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13 avril 2023
Cour d’appel d’Orléans
RG n°
21/00622
C O U R D ‘ A P P E L D ‘ O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE – A –
Section 1
PRUD’HOMMES
Exp +GROSSES le 13 AVRIL 2023 à
la SCP LAVAL – FIRKOWSKI
Me Damien VINET
FCG
ARRÊT du : 13 AVRIL 2023
MINUTE N° : – 23
N° RG 21/00622 – N° Portalis DBVN-V-B7F-GJ4V
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE BLOIS en date du 22 Janvier 2021 – Section : ENCADREMENT
APPELANTE :
S.A.S. DUBUIS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL – FIRKOWSKI, avocat au barreau d’ORLEANS,
ayant pour avocat plaidant Me Philippe YON de l’AARPI 107 Université, avocat au barreau de PARIS
ET
INTIMÉE :
Madame [I] [F]
née le 13 Juillet 1973 à
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Damien VINET, avocat au barreau de BLOIS
Ordonnance de clôture : 14 décembre 2022
Audience publique du 17 Janvier 2023 tenue par M. Alexandre DAVID, Président de chambre, et par Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller, ce, en l’absence d’opposition des parties, assistés lors des débats de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier.
Après délibéré au cours duquel M. Alexandre DAVID, Président de chambre et Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller, ont rendu compte des débats à la Cour composée de :
Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre, président de la collégialité
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre
Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller
Puis le 13 avril (délibéré initialement prévu le 28 Mars 2023), Monsieur Alexandre DAVID, président de Chambre, assisté de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier a rendu l’arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [I] [F] a été engagée à compter du 10 avril 2012 par la S.A.S. Dubuis en qualité de responsable commercial statut cadre, coefficient 135 position III, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.
La relation de travail était régie par la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972.
La S.A.S. Dubuis appartient au groupe Stanley Black et Decker et a pour activité la conception, la fabrication et la commercialisation d’une large gamme de produits hydrauliques portatifs pour les marchés de l’industrie électrique, le ferroviaire, le sanitaire et l’aéronautique.
Le 3 mai 2017, l’employeur a convoqué Mme [F] à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, qui s’est tenu le 16 mai 2017.
Dans l’attente de la décision à intervenir Mme [F] a été dispensée d’activité.
Le 19 mai 2017, l’employeur a notifié à Mme [F] son licenciement pour insuffisance professionnelle.
Par requête du 18 juillet 2018, Mme [I] [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Blois d’une demande tendant à voir reconnaître le licenciement sans cause réelle et sérieuse et à obtenir le paiement de diverses sommes en conséquence.
Par jugement du 22 janvier 2021, auquel il est renvoyé pour un plus ample exposé du litige, le conseil de prud’hommes de Blois a :
Déclaré recevable et bien fondée Mme [I] [F] en ses demandes.
Requalifié le licenciement de Mme [I] [F] en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dit et jugé que la SAS Dubuis est à l’origine de l’altération de l’état de santé de Mme [I] [F]
Condamné la SAS Dubuis à payer à Mme [I] [F] les sommes de:
– 67 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 41 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,
– 10 808,50 euros au titre de la rémunération complémentaire variable sur l’année 2017,
– 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile .
Débouté Mme [I] [F] du surplus de ses demandes.
Débouté la SAS Dubuis de sa demande reconventionnelle.
Rappelé les dispositions de l’article R. 1454-28 du code du travail relatives à l’exécution provisoire de droit.
Condamné la SAS Dubuis aux dépens.
Le 25 février 2021, la S.A.S. Dubuis a relevé appel de cette décision. La procédure a été inscrite au rôle sous le n° RG 21/00 622.
Le 17 mars 2021, la S.A.S. Dubuis a relevé appel de cette décision. La procédure a été inscrite au rôle sous le n° RG 21/00 858.
