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13 avril 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/01670
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
21e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 13 AVRIL 2023
N° RG 21/01670
N° Portalis DBV3-V-B7F-URKQ
AFFAIRE :
[M] [F]
C/
S.A.S. ICPF & PSI
Décision déférée à la cour : Jugement rendu
le 16 Avril 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
N° Section : E
N° RG : F18/02043
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Olivier BONGRAND de la SELARL O.B.P. Avocats
Me Christophe DEBRAY
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TREIZE AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [M] [F]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par : Me Olivier BONGRAND de la SELARL O.B.P. Avocats, constitué/plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0136
APPELANTE
***
S.A.S. ICPF & PSI
N° SIRET : 793 144 155
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par : Me Christophe DEBRAY,constitué / postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 substitué par Me Suelen CABRAL, avocat au barreau de Paris – Me Emmanuelle Kraemer et Me José Michel Garcia, avocats du cabinet ANTELIS, plaidants, avocats au barreau de PARIS.
INTIMEE
***
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 14 Février 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
Mme Florence SCHARRE, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Alicia LACROIX,
En présence de [G][I], greffier stagiaire,
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [F] a été engagée, par contrat à durée indéterminée, à compter du 20 septembre 2016, en qualité de consultante auditrice junior, par la société ICPF & PSI, qui développe une activité de délivrance de certification à des professionnels de la formation, emploie moins de 11 salariés, et relève de la convention collective des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire.
Convoquée le 29 août 2017 à un entretien préalable à une éventuelle sanction, fixé au 8 septembre suivant, Mme [F] s’est vu notifier le 18 septembre 2017 un avertissement.
Convoquée le 7 mai 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 17 mai suivant, Mme [F] a été licenciée par lettre datée du 21 mai 2018 énonçant une faute simple.
Par lettre du 28 juin 2018, l’employeur a rompu le préavis pour faute grave.
Le 31 juillet 2018, Mme [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins d’entendre, à titre principal, juger son licenciement nul et ordonner sa réintégration, à titre subsidiaire, juger son licenciement sans cause réelle et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
La société s’est opposée aux demandes de la requérante et a demandé reconventionnellement la condamnation de Mme [F] au paiement de 7 500 euros de dommages et intérêts pour violation de sa clause d’exclusivité et pour avoir commis des actes caractérisant une concurrence déloyale et de détournement de clientèle.
Par jugement rendu le 16 avril 2021, notifié le 6 mai 2021, le conseil a statué comme suit :
Dit que les faits reprochés à Mme [F] justifiaient une sanction,
N’annule pas l’avertissement du 18 septembre 2017,
Dit la demande de rappel de salaire au titre du maintien de salaire de Mme [F] infondée,
Dit la demande de Mme [F] au titre de rappel des primes variables infondée, ainsi que celle au titre des congés payés afférents,
Dit la demande d’indemnité compensatoire de frais professionnels de Mme [F] infondée,
Dit le délit de travail dissimulé infondé,
Dit que le licenciement de Mme [F] ne porte pas atteinte à ses droits et à sa liberté individuelle,
Dit que le licenciement pour faute de Mme [F] n’est pas nul,
Dit le licenciement pour faute de Mme [F] est justifié par une cause réelle et sérieuse,
Dit l’information d’assistance conforme aux exigences légales et la procédure de licenciement régulière,
Déboute Mme [F] de l’intégralité de ses demandes,
Dit que Mme [F] a violé la clause d’exclusivité de son contrat de travail,
Ordonne à Mme [F] de payer à la société ICPF & PSI la somme de 7 500 euros au titre de l’indemnité de violation de la clause d’exclusivité,
Déboute la société ICPF & PSI de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [F] au paiement d’une amende civile à hauteur d’un euro au titre de l’article 32-1 du code de procédure civile,
Condamne Mme [F] aux entiers dépens éventuels.
Le 2 juin 2021, Mme [F] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Par ordonnance rendue le 4 janvier 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 14 février 2023.
‘ Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 20 mai 2022, Mme [F] demande à la cour d’infirmer le jugement rendu en ce qu’il a dit que les faits reprochés justifiaient une sanction, n’a pas annulé l’avertissement du 18 septembre 2017, a dit la demande de rappel de salaire au titre du maintien de salaire infondée, a dit la demande de rappel des primes variables infondée, ainsi que celle au titre des congés payés afférents, a dit la demande d’indemnité compensatoire de frais professionnels infondée, a dit le délit de travail dissimulé infondé, a dit que son licenciement ne porte pas atteinte à ses droits et à sa liberté individuelle, a dit que son licenciement pour faute n’est pas nul, a dit son licenciement pour faute justifié par une cause réelle et sérieuse, a dit l’information d’assistance conforme aux exigences légales et la procédure de licenciement régulière, l’a déboutée de l’intégralité de ses demandes, a dit qu’elle a violé la clause d’exclusivité de son contrat de travail, lui a ordonné de payer à la société ICPF & PSI la somme de 7 500 euros au titre de l’indemnité de violation de la clause d’exclusivité et l’a condamnée aux entiers dépens éventuels et, statuant à nouveau, de :
A titre principal,
Annuler son licenciement compte tenu de la violation de sa liberté fondamentale d’expression, liberté de valeur constitutionnelle,
Ordonner sa réintégration dans l’entreprise,
Condamner la société ICPF & PSI à lui verser une indemnité forfaitaire pour nullité du licenciement correspondant au salaire dû depuis le terme du préavis de licenciement jusqu’à la réintégration dans son emploi soit la somme de 130 000 euros arrêtée à titre provisoire au 31 décembre 2022,
Subsidiairement, juger son licenciement nul et subsidiairement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société ICPF & PSI au versement de la somme de 21 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse ;
En tout état de cause :
Annuler l’avertissement en date du 18 septembre 2017
Condamner la société ICPF & PSI au versement des sommes suivantes :
– 3 500 euros d’indemnité de préavis outre 350 euros de congés payés y afférents,
– 1 750 euros à titre d’indemnité de licenciement,
– 14 062 euros à titre de primes sur objectifs outre 1 406,20 euros de congés payés afférents,
– 21 000 euros d’indemnité pour travail dissimulé,
– 3 114,75 euros de rappel de salaire complément maladie,
– 500 euros indemnité compensatrice du télétravail,
– 3 500 euros de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement,
– 1 000 euros de dommages et intérêts pour nullité de l’avertissement,
– 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et d’appel,
Débouter la société ICPF & PSI de l’ensemble de ses demandes,
Ordonner la remise d’une attestation Pôle emploi conforme,
Assortir la condamnation des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil s’agissant des créances salariales et de l’indemnité légale de licenciement,
Condamner la société ICPF & PSI aux dépens.
‘ Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 13 juin 2022, la société ICPF & PSI demande à la cour de :
– Juger que l’ensemble des demandes de Mme [F] sont injustifiées,
– Juger que Mme [F] a violé sa clause d’exclusivité, a commis des actes caractérisant une situation de concurrence déloyale et de détournement de clientèle,
– Confirmer en conséquence le jugement du conseil de prud’hommes en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau :
– Débouter Mme [F] de l’ensemble de ses demandes,
– La condamner à 7 500 euros de dommages et intérêts au titre de la violation de sa clause d’exclusivité, des actes concurrence déloyale et de détournement de clientèle,
– La condamner à 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– La condamner aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
MOTIFS
I – Sur le licenciement
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :
‘Par courrier recommandé du 7 mai 2018, […] . Vous vous êtes présentée à votre entretien préalable sans être assistée et nous avons évoqué les éléments suivants qui vous sont reprochés, à savoir :
Carences dans vos fonctions
Le vendredi 27 avril, j’ai reçu un mail d’un de nos clients ayant reçu une notification de refus de certification de votre part. Je vous l’ai transmis avec ma réponse. Ayant parcouru rapidement la notification relativement longue, j’avais noté un point que j’avais qualifié d’excès de zèle. Le vendredi soir, j’ai reçu une deuxième plainte émanant de son commanditaire principal, client stratégique pour nous. Je vous ai demandé lundi 30 avril de me rappeler après avoir relu la notification. A 10H04, vous m’avez répondu par mail en m’indiquant que vous n’aviez pas relu la notification, car vous l’aviez en tête et qu’elle n’était pas à revoir. J’ai dû analyser moi-même la notification. J’ai identifié plusieurs erreurs grossières dont le fait que vous exigiez une copie de carte d’identité ou (exclusif) un passeport mais pas les deux, qualifiant ce détail de Non-Conformité majeure. Également, j’ai noté que la numérotation des non-conformités était complètement incohérente. Au cours d’un long et difficile entretien, vous avez fini par admettre la non-conformité de votre notification. A votre demande, « pour vous améliorer » je vous ai envoyé l’analyse que j’avais faite par mail (mail du 30 avril).
Non respect des collaborateurs, de leurs fonctions et de leur travail, y compris du Président
Au cours de cet entretien téléphonique du 30 avril, j’ai dû à plusieurs reprises vous demander de vous calmer et de modérer votre ton. Le 1er mai, vous m’avez envoyé un mail ainsi qu’à [U] [W], votre collègue, consultant-auditeur. Dans celui-ci, vous semblez ne pas comprendre que c’est une plainte d’un client qui a déclenché le problème, accentué par une deuxième plainte de son commanditaire, un client stratégique pour nous, qui nous l’avait envoyé. Vous procédez à de longs développements sans rapport avec l’anomalie. Deux points posent problème. Le premier est que vous remettez en question mon évaluation de votre niveau de compétence et le consensus que nous avions sur ce point. Le deuxième est que vous suggérez fortement qu’il y aurait de nombreux dysfonctionnements causés par « certains auditeurs qui n’ont de volonté que de salir le travail des autres » tout en mettant [U] [W] en copie qui est le seul autre auditeur de l’entreprise. De plus, circonstance aggravante, vous avez mis en copie cachée au moins deux autres collaborateurs de l’entreprise. Il est inacceptable que vous communiquez avec le Président de l’entreprise de la sorte en impliquant à votre guise des collaborateurs de l’entreprise.
Le mercredi 2 mai j’ai répondu à votre mail en vous disant que nous allons aborder ces sujets jeudi 3 mai lors d’un entretien en face à face. Vous avez réglé le problème de la notification en rectifiant vos erreurs. Dans la foulée, vous avez posé un nouveau problème prétextant une erreur sur votre bulletin de paie et de graves difficultés financières.
3 ‘ Non respect des collaborateurs, des prestataires extérieurs, et du Président
Du 2 au 3 mai, vous m’avez interpellé sur votre paie qui ne vous convenait pas. Je vous ai dit que tout était en ordre et je vous avais prévenu avant votre congé maladie de la baisse de salaire qui serait et a été largement compensée par les efforts que l’entreprise a consentis pour vous. Le 2 mai lors de notre dernier entretien téléphonique de la journée vous m’avez confirmé votre venue demain pour la réunion mensuelle de l’entreprise et la réunion pour discuter de vos impressions. Vous avez également refusé une avance de salaire.
Le 3 mai à 8H00, vous m’avez envoyé un mail pour m’indiquer que vous ne viendrez pas ce jour au bureau « n’ayant pas de quoi payer votre ticket pour le déplacement » et que « vous vous mettez en congés ». Ce mail est complètement incompréhensible. Il est critique vis-à-vis de l’entreprise. Vous décrivez une mauvaise organisation de la paie et de mauvais choix de la direction relatif à la mutuelle.
Votre absence inopinée a perturbé la réunion d’équipe qui commençait à 9H00. L’activité consulting dont vous avez le suivi n’a pas été présentée. Vous n’avez pas transmis votre prévisionnel. Là encore c’est inacceptable.
Par la suite, vous avez appelé 3 fois la personne en charge de la paie dans notre cabinet d’expertise comptable. Le 3 mai après-midi, j’ai dû passer une heure trente pour refaire les calculs de votre, recevoir les protestations de notre prestataire que vous avez appelé trois fois dans la journée et répondre à votre mail.
4 ‘ Non-respect des obligations de votre contrat de travail, absences illicites
Je vous ai répondu par mail pour vous indiquer que vous ne pouviez pas vous déclarer en congés de la sorte. Vous aviez déjà été avertie formellement par écrit le 17 novembre 2017sur ce point.
5 ‘ Manque de respect
Dans votre mail du 4 mai, envoyé deux fois, en réponse à mon mail du 3 précédent, vous reconnaissez avoir perçue une rémunération supérieure au salaire que vous auriez perçu si vous n’aviez pas eu d’arrêt maladie. Vous aviez donc « l’argent pour payer un ticket ». Ce comportement est un réel manque de respect à notre égard et à l’égard de l’équipe. Non seulement vous ne reconnaissez pas le dérangement que vous causez, mais en plus vous vous permettez de mettre en doute la capacité à établir une fiche de paie et nous reprochez de ne pas vous avoir fait une avance, que vous avez refusé à plusieurs reprises.
Lors de l’entretien préalable, vous avez reconnu les faits ci-dessus exposés. En revanche, votre défense s’est caractérisée par quatre attitudes négatives.
Vous avez déclaré tout suite vouloir être licenciée et quitter l’entreprise.
Vous n’avez pris aucun engagement pour tenter d’améliorer votre comportement ni tenter de la moindre façon que ce soit de trouver un compromis. Vous nous avez dit que vous étiez comme cela et que « vous ne pouviez pas vous changer ».
Vous avez abrégé l’entretien refusé l’échange voire même de nous écouter. Vous avez tenté à plusieurs reprises de changer de sujet.
Vous avez soutenu des positions incohérentes ‘
Nous avons bien compris que vous vouliez quitter l’entreprise. Il n’est pas possible d’admettre votre attitude et votre comportement comme préalable à notre relation de travail.
Par conséquent, au regard de ce qui précède, les faits que nous vous reprochons à savoir : manque de respect des collaborateurs et de leur travail, carences dans votre fonction, non-respect des obligations de votre contrat de travail causent un réel préjudice à notre entreprise et ne me permettent pas de modifier mon appréciation concernant la gravité de votre comportement, qui a des répercussions sur la société, ses salariés, et les relations qu’elle entretient avec les prestataires externes et ses clients. Vous avez déjà été avertie sur des faits similaires et votre comportement pose régulièrement des problèmes dans l’entreprise.
Je suis donc contraint de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute.[…]
Mme [F] se prévaut du droit d’expression reconnu au salarié dans l’entreprise, et de la nullité sanctionnant tout licenciement attentatoire à cette liberté d’expression. Relevant qu’il lui est reproché d’avoir exprimé son désaccord sur l’évaluation de ses compétences, d’avoir alerté l’employeur sur des dysfonctionnements, de l’avoir interpellé sur une erreur figurant sur son bulletin de paye ainsi que sur le choix de l’entreprise concernant la mutuelle, et d’avoir adopté la défense qui fut la sienne lors de l’entretien préalable, elle soutient n’avoir commis aucun abus dans sa liberté d’expression susceptible de justifier son licenciement. Elle s’estime donc fondée à solliciter sa réintégration assortie d’un rappel de rémunération jusqu’à la date de réintégration effective.
La société soutient que les motifs visés dans la lettre de licenciement sont parfaitement établis. Elle considère que la salariée cherche, dans le cadre de la présente procédure, à se retrancher derrière une prétendue atteinte à la liberté d’expression, alors que son comportement caractérise au contraire un abus de sa liberté d’expression. Elle ajoute que contrairement à ce que l’appelante soutient en toute mauvaise foi, à aucun moment la société ne justifie le licenciement en raison des propos qu’elle aurait pu tenir lors de l’entretien préalable. À titre subsidiaire, l’intimée soutient que selon la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation (25 juin 2003 n°01-46.479 – Bulletin civil 2003, V, n° 206), la réintégration d’un salarié fondée sur la nullité de son licenciement est matériellement impossible lorsqu’il s’est rendu coupable d’actes de concurrence déloyale envers son ancien employeur, ce qui est le cas en l’espèce. Elle invoque en outre le bénéfice des dispositions de l’article L. 1235-2-1 du code du travail pour apprécier l’éventuel préjudice de Mme [F].
Il résulte des articles L. 1121-1 du code du travail et 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées. Il en va également ainsi des paroles prononcées par le salarié au cours de l’entretien préalable, lesquels ne peuvent, sauf abus, constituer une cause de licenciement.
Le licenciement prononcé par l’employeur pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de sa liberté d’expression est nul.
