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13 avril 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/06020
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 10
ARRET DU 13 AVRIL 2023
(n° , 1 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06020 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CD7OS
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Juin 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F20/01321
APPELANTE
Madame [J] [K]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Evelyn BLEDNIAK, avocat au barreau de PARIS, toque : K0093
INTIMEE
S.A.S. EUROVENT CERTITA CERTIFICATION
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Sophie BARA, avocat au barreau de PARIS, toque : L0289
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Carine SONNOIS, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre
Madame Mme Carine SONNOIS, Présidente de la chambre
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre
Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
– contradictoire
– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, prorogé jusqu’à ce jour.
– signé par Madame Mme Carine SONNOIS, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE :
Mme [J] [K] a été engagée par contrat à durée indéterminée du 2 octobre 2014, en qualité de chargé d’affaires, statut cadre, position 2.1, coefficient 115 par la société Eurovent Certita Certification.
La société Eurovent Certita Certification est un organisme international, accrédité par le Comité Français d’accréditation, de certification de performances produits, notamment des performances énergétiques dans les domaines de la climatisation, de la ventilation et de la réfrigération.
Par avenant au contrat de travail du 16 décembre 2014, Mme [J] [K] est devenue chef de projet, statut cadre, position 2.1, coefficient 115.
Les relations contractuelles sont régies par la convention collective des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils.
Lors des élections professionnelles du 30 avril 2019, Mme [J] [K] a été élue membre titulaire du Comité Social et Économique pour le collège cadre et, le 28 mai 2019, elle a été élue secrétaire adjointe de ce Comité.
Le 29 octobre 2019, plusieurs membres du personnel de la société Eurovent Certita Certification, une ancienne salariée de l’entreprise, et l’ensemble de la direction de l’entreprise, qui avaient été, à leur insu, ajoutés à un nouveau groupe de conversation collective sur l’application de messagerie instantanée Whatsapp,ont reçu un message anonyme dénonçant le comportement malveillant de trois salariées, [J] [K], [N] [Z], et [A] [I], à l’égard d’autres salariés, en joignant à l’appui de cette dénonciation, la copie de captures d’écran de messages qui auraient été échangés sur un autre groupe Whatsapp créé par celles-ci, et interceptés.
Le 30 octobre 2019, [N] [Z] et [A] [I] ont informé leur employeur de ce qu’elles entendaient déposer plainte pour le vol de données personnelles, et affirmé que cette dénonciation dont elles faisaient l’objet, s’inscrivait dans une démarche de harcèlement moral dont elles étaient toutes les trois victimes.
La société Eurovent Certita Certification a missionné le cabinet Altaïr Conseil afin de réaliser un audit des risques psychosociaux au sein de l’entreprise et une enquête sur les faits de harcèlement moral dénoncés.
Mme [K] a été placée en arrêt de travail à compter du 18 décembre 2019.
Estimant que son employeur avait manqué gravement à ses obligations, ce qui justifiait la rupture de son contrat de travail à ses torts, Mme [J] [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 17 février 2020 d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail. Par jugement du 24 novembre 2020, le conseil de prud’hommes de Paris prendra acte du désistement de Mme [K].
Le 28 janvier 2020, le cabinet Altaïr Conseil a rendu son rapport, dont il a ensuite restitué les conclusions lors d’une réunion du CSE le 13 mars 2020.
Le 17 février 2020, Mme [J] [K] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour faute grave. L’entretien préalable a eu lieu le 2 mars 2020.
Celle-ci étant membre titulaire du Comité Social et Économique, l’employeur a convoqué cette instance le 4 mars 2020, laquelle a émis un avis défavorable à son licenciement.
Le 9 avril 2020, la société Eurovent Certita Certification a adressé à l’Inspection du Travail une demande d’autorisation en vue du licenciement pour faute grave de Mme [K].
Le 6 juillet 2020 Mme [J] [K] a pris acte de la rupture de son contrat de travail. L’Inspection du travail a, par suite, considéré que la demande d’autorisation de licenciement était devenue sans objet.
Par jugement rendu en formation paritaire du 22 juin 2021, notifié le 1erjuillet 2021, le conseil de prud’hommes de Paris a :
-requalifié la prise d’acte de rupture du contrat de travail en démission,
-débouté Mme [J] [K] de l’ensemble de ses demandes,
-débouté la société Eurovent Certita Certification de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamné Mme [J] [K] aux dépens.
Mme [J] [K] a interjeté appel de ce jugement par déclaration d’appel déposée par voie électronique le 5 juillet 2021.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 27 juillet 2022, Mme [J] [K] demande à la cour d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a déboutée de toutes ses demandes et, statuant à nouveau, de :
-la dire et juger recevable et bien fondée en ses présentes écritures et demandes ;
-fixer le salaire de référence à la somme de 4 811,30 euros ;
-dire et juger que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de Mme [J] [K] est justifiée et produit les effets d’un licenciement nul ;
-condamner la société Eurovent Certita Certification à verser à Mme [J] [K] les sommes suivantes :
* 86 603,40 euros, soit 18 mois de salaire, à titre d’indemnité pour licenciement nul ;
* 14 433,90 euros, soit 3 mois de salaire, à titre d’indemnité conventionnelle de préavis ;
* 1 443,39 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente ;
* 6 715,78 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;
-dire et juger que Mme [J] [K] a subi un préjudice distinct en raison des faits de harcèlement moral qu’elle a subis ;
-condamner la société Eurovent Certita Certification à lui verser la somme de 28 867,80 euros afin d’indemniser le préjudice en résultant ;
-dire et juger que Mme [J] [K] a subi un préjudice distinct en raison du manquement de la société Eurovent Certita Certification à son obligation de prévention ;
-condamner la société Eurovent Certita Certification à lui verser la somme de 28 867,80 euros afin d’indemniser le préjudice en résultant ;
-dire et juger que le statut protecteur de Mme [J] [K] a été violé ;
-condamner la société Eurovent Certita Certification à lui verser la somme de 192 452 euros afin d’indemniser le préjudice en résultant ;
-dire et juger que Mme [J] [K] occupait le poste de Responsable du Pôle Confort depuis le 1er janvier 2020 ;
-condamner la société Eurovent Certita Certification à lui verser la somme de 5 451,06 euros à titre de rappels de salaire ainsi que 545,11 euros au titre des congés payés afférents ;
-dire et juger que Mme [J] [K] était fondée à percevoir la prime exceptionnelle de juin 2020 ;
-condamner la société Eurovent Certita Certification à lui verser 2 155,65 euros au titre de rappels de salaire pour la prime exceptionnelle de juin 2020 ;
-dire et juger que la société Eurovent Certita Certification doit transmettre les documents relatifs à la prime d’intéressement due à Mme [J] [K] ;
-condamner la société Eurovent Certita Certification à lui verser la somme de 28 867,80 euros au titre de la prime de performance ;
-ordonner la remise des documents dûment rectifiés à Mme [J] [K] sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document ;
-dire et juger que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la réception du courrier de convocation à l’audience du Bureau de jugement, soit le 22 septembre 2020 ;
-condamner la société Eurovent Certita Certification à lui verser la somme de 7 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
-condamner la société Eurovent Certita Certification aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 4 janvier 2022 la société Eurovent Certita Certification demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en tout ses chefs ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
-dire et juger que prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par Mme [J] [K] doit être qualifiée de démission et non de licenciement nul ;
-débouter Mme [J] [K] de l’intégralité de ses demandes ;
-condamner Mme [J] [K] à verser à la société Eurovent Certita Certificationla somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d’appel ;
-condamner Mme [J] [K] aux entiers dépens d’instance et d’appel dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Sophie BARA, Avocat au Barreau de Paris, conformément à l’article 699 de code de procédure civile.
Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 7 décembre 2022.
L’affaire a été fixée à l’audience du 30 janvier 2023.
PAR CES MOTIFS
1/ Sur le harcèlement moral
Aux termes de l’article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Mme [J] [K] fait valoir qu’elle a été victime de harcèlement moral, du fait d’un accroissement constant de sa charge de travail à compter du printemps 2019, d’une mise à l’écart et d’un déclassement professionnel, d’une humiliation et d’une calomnie publiques à la suite du vol et du recel de vol de ses échanges électroniques personnels avec [N] [Z] et [A] [I], de la remise en cause par la direction de sa promotion professionnelle et salariale, et de l’entrave portée à ses droits de membre élu au sein du CSE, l’ensemble de ces agissements ayant entraîné une dégradation grave de son état de santé.
S’agissant de l’accroissement de sa charge de travail, la salariée explique qu’à la suite de l’obtention d’une promotion le 24 juin 2019, son supérieur hiérarchique direct, M. [H] [U], a adopté à son égard un comportement différent et n’a eu de cesse de la solliciter davantage, alors que la société était confrontée à un déficit structurel de main-d”uvre à compter du printemps 2019.
De manière concomitante, elle a constaté qu’elle était exclue de l’exercice de ses responsabilités principales et mise à l’écart de la conduite de projets qu’elle aurait pourtant dû diriger.
À la suite de la diffusion à l’ensemble de l’entreprise de communications personnelles falsifiées, violant ainsi son droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances, elle a été mise au ban de l’entreprise et jetée à la vindicte de ses collègues qui ont appelé publiquement à la rupture de son contrat de travail en dénigrant ses qualités professionnelles et en tentant de jeter le discrédit sur son comportement au travail.
Alors qu’elle avait été promue le 24 juin 2019 en qualité de chef de pôle « confort » à effet du 1er janvier 2020, la direction n’a cessé de remettre à plus tard l’officialisation de cette promotion. Par la suite, ce poste a été attribué à Mme [Y]. Ce faisant, quand bien même la promotion n’avait pas encore pris effet, l’entreprise a prononcé illégalement une sanction disciplinaire à son encontre, sans qu’il y ait eu d’entretien préalable, sanction qui a consisté à lui imposer une modification de son contrat de travail à laquelle elle n’avait pas consenti.
S’agissant de l’entrave portée à ses droits de membre élu au sein du CSE, Mme [J] [K] affirme que le président du Comité a tenté de la discréditer et qu’elle s’est retrouvée isolée au sein du CSE face à la direction qui refusait catégoriquement qu’elle exerce le mandat pour lequel elle avait été élue.
À la suite de ces faits, elle a été placée en arrêt maladie le 18 décembre 2019, prolongé le 8 janvier 2020. Le 11 février 2020, un certificat médical d’accident du travail a été établi par un psychiatre qui a noté un syndrome de stress post-traumatique et une situation relatée de harcèlement professionnel, avec un arrêt de travail prolongé jusqu’au 7 juillet 2020. Elle affirme que son employeur a refusé de régulariser sa situation avec la Caisse primaire d’assurance maladie jusqu’en avril 2020, ce qui lui a causé un grave préjudice financier.
La cour retient au vu de ces éléments, qui relatent tous de manière concordante un syndrome dépressif avéré ainsi que l’imputation par la salariée de ce dernier à ses conditions de travail, que cette dernière présente des éléments laissant présumer l’existence d’un harcèlement et qu’il appartient dès lors à l’employeur de prouver que les agissements précis qui lui sont reprochés n’étaient pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
La société Eurovent Certita Certification répond que, suite à la dénonciation anonyme du 29 octobre 2019, elle a pris des mesures de protection en permettant à la salariée de travailler depuis son domicile. Elle a également écrit à tous les salariés pour désavouer la méthode utilisée par l’auteur de la dénonciation anonyme et rappelé les règles de respect et de courtoisie. Après avoir ramené le calme, elle a décidé de ne prendre immédiatement aucune sanction à l’encontre de salariés, préférant avoir recours à un cabinet extérieur dans le cadre d’une démarche d’évaluation des risques psychosociaux. Lorsque Mme [K] s’est plainte le 30 octobre 2019 de harcèlement moral, la direction l’a immédiatement reçue puis a pris contact avec le médecin du travail qu’elle a rencontré le 25 novembre 2019. Après avoir à nouveau reçu la salariée le 5 novembre 2019, constatant des divergences de vue au sein de l’entreprise, la direction a pris la décision de confier une enquête au cabinet Altaïr, en plus de sa première mission. Lors d’une réunion extraordinaire du CSE qui s’est tenue le 21 novembre 2019, la direction a fait part de sa démarche d’audit des risques psychosociaux et de l’engagement d’une enquête sur les allégations de harcèlement. Le 13 mars 2020, le cabinet Altaïr est venu devant le CSE pour rendre compte de sa mission d’évaluation des risques psychosociaux, en présence du médecin du travail et de l’inspecteur du travail.
S’agissant du fait que la salariée n’a pas accédé au poste de Responsable de pôle, l’employeur répond que cette nomination requérait une formation mais également un accord entre les parties qui n’avait pas été trouvé.
Dès le 29 octobre 2019, l’employeur a mis la salariée à l’abri de tout agissement de quelque collègue que ce soit en lui permettant de travailler à domicile jusqu’au 13 novembre 2019. Elle n’a ensuite retravaillé que 15 jours en présentiel avant d’être placée en arrêt travail le 18 décembre 2019 et elle ne fait d’ailleurs état d’aucun acte de harcèlement pendant cette période.
Le rapport du cabinet Altaïr a mis en évidence que la salariée était en fait actrice d’une logique de clan tendant à ostraciser et et faire licencier des collègues, en abusant de son statut d’élue et de sa proximité avec le responsable des ressources humaines.
Enfin, l’employeur affirme avoir parfaitement respecté le statut protecteur de la salariée puisqu’après l’avoir convoquée à un entretien préalable le 2 mars 2020, il a sollicité le CSE qui a rendu son avis le 4 mars 2020, puis il a attendu la restitution de l’évaluation des risques sociaux avant de solliciter l’autorisation de licenciement auprès de l’inspection du travail. Lors des réunions du CSE de mars et juin 2020, l’inspectrice du travail a annoncé qu’elle allait faire son enquête et entendre tous les collaborateurs, et la salariée a coupé court à cette procédure en prenant acte de la rupture de son contrat de travail.
Afin de démontrer l’accroissement constant de sa charge de travail et l’attitude de M. [U] à son égard, la salariée produit deux séries d’échanges de mails, la première entre juin et août 2019 avec différents collègues, et la seconde en novembre 2019, principalement avec celui-ci.
Ces échanges sont de nature professionnelle et ne contiennent aucun propos agressif ou déplacé à l’égard de Mme [K]. Si M. [U] sollicite cette dernière dans le second échange, c’est en raison de l’incapacité avancée par celle-ci de se rendre à une réunion, et les 7 mails envoyés entre le 7 novembre et le 28 novembre 2019, que Mme [K] analyse comme des reproches et une pression dans le dernier mail du 29 novembre, sont justifiés par des sujets professionnels, sans que leur fréquence et leur teneur soient critiquables.
La salariée évoque un accroissement de sa charge de travail dans un mail adressé à M. [U] le 26 avril, qui, en réponse, va lui affecter une salariée pour l’aider, ce qu’elle confirme dans un mail du 14 mai 2019. Dans un second mail du 11 octobre 2019 adressé à M. [C], elle écrit « je me vois difficilement absorber la surcharge de travail répartie suite aux changements prévus,…, je te propose l’une des deux solutions suivantes pour pallier ces difficultés … », mais la réponse de celui-ci n’est produite.
L’employeur a donc répondu à la demande de la salariée, et aucune pièce ne démontre la mise à l’écart et le déclassement allégués.
Si l’employeur admet qu’il a été envisagé de promouvoir Mme [K] en qualité de Responsable de pôle, cette promotion ne figure pas dans le compte-rendu d’entretien d’évaluation réalisé le 18 janvier 2019, la salariée formulant uniquement des revendications salariales. Cette évolution professionnelle est évoquée dans deux mails de M. [C] des 24 juin (intitulé « formation management ») et 16 septembre 2019 (communication sur le changement « après le board, a priori en octobre »). Pourtant, cette modification de son contrat de travail, que la salariée présente comme certaine, devait donner lieu à signature d’un avenant au contrat de travail, après accord, notamment, sur les nouvelles conditions salariales, et le seul mail du 24 juin 2019 ne peut être considéré comme actant une promotion certaine avec effet au 1er janvier 2020, comme le soutient la salariée. D’ailleurs, dans un mail du 17 octobre 2019 (pièce 2.4 intimée) antérieur à l’envoi du message anonyme de dénonciation, M. [C] lui a répondu : « Je confirme que c’est bien ce que nous avons convenu dans le cas où tu prendrais le poste de Responsable du pôle Confort », signifiant ainsi que cette promotion n’était pas acquise. Par ailleurs, le choix dans la nomination d’un Responsable de pôle relève du pouvoir de direction de l’entreprise.
