n° 9), les plannings des années 2017 à 2019 inclus, les bulletins de paie sur cette même période, divers mails (pièces n° 14, 17 à 19).
Il précise que sur les 780 heures accomplies, seule une somme de 7 669,89 euros a été payée, soit un solde dû de 4 251,63 euros.
L’employeur affirme ne devoir aucune somme à ce titre, que le salarié a modifié lui-même les plannings pour préparer sa prise d’acte de rupture et se reporte aux attestations de MM [G], [U] et de Mmes [B] et [F].
Il sera relevé que la modification unilatérale des plannings invoquée par l’employeur ne repose sur aucun élément probant, l’échange de mails entre Mme [H] et M. [O] ne faisant état que d’une connexion à distance après la date de rupture du contrat.
L’attestation de M. [G] indique que le salarié quittait le bureau vers 11 heures 30, 11 heures 45 et ne revenait pas l’après-midi, ce que confirment Mmes [B] et [F].
Ces attestations et celles de M. [U] fixant entre 2 heures et 2 heures 35 le temps de métré chez les clients ne sont pas incompatibles avec les relevés du salarié qui effectuait une partie de son activité en télétravail comme en atteste M. [X].
Par ailleurs, l’employeur ne démontre pas la charge de travail du salarié et l’attestation de M. [U], comme celle de M. [R] ne suffisent pas à mesurer le temps de travail du salarié au regard des plannings produits et alors que l’employeur a choisi de ne pas contrôler le temps de travail du salarié, au besoin par un système d’enregistrement automatique, y compris pendant le temps de télétravail accordé.
Il en résulte que l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, ne répond pas utilement aux éléments du salarié qui est fondé à obtenir le paiement de la somme demandée et des congés payés afférents.
Le jugement sera donc infirmé sur ce point.
2°) L’article L.3121-30 du code du travail prévoit une contrepartie obligatoire en repos uniquement pour les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel.
Elle s’ajoute à la rémunération des heures au taux majoré ou au repos compensateur de remplacement.
L’article D. 3121-23 du même code prévoit que le salarié dont le contrat de travail prend fin avant qu’il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit ou avant qu’il ait acquis des droits suffisants pour pouvoir prendre ce repos reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis.
Le salarié qui n’a pas été en mesure, du fait de son employeur, de formuler une demande de repos compensateur, a droit à l’indemnisation du préjudice subi.
Celle-ci comporte le montant d’une indemnité calculée comme si le salarié avait pris son repos, auquel s’ajoute le montant de l’indemnité de congés payés afférents et les juges du fond, formant leur conviction au vu des pièces produites et tenant compte des heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent, apprécient souverainement le préjudice subi par le salarié.
Ici, le contingent est fixé à 195 heures par la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du 21 décembre 1950, lequel a été dépassé, selon le salarié, en 2017 et 2018 à hauteur de 130 et 148 heures.
L’employeur répond que le salarié inclut dans son décompte de temps de travail des jours chômés, soit quatre jours en 2017 et en 2018, soit un dépassement de 95 et 120 heures.
Le décompte procède, en effet, sans ôter ces jours, de sorte que l’indemnisation due sera évaluée à 2 616,55 euros et 261,65 euros de congés payés afférents, ce qui implique l’infirmation du jugement sur ce point.
3°) Le salarié indique que l’employeur n’a pas procédé à l’augmentation du salaire de base à laquelle il s’était engagé, soit 1 900 euros brut par mois pour 151,67 heures et maintien des 17 heures supplémentaires à 25 % en plus, alors qu’il a perçu à compter de juin 2017 la somme mensuelle de 1 848,84 euros.
L’employeur soutient que la promesse alléguée n’est pas établie et la conteste.
L’échange de mails du 1er juin 2017 où le salarié indique qu’il a reçu le virement de salaire à hauteur de 1 750 euros au lieu de 1 900 euros et où M. [S], le directeur lui répond que : “votre augmentation est bien validée mais je vous ai dit à partir du 1er juin et non pour le mois de mai” ne vaut pas preuve de l’augmentation à la somme de 1 900 euros avec, en plus, 17 heures supplémentaires majorées à 25 %, mais une augmentation pour un montant non déterminé.
Cette augmentation a été effective mais pas dans la proportion alléguée qui ne peut être retenue faute de preuve en ce sens.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande.
4°) Sur la prime d’encaissement, le salarié soutient qu’en application de l’article 13 § c de l’accord du 16 juin 1961 relatif aux ouvriers de la convention collective précitée, il aurait dû la percevoir, soit une majoration de 3 % de la rémunération.