Selon l’article L. 1235-2-1, du code du travail, en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l’un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d’examiner l’ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas échéant, dans l’évaluation qu’il fait de l’indemnité à allouer au salarié, sans préjudice des dispositions de l’article L. 1235-3-1.
Il convient de reprendre successivement les différents griefs formulés à l’endroit de Mme [F] :
1 – Carences dans ses fonctions :
L’employeur établit qu’à l’occasion de l’audit réalisé par Mme [F] de M. [C], la salariée a commis des erreurs majeures qui l’ont conduite à refuser la certification sollicitée, suscitant le courroux du client ainsi que d’un partenaire de l’entreprise, la salariée convenant in fine, par mail du 1er mai 2018, suite à la reprise du dossier par le dirigeant, avoir établi un travail ‘bâclé’.
C’est ainsi que par un mail du 1er mai 2018, Mme [F] ne disconvenait pas que l’identité du demandeur était établie, que la non-conformité relevée portait sur la preuve apportée, à savoir un scan présentant deux justificatifs d’identité […] et convenait : ‘de là à ce que ça soit une non conformité majeure, NON’. S’agissant de l’expérience de 30 ans du candidat, elle concédait que la ‘notification du refus provisoire ne mettait pas assez en évidence le professionnalisme du candidat. […]’ et que l’accent aurait dû être mis davantage sur ses points forts, ajoutant ‘il est question d’un dossier bâclé par un audit approximatif’.
Il en ressort que la salariée, tout en concluant son message en affirmant n’avoir ‘jamais douté de ses capacités à bien faire et que ce n’est pas aujourd’hui que cela va commencer’, a reconnu avoir fourni dans ce dossier un travail non conforme à l’attendu, suscitant par suite le courroux légitime du client et d’un partenaire de l’entreprise. Le grief visé dans la lettre de licenciement est établi.
2 – s’agissant du non respect des collaborateurs, de leurs fonctions et de leur travail, y compris du Président :
La salariée ne conteste pas avoir au cours de l’entretien téléphonique avec son employeur, élevé le ton.
L’employeur établit que la salariée a adressé la réponse qu’elle lui destinait, suite à son interpellation relative au traitement du dossier [C], en copie à son collègue, M. [N], consultant-auditeur, alors même qu’elle le mettait implicitement mais nécessairement en cause – dès lors qu’il s’agissait du seul autre auditeur présent dans l’effectif – ce que l’appelante ne contredit pas, en laissant entendre qu’il y aura d’autres dysfonctionnements causés par « certains auditeurs qui n’ont de volonté que de salir le travail des autres ».
Un tel procédé caractérise indéniablement un abus dans la liberté d’expression, que l’employeur est légitime à lui reprocher, ainsi qu’un manque de respect à l’égard d’un de ses collègues qui caractérise un comportement fautif.
En revanche, la deuxième branche du grief formulé qui consiste à reprocher à Mme [F] de ‘remettre en question l’évaluation qu’il a faite de son niveau de compétence et le consensus, allègue-t-il, qu’ils en auraient eu tous les 2″ porte atteinte à sa liberté d’expression, sans qu’il soit allégué ni a fortiori démontré par l’employeur que les réserves exprimées par la salariée sur ce point l’aient été de manière abusive.
3 ‘ Non respect des collaborateurs, des prestataires extérieurs, et du Président :
Il ne résulte pas de la lettre de licenciement que la société ait reproché à la salariée de l’avoir interpellée relativement à sa paie qui ne lui convenait pas. Il ne s’agit que d’un élément de contexte pour souligner le caractère abusif et contradictoire des justifications que la salariée va ensuite avancer pour tenter de justifier son absence à la réunion mensuelle de travail prévue le 3 mai.
L’employeur établit que la salariée lui a adressé le 3 mai à 8h00, un mail pour l’aviser de ce qu’elle ne viendrait pas à la réunion dans la mesure où elle n’aurait pas eu ‘de quoi payer son ticket pour le déplacement » et qu’ « elle se mettait en congés ».
Dans un contexte où la salariée se plaignait du maintien de salaire perçu au cours de son arrêt maladie, en prétendant ne pas avoir de quoi payer son ticket pour se rendre au bureau, alors même que l’employeur justifie qu’il lui avait vainement proposé la veille de lui consentir une avance et qu’elle finira par indiquer le lendemain que sa situation financière n’était nullement obérée, Mme [F] a abusé de son droit d’expression.
4 ‘ Non-respect des obligations de votre contrat de travail, absences illicites :
Par ailleurs, en avançant un prétexte fallacieux, puis en décidant unilatéralement et sans accord de l’employeur de poser un jour de congé pour tenter de justifier son absence à la réunion organisée le 3 mai, la salariée a manqué à ses obligations contractuelles.
Le grief est, là encore, caractérisé.
5 ‘ Manque de respect :
Il ressort du mail adressé par la salariée le 4 mai, que la salariée reconnaît après s’être entretenue avec la responsable paye au sujet du salaire d’avril, que les ‘montants précisés par l’employeur sont ceux qu’elle ‘précise’, et que la compréhension sur ce sujet lui semble établie’, qu’elle ne rencontre pas de difficulté financière ‘j’ai encore cette chance’ précise-t-elle, ‘raison du refus de l’avance qu’elle réitère’.
Ainsi que relevé ci-avant, les termes de ce message sont parfaitement contradictoires avec ceux avancés la veille pour tenter de justifier son absence à la réunion business.
Pour le surplus, alors, d’une part, que l’entretien préalable à un éventuel licenciement a pour objet de porter à la connaissance du salarié les griefs qui lui sont faits et de permettre à celui-ci de présenter d’éventuelles observations, et, d’autre part, que les paroles prononcées par la salariée au cours de l’entretien préalable ne peuvent, sauf abus, constituer une cause de licenciement, la lettre de licenciement relève in fine à la charge de la salariée 4 ‘attitudes négatives’ adoptées lors de l’entretien préalable, à savoir celle consistant à exiger ‘d’être licenciée tout de suite’, ce que ne conteste pas l’intéressée, ensuite ‘de n’avoir pris aucun engagement pour tenter d’améliorer son comportement ni tenter de la moindre façon que ce soit, de trouver un compromis’, puis d’avoir ‘abrégé l’entretien, refusé l’échange voire même d’écouter l’employeur’, et, enfin, ‘d’avoir tenté à plusieurs reprises de changer de sujet et soutenu des positions incohérentes’. Ce faisant, et alors qu’une telle attitude passive ne saurait être reprochée à la salariée, l’employeur porte atteinte à la liberté d’expression de la salariée dans l’exercice du droit de la défense, qui comprend notamment celui de garder le silence ou de ne prendre aucun engagement.
En définitive, il en ressort que si plusieurs reproches susceptibles de causer le licenciement sont effectivement établis, ce dont il sera tenu compte dans l’appréciation du préjudice, conformément aux dispositions de l’article L. 1235-2-1 du code du travail, en revanche deux griefs formulés dans la lettre de licenciement portent atteinte à la liberté d’expression et entraînent à eux seuls la nullité du licenciement.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du licenciement.
II – Sur la demande de réintégration et l’indemnisation :
La société ICPF & PSI s’oppose à la demande de réintégration dont elle soutient le caractère impossible en raison des agissements de concurrence déloyale accomplis par la salariée au cours de l’exécution du contrat de travail ayant consisté à accomplir des prestations comparables à celles pour lesquelles elle était employée et rémunérée par la société intimée pour le compte notamment de l’un de ses clients, à savoir la société LOEA. Pour preuve, elle verse aux débats les éléments suivants :
– l’attestation de la société de portage ITG consultants qui indique que Mme [F] a été leur ‘salariée’ pour exécuter une prestation pour le compte du client LOEA pour un chiffre d’affaires de 1 832 euros HT, la société de portage précisant que l’intéressée ne l’avait pas informée de sa situation de salariée de la société ICPF & PSI ,
– le procès-verbal de constat établi par le 7 juillet 2018 par M. [J], huissier de justice au sein de la SCP Atlas Justice, duquel il ressort que l’ordinateur professionnel présenté par la société comme étant celui utilisé par la salariée comportait notamment plusieurs bulletins de salaire établis par la société Itg Consultants au nom de Mme [F] sur la période de janvier à mai 2018, à une époque où la salariée était encore en lien contractuel avec la société ICPF & PSI,
– la facture établie par la société ITG consultants pour le compte de Mme [F] à l’ordre de Mme [R] (fe 2018).
Il en ressort que la société intimée rapporte la preuve que Mme [F] a accompli au cours de la relation contractuelle et au mépris de la clause d’exclusivité figurant au contrat, une prestation de travail pour le compte de la société de portage ITG Groupe pour le compte de l’un de ses clients actifs, la société LOEA – Mme [R] (pièce n° 30 de la société intimée), de tels agissements caractérisant une concurrence déloyale de la salariée vis-à-vis de son employeur, lesquels rendent impossible la réintégration de l’intéressée au sein de l’entreprise.
La demande présentée en ce sens par la salariée sera en conséquence rejetée.
Lorsque cette réintégration est impossible, la salariée a droit à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, soit au moins égale aux six derniers mois de salaire.
Au vu de l’âge de la salariée, de son parcours professionnel, de sa rémunération, et des griefs avérés, il lui sera alloué une indemnité de 21 000 euros bruts.
III – Sur le caractère irrégulier de la procédure de licenciement :
A l’appui de l’irrégularité de la procédure, Mme [F] relève que la lettre de convocation à l’entretien préalable indique qu’elle pouvait consulter la liste des conseillers du salarié à l’hôtel de ville, mais pas à l’inspection du travail.
La société ICPF & PSI objecte qu’en raison des indications fournies dans la lettre, la salariée ne justifie pas d’un préjudice et qu’en toute hypothèse il est de jurisprudence constante que l’indemnité pour inobservation de la procédure ne se cumule pas avec l’indemnité accordée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dans sa rédaction applicable au jour de l’engagement de la procédure de licenciement, l’article L. 1235-2 du code du travail énonce que lorsqu’une irrégularité a été commise au cours de la procédure, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.
En l’espèce, le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse mais encourt la nullité. La demande de Mme [F] qui ne justifie, en toute hypothèse, d’aucun préjudice n’est pas fondée en droit. Elle sera en conséquence rejetée.
IV – Sur la rupture anticipée du préavis :
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 28 juin 2018, la société ICPF & PSI a rompu le préavis de 3 mois dont Mme [F] n’avait pas été dispensée pour les motifs suivants : ‘après notification de votre licenciement par lettre recommandée avec avis de réception en date du 21 mai 2018, votre préavis d’une durée de 3 mois a débuté le 23 mai et devait arriver à expiration le 23 août. Il a toutefois été convenu que le préavis prendrait fin le 31 juillet 2018. Or, j’ai découvert à la lecture de votre profil Linkedin que vous réalisez des prestations de conseil et de formation sur la qualité de la formation, pour votre propre compte auprès de la clientèle cible de notre entreprise, en portage avec la société ITG Groupe, depuis le mois de janvier 2018 et ce alors que votre contrat de travail prévoit une clause d’exclusivité en son article 6. La faute grave que vous avez commise et qui vous a été reprochée au cours de l’entretien de ce jour, me conduit à mettre fin immédiatement à votre préavis. Votre contrat de travail sera rompu à la date de première présentation de cette lettre, sans indemnité pour le préavis qui reste à courir.’
Mme [F] soutient, sans être utilement contesté par la société intimée, que cette sanction n’a pas été précédée d’une convocation à un entretien préalable de sorte que cette décision de rompre le préavis, qui s’analyse en une sanction n’est pas régulière. Par application des dispositions des articles L. 1333-2 et L. 1234-1 du code du travail, l’annulation de cette sanction emporte obligation pour l’employeur de s’acquitter du solde de l’indemnité compensatrice de préavis.
Par ailleurs, la rupture du préavis pour faute grave est, en toute hypothèse, sans effet sur le droit acquis pour la salariée à percevoir l’indemnité de licenciement, lequel s’apprécie au jour du prononcé du licenciement.
Dès lors, la société ICPF & PSI sera condamnée à payer à Mme [F] les sommes de 3 500 euros bruts au titre du solde de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 350 euros bruts au titre des congés payés afférents, ainsi que la somme de 1 429,16 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement sur la base de la moyenne des salaires la plus favorable pour la salariée tenant compte de son ancienneté au terme du préavis c’est à dire de un an et dix mois.
V – Sur la prime sur objectifs :
Mme [F] s’estime bien fondée à solliciter, déduction des sommes perçues à ce titre, un solde de rémunération variable faute pour l’employeur d’avoir respecté les stipulations contractuelles lesquelles énonçaient que les objectifs trimestriels étaient fixés ‘après consultation de la salariée’, ce qu’il s’est abstenu de faire.
La société ICPF & PSI s’y oppose et soutient que les stipulations contractuelles ont été respectées, que les objectifs étaient fixées par le dirigeant après information des salariés, lesquels en avaient parfaitement connaissance, ceux-ci étant présentés à compter de mai 2017 au cours de la réunion trimestrielle ‘revue business’, qu’ils étaient en outre disponibles sur ‘sharepoint’, chacun pouvant suivre quotidiennement l’évolution du taux de réalisation des objectifs sur la plate-forme’Obizoo’ et, enfin, que dans ce cadre Mme [F] a perçu la somme de 5 503 euros.
L’annexe 2 au contrat de travail « Fiche technique – Rémunération & prime variable » de Mme [F] prévoit :
« Une prime déterminée en fonction du pourcentage d’atteinte de l’objectif de l’entreprise du mois précédent observant la règle :
– Marge brute réalisée supérieure ou égale à 80 % de l’objectif
[…]
– Marge brute réalisée supérieure à 140 % de l’objectif
Prime exceptionnelle, plafonné à 1000 euros brute, égale à 10 % de la marge brute au-dessus de 140 %.
La marge brute est égale au chiffre d’affaires facturé moins les charges d’exploitation.
Les objectifs sont fixés par trimestre pour le mois précédant le trimestre par le PDG après consultation de l’intéressé. »
Par application des dispositions de l’article 1315 du code civil, devenu 1353, s’il appartient à celui qui se prévaut d’une obligation d’en justifier, il revient à celui qui prétend s’en être libéré de justifier du paiement ou du fait extinctif. Par l’effet de ce texte, sous réserve pour le salarié de justifier du principe de l’obligation contractuelle ou conventionnelle dont il se prévaut, il appartient à l’employeur de justifier du paiement ou du fait extinctif de son obligation.
En l’espèce, faute pour l’employeur d’établir que les objectifs étaient bien fixés après consultation des salariés, ce que ni le fait que les dits objectifs étaient portés à la connaissance de Mme [F] ni le fait qu’elle pouvait suivre quotidiennement l’atteinte des dits objectifs sur un logiciel dédié, ne saurait pallier, les objectifs de chiffre d’affaires assignés ne lui sont pas opposables. Par suite, la société est tenue au paiement de l’intégralité de la rémunération variable, sous déduction des sommes allouées à ce titre, soit celle de 5 503 euros, ainsi qu’en justifie l’employeur.
La société ICPF & PSI sera condamnée à lui verser la somme de 12 497 euros bruts à titre de rappel de rémunération variable.
VI – Sur l’indemnité pour travail dissimulé :
Se prévalant d’un échange de sms avec le dirigeant de la société Mme [F] affirme avoir été rémunérée au titre d’un travail accompli durant son arrêt maladie.
La société ICPF & PSI conteste avoir intentionnellement dissimulé des heures de travail. Elle soutient n’avoir jamais exigé de la salariée qu’elle travaille durant son arrêt maladie, et plaide que si des heures ont pu potentiellement être effectuées pendant son arrêt de travail sans être rémunérées, c’est uniquement parce que la salariée ne l’a pas informée des heures effectuées, ce qu’elle l’a invitée à lui préciser par lettre du 4 août 2018.
Selon l’article L. 8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
L’article L8221-5 dispose notamment que, ‘est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur […] de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales’.
En l’espèce, force est de relever en premier lieu que la salariée ne sollicite pas le paiement d’heures qu’elle aurait effectuées durant cette période sans en être rémunérée.
Il ressort des éléments communiqués que le dirigeant a interrogé Mme [F] sur le point de savoir combien de dossiers elle avait traité du 2 mars au 15 avril, période durant laquelle la salariée était en arrêt maladie, ce à quoi Mme [F] lui a répondu 15 dossiers, sollicitant ‘comme convenu une prime pour les audits réalisés de 1125 euros’, et que l’employeur a invité la salariée à lui préciser par lettre du 4 août 2018 le nombre d’heures de travail réalisées pour régulariser, ce que Mme [F] ne prétend pas avoir fait.
Observation faite que l’employeur a versé à la salariée au titre de ces audits, la prime majorée des charges sociales, ainsi qu’ils en avaient convenu, il ne résulte pas de ces éléments la preuve de l’intention de la société de dissimuler des salaires.
VII – Sur le rappel de complément de salaire :
Invoquant le bénéfice des dispositions de l’article D. 1226-1 du code du travail et l’article 18 de la convention collective applicable, précisant n’avoir rien perçu pour le mois de mars, puis s’être vu servir la somme de 980,60 euros à titre de complément de salaire maladie mais déduire celle de 1 153 euros de salaire au titre de son absence d’avril, Mme [F] sollicite un rappel de maintien de salaire de 3 114,75 euros au titre de son arrêt du 2 mars au 14 avril ainsi calculé :
– Pour le mois de mars la somme de 2 250 euros (2500 x 90%) ;
– Pour le mois d’avril la somme de 864,75 euros (1153 x 75%).
La société objecte avoir rempli la salariée de ses droits.
Selon l’article D. 1226-1 du Code du travail, le salarié a droit à un maintien de salaire en cas d’arrêt maladie de 90 % de la rémunération brute que le salarié aurait perçue s’il avait continué à travailler pendant les trente premiers jours, des deux tiers de cette même rémunération pendant les trente jours suivants. Hors hypothèse d’un accident du travail, non allégué en l’espèce, le délai d’indemnisation court au-delà de 7 jours d’absence.
L’article 18 de la convention collective prévoit que :
« Tout salarié ayant au moins une année d’ancienneté dans l’entreprise et dont le contrat de travail se trouve suspendu par suite de maladie ou d’accident dûment justifié par un certificat médical, et contre visite s’il y a lieu, percevra un complément de salaire dans les conditions suivantes :
1) Lors de chaque arrêt de travail, les délais d’indemnisation commenceront à courir :
– à compter du premier jour d’absence, si celle-ci est consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle (à l’exclusion des accidents de trajet);
– à compter du premier jour d’hospitalisation réelle ou à domicile ;
– à compter du huitième jour en cas de maladie non professionnelle ou d’accident de trajet.
Pour le calcul des indemnités dues au titre d’une période de paye, il sera tenu compte des indemnités déjà perçues par l’intéressé durant les douze mois antérieurs, de telle sorte que si plusieurs absences pour maladie ou accident ont été indemnisées au cours de ces douze mois, la durée totale d’indemnisation ne dépasse pas celle applicable en vertu des alinéas suivants.
2) Le montant du complément est calculé comme suit :
– Salarié de un à trois ans d’ancienneté :
* pendant 30 jours, 90 % de la rémunération brute que le salarié aurait gagné s’il avait continué à travailler ;
* pendant 30 jours, 75 % de cette rémunération. »
Sur ce,
Il est constant que Mme [F] a été placée en arrêt maladie du 1er mars au 13 avril, les parties s’accordant sur le salaire moyen 2 500 euros.
Conformément aux dispositions de la convention collective, Mme [F] pouvait prétendre :
– à rien au titre de la période de carence de 7 jours du 1er mars ou 7 mars 2018,
– Pour la période du 8 mars au 6 avril 2018 (soit 30 jours) : le salaire de Mme [F] doit être maintenu à 90 %, soit une somme de 2 250 euros : (2500 euros x 90%) / 30 jours = 75 € par jour x 30.
– Pour la période du 7 avril au 13 avril 2018 (soit 6 jours) : le salaire de Mme [F] doit être maintenu à 75 %, soit une somme de 375 euros : (2500 euros x 75%) / 30 jours = 62,5 € par jour x 6.
Sur la période du 1er mars au 13 avril 2018, l’obligation de la société était de maintenir un salaire à hauteur de 2 625 euros.
En l’absence de subrogation, il convient de soustraire de ce montant les indemnités journalières perçues par la salariée de la CPAM, soit la somme de 1 644,40 euros, ce qui détermine une obligation de l’employeur de 980,60 euros que Mme [F] concède avoir perçue, la salariée n’étant pas fondée à reprocher à l’employeur d’avoir, parallèlement, retenu sur le bulletin de paye le salaire pour la période d’arrêt maladie non travaillée.
L’employeur justifiant s’être libéré de son obligation, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [F] de ce chef.
VIII – Sur l’avertissement :
La lettre d’avertissement du 18 septembre 2017 est ainsi motivée :
Suite à notre entretien du 8 septembre, je vous confirme ma décision de vous adresser un avertissement pour les motifs suivants :
– non respect des collaborateurs, de leur fonction et de leur travail y compris du président,
– non tenue des engagements pris,
– carence dans votre fonction.
Nous attirons votre attention sur le fait que vous n’avez pas semblé lors de l’entretien prendre complètement conscience du préjudice que subit l’entreprise du fait de votre comportement et n’avait pas véritablement pris d’engagement pour que la situation s’améliore.
Vous trouverez en annexe notre analyse de la situation. Celle-ci précise :
‘Non respect des collaborateurs, de leur fonction et de leur travail y compris du Président
Les échanges de mails du mois de juillet et août montrent:
– Un accompagnement fin juin produit un dossier papier alors que l’application est en service.
Ce qui cause un préjudice à terme et à l’entreprise et au client qui devra bien ressaisir son dossier sur notre application.
– Dans les échanges avec le Président le 10 août, vous répétez cinq fois le même argument alors qu’il n’est pas recevable. Lors de l’entretien du 8 septembre, vous tentez de changer le sujet plusieurs fois. Vous ne répondez pas aux questions. Vous éludez le sujet. Vous vous positionnez en évaluatrice des propos de l’autre, y compris le Président, ou vous pratiquez de fausses reformulations (Cf le mail du 2 août – ‘ton point de vue est légitime’).
Non tenue des engagements
– Vous n’étiez pas en train de travailler le 9 août 21 14h00 chez vous comme il était convenu.
Vous n’étiez pas disponible au téléphone.
Carences dans votre fonction
– Demandeur ESPINALT-validation du questionnaire alors qu’il est explicitement négatif.
Les conséquences sont lourdes pour l’entreprise.
– Perte de confiance
– Stress chez les collaborateurs et les clients
– impact sur l’image de l’entreprise […]
Selon l’article L.1333-2 du code du travail, le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme, ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
Conformément aux dispositions de l’article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, forme sa conviction au vu des éléments retenus par l’employeur pour prendre la sanction et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La salariée sollicite la nullité de cette sanction dans la mesure où elle porterait atteinte à sa liberté d’expression.
L’employeur objecte que les griefs sont fondés et qu’aucune atteinte à la liberté d’expression n’est établie.
Répéter cinq fois à l’employeur le motif personnel pour lequel elle n’a pas répondu au téléphone alors que la salariée était censée être en télétravail est insignifiant. Le grief qui lui est fait de se positionner en évaluateur des propos du président ou de pratiquer de fausses reformulations, outre qu’il est subjectif, porte pas atteinte à la liberté d’expression de la salariée. Il en va de même de lui reprocher lors de l’entretien préalable à sanction de ‘changer de sujet’, de ne ‘pas répondre aux questions’ ou ‘encore d’éluder le sujet’, constitue une atteinte à la liberté d’expression de la salariée dans l’exercice du droit de la défense, qui comprend notamment celui de garder le silence.
L’avertissement sera annulé, le préjudice de la salariée indemnisée par la somme de 150 euros.
IX – Sur le télétravail :
Au soutien de sa demande d’indemnité formulée de ce chef, Mme [F] se borne à affirmer avoir à plusieurs reprises au cours de l’exécution du contrat de travail a assumé ses missions de son domicile, en télétravail, en août 2017 et avril 2018 notamment, et ce sans que l’employeur participe aux frais que cela a induit.
La société objecte que si elle a pu accepter que la salariée travaille ponctuellement depuis son domicile, c’est uniquement à sa demande et pour gérer des contraintes personnelles et rappelle que la salariée disposait d’un bureau au siège de l’entreprise pour travailler. Elle considère que la demande d’indemnisation est totalement infondée.
Faute pour la salariée d’établir la preuve de l’obligation dont elle se prévaut à ce titre, laquelle ne saurait être fondée sur la simple tolérance consentie par l’employeur de travailler occasionnellement depuis son domicile, le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a déboutée de ce chef.
X – Sur la demande reconventionnelle :
Mme [F] expose que l’employeur n’est pas fondé à rechercher sa responsabilité alors même qu’il ne lui a pas reproché une faute lourde, ce à quoi la société objecte que les faits de concurrence déloyale sont distincts de ceux sur lesquels repose le licenciement.
A l’égard de son employeur, la responsabilité pécuniaire d’un salarié ne peut résulter que de sa faute lourde.
En l’espèce, la demande de dommages-intérêts sollicitée par la société repose sur la faute grave reprochée à la salariée pour rompre le délai-congé, à savoir les agissements de concurrence déloyale.
Faute pour la société intimée d’avoir reproché à Mme [F] à cette occasion une faute lourde, qui emporte obligation pour l’employeur de démontrer l’intention de nuire de la salariée, elle n’est pas fondée à rechercher la responsabilité pécuniaire de la salariée. Aussi, le jugement sera infirmé en ce qu’il l’a condamnée à lui payer la somme de 7 500 euros à titre de dommages-intérêts.
XI – Sur les demandes accessoires :
Il n’y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil prévoyant que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal, à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date et à compter de chaque échéance devenue exigible, s’agissant des échéances postérieures à cette date, les créances à caractère indemnitaire produisant intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.
Il sera ordonné à l’employeur de remettre à la salariée l’attestation Pôle-emploi régularisée.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement en ce qu’il a, d’une part, débouté Mme [F] de ses demandes de réintégration, et en paiement d’une indemnité pour licenciement irrégulier, d’une indemnité pour travail dissimulé, de l’indemnité au titre du télétravail et d’un rappel de maintien de salaire,
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs ainsi infirmés, et y ajoutant,
Dit que le licenciement et l’avertissement de Mme [F] sont nuls,
Condamne la société ICPF & PSI à payer à Mme [F] les sommes suivantes :
– 1 429,16 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 3 500 euros bruts d’indemnité compensatrice de préavis outre 350 euros bruts au titre des congés payés afférents,
– 21 000 euros bruts à titre d’indemnité pour licenciement nul,
– 12 497 euros bruts à titre de rappel de rémunération variable,
– 150 euros de dommages-intérêts pour avertissement nul,
Déboute la société ICPF & PSI de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour concurrence déloyale,
Dit que les créances de nature contractuelle sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date, et à compter de chaque échéance devenue exigible, s’agissant des échéances postérieures à cette date, et que les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,
Ordonne à la société ICPF & PSI de délivrer à Mme [F] dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision une attestation Pôle-emploi conforme.
Condamne la société ICPF & PSI à régler à Mme [F] la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Dévi POUNIANDY greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,