Il est ensuite justifié par l’employeur que, suite à la diffusion de captures d’écran de propos qu’auraient échangés Mmes [J] [K], [N] [Z], et [A] [I], à plusieurs membres du personnel et à l’ensemble de la direction de l’entreprise, diffusion, dont l’auteur n’a pas été identifié, qui porte atteinte au secret des correspondances et stigmatise celles-ci, il a immédiatement mis en ‘uvre une protection des trois salariées en les recevant et les autorisant à télétravailler, en exprimant à tous les salariés sa désapprobation quant à la méthode utilisée et en intervenant après les réactions de deux salariés, en alertant le médecin du travail qui a reçu [J] [K] et en missionnant un cabinet extérieur à l’entreprise pour réfléchir tant sur ces faits et leur contexte, que sur les risques psychosociaux.
En agissant ainsi, l’employeur a mis en ‘uvre tous les dispositifs à sa disposition pour protéger Mme [K] des réactions des autres salariés, qu’elle analyse comme un harcèlement moral.
Par ailleurs, l’enquête réalisée par le cabinet Altaïr a conclu : « Les accusations de [A] [I], [N] [Z] et [J] [K] ne peuvent être actuellement établies à l’issue de l’enquête. En revanche, l’enquête établit que [A] [I] et [N] [Z] ont adopté des comportements irrespectueux, tenu des propos injurieux, employé des méthodes visant à isoler, écarter des personnes, et ce de façon directe et indirecte, ayant entraîné une dégradation de l’état de santé mentale de salariés ciblés par ces dernières. La participation de [J] [K] dans l’utilisation de méthodes consistant à ignorer des personnes est établie. Les manquements et agissements relevés peuvent entraîner l’application des dispositions disciplinaires prévues au règlement intérieur de la société. Il y a aujourd’hui urgence à sortir de la situation de crise existante. Cette sortie de crise ne pourra se faire sans un changement radical de l’état d’esprit et du comportement de [A] [I], [N] [Z] et [J] [K]». En l’absence d’enquête réalisée par l’Inspection du travail, la cour retient que le cabinet Altaïr, après avoir procédé à l’audition de nombreux salariés, n’a pas retenu que [J] [K] était la victime de comportements harcelants de la part de certains d’entre eux.
Et les faits d’entrave portée aux droits de Mme [K], membre élu au sein du CSE, ne sont étayés que par des mails qu’elle a rédigés les 29 avril 2020 et 27 mai 2020, alors même que le CSE comprend plusieurs membres nécessairement témoins d’une éventuelle entrave. Par ailleurs, les termes utilisés, (« je vous remercie de bien vouloir par retour de mail me justifier de cette demande », « je vous indique que je ne saurais considérer comme une explication valable le fait que vous ne souhaitiez pas que les salariés prennent pleinement conscience du mépris que vous avez pour leur institution représentative », « une fois de plus, vous commettez un délit d’entrave », « ayant eu moi-même à pâtir de votre gestion calamiteuse et partiale du personnel, je comprends bien que dans votre volonté de satisfaire aux plus que très critiquables conclusions du rapport Altaïr’ », « sachant que vos moyens électroniques de communication fonctionnent parfaitement, je vous remercie de me justifier, avant la réunion de demain des raisons de cette confidentialité ») démontrent au contraire que Mme [K] a pu interpeller la direction, en sa qualité de membre du CSE.
La diffusion de mails injurieux ou offensants à l’égard de collègues de travail, « dans une version dévoyée » selon Mme [K], et qui a provoqué des réactions hostiles de la part de ces derniers, peut expliquer la dégradation de l’état de santé de la salariée, en arrêt de travail jusqu’en juillet, mais l’employeur démontre avoir immédiatement réagi comme rappelé ci-dessus.
En l’état de ces éléments pris dans leur ensemble, la cour ne constate pas la réalité de faits pouvant laisser présumer un harcèlement moral subi par l’appelante, la société intimée démontrant suffisamment que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [K] de sa demande à ce titre.
2/ sur le manquement à l’obligation de prévention
Aux termes des articles L.4121-1 et suivants du code du travail, l’employeur est tenu à l’égard de chaque salarié d’une obligation de sécurité qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité et protéger sa santé. Il doit en assurer l’effectivité.