Par ordonnance du 10 mai 2021 le président de chambre, chargé de la mise en état, a ordonné la jonction des affaires inscrites au rôle sous les n° RG 21/00 622 et RG 21/00 858.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 2 juin 2021 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du Code de procédure civile et aux termes desquelles la S.A.S. Dubuis demande à la cour de :
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré recevable et bien fondée Mme [I] [F] en ses demandes, requalifié le licenciement de Mme [I] [F] en licenciement sans cause réelle et sérieuse, dit et jugé que la SA Dubuis est à l’origine de l’altération de l’état de santé de Mme [I] [F], condamné la SAS Dubuis à payer à Mme [I] [F] les sommes de :
67 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle est sérieuse
41 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,
10 808,50 € au titre de la rémunération complémentaire variable sur l’année 2017
2000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– Débouté la SAS Dubuis de sa demande reconventionnelle,
– Condamné la SAS Dubuis aux dépens.
En conséquence, statuant à nouveau,
– Débouter Mme [F] de l’intégralité de ses demandes ;
Condamner Mme [F] au paiement au profit de la société Dubuis à hauteur de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner Mme [F] en tous les dépens.
Vu les dernières conclusions remises au greffe le 13 octobre 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du Code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [I] [F] demande à la cour de :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré recevable et bien-fondée Mme [I] [F] en toutes ses demandes, fins et prétentions.
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a requalifié le licenciement de Mme [F] en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit et jugé que la SAS Dubuis est à l’origine de l’altération de l’état de santé de Mme [F].
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la SAS Dubuis à verser à Mme [F] les sommes suivantes :
41 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,
10 808,50 euros au titre de la rémunération complémentaire variable sur l’année 2017
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la SAS Dubuis à verser à Mme [F] les sommes suivantes :
67 000 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Et statuant à nouveau de ces chefs,
Condamner la société Dubuis à verser à Mme [F] les sommes suivantes :
162 132,72 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
3500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile .
Et par conséquent,
Débouter la SAS Dubuis de l’intégralité de ses demandes.
Condamner la SAS Dubuis à payer à Mme [F] la somme de 3500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
Condamner la SAS Dubuis aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 14 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le bien-fondé du licenciement
En application des articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige, le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur et forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute persiste, il profite au salarié.
L’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité objective, non fautive et durable, d’un salarié à accomplir correctement la prestation de travail à laquelle il est tenu.
La lettre de licenciement du 19 mai 2017, qui fixe les limites du litige, pointe les difficultés de la salariée dans la gestion commerciale de ses clients et dans la définition de sa stratégie commerciale. Elle énonce neuf constats d’insuffisance professionnelle, qui seront successivement examinés :
A) absence de prise en considération des relations stratégiques avec les clients clés et partenaires historiques de la société
Il est reproché à Mme [I] [F] d’avoir mené une politique de concurrence préjudiciable à la société Barriot avec laquelle il existait un accord tacite de non- concurrence de longue date. Selon l’employeur : « Dubuis développait les TPU et Barriot la MPR » afin que les deux entreprises n’entrent pas en concurrence directe, précision étant faite qu’une TPU est une tête de perche universelle et une MPR une main de prise au rail. La S.A.S. Dubuis ajoute : « Cet accord nous permettait d’avoir le monopole sur la TPU et Barriot sur la MPR». L’employeur conclut que la conséquence de ce choix commercial fait par la salariée a été que la société Barriot a développé une TPU concurrente mettant fin à son monopole, transformant un partenaire bienveillant en un concurrent agressif.
Il ressort des pièces produites et notamment des courriels du supérieur hiérarchique de Mme [I] [F], adressé tant au directeur de production qu’au responsable du bureau d’études et dont une simple copie était envoyée à Mme [I] [F] (celle-ci n’étant pas le destinataire principal) que la S.A.S. Dubuis était parfaitement informée du développement du produit MPR, qu’elle menait des essais avec le client SNCF ainsi qu’avec « notre concurrent Barriot ».
Mme [I] [F] étant une responsable commerciale et non une responsable production, la dégradation de relations commerciales ne peut donc lui être reprochée en raison du développement d’un produit dont elle n’avait pas la responsabilité de la production.
De même une chute des ventes ne lui est pas imputable alors qu’il n’est pas contesté que le produit nouveau n’a pas passé les essais à très fortes tensions et qu’il n’était pas homologué lors du licenciement de Mme [I] [F].
B) Absence de prise en compte des délais de développement et d’homologation des produits nouveaux, de un à deux ans dans le budget 2017 et avoir initié un dossier de main de prise au rail sans effectuer d’études marketing
Il ne ressort des pièces produites ni que les délais développement et d’homologation n’aient pas été pris en compte, ni, en tout état de cause, qu’une telle carence pourrait être imputée à la salariée alors que les budgets sont validés par son supérieur hiérarchique.
Le dossier marketing a démarré et a été validé par l’ensemble de l’équipe dirigeante, qui en porte seule la responsabilité.
Aucun manquement imputable à la salariée n’est caractérisé.
C) Avoir attendu plusieurs mois quand les clients l’informaient d’un problème de qualité pour mettre en place une action de rappel des produits
Il n’est donné dans la lettre de licenciement aucun exemple d’un manquement de la salariée en ce domaine. Cela s’explique par le fait que cela n’entrait pas dans ses fonctions. La fiche de définition de fonction de Mme [F] (pièce 80 de l’intimé) n’inclut pas la mise en place d’actions de rappel de produits. La fiche d’instruction traitant de la « logique de traitement d’un retour en service après-vente » ainsi que le schéma général de traitement d’une réparation ne concernent pas l’équipe commerciale. Les retours clients ne passent pas par le service commercial mais par le service après-vente ou l’administration des ventes. Il incombe à ces services de remonter l’information et de la faire traiter.
Aucun manquement ne peut être reproché à la salariée.
D) Sur les choix commerciaux
La S.A.S. Dubuis reproche à la salariée d’avoir donné l’autorisation à la société HPS de distribuer les produits Dubuis dans le Sud de la France alors même qu’un commercial terrain avait été recruté pour faire exactement le même travail puis d’avoir interdit de distribuer des produits à HPS pour favoriser les ventes directes. Ce choix aurait conduit à faire de HPS un concurrent agressif.
Il n’est produit aucune pièce par l’employeur qui permettrait de caractériser une faute de gestion de Mme [I] [F] de nature à révéler une insuffisance professionnelle.
E) Sur la mauvaise gestion en autonomie des clients
En ce qui concerne les relations avec les clients, les pièces produites démontrent une excellente entente entre le service commercial et les clients Bombardier Glenair et Pace 1 Tools, cités à titre d’exemple. Si des problèmes ont existé, ils découlent de la qualité des produits et des prix pratiqués imposés et non de la gestion de Mme [I] [F]. Le grief n’est pas fondé.
F) Sur l’absence de prise de responsabilité et d’initiative
Il n’est produit aucune pièce de nature à justifier une carence en ce domaine.
G) Sur les mauvaises qualités managériales
Il n’est pas contesté que lors des entretiens annuels, l’indicateur « qualité de leadership » est passé du niveau B1 au niveau A2.
Il ressort également des pièces produites par la salariée et notamment de celles traduites que ses interlocuteurs appréciaient « votre travail acharné et vos efforts pour manager le business ». Elle produit également des attestations élogieuses de membres de son équipe lui reconnaissant la capacité de motiver son équipe, sans aucune agressivité, avec écoute et empathie et en se faisant toujours respecter.
Il n’est pas justifié qu’un tiers ait dû intervenir pour résoudre des difficultés internes entre l’équipe de Mme [I] [F] et d’autres équipes ou des clients.
Aucun manquement n’est caractérisé.
H) Sur la qualité de vie au travail
Il est reproché à la salariée d’entretenir une incertitude professionnelle, de déformer les propos de son manager auprès de son équipe et d’avoir une attitude négative face à la transformation de l’organisation commerciale et la séparation des « business ».
Il n’est produit aucune pièce qui permettrait de caractériser les reproches faits alors que la salariée produit elle-même des courriels élogieux sur sa franchise et son honnêteté. Les attestations produites et traduites ne mettent pas en cause Mme [I] [F] se limitant à contester qu’il était demandé de travailler 24 heures sur 24 ou 7 jours sur 7 et vantant les qualités du manager/supérieur hiérarchique commun avec Mme [I] [F].
I) Irrespect de son contrat de travail qui précise qu’elle doit se déplacer sur 40 % de son temps de travail.