L’employeur souligne que cette prime n’est pas due au regard de la classification de l’emploi et alors que le salarié perçoit une rémunération brute horaire de 12,17 euros soit supérieure au minimum conventionnel.
Cet article 13 stipule que pour le livreur ou le conducteur encaisseur que lorsqu’un ouvrier assure, outre la livraison (groupe 3), ou la conduite d’un véhicule (groupes 3, 4, 5 et 6), les encaissements sur présentation de factures ou autres documents, les sommes fixées en francs par les tableaux joints à la présente convention sont majorées de 3 %.
L’avenant au contrat de travail du 1er septembre 2014 prévoit que le salarié est recruté pour un emploi qui relève de la catégorie employé et du groupe 9.
En conséquence, le salarié qui n’établit pas relever effectivement des catégories précitées, ne peut obtenir paiement de cette prime et le jugement sera confirmé sur ce point.
5°) En application de l’article L. 8221-5 du code du travail, il incombe au salarié qui demande l’application des dispositions de l’article L. 8223-1 du même code, de démontrer que l’employeur s’est intentionnellement soustrait aux obligations rappelées à l’article L. 8221-5.
En l’espèce, le salarié ne démontre pas l’élément intentionnel de l’employeur dans l’absence de paiement des heures supplémentaires et des repos compensateurs en découlant.
6°) La prise d’acte produit, au regard du manquement retenu à savoir le défaut de paiement des heures supplémentaires et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’employeur retient un salaire mensuel de référence de 2 108,41 euros alors que le salarié le chiffre à 2 394,54 euros.
Dès lors qu’un rappel d’heures supplémentaires a été accordé, la moyenne sera fixée à 2 394,54 euros.
L’indemnité compensatrice de préavis est donc de 4 789,08 euros et 478,90 euros de congés payés afférents.
L’indemnité de licenciement est chiffrée à 5 716,96 euros et l’employeur conteste ce montant pour retenir au regard d’une ancienneté de 9 ans et 6 mois, la somme de 5 007,47 euros.
Cependant, l’employeur se base sur un salaire mensuel différent comme indiqué ci-avant.
L’indemnité sera évaluée à la somme de 5 716,96 euros.
Au regard d’une ancienneté de 9 années entières, d’un salaire mensuel de référence de 2 394,54 euros et du barème prévu à l’article L. 1235-3 du code du travail, le montant des dommages et intérêts sera évalué à 10 770 euros.
Sur les autres demandes :
1°) De la motivation qui précède, l’employeur n’est pas fondé à obtenir le paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, ce qui implique d’infirmer le jugement à ce titre.
2°) L’employeur demande le remboursement d’un trop-perçu de 3 210 euros en précisant qu’il s’agit d’une erreur puisque le salarié a perçu deux fois le salaire d’octobre 2019.
Le salarié reconnaît cette erreur et le jugement sera confirmé sur ce point.
3°) L’employeur remettra au salarié les documents demandés et précisés ci-après.
4°) Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l’employeur et le condamne à payer au salarié la somme de 1 500 euros.
L’employeur supportera les dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement, par décision contradictoire :
– Infirme le jugement du 21 octobre 2021 sauf en ce qu’il condamne M. [A] à payer à la société Charl’antoine Bourgogne la somme de 3 210 euros et en ce qu’il rejette ses demandes en paiement de rappels de salaire, de prime d’encaissement et d’indemnité pour travail dissimulé ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés :
– Condamne la société Charl’antoine Bourgogne à payer à M. [A] les sommes de :
* 4 251,63 euros de rappel d’heures supplémentaires,
* 425,16 euros de congés payés afférents,
* 3 383,26 euros au titre des repos compensateurs non pris,
* 338,33 euros de congés payés afférents,
* 4 789,08 euros d’indemnité de préavis,
* 478,91 euros de congés payés afférents,
* 5 716,96 euros d’indemnité de licenciement,
* 10 770 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– Dit que la société Charl’antoine Bourgogne remettra à M. [A] les documents suivants : une fiche de paie, un solde de tout compte et l’attestation destinée à Pôle emploi ;
– Rejette les autres demandes ;
Y ajoutant :
– Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Charl’antoine Bourgogne et la condamne à payer à M. [A] la somme de 1 500 euros ;
– Condamne la société Charl’antoine Bourgogne aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffier Le président
Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION