Télétravail : 14 avril 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/01903

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Télétravail : 14 avril 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/01903
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14 avril 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
21/01903

ARRÊT DU

14 Avril 2023

N° 604/23

N° RG 21/01903 – N° Portalis DBVT-V-B7F-T52H

MLBR/VDO

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de dunkerque

en date du

04 Octobre 2021

(RG 20/00342 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 14 Avril 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANTE :

Mme [U] [S]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Mickaël ANDRIEUX, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

Association [3]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Géraldine BAROFFIO, avocat au barreau de ROUEN

DÉBATS : à l’audience publique du 07 Mars 2023

Tenue par Marie LE BRAS

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Anne STEENKISTE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 14 février 2023

EXPOSÉ DU LITIGE’:

Mme [U] [S] a été embauchée par l’association d'[3] (ci-après dénommée l’association [3]) dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à temps partiel modulé à compter du 29 août 2004 en qualité d’agent à domicile.

La convention collective nationale de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile est applicable à la relation de travail.

Les 14 septembre 2015, 24 avril 2019 et 23 octobre 2019, la salariée a fait l’objet d’avertissements disciplinaires.

Le 9 juin 2020, Mme [S] a été sanctionnée d’une mise à pied disciplinaire de 5 jours en raison d’un comportement irrespectueux envers la référente de son secteur, pour avoir manqué à son obligation de loyauté en commentant un article sur les réseaux sociaux et pour ne pas avoir respecté les plannings horaires.

Le 3 août 2020, la salariée a fait l’objet d’une nouvelle mise à pied disciplinaire de 5 jours.

Le 10 septembre 2020, Mme [S] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 24 septembre suivant.

La salariée a été placée en arrêt maladie à compter du 15 septembre 2020.

Par lettre recommandée du 8 octobre 2020, l'[3] a notifié à Mme [S] son licenciement pour cause réelle et sérieuse lui reprochant le mécontentement d’une bénéficiaire suite à son comportement, d’être intervenue de manière inappropriée auprès d’une collègue de travail provoquant trouble et confusion dans son esprit, de s’être adressée de façon inappropriée à sa responsable de secteur et d’avoir eu un comportement déplacé à l’égard d’une collègue de travail.

Par requête du 3 novembre 2020, Mme [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Dunkerque afin de solliciter la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein et d’obtenir diverses indemnités au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail.

Par jugement contradictoire du 4 octobre 2021, le conseil de prud’hommes de Dunkerque a’:

– débouté Mme [S] de l’ensemble de ses demandes,

– débouté l'[3] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– laissé les dépens éventuels à la charge de Mme [S].

Par déclaration reçue le 2 novembre 2021, Mme [S] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté l'[3] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 1er février 2022 auxquelles il convient de se référer pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, Mme [S] demande à la cour d’infirmer le jugement rendu sauf en ce qu’il a débouté l'[3] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et statuant à nouveau de’:

– requalifier son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet,

– condamner l'[3] à lui payer la somme de 5 546,01 euros brut à titre de rappel de salaire sur un contrat de travail à temps complet, outre 554,60 euros brut au titre des congés payés y afférents,

– juger que l'[3] a manqué à son obligation de sécurité,

– condamner l'[3] à lui payer la somme de 5 000 euros net à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

– annuler les mises à pied disciplinaires notifiées,

– condamner l'[3] à lui payer les sommes suivantes’:

* 644,47 euros brut à titre de rappel de salaire sur les mises à pied disciplinaires notifiées, outre 64,44 euros brut au titre des congés payés y afférents,

* 3 000 euros net à titre de dommages-intérêts pour sanctions abusives,

– juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner l'[3] à lui payer la somme de 22 998,60 euros net à titre de dommages-intérêts,

– confirmer le jugement pour le surplus,

– condamner l'[3] à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées le 1er avril 2022 auxquelles il convient de se référer pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, l'[3] demande à la cour de confirmer le jugement déféré, de débouter Mme [S] de l’ensemble de ses demandes et y ajoutant de la condamner à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner aux dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 février 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION’:

– sur la requalification du temps partiel en temps complet :

Rappelant qu’aux termes de son contrat de travail, sa durée mensuelle de travail est de 132 heures, Mme [S] dénonce d’une part le fait qu’elle demeurait malgré tout à l’entière disposition de son employeur dans la mesure où elle n’avait aucune visibilité sur son rythme de travail, ses plannings faisant l’objet très régulièrement de modification de dernière minute, et d’autre part, ses fortes amplitudes horaires, travaillant au delà de la durée légale du travail hebdomadaire.

Précisant que les plannings lui sont remis en télégestion, sans copie papier, elle soutient que seule l’association [3] les a à disposition et doit dès lors les produire pour justifier de ses temps de travail avant 2020. Au vu des pièces adverses, elle fait notamment observer qu’en janvier 2020, sa durée de travail hebdomadaire a atteint 56h25 ou encore 38h, et qu’en dehors du mercredi qui était son jour de repos, elle était susceptible de travailler du lundi au dimanche.

Faisant valoir que le dispositif de temps partiel modulé ne fait pas obstacle à sa demande, elle s’estime fondée à solliciter la requalification de son temps partiel en temps complet et le versement d’un rappel de salaire de 5 546,01 euros, outre les congés payés y afférents, dont elle détaille le décompte en sa pièce 35 pour la période comprise entre janvier 2018 et septembre 2020.

En réponse, l’association [3] prétend qu’elle a toujours respecté les dispositions de l’accord de branche du 30 mars 2006 sur la modulation du temps de travail, les plannings versés aux débats ne démontrant aucune anomalie, Mme [S] étant selon elle dans l’incapacité de préciser les semaines au cours desquelles la durée légale hebdomadaire aurait été atteinte. Elle insiste sur le fait qu’au cours des 3 dernières années, le compteur des heures, au terme de la période annuelle de modulation, présentait toujours un solde négatif.

L’intimée fait également valoir que le rythme de travail de Mme [S] était parfaitement connu, avec un jour de repos fixe dans la semaine et un week-end sur deux travaillé et programmé à l’année, rappelant que le système de télégestion permet aux salariés de disposer de leur planning de travail au moins 30 jours à l’avance, sauf pendant la période de pandémie du coronavirus, au cours de laquelle ils ont été remis le 1er jour de chaque mois.

Sur ce,

Aux termes de l’article 20-3 relatif aux temps partiels modulés de l’accord de branche de l’aide à domicile versé aux débats par l’association [3], ‘la durée du travail effectif des salariés à temps partiel modulé peut varier au-delà ou en deçà dans la limite du tiers de la durée du travail effectif mensuelle stipulée au contrat (ou à l’avenant au contrat) à condition que sur un an, la durée du travail effectif mensuelle n’excède pas en moyenne cette durée contractuelle. En aucun cas, la durée de travail hebdomadaire du salarié ne peut égaler, voire dépasser, la durée légale hebdomadaire’.

Il s’en déduit comme le rappelle à raison Mme [S] qu’un salarié soumis à cet accord de branche et à un système de temps partiel modulé, est susceptible d’obtenir la requalification de celui-ci en en temps complet dès lors que la durée légale hebdomadaire de travail est atteinte, même sur un court laps de temps, en violation des dispositions conventionnelles susvisées qui ne font que reprendre à ce sujet celles d’ordre public de l’article L. 3123-25 5° du code du travail dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 .

Il est constant qu’en l’espèce, Mme [S] est soumise aux termes de l’avenant à son contrat de travail à temps partiel modulé signé le 4 janvier 2016 à un système de modulation de son temps de travail sur l’année, sa durée mensuelle de travail étant fixée à 132 heures.

Il est également prévu au contrat que le délai de prévenance concernant la modification des horaires peut en cas d’urgence et sous certaines conditions être inférieur à 4 jours, l’accord collectif prévoyant en son article 5 auquel renvoie le contrat, un délai habituel de remise des plannings mensuels d’au moins 7 jours avant le 1er jour d’exécution.

Mme [S] prétend que le délai de prévenance n’était pas souvent respecté pour l’informer des modifications de planning. Toutefois, la production des seuls plannings des mois de mars 2020 et juillet 2020 qui lui auraient été remis 2 jours avant le début de chaque mois dont il sera rappelé qu’ils correspondent au début de l’épidémie de la Covid-19 en France, ne peuvent suffire à établir qu’en temps normal, son employeur ne respectait pas le délai de prévenance depuis 2018.

L’association [3] lui oppose d’ailleurs à raison que le délai de prévenance peut être inférieur à 4 jours en cas d’urgence, ce qui fût nécessairement le cas en début de crise sanitaire, compte tenu de l’extension de l’épidémie et des bouleversements des modes d’organisation en résultant.

En revanche, il ressort des plannings transmis par l’association [3] en sa pièce 61, à la demande de Mme [S], que celle-ci a exécuté 35 heures de travail la semaine du 19 au 25 février 2018, 37,45 heures la semaine du 5 au 11 mars 2018, ou encore 37h30 du 23 au 29 juillet 2018. Comme relevé par Mme [S], le planning produit en pièce 7 de l’intimée fait également état de semaines de 56h25, 38h et 40 heures pour le seul mois de janvier 2020.

La durée légale hebdomadaire de travail à temps complet ayant ainsi été atteinte dès la dernière semaine du mois de février 2018 en violation des dispositions conventionnelles précitées, il convient de requalifier le contrat à temps partiel de Mme [S] en contrat à temps plein à compter de ce premier incident.

Au vu du décompte établi par Mme [S] en sa pièce 35 pour chiffrer le montant de son rappel de salaire du fait de cette requalification, l’association [3] ne critiquant pas la méthode de calcul appliquée, il convient par voie d’infirmation de condamner cette dernière à verser à sa salariée la somme de 5200,45 euros à titre de rappel de salaire pour la période comprise entre le 19 février 2018 et le mois de septembre 2020.

– sur le respect de l’obligation de sécurité :

L’employeur doit assurer l’effectivité de l’obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise.

Mme [S] soutient que l’association [3] a commis plusieurs manquements à cette obligation.

Elle lui reproche d’abord de ne pas avoir tenu compte des préconisations du médecin du travail de décembre 2018, conseillant de lui éviter les tâches telles que les promenades des chiens et de limiter au maximum les interventions chez les personnes possédant des chiens et chats.

Toutefois, comme le souligne à raison l’association [3], Mme [S] ne cite aucune intervention au cours de laquelle elle se serait vue imposer la présence d’un chien ou d’un chat, de sorte qu’à supposer même l’absence de mesure de prévention mise en place par l’association [3] pour respecter les préconisations du médecin du travail, Mme [S] ne justifie d’aucun préjudice qui serait directement résulté de ce manquement.

Mme [S] dénonce également une mise en danger en l’absence de moyens adéquats à la disposition des salariés pendant la période de pandémie, affirmant démontrer à travers des courriels qu’entre le 16 mars et début avril 2020, aucun réel moyen de protection n’a été mis à sa disposition, ce qu’elle aurait régulièrement dénoncé en vain, et que l’association [3] ne justifie d’aucune mesure de prévention telle qu’une coordination avec le médecin du travail et la mise à jour du document unique pour tenir compte de la pandémie.

Il résulte cependant des pièces produites par l’association [3] que celle-ci a notamment :

– rapidement et régulièrement diffusé des consignes de prévention à ses salariés et aux personnes chez qui ils interviennent,

– mis à jour le document unique qu’elle produit aux débats,

– réussi à distribuer des masques dès le 23 mars 2020, justifiant des commandes qui ont suivi et des nombreuses démarches pour augmenter leur nombre malgré les difficultés d’approvisionnement,

– eu des échanges avec l’inspection du travail, mais également avec le médecin de l’ARS concernant notamment les modalités de prise en charge des salariés qui seraient atteints, ou ‘cas suspects’.

L’association [3] justifie ainsi des mesures de prévention mise en oeuvre. En outre et surtout, au delà de l’absence de manquement caractérisé à son obligation de sécurité et de prévention, il sera relevé que Mme [S] ne fait état d’aucun préjudice particulier qui serait résulté de l’insuffisance éventuelle ou du retard pris dans la mise en oeuvre desdites mesures.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments qu’à défaut pour Mme [S] de justifier du préjudice causé par les manquements allégués, étant observé par ailleurs que les griefs visant la période de pandémie ne sont pas établis, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande indemnitaire.

– sur les sanctions disciplinaires :

Mme [S] sollicite l’annulation des 2 mises à pied disciplinaire prononcées à son encontre les 9 juin et 3 août 2020, en faisant d’abord valoir que le document produit par l’employeur ne suffit pas à établir que le réglement intérieur de l’entreprise prévoyant les sanctions disciplinaires dont la mise à pied, lui soit valablement opposable dès lors qu’il ne justifie pas selon elle du respect du formalisme imposé par les dispositions légales.

Elle conteste en outre l’ensemble des griefs sanctionnés à travers ces 2 mises à pied, estimant notamment ne jamais avoir manqué de respect à l’égard de sa responsable lorsqu’elle a manifesté son mécontentement à la suite de modifications de planning de dernière minute sans délai de prévenance.

Elle dénie également tout abus de sa liberté d’expression à travers les commentaires emprunts d’humour exprimés sur les réseaux sociaux à la suite d’un article de la Voix du Nord sur l’association.

S’agissant de la seconde mise à pied, elle insiste aussi sur le contexte, expliquant qu’elle avait participé le 15 juillet 2020 à un mouvement de grève, et qu’elle s’est vue notifier la procédure disciplinaire le jour-même.

En réponse, l’association [3] produit les justificatifs de publication de son réglement intérieur.

S’agissant de la première mise à pied, elle soutient rapporter la preuve des actes d’insubordination de Mme [S] à l’égard de Mme [X], sa responsable, refusant d’exécuter certaines prestations pourtant planifiées, et s’exprimant de manière irrespectueuse. Elle estime également qu’à travers ses commentaires sur Facebook, elle a dénigré publiquement certains de ses salariés, lui reprochant par ses remarques publiques une ‘gestion déviante’ de son personnel, ce qui constitue un abus de sa liberté d’expression et une déloyauté certaine.

Concernant la seconde mise à pied, l’association [3] conteste tout lien avec le mouvement de grève dont elle rappelle qu’il a eu lieu le 2 juillet 2020 et concernait l’ensemble du secteur de l’aide à domicile en France et pas seulement ses services.

Elle ajoute qu’en dépit des précédentes sanctions, Mme [S] a persisté à d’une part, ne pas respecter les directives, ne respectant notamment pas son heure d’intervention chez Mme [E], et d’autre part, à adopter une attitude irrespectueuse à l’égard de Mme [X] et de ses collègues.

Sur ce,

En application de l’article L.1333-2 du code du travail, le juge peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

L’employeur doit fournir les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, la juridiction forme sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin, toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Il convient d’abord de relever que l’association [3] justifie du dépôt de son réglement intérieur au greffe du conseil de prud’hommes ainsi qu’auprès de l’Inspection du travail à qui elle a également communiqué le procès-verbal de consultation des instances représentatives.

Le réglement intérieur qui prévoit en son article 27 les sanctions disciplinaires susceptibles d’être prononcées, dont la mise à pied, est ainsi parfaitement opposable à Mme [S], étant relevé par ailleurs que celle-ci ne prétend pas ne pas en avoir reçu notification.

* sur la mise à pied disciplinaire du 9 juin 2020 :

Aux termes de la lettre portant notification de la mise à pied du 9 juin 2020, l’association [3] a retenu les griefs qui suivent et qui selon elle reflètent des comportements inadaptés et mettant en cause le bon fonctionnement du service :

– ne pas avoir changé d’attitude à l’égard de Mme [X], sa responsable, malgré un entretien de cadrage du 20 février 2020, l’employeur alléguant de ‘propos, le ton employé et les termes employés’ qui ‘ne sont pas tolérables et respectueux’et d’une situation de harcèlement envers l’intéressée, évoquant à titre d’illustrations les remarques désobligeantes suivantes : ‘arrêter son baratin’, ‘ je vais me mettre en arrêt et vous serez contente’, ‘arrêter de me dire toujours la même chose et arrêtez de favoriser les filles seniors service’,

– d’avoir fait preuve de déloyauté, en ayant ‘nourri la polémique mensongère’ par des commentaires d’un article accessible au public paru sur la page Facebook de la Voix du Nord [Localité 4] le 18 avril 2020 dans lequel un représentant syndical remettait en cause de manière selon elle ‘diffamatoire’ la gestion du matériel et de la crise sanitaire au sein de l’association, les commentaires de la salariée ayant également eu pour effet de dénigrer les collègues de travail,

– de ne pas honorer ses plannings, de refuser des prestations proposées et de modifier d’initiative ses horaires de travail, évoquant ‘de manière non exhaustive’ le 27 avril 2020 (Mme [C]), le 12 mai 2020 (Mme [T]/M. [A]).

Il ressort des extrait de l’outil ‘télégestion’ qui permet au salarié d’échanger avec son responsable que Mme [S] avait été informée le matin même des modifications des 2 prestations susvisées et a immédiatement exprimé son refus de s’y soumettre, dénonçant les changements de dernière minute.

Or, ainsi que l’appelante le fait justement remarquer, il résulte de la convention collective qu’en cas de modification de planning en urgence, sans respect d’un délai de prévenance, le salarié est en droit de refuser à 4 reprises dans l’année, lesdites interventions. Il n’est pas prétendu, ni justifier par l’association [3] que Mme [S] aurait déjà exercé ce droit de refus de sorte qu’il ne peut pas lui en être fait le reproche, sachant qu’en exprimant son refus en matinée, l’association [3] était en capacité de prévenir les bénéficiaires ou de trouver d’autres solutions.

L’association [3] prétend dans la lettre de mise à pied que la liste des refus ne serait pas exhaustive mais une telle formulation non circonstanciée et étayée par aucune pièce ne permet pas de vérifier l’exactitude du grief allégué.

Par ailleurs, au regard des propos tenus sur les réseaux sociaux, il n’est pas démontré que Mme [S] aurait abusé de sa liberté d’expression dans la mesure où elle ne fait pas état de son appartenance à l’association [3], et exprime des revendications en évoquant la prise de risque pour certaines comme elle pendant la crise sanitaire en comparaison avec les salariés pouvant bénéficier du télétravail, sans jamais directement critiquer son employeur. Ce grief n’est pas établi.

En revanche, il ressort des échanges le 27 avril 2020 entre Mme [S] et Mme [X] issus de l’outil ‘Télégestion’ que la première a été effectivement virulente à l’égard de sa responsable, la tutoyant, alors qu’elle la vouvoie habituellement, pour lui faire le reproche de favoriser d’autres salariées et lui dire ‘arrête de me dire toujours la même chose’ et enfin pour lui faire le reproche de n’avoir aucune reconnaissance ‘pour les filles sur le terrain’ comme elle alors qu’elle a travaillé tous les jours pendant le covid-19.

Etant relevé que l’association [3] ne produit aucune pièce concernant l’entretien de cadrage du 20 février 2020 qui aurait aussi concerné l’attitude de Mme [S] à l’égard de sa responsable, les propos tenus ponctuellement le 27 avril 2020 doivent être remis dans leur contexte, à savoir les tensions liées à la crise sanitaire et l’annonce de modification de planning pour le jour même.

Dans un tel contexte, et à défaut d’autres éléments précis et circonstanciés relativement à d’autres attitudes irrespectueuses et harcelantes visées dans la lettre de mise à pied, les propres déclarations de Mme [X] ne pouvant valoir preuve compte tenu du risque de partialité, le mécontentement exprimé par Mme [S], avec certe quelques excès, ne peut caractériser un réel acte d’insubordination et d’irrespect à l’égard de sa responsable.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, les fautes alléguées n’étant pas établies, la sanction de mise à pied notifiée le 9 juin 2020 sera annulée.

* sur la mise à pied notifiée le 3 août 2020 :

Aux termes de la lettre portant notification de la mise à pied du 3 août 2020, l’association [3] a retenu les griefs qui suivent :

– le 22 mai 2020, d’avoir désigné une collègue par le terme ‘la turque’ lorsqu’elle a informé l’accueil de l’association [3] et sa responsable que M. [Z] ne voulait plus que cette collègue intervienne, expression selon son employeur déplacée et ambivalente,

– le 2 juin 2020, d’avoir eu une attitude désagréable à l’égard de Mme [T], chez qui elle intervenait, au point que celle-ci a été retrouvée en larmes par sa soeur après son passage, et de ne pas y avoir fait le ménage correctement,

– le 1er juillet 2020, d’avoir d’initiative modifié l’heure d’intervention chez Mme [E], sans en informer la responsable,

– de persister dans des attitudes harcelantes à l’égard de sa responsable dont le médecin a alerté l’employeur des conséquences sur sa santé.

Il convient d’abord de relever que l’association [3] ne produit aucune pièce relative à l’incident du 2 juin 2020 chez Mme Mme [T], de sorte que ce grief, au demeurant contesté, n’est pas matériellement établi.

De même, alors que l’association [3] a à disposition la retranscription des échanges entre salariés sur l’outil Télégestion, aucune des pièces produites, notamment les attestations de collègues de Mme [X] qui ne sont nullement circonstanciées quant aux attitudes supposées harcelantes et ne permettent pas de déterminer si celles-ci n’ont pas déjà été prises en compte dans la mise à pied précédente, ne suffisent à établir la persistance des comportements de Mme [S] à l’égard de sa responsable, sachant que le certificat médical concernant Mme [X] ne désigne pas précisément Mme [S] comme étant la salariée qui ‘harcèle’ l’intéressée.

Ce grief n’est donc pas non plus établi, le doute devant à tout le moins bénéficier à Mme [S].

Il est en revanche reconnu par Mme [S] qu’elle a désigné une de ses collègues par l’expression ‘La Turque’, l’appelante expliquant s’être contentée de reprendre les propos du client, M. [Z], qui ne souhaitait plus que cette personne intervienne à son domicile. Cela ne peut toutefois constituer une excuse sachant qu’elle ne prétend pas ignorer le nom de cette collègue et que la désignation d’une personne par ses origines ou sa nationalité est parfaitement inappropriée et déplacée.

En outre, contrairement à ce qu’elle prétend dans ses conclusions, Mme [S] a également admis dans son courrier du 7 août 2020 avoir d’initiative modifié son heure d’intervention chez Mme [E]. Cela corrobore donc le rapport fait par Mme [X] à ce sujet qui relate avoir été obligée de contacter la famille de Mme [E] sur l’insistance de Mme [S] pour obtenir l’autorisation d’intervenir, la salariée ayant refusé de repartir malgré sa demande, remettant ainsi en cause les directrives de sa responsable.

Etant observé que Mme [S] ne dénonce pas la disproportion de la sanction prononcée, celle-ci est justifiée par ces 2 griefs dont la matérialité est avérée.

L’argument tiré du contexte de grève est enfin sans portée, l’association [3] justifiant que celle-ci, qui concernait plusieurs associations, est intervenue le 2 juillet 2020, soit quelques semaines avant le lancement de la procédure disciplinaire.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, Mme [S] sera déboutée de sa demande d’annulation de la sanction du 3 août 2020.

La mise à pied de 5 jours du 9 juin 2020 ayant été annulée, Mme [S] est en droit d’obtenir le versement du salaire retenu par son employeur à ce titre. Celle-ci réclamant le paiement d’une somme de 644,47 euros en cas d’annulation des 2 mises à pied, sans détailler le salaire retenu pour chacune d’elle, il convient de condamner l’association [3] à lui verser 322,23 euros, outre 32,22 euros de congés payés y afférents, soit la moitié des sommes réclamées pour 10 jours de mise à pied.

Compte tenu de l’incidence d’une telle sanction sur la suite de la relation de travail, Mme [S] justifie d’un préjudice du fait de son caractère abusif qu’il convient de réparer par une somme de 500 euros de dommages et intérêts.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

– sur le licenciement de Mme [S] :

L’article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l’existence d’une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.

Selon l’article L. 1235-1 du même code, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Aux termes de la lettre de licenciement du 8 octobre 2020 qui fixe les limites du litige, l’association [3] a retenu les motifs suivants :

– une des personnes chez qui Mme [S] intervient, Mme [B], a exprimé le 14 août 2020 son insatisfaction par rapport aux prestations réalisées et sa volonté de quitter l’association, indiquant que lors de ses interventions, Mme [S] passait son temps sur son téléphone. Il est reproché à celle-ci d’avoir repris contact avec cette personne et exercé des pressions pour obtenir d’être à nouveau acceptée comme intervenante;

– à la suite d’un signalement le 17 août 2020 d’un cas positif au Covid, Mme [S] se serait empressée, en violation de l’obligation de discrétion et de confidentialité, d’en informer une collègue de travail qui devait intervenir le 19 août 2020, ‘l’enjoignant de ne pas intervenir’ et provoquant par cette attitude une situation de stress et d’angoisse alors que la situation était maîtrisée,

– d’avoir à nouveau interpellé Mme [X] de manière virulente le 27 août 2020, en lui faisant le reproche de ne pas l’avoir informée du décès d’une personne chez qui elle intervenait,

– d’avoir tenu également des propos inappropriés avec Mme [V], assistante technique le 11 septembre et 16 septembre 2020.

