Télétravail : 14 avril 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/00575

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Télétravail : 14 avril 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/00575
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14 avril 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
21/00575

ARRÊT DU

14 Avril 2023

N° 618/23

N° RG 21/00575 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TSSY

OB/AA

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE SUR MER

en date du

23 Mars 2021

(RG 19/00040 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 14 Avril 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANT :

M. [I] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 3] / FRANCE

représenté par Me Alexandre COROTTE ,avocat au barreau de BOULOGNE -SUR-MER

INTIMÉE :

S.A.S. LASER CHEVAL

[Adresse 2]

[Localité 4]

réprésentée par Me Nicole LEGER,avocat au barreau de BESANCON

DÉBATS : à l’audience publique du 14 Mars 2023

Tenue par Olivier BECUWE

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Valérie DOIZE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Olivier BECUWE

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Frédéric BURNIER

: CONSEILLER

Isabelle FACON

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 21/02/2023

EXPOSE DU LITIGE :

M. [Y] a été engagé à durée indéterminée en qualité de responsable technico-commercial le 24 août 2015 par la société Laser Cheval (la société) qui a pour activité la fabrication de machines de micro usinage par laser.

Son salaire mensuel s’élevait alors à la somme de 4 120 euros en brut, outre une part variable, dans le cadre d’une convention de forfait de deux cent dix-huit jours travaillés.

Le salarié exerçait sa profession en télétravail à domicile et était parfois amené à prospecter des clients dans sa zone géographique.

La convention collective applicable était celle, nationale, des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 étendue.

Se déclarant inquiète des résultats commerciaux de M. [Y], la société l’a interpellé sur ce point en juin 2018.

Une rupture conventionnelle a finalement été conclue le 13 novembre 2018 laquelle prévoit la libération du salarié de son obligation de non-concurrence, le tout sous la condition suspensive de l’homologation par l’autorité administrative, réputée acquise le 18 décembre 2018 en l’absence de décision contraire.

Le 28 février 2019, M. [Y] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-sur-Mer de diverses demandes notamment au titre des tickets-restaurants ainsi qu’en paiement d’heures supplémentaires et en annulation de la rupture conventionnelle.

Par un jugement du 23 mars 2021, la juridiction prud’homale l’en a intégralement débouté et l’a condamné sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 27 avril 2021, M. [Y] a fait appel.

Il a ajouté, dans ses conclusions d’appel, une demande au titre du travail dissimulé.

Par une ordonnance du 24 juin 2022, non frappée de déféré, le conseiller de la mise en état a déclaré prescrite la demande au titre des tickets-restaurants pour la période antérieure au 28 février 2017 et irrecevable, pour nouveauté, la demande au titre du travail dissimulé.

Dans ses conclusions, M. [Y] réitère ses prétentions initiales.

Sur les titres-restaurants, il soutient, sur le fondement de l’article L.1222-9 du code du travail, que l’employeur ne pouvait l’en priver, le télétravailleur ayant les mêmes droits que le salarié exerçant dans les locaux en entreprise.

Sur la convention de forfait, il prétend notamment que les entretiens annuels destinés à évaluer sa charge de travail et son articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, prévus aux articles L.3121-64 du code du travail et 14-2 de l’accord du 28 juillet 1998 sur l’organisation du travail dans la métallurgie, n’ont pas tous été réalisés.

Il en déduit le paiement d’heures supplémentaires à l’appui de décomptes.

Sur la rupture conventionnelle, il expose essentiellement avoir été victime d’un chantage au licenciement et de menaces en ce sens qui l’ont empêché d’y consentir valablement.

Il estime, par ailleurs, que les bulletins de salaire des mois de janvier, février, août et septembre 2018 n’ont pas été établis conformément à la convention collective et au décret n° 2016-190 du 25 février 2016 relatif à la forme simplifiée, ce qui justifie la condamnation sous astreinte de l’employeur à les rectifier.

En réponse, la société intimée réclame l’entière confirmation du jugement.

Sur les titres-restaurants, elle estime qu’elle pouvait aménager de façon différente la situation de M. [Y] du fait des conditions d’exercice de ce dernier et, qu’en tout état de cause, doivent être déduites les sommes prescrites ainsi que celles ayant déjà fait l’objet d’un remboursement au titre des frais professionnels.

Sur la convention de forfait, elle conclut à son entier respect et subsidiairement, s’agissant des heures supplémentaires, conteste les décomptes, tant en leur forme qu’au regard du nombre d’heures qui y est quantifié, M. [Y] facturant, selon elle, un travail sur des plages horaires non assimilées à du temps de travail effectif.

Elle remet également en cause l’activité réelle de M. [Y].

Sur la rupture, elle soutient que la charge de la preuve du vice du consentement incombe au salarié et que ce dernier n’en justifie pas.

MOTIVATION :

1°/ Sur les titres-restaurants durant le télétravail :

A – Sur le principe :

Il résulte de l’article R.3262-7 du code du travail que le ticket-restaurant a pour objet de permettre à un salarié de se restaurer durant son horaire de travail journalier quand celui-ci comprend l’heure de repas.

Si un salarié, peu important qu’il ait un espace personnel pour préparer ce repas, ne dispose pas d’un restaurant d’entreprise, il doit être éligible au ticket-restaurant.

Un salarié en situation de télétravail doit donc bénéficier de tickets-restaurants si ceux-ci sont servis à ses collègues exerçant sur le site d’une entreprise ne disposant pas de cantine, sous la réserve que les conditions de travail respectives soient équivalentes.

Or, comme le soutient à juste titre M. [Y], le télétravail ne constitue pas, sur ce point, un critère objectif et pertinent justifiant une différence de traitement puisque les conditions de travail apparaissent équivalentes : la nature des tâches, les horaires et les modalités du contrôle exercé par l’employeur sont les mêmes.

C’est donc à bon droit que M. [Y] revendique, nonobstant sa qualité de salarié en télétravail, le bénéfice des tickets-restaurants sur le fondement de l’article L.1222-9 du code du travail.

La cour ajoute que la Cour de cassation a refusé de distinguer, pour l’octroi de cet avantage, la situation des salariés sédentaires et non sédentaires (Soc., 16 novembre 2007, n° 05-45.438).

En l’absence de précédent identifié de la Cour de cassation statuant, sur ce point, en matière de télétravail, la cour souligne que tant, d’une part, le Conseil d’Etat (CE, 7 juillet 2022, n° 457140) à propos de la situation d’un agent public que, d’autre part, le bulletin officiel de la Sécurité sociale, dans sa rubrique dédiée à la question, retiennent que le télétravail, en lui-même, ne suffit pas à exclure un salarié du droit au ticket-restaurant.

B – Sur le montant :

C’est à bon droit que l’employeur expose, d’une part, que M. [Y] ne peut cumuler des tickets-restaurants avec le remboursement de frais professionnels de repas et, d’autre part, qu’il y a lieu de prendre en compte la prescription partielle de la demande pour la période antérieure au 28 février 2007.

Compte tenu de la valeur de l’avantage, soit 3,50 euros par repas, du nombre de repas remboursés postérieurement à cette date et du nombre de journées travaillées, il y a lieu de retenir, conformément d’ailleurs au calcul de la société dans ses conclusions, la somme de 876,17 euros.

Le jugement qui rejette la demande sera infirmé.

2°/ Sur l’inopposabilité de la convention de forfait :

La contestation ne porte pas sur la validité de la convention de forfait dont le principe et les modalités de contrôle sont conventionnellement prévus.

M. [Y] se place sur le terrain de l’inopposabilité en arguant du fait que les entretiens annuels n’ont pas été menés.

Sur ce point, il est exact, alors qu’il avait été engagé en août 2015, que c’est seulement en avril 2017, ce que ne conteste d’ailleurs pas véritablement la société, que s’est déroulé un premier entretien susceptible, le cas échéant, de porter sur le suivi de la charge de travail.

Il s’en déduit que le contrôle annuel n’ayant pas été respecté dès l’origine, la convention de forfait doit être privée d’effet.

3°/ Sur les heures supplémentaires :

M. [Y] revendique pour l’année 2016 deux cent quatre-vingt-trois heures supplémentaires et, pour l’année 2017, cinquante-et-une.

