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14 avril 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
19/10798
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 12
ARRÊT DU 14 Avril 2023
(n° 340, 5 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 19/10798 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CA3MZ
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 Septembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS RG n° 18/01998
APPELANTE
CPAM 56 – MORBIHAN
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par Me Lucie DEVESA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
INTIMEE
S.A. [4]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Rachid MEZIANI, avocat au barreau de PARIS, toque : K0084 substitué par Me Florence GASTINEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : K0084
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Février 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sophie BRINET, Présidente de chambre
Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller
Madame Natacha PINOY, Conseillère
Greffier : Mme Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Sophie BRINET, Présidente de chambre et par Madame Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par la CPAM du Morbihan d’un jugement rendu le 24 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Paris, dans un litige l’opposant à la société [4].
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que Mme [I] [O] (l’assurée), salariée de la société [4] (la société) en qualité d’ingénieur commercial,a déclaré avoir été victime d’un accident du travail le 13 octobre 2017 à 19 h 04 ; que la déclaration d’accident du travail établie par son employeur le 17 octobre 2017 décrit les circonstances suivantes : “La teneur des échanges d’une conversation téléphonique avec un distributeur qui aurait provoqué un choc émotionnel à la collaboratrice”, le siège et la nature des lésions précisés étant “tête-choc émotionnel”; que le certificat médical initial établi le 14 octobre 2017 mentionne un “burn out : difficultés d’endormissement, diminution de l’appétit, labilité thymique, anxiété” et prescrit un arrêt de travail jusqu’au 11 novembre 2017 ; que, par courrier du 17 octobre 2017, l’employeur a émis des réserves sur le caractère professionnel de l’accident ; que, lors de l’enquête diligentée par la caisse, l’assurée a déclaré que, le 13 octobre 2017, à 19 h 04, elle avait eu une conversation téléphonique avec M. [W] [B], de la société [6], distributeur de [4] dont l’assurée était l’interlocutrice dédiée de premier plan, que M. [B] l’a informée que sa société projetait de demander à son employeur de ne plus avoir à faire avec elle dans le cadre de ses relations avec [4], que l’assurée a vécu, compte tenu de son investissement au travail pour son employeur et le distributeur [6], cette volonté de l’évincer et de menacer son emploi comme une agression, une profonde injustice, ayant eu pour effet direct l’effondrement brutal et total du sens et de la valeur de son travail, et que lorsqu’elle a raccroché le téléphone à 19 heures 20, elle a fondu en larmes, profondément angoissée; que, par décision du 26 janvier 2018, la caisse a pris en charge l’accident au titre de la législation sur les risques professionnels ; qu’après vaine saisine de la commission de recours amiable de la caisse, la société a, le 9 mai 2018, porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris ; que, par jugement du 24 septembre 2019, le tribunal a déclaré recevable et bien fondé le recours formé par la société, dit inopposable à la société l’accident du travail survenu le 13 octobre 2017 pris en charge au titre de la législation professionnelle, rejeté toutes autres demandes des parties et dit que les dépens seront supportés par la caisse ; que le jugement a été notifié à la caisse le 2 octobre 2019, laquelle en a interjeté appel par courrier recommandé avec avis de réception du 25 octobre 2019.
Aux termes de ses conclusions écrites soutenues oralement par son avocat, la caisse demande à la cour de :
– rejeter l’ensemble des prétentions de la société,
– infirmer, en toutes ses dispositions, le jugement du 24 septembre 2019, rendu par le tribunal de grande instance de Paris,
et statuant à nouveau :
– dire opposable à la société l’accident du travail survenu le 13 octobre 2017 pris en charge au titre de la législation professionnelle,
– dire opposable à la société l’ensemble des soins et arrêts de travail prescrits à l’assurée au titre de l’accident du travail du 13 octobre 2017,
– subsidiairement, si la cour l’estimait nécessaire, ordonner une mesure d’expertise médicale afin de vérifier le lien de causalité entre les soins et arrêts de travail prescrits à l’assurée et l’accident du travail du 13 octobre 2017 dont elle a été victime,
– condamner la société aux dépens.
Aux termes de ses conclusions écrites soutenues oralement par son avocat, la société demande à la cour de :
– débouter la caisse de son recours,
– confirmer en conséquence la décision entreprise,
-déclarer que, dans le cadre des rapports caisse/employeur, la décision prise par la caisse de reconnaître le caractère professionnel de l’accident dont a indiqué avoir été victime l’assurée le 13 octobre 2017 est inopposable à la société, la caisse ne justifiant pas de la matérialité du fait accidentel.
En application du deuxième alinéa de l’article 446-2 et de l’article 455 du code procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties déposées à l’audience pour l’exposé de leurs moyens.
SUR CE,
La caisse fait valoir que, le 13 octobre 2017, l’assurée était en télétravail à son domicile; qu’à 19 h 04, elle s’est entretenue avec M. [B], responsable de l’agence [6], son principal client, qui l’a avertie que la direction générale de sa société projetait de demander à son employeur de ne plus travailler avec elle ; qu’à l’annonce de cette nouvelle, l’assurée a vécu un intense choc psychologique accompagné d’anxiété, de sentiment de panique, de palpitations, de maux de têtes, de difficultés à respirer ; que le médecin traitant a été consulté le lendemain qui a décrit un “burn out, difficultés d’endormissements, diminution d’appétit, labilité thymique, anxiété”, le certificat médical initial faisant bien référence à un accident du travail du 13 octobre 2017 ; que le médecin conseil a émis un avis favorable à l’imputabilité des lésions décrites sur le certificat médical initial au fait accidentel ; que l’employeur a été avisé de l’accident dans un temps proche, le 15 octobre 2017 ; que le “choc émotionnel”, comme tel qualifié par l’employeur lui-même dans la déclaration d’accident du travail, présenté par l’assuré, survenu aux temps et lieu du travail, le 13 octobre 2017, bénéficie de la présomption d’imputabilité.
La société réplique que la caisse ne rapporte pas la preuve de la matérialité du fait accidentel dont l’assurée a indiqué avoir été victime le 13 octobre 2017 ; que rien ne prouve la réalité de ce choc émotionnel ; qu’aucun témoin n’a assisté aux faits invoqués par l’assurée ; que M. [B] de la société [6] n’a jamais remis en cause les compétences de l’assurée et ne se souvient pas lui avoir indiqué que sa société n’envisageait plus de travailler avec elle ; que M. [B] n’a pas noté de réaction particulière de l’assurée ; que l’époux de l’assurée indique qu’elle lui aurait fait part de son intention d’organiser un accident de trajet pour éviter d’être à nouveau en contact avec ses interlocuteurs de la socité [6] le lundi matin ; que l’assurée n’a fait état du choc émotionnel ressenti à son employeur que le 15 octobre à 21 heures 20 ; que l’assurée n’a consulté son médecin que le lendemain des faits ; que le certificat médical initial mentionne un “burn out” qui est incompatible avec un “choc psychologique” et une lésion soudaine, étant d’installation progressive ; qu’aucun élément objectif ne permet de retenir l’existence d’un fait accidentel survenu aux temps et lieu du travail le 13 octobre 2017.
Il résulte des dispositions de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci (Soc., 2 avril 2003, n°00-21.768, Bull. n°132). Les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l’occasion du travail (Soc., 20 décembre 2001, Bulletin civil 2001, V, n° 397).
Le salarié (ou la caisse substituée dans les droits de la victime dans ses rapports avec l’employeur) doit ainsi établir autrement que par ses propres affirmations les circonstances exactes de l’accident et son caractère professionnel (Soc., 26 mai 1994, Bull. n°181) ; il importe qu’elles soient corroborées par d’autres éléments (Soc., 11 mars 1999, n°97-17.149, Civ 2ème 28 mai 2014, n°13-16.968).
En revanche, dès lors qu’il est établi la survenance d’un événement dont il est résulté une lésion aux temps et lieu de travail, celle-ci est présumée imputable au travail, sauf pour celui entend la contester de rapporter la preuve qu’elle provient d’une cause totalement étrangère au travail.
Il résulte de l’enquête menée par la caisse que l’assurée a déclaré que, le 13 octobre 2017, à 19 h 04, alors qu’elle était en télétravail, en communication téléphonique avec le représentant d’un distributeur, la société [6], elle aurait appris que cette société ne voulait plus d’elle comme interlocutrice, ce qui lui a occasionné un choc psychologique, l’assurée ayant fondu en larmes lorsqu’elle a raccroché le téléphone à 19 h 20, profondément angoissée. Le représentant de la société [6] a déclaré avoir relaté à l’assurée, lors de cette conversation téléphonique, la teneur d’une réunion interne de cette société de laquelle il ressortait que la société s’interrogeait si elle n’était pas pénalisée d’avoir l’assurée comme interlocutrice, même si le représentant de la société [6] n’a pas la certitude d’avoir dit à l’assurée que cette société n’envisageait plus de travailler avec elle.
L’assurée a consulté son médecin traitant le lendemain, lequel fait référence à l’accident survenu la veille, et constate un “burn out : difficultés d’endormissements, diminution de l’appétit, labilité thymique, anxiété”.
Les constatations médicales, dans un temps proche de l’accident déclaré, corroborent les déclarations de l’assurée, le terme de “burn out” décrit par le médecin de l’assurée s’étendant d’une lésion psychologique apparue dans un contexte de stress professionnel, lequel est décrit par l’assurée, qui avait déjà dans le passé vécu une situation similaire où elle avait perdu un distributeur de son portefeuille.
Par ailleurs, l’employeur de l’assurée a été avisé de l’accident le 15 octobre 2017, soit le surlendemain des faits.
Aussi, il résulte de ce qui précède que la caisse établit l’existence d’un faisceau d’indices suffisants pour établir la matérialité de l’accident du travail, soit l’existence d’une lésion psychique survenue brutalement à l’assurée aux temps et lieu du travail, à une date certaine, à la suite de l’entretien téléphonique du 13 octobre 2017, lui permettant de bénéficier de la présomption d’imputabilité prévue par l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale, et ce, nonostant l’absence de témoin ni que l’employeur n’ait pas été avisé le jour même des faits.
L’accident litigieux étant présumé revêtir un caractère professionnel, il convient d’infirmer le jugement déféré, sauf en ce qu’il a déclaré recevable le recours de la société, et de lui déclarer opposable la décision de prise en charge de l’accident dont l’assurée a été victime le 13 octobre 2017 et l’ensemble des soins et arrêts en relation avec cet accident.
Partie succombante, la société sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
DECLARE l’appel recevable,
INFIRME le jugement rendu le 24 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Paris en toutes ses dispositions sauf en celles ayant déclaré la société [4] recevable en son recours,
Statuant à nouveau ;
DECLARE opposable à la société [4] la décision de la CPAM du Morbihan de prendre en charge au titre de la législation professionnelle l’accident dont Mme [I] [O] a été victime le 13 octobre 2017, ainsi que l’ensemble des soins et arrêts en relation avec cet accident,
CONDAMNE la société [4] aux dépens de première instance et d’appel.
La greffière La présidente