Il n’y a aucune mention sur le quantum des déplacements que ce soit dans le contrat de travail de la salariée ou l’avenant du 13 décembre 2016 ou bien encore dans la fiche de poste.
Là encore aucun manquement ne saurait être reproché à la salariée.
Il ressort de l’analyse de l’ensemble des pièces produites que les reproches énoncés dans la lettre de licenciement ne sont pas établis. L’insuffisance professionnelle n’est pas caractérisée.
Par voie de confirmation du jugement, il y a donc lieu de juger que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes pécuniaires au titre de la rupture
La salariée comptant plus de deux ans d’ancienneté dans l’entreprise au jour de son licenciement et celle-ci employant habituellement onze salariés au moins, trouvent à s’appliquer les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, selon lesquelles, en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois.
En considération de sa situation particulière, notamment de son âge, de son ancienneté au moment de la rupture, de son salaire, des circonstances de celle-ci et en l’état des éléments soumis à l’appréciation de la cour, par voie de confirmation du jugement entrepris, la S.A.S. Dubuis sera condamnée à payer à Mme [I] [F] la somme de 67’000 euros net.
Sur la demande en paiement de la rémunération complémentaire variable sur l’année 2017
L’avenant n° 2 au contrat de travail, pris en son article 1, prévoit que la salariée a droit à une rémunération variable, dont le montant peut atteindre 20 % de la rémunération annuelle fixe.
Il apparaît que l’employeur n’a pas fixé les critères de calcul de la part variable de la rémunération. Il y a donc lieu de déterminer le montant de celle-ci en fonction des critères visés au contrat et des éléments de la cause (Soc., 6 février 2013, pourvoi n° 11-21.073).
Par voie de confirmation du jugement, il y a lieu de condamner l’employeur à payer à la salariée la somme de 10’808,50 € à ce titre.
Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral
Mme [I] [F] soutient avoir été victime d’un harcèlement moral de la part de l’employeur à la suite duquel elle a sombré dans une profonde dépression.
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L. 1152-3 du code du travail prévoit que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
Selon l’article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En application de l’article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction postérieure à la loi précitée, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Au soutien de sa demande, Mme [I] [F] verse aux débats :
– ses propres courriels des 5 septembre 2016 et 3 octobre 2016 dans lesquels elle se plaint de ce qu’il lui est demandé d’être disponible 24 heures sur 24 et d’être cinq jours en déplacement alors qu’elle doit gérer l’équipe sur place, valider les offres de prix, faire les tarifs annuels, analyser les ventes, participer aux réunions sur site et commercial, faire les comptes-rendus et en sus avoir une vie personnelle avec deux enfants à charge.
Ces exigences qui sont contestées par l’employeur ne ressortent que des seules affirmations de la salariée. Elles sont contredites tant par les attestations produites aux débats de collègues affirmant que jamais il ne leur a été demandé une charge de travail excessive, que par les différentes pièces produites par la salariée elle-même, dans le cadre de son argumentation visant à établir que son licenciement pour insuffisance professionnelle est abusif. De nombreuses pièces établissent qu’elle travaillait sur site avec son équipe, les membres de celle-ci la décrivant comme toujours disponible et à leur écoute… Les demandes de télétravail ont été acceptées dans les cas de maladie d’un de ses enfants, ce qui établit que la salariée n’était pas en permanence en déplacement mais pouvait travailler à son domicile ;
– une étude de la charge mentale sur les postes de commerciaux sédentaires au sein de l’entreprise Dubuis.
Cette étude générale ne concerne pas précisément Mme [I] [F] ;
– le procès-verbal de la réunion du comité social et économique du 1er juillet 2021 ;
Ce document postérieur de quatre ans au départ de la salariée ne saurait la concerner ;
– le courrier de l’employeur du 18 janvier 2017 indiquant avoir été alerté le lundi 9 janvier par le médecin du travail d’une situation concernant la salariée, celle-ci lui ayant fait part d’une situation de souffrance au travail. Dans cet écrit, l’employeur indique que soucieux du bien-être et de la sécurité de la salariée et compte tenu de ces informations, il souhaite prendre toutes les mesures nécessaires et avant de saisir le CHSCT, il demande à l’intéressée de se présenter à un entretien avec la responsable HSE et le service RH afin de communiquer tous les éléments de nature à étayer ses déclarations ;
– un courriel de la chargé RH de la société, listant les cinq sujets qui selon la salariée seraient une source de souffrance au travail, soit : difficultés relationnelles avec le manager direct, niveau des objectifs 2016, demandes trop nombreuses de déplacements sur le terrain, pressions du manager ayant des répercussions sur les heures de travail, crainte de perdre son poste ;
Aucun fait n’est matériellement établi par ces courriers qui ne sont que la réponse mise en ‘uvre immédiatement par l’employeur à l’alerte qui était donnée par la salariée s’étant plainte au médecin du travail. Le 13 février 2017, l’enquête menée par la responsable qualité hygiène santé environnement et la responsable des ressources humaines a conclu à l’absence de lien entre le mal-être ressenti par la salariée et le management ;
– l’attestation de Mme [L] praticienne psychothérapeute du 26 juin 2017 certifiant que Mme [I] [F] a besoin d’une aide psychologique depuis février 2016, que « ses conditions de travail sont très éprouvantes, qu’elle a fait ce qu’elle pouvait pour tenir le maximum de temps mais les incompréhensions, le manque d’humanité de ses employeurs ont fait qu’elle a dû prendre un arrêt travail ce qui semble n’avoir pas été compris. Les exigences excessives de ses employeurs me paraissent manifestes »;
– un certificat médical du 11 juillet 2017 certifiant que l’état de santé de Mme [F] justifie un arrêt de travail du 11 mars au 15 avril 2017 pour syndrome dépressif pouvant être lié au travail ;
Ces pièces ne peuvent suffire en elles-mêmes à faire présumer l’existence d’un harcèlement de la part de l’employeur et ce même dans l’hypothèse où le médecin impute cette dégradation à un harcèlement moral puisque n’ayant pas été témoin des faits et n’ayant pas vérifié les conditions de travail de sa patiente, il ne peut que retranscrire les doléances, les affirmations, les déclarations ou le ressenti de celle-ci;
– de très nombreuses attestations de membres de la famille ou d’amis relatant ce que la salariée leur avait dit concernant son travail, à savoir : harcèlement, humiliation, obligation de se déplacer 5 jours par semaine, de travailler les week-ends, d’être disponible 24 heures sur 24, ce qui a entraîné une dépression ;
Ces attestations ne font que rapporter le récit fait par la salariée de ses prétendues conditions de travail, des comportements et propos prêtés à l’employeur, de ses ressentis et ne permettent pas d’établir la matérialité de fait laissant présumer l’existence d’un harcèlement moral.
Mme [I] [F] ne produit aucun élément qui établirait que les objectifs qui lui étaient fixés étaient excessifs.
Les différents courriels, attestations et pièces qu’elle produit pour démontrer que son licenciement pour insuffisance professionnelle est abusif établissent sa parfaite aisance dans son milieu professionnel, sans contrainte, ni pression.
En conclusion, les éléments invoqués par la salariée, y compris les documents médicaux qu’elle produit, pris dans leur ensemble, ne permettent pas de présumer ou de laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral.
Il y a donc lieu, par voie d’infirmation du jugement, de débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.
Sur l’article L. 1235-4 du code du travail
En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner le remboursement par la S.A.S. Dubuis aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à Mme [I] [F] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de 6 mois d’indemnités de chômage.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Les dépens de l’instance d’appel sont à la charge de l’employeur, partie succombante.
L’équité ne recommande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe ;
Infirme le jugement rendu le 22 janvier 2021, entre les parties, par le conseil de prud’hommes de Blois mais seulement en ce qu’il a dit et jugé que la SAS Dubuis était à l’origine de l’altération de l’état de santé de Mme [I] [F] et en ce qu’il a condamné la SAS Dubuis à payer à Mme [I] [F] la somme de 41 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi ;
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant :
Déboute Mme [I] [F] de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral subi ;
Ordonne le remboursement par la S.A.S. Dubuis aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à Mme [I] [F] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de 6 mois d’indemnités ;
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la S.A.S. Dubuis aux dépens d’appel.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre et par le greffier
Fanny ANDREJEWSKI-PICARD Alexandre DAVID