Mme [S] conteste l’intégralité des faits susvisés.

Compte tenu du conflit qui les oppose et du risque de partialité, la seule attestation de Mme [X] concernant la divulgation d’information confidentielle relative à une personne atteinte de Covid et les propos tenus à la salariée devant intervenir chez ce monsieur, ne peut suffire à établir la matérialité des faits allégués à ce sujet, le doute devant lui bénéficier.

Il est en revanche établi par la retranscription de l’outil télégestion et les courriels produits par l’association [3] que :

– Mme [B] a bien exprimé devant un membre de la direction, M. [D], son souhait de ne plus voir intervenir Mme [S] ainsi d’ailleurs que 2 autres salariées,

– celui-ci en a informé l’appelante le 19 août 2020 en lui précisant qu’il l’avait retirée de son planning,

– le jour même, Mme [S] lui répondait ‘confirmation de Madame [B] me remettre sur le planning madame a dit qu’elle voulait plus la jeune mais pas Mme [S] merci bonne journée’, ce qui implique nécessairement, à défaut d’autres raisons crédibles avancées, que celle-ci a eu un nouveau contact avec Mme [B] malgré la décision de la direction de mettre fin à ses interventions chez cette personne.

Une telle démarche auprès d’une personne dont il est acquis aux débats qu’elle est vulnérable, pour tenter de contester les instructions de sa hierarchie constitue une attitude fautive de la part de la salariée.

Il en est de même des propos ironiques et irrespectueux issus de l’outil ‘télégestion’ tenus à l’égard de Mme [X] le 27 août 2020 après l’annonce du décès d’une personne chez qui elle intervient, à savoir ‘quand même…communication avec les salariés : 0″, puis le 11 septembre 2020 à l’égard de Mme [V] qui lui demandait un justificatif si elle ne venait pas travailler en raison d’un mal de tête : ‘re bonjour madame merci pour votre compassion ne pas oublie non plus qu’on porte le masque toute la journée…nous faisons pas de poste et du telétravail’.

Ces différentes attitudes qui montrent une persistance dans la volonté de remettre en cause sa hierarchie et ce, alors qu’elle a déjà fait l’objet d’une mise à pied quelques semaines plus tôt ainsi qu’il est rappelé dans la lettre de licenciement, suffisent à caractériser la cause réelle et sérieuse du licenciement de Mme [S].

Au regard de l’ensemble de ces éléments, le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a retenu le licenciement de Mme [S] comme étant fondé et a débouté celle-ci de ses demandes financières au titre de la rupture de sa relation de travail.

– sur les demandes accessoires :

Mme [S] ayant été accueillie en partie en ses demandes, le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens de première instance qui devront être supportés par l’association [3].

Il en sera de même des dépens d’appel.

L’équité commande enfin de débouter les parties de leur demande respective sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement entrepris en date du 4 octobre 2021 sauf en ses dispositions relatives à la demande de requalification du contrat, au rappel de salaire subséquent ainsi qu’à la mise à pied du 9 juin 2020 et aux dépens ;

statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

REQUALIFIE le contrat à temps partiel de Mme [U] [S] en contrat à temps complet, avec effet au 19 février 2018 ;

ANNULE la mise à pied disciplinaire du 9 juin 2020 ;

CONDAMNE l’association d’Aide à Domicile [3] à payer à Mme [U] [S] les sommes suivantes :

– 5200,45 euros à titre de rappel de salaire à la suite de la requalification ;

– 322,23 euros à titre de rappel de salaire pour la sanction annulée, outre 32,22 euros de congés payés y afférents,

– 500 euros de dommages et intérêts ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

DIT que l’association d’Aide à Domicile [3] supportera les dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER

Serge LAWECKI

LE PRESIDENT

Marie LE BRAS

 


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