Il produit des décomptes suffisamment précis pour mettre l’employeur, contrairement à ce que ce dernier soutient, en mesure d’y répondre, satisfaisant ainsi aux exigences de l’article L.3171-4 du code du travail.

C’est, par ailleurs, à tort que l’employeur tente d’en réfuter l’existence au motif que les heures dépassant la durée légale de travail hebdomadaire n’auraient pas été commandées dès lors, en effet, qu’implicitement mais nécessairement il y avait par avance, et au contraire, consenti par la conclusion de la convention de forfait, peu important que celle-ci soit ultérieurement privée d’effet.

C’est, en revanche, à tort que M. [Y] se prévaut de ladite convention pour en déduire qu’ayant été rémunéré à raison de deux cent dix-huit jours travaillés, et selon un régime dérogatoire aux durées maximales quotidiennes et hebdomadaires, il aurait nécessairement travaillé au-delà de la durée légale.

L’inopposabilité de la convention de forfait entraîne en effet l’application du droit commun : s’agissant d’un quantum qu’il reste à déterminer, aucune présomption d’accomplissement d’heures supplémentaires ne peut être tirée d’une convention de forfait privée d’effet.

M. [Y] expose que son activité se déroulait le plus souvent à domicile.

Or, comme le souligne justement l’employeur, d’une part le salarié inclut dans ses décomptes de nombreuses heures qui correspondent notamment à des trajets professionnels, ce qui interpelle au regard d’une activité réalisée principalement à domicile, et, d’autre part il néglige les dispositions de l’article L.3121-4 du code du travail

De tels trajets, selon qu’ils ont trait aux déplacements entre le domicile et les premier et dernier clients ou entre deux clients, ne sont en effet pas assujettis au même régime, ainsi qu’il ressort des articles L.3121-1, L.3121-4 du code du travail tel qu’appliqués d’ailleurs par la Cour de cassation (Soc., 23 novembre 2022, n° 20-21.924)

Par ailleurs, et alors que M. [Y] insiste sur sa qualité de télétravailleur, il est exact, comme l’observe la société par la production de relevés téléphoniques et d’une comparaison avec l’activité commerciale d’autres salariés, que celle de l’intéressé apparaissait moindre.

Il s’en déduit qu’il doit être reconnu l’existence, pour l’année 2016, de cent-vingt heures supplémentaires et, pour l’année 2017, de trente heures.

L’employeur propose, à titre subsidiaire, de prendre pour base de calcul la rémunération brute forfaitaire mensuelle qui selon lui s’élevait, en dernier lieu, à la somme de 4 200 euros, soit un coût horaire de 27,69 euros ramené à la durée légale.

M. [Y] se prévaut, quant à lui, sur la base des bulletins de salaire, d’une rémunération brute annuelle moyenne d’un montant de 4 394,84 euros, soit un coût horaire de 28,98 euros pour cette même durée.

Il faut, en réalité, appliquer un coût horaire pour chaque année, et cela d’autant qu’une part variable apparaissait accompagner la partie fixe du salaire.

Il sera retenu, en conséquence, un coût horaire de 28 euros pour l’année 2016 et de 28,50 euros pour l’année 2017, soit la liquidation suivante, sachant qu’aucune semaine ne donne lieu à la majoration de 50 % qui n’est d’ailleurs pas réclamée :

* 2016 : 120 x [28 euros x 25 % = 35 euros] = 4 200 euros

* 2017 : 30 x [28,40 x 25 % = 35,5] = 1 065 euros.

Soit la somme globale de 5 265 euros.

La cour observe que le salarié ne revendique pas l’application, à cette somme, des congés payés de 10 %.

Le jugement qui rejette la demande sera infirmé.

4°/ Sur les repos compensateurs :

Il est constant que le contingent annuel d’heures supplémentaires n’ouvrant pas droit au repos compensateur est, en l’espèce, de deux cent vingt heures par salarié.

Or, M. [Y] n’a pas accompli d’heures supplémentaires au-delà de ce contingent de sorte qu’il sera débouté de sa demande, le jugement étant confirmé.

5°/ Sur la validité de la rupture conventionnelle :

M. [Y] se borne à soutenir que ce n’est que sous la menace d’un licenciement pour insuffisance professionnelle, par suite de résultats jugés insuffisants par la direction en juin 2018, qu’il a accepté de signer une rupture conventionnelle en novembre 2018.

Il se fonde pour l’essentiel sur deux courriels des 4 et 6 novembre 2018 qui témoignent certes d’échanges professionnels avec son employeur mais sans que n’y soit du tout évoquée la menace d’un licenciement sans indemnités.

D’autres échanges avec l’employeur portent sur le mécanisme de la rupture conventionnelle.

Il appartient au requérant de démontrer le vice de consentement dont il se prétend victime, ce qu’il ne fait pas.

Sa demande sera rejetée et le jugement confirmé.

6°/ Sur les demandes afférentes à la rupture :

Le postulat des demandes en paiement du préavis, de l’indemnité légale, des congés payés, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de la contrepartie financière à l’obligation de non-concurrence reposent sur l’annulation de la rupture conventionnelle.

La demande à cette fin n’étant pas accueillie, il s’ensuit qu’elles seront rejetées et le jugement confirmé.

7°/ Sur la rectification sous astreinte des bulletins de salaire des mois de janvier, février, août et septembre 2018 :

M. [Y] soutient exactement que les bulletins de paie des mois de janvier et de février 2018 n’ont pas été établis sous la forme simplifiée applicable à toutes les entreprises depuis le 1er janvier 2018 et que ses bulletins de paie des mois d’août et de septembre 2018 ne comportent pas l’indication du coefficient conventionnel 120, mais seulement 114, dû en application de l’article 22.

Cette rectification ne s’accompagne toutefois d’aucune demande en rappel salarial fondé notamment sur ledit coefficient et n’apparaît pas revêtir une particulière urgence au regard des circonstances de l’espèce.

En conséquence, s’il sera fait droit à la demande en rectification, aucune raison ne justifie le prononcé d’une astreinte.

Il doit néanmoins être tenu compte de difficultés techniques liées aux logiciels de paie qui ne permettent pas nécessairement une telle rectification rétroactive.

Il sera ajouté au jugement qui n’a pas statué.

8°/ Sur le travail dissimulé :

Il est rappelé que cette demande a été déclarée irrecevable par le conseiller de la mise en état de sorte que la cour n’en est plus saisie.

9°/ Sur les frais irrépétibles de première instance et d’appel :

Il sera équitable de condamner la société, qui sera déboutée de ce chef ayant succombé en appel, à payer à M. [Y] la somme de 2 200 euros.

Le jugement qui condamne le salarié sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile sera, en conséquence, infirmé.

PAR CES MOTIFS :

La cour d’appel statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi :

– confirme le jugement déféré mais seulement en ce qu’il déboute M. [Y] de ses demandes relatives au repos compensateur ainsi qu’en annulation de la rupture conventionnelle et ses conséquences et en ce qu’il constate que M. [Y] renonce à sa demande d’indemnité pour travail dissimulé ;

– l’infirme pour le surplus et statuant à nouveau et y ajoutant :

* condamne la société Laser Cheval à payer à M. [Y] la somme de 876,17 euros au titre des tickets-restaurants ;

* déclare la convention de forfait privée d’effet ;

* condamne la société Laser Cheval à payer à M. [Y] la somme de 5 265 euros à titre d’heures supplémentaires ;

* ordonne à la société Laser Cheval de régulariser les bulletins de paie des mois de janvier et février 2018 sous la forme simplifiée applicable aux entreprises depuis le 1er janvier 2018 ainsi que les bulletins de paie des mois d’août et de septembre 2018 en y mentionnant le coefficient conventionnel 120 à la place du coefficient 114 ;

* dit que la société Laser Cheval pourra se libérer de cette obligation par l’émission d’un seul bulletin de paie établi conformément au présent arrêt ;

* la condamne à payer à M. [Y] la somme de 2 200 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel ;

* rejette le surplus des prétentions ;

* condamne la société Laser Cheval aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER

Serge LAWECKI

LE PRESIDENT

Olivier BECUWE

 


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