Mme [K] fait valoir que le CSE a été totalement mis à l’écart dans la gestion des événements, la direction décidant de confier l’enquête à un cabinet extérieur choisi par elle et le service des ressources humaines s’est vu interdire de prendre en main la gestion du dossier. Par ailleurs, elle a été renvoyée chez elle à la suite de la diffusion des messages, laissant penser aux autres salariés qu’elle avait fait l’objet d’une mise à pied conservatoire, ce qui a encore amoindri sa réputation, tandis que les salariés, qui ont appelé à son licenciement, n’ont pas été inquiétés. La direction a ainsi fait preuve d’une volonté réelle de ne pas prendre les mesures adéquates qui auraient permis de faire cesser le trouble illégitime qu’elle subissait. Enfin, prenant connaissance de la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, l’employeur a adressé à Mme [K] une convocation à un entretien préalable au licenciement.
La société Eurovent Certita Certification rétorque qu’elle a agi avec célérité et impartialité pour régler la situation, en préservant la sécurité des trois collaboratrices visées par les accusations. Elle a proposé à Mme [K] de travailler à domicile, ce qu’elle a accepté, le temps d’apaiser la situation. D’ailleurs, celle-ci a demandé à poursuivre ce télétravail jusqu’au 13 novembre 2019. La société a immédiatement écrit à tous les salariés pour désavouer la méthode utilisée et appelé au calme deux salariés, Mme [R] et M. [F], qui avaient vivement réagi. Lorsque Mme [K] s’est plainte le 30 octobre 2019 de harcèlement moral, elle a été reçue dès le 4 novembre 2019 et le médecin du travail, qui avait été alerté par la direction, l’a reçue le 25 novembre 2019. Ensuite, la société a missionné le cabinet Altaïr spécialisé dans le traitement des risques psychosociaux, après une réunion extraordinaire du CSE le 21 novembre 2019, et le rapport de ce cabinet a été restitué en CSE dès le 5 février 2020. Et c’est sur la base de ses conclusions que la société a engagé une procédure de licenciement disciplinaire à l’égard de Mme [K].
La cour rappelle, au préalable, que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité à l’égard de tous ses salariés. Lors de la diffusion des messages présentés comme rédigés notamment par Mme [K], et qui contenaient des propos offensants ou déplacés à l’égard d’autres salariés, l’employeur se devait de protéger les trois premières, dénoncées publiquement et prises à partie, tout en tenant compte de la teneur des messages qui décrivaient des situations de harcèlement moral à l’égard d’autres salariés, dont celle-ci serait l’auteur.
Mme [K] se plaignant le 30 octobre 2019, par l’intermédiaire de Mme [I], du comportement harcelant des autres salariés à son égard, la mesure prise par l’employeur l’autorisant à rester en télétravail, était de nature à la protéger immédiatement. En la recevant ensuite et en l’orientant vers le médecin du travail, la direction lui a permis de bénéficier d’une prise en charge par un professionnel de santé, sachant qu’elle a ensuite été placée en arrêt de travail à compter du 18 décembre 2019. Elle a également été reçue par Mme [R], Responsable Harcèlement, dès le 29 novembre 2019, laquelle a établi un rapport ensuite transmis à l’Inspection du travail. Plusieurs collaborateurs ont été entendus dans ce cadre et aucun n’a évoqué de fait de harcèlement à l’encontre de Mme [K].
Alerté d’autre part, par la diffusion des messages, sur l’existence de potentielles situations de harcèlement subi par d’autres salariés, l’employeur a décidé de faire appel à un cabinet extérieur, dont la neutralité ne pouvait être questionnée, pour évaluer la situation et lui permettre de prendre ensuite d’éventuelles sanctions. C’est sur la base des conclusions du rapport établi par le cabinet Altaïr, que l’employeur a décidé de convoquer Mme [K] à un entretien préalable le 17 février 2020.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’employeur n’a pas manqué à son obligation de sécurité à l’égard de Mme [K] et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il l’a déboutée de sa demande à ce titre.
3/Sur le rappel de salaires, la prime exceptionnelle et la prime de performance
Mme [J] [K] considère qu’elle n’a pas été officiellement informée de la remise en cause de sa promotion, ni de sa rétrogradation de sorte qu’elle peut réclamer le salaire qu’elle aurait dû percevoir à compter du 1erjanvier 2020.
Elle réclame également le paiement de la prime exceptionnelle, correspondant à un 13ème mois, qui est versée pour moitié en juin et pour l’autre moitié, en décembre, et qu’elle n’a pas perçue en juin 2020.
Elle estime enfin qu’elle aurait dû bénéficier de la prime de performance, conformément à la note de service du 19 juillet 2019.
La société Eurovent Certita Certification répond que Mme [J] [K] n’a jamais exercé le poste de Responsable de pôle, de sorte qu’elle ne peut pas réclamer un rappel de salaire à ce titre.
Concernant les demandes de primes, celles-ci ne sont pas pas fondées dans la mesure où les documents de fin de contrat démontrent qu’elle a bénéficié des sommes qui lui étaient dues.
La cour ayant retenu au point 1 que le seul mail du 24 juin 2019 ne peut être considéré comme un avenant au contrat de travail avec effet au 1er janvier 2020, la salariée sera déboutée de sa demande de rappel de salaires.
Elle constate par ailleurs que figure sur le bulletin de salaire de juin 2020 (pièce 65 appelante), le versement d’une prime exceptionnelle de 1 361,12 euros qui correspond à 0,4 mois de salaire, conformément aux dispositions de l’avenant au contrat de travail (pièce 1.2 intimée) qui prévoit une rémunération annuelle brute sur la base de 12,9 mois, dont 0,4 mois au mois de juin. La salariée sera déboutée de sa demande à ce titre.
Quant à la prime de performance, son règlement est prévu par le même avenant, en février de l’année N+1, suivant l’année évaluée N. Or, figure sur le bulletin de salaire de février 2020, le versement d’une Prime mérite d’un montant de 681 euros. La salariée sera déboutée de sa demande à ce titre.
4/ Sur la prime d’intéressement
Mme [K] fait valoir qu’un accord d’intéressement a été conclu le 27 juin 2019 au sein de la société Eurovent Certita Certi’cation (pièce 78) et demande que cette dernière lui transmette les éléments permettant de déterminer avec précision les sommes qui lui sont dues.
L’employeur affirme que la salariée a perçu toutes les primes qui lui étaient dues.
La cour constate que le reçu pour solde de tout compte (pièce 1.4) porte mention du montant de l’intéressement versé mais observe que la société Eurovent Certita Certi’cation n’explicite pas son mode de calcul.
Il sera donc dit quela société Eurovent Certita Certification doit transmettre les documents relatifs au calcul de la prime d’intéressement due à Mme [J] [K].
5/ Sur la prise d’acte
Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à
son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.
Pour que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les faits invoqués par le salarié doivent non seulement être établis mais constituer des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. La charge de la preuve des faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur à l’appui de sa prise d’acte pèse sur le salarié.
Il est rappelé que le courrier par lequel le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail ne fixe pas les limites du litige, la juridiction devant examiner les manquements invoqués par le salarié même s’ils ne sont pas mentionnés dans ledit courrier.
Mme [J] [K] fonde sa demande de résiliation judiciaire sur le harcèlement moral subi et le manquement de l’employeur à son obligation de prévention, que la société Eurovent Certita Certification conteste.
La cour rappelle qu’aux points 1 et 2, la réalité des faits allégués pouvant laisser présumer un harcèlement moral subi par l’appelante n’a pas été retenue, et aucun manquement de l’employeur à son obligation de prévention n’a été caractérisé.
En conséquence, la prise d’acte produit les effets d’une démission et l es demandes indemnitaires formées par Mme [K] relatives à la rupture du contrat de travail seront rejetées.
Le jugement entrepris sera confirmé de ces chefs.
6/ Sur la violation du statut protecteur
Mme [K] fait valoir qu’elle a été élue comme titulaire au sein du CSE, collège cadre, le 30 avril 2019 et qu’en conséquence, elle bénéficie d’une protection spécifique contre le licenciement en raison de son mandat jusqu’au 30 octobre 2023. Sa prise d’acte produisant les effets d’un licenciement nul, elle sollicite le paiement de l’ensemble des salaires qu’elle aurait dû percevoir jusqu’à cette date.
L’employeur répond que l’indemnisation pour violation du statut protecteur est plafonnée à 30 mois de rémunération.
La cour ayant retenu que la prise d’acte produit les effets d’une démission, la salariée sera déboutée de sa demande.
7/ Sur la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Mme [K] sera condamnée à payer à la société Eurovent Certita Certification la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Dit quela société Eurovent Certita Certification doit transmettre les documents relatifs au calcul de la prime d’intéressement due à Mme [J] [K],
Condamne Mme [J] [K] à payer à la société Eurovent Certita Certification la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Mme [J] [K] supportera les dépens d’appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE