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13 avril 2023
Cour d’appel de Caen
RG n°
22/00033
AFFAIRE : N° RG 22/00033
N° Portalis DBVC-V-B7G-G43W
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CAEN en date du 30 Décembre 2021 RG n° 19/00630
COUR D’APPEL DE CAEN
1ère chambre sociale
ARRÊT DU 13 AVRIL 2023
APPELANT :
S.A. SOCIETE D’AMENAGEMENT FONCIER ET D’ETABLISSEMENT RURAL DE NORMANDIE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me Sandrine DEROUBAIS, avocat au barreau de PARIS
INTIME :
Monsieur [N] [E]
[Adresse 1]
[Adresse 1] – FRANCE
Représenté par Me Xavier MORICE, substitué par Me Charlène RETOUT, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre, rédacteur
Mme PONCET, Conseiller,
Mme VINOT, Conseiller,
DÉBATS : A l’audience publique du 09 février 2023
GREFFIER : Mme ALAIN
ARRÊT prononcé publiquement contradictoirement le 13 avril 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme GOULARD, greffier
Selon contrat de travail à durée indéterminée à effet du 24 janvier 2011, M. [N] [E] a été engagé par la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) de Basse Normandie en qualité de conseiller foncier A, puis par avenant à effet du 1er octobre 2015 en qualité de conseiller foncier B, puis à la suite de la fusion entre la SAFER de Basse Normandie et celle de Haute Normandie, par avenant à effet du 1er février 2018 en qualité de conseiller foncier E, catégorie cadre, et enfin était soumis par avenant du 18 avril 2°018, à un forfait annuel de 218 jours ;
Convoqué à un entretien préalable pouvant aller jusqu’au licenciement fixé au 9 septembre, déplacé au 20 septembre 2019 par lettres des 31 juillet et 11 septembre précédent, M. [E] a été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre recommandée avec avis de réception du 25 septembre 2019 ;
Contestant la rupture de son contrat de travail, il a saisi le 6 décembre 2019 le conseil de prud’hommes de Caen lequel par jugement rendu le 30 décembre 2021 a :
– condamné la SAFER Normandie à payer à M. [E] la somme de 35 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, celle de 1754.07 € à titre de remboursement de frais kilométriques et celle de 112.80 € à titre de remboursement des frais de repas ;
– condamné la SAFER Normandie à payer à M. [E] la somme de 1200 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– rejeté la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné aux dépens ;
Par déclaration au greffe du 7 janvier 2022, la SAFER Normandie a formé appel de cette décision ;
Par conclusions remises au greffe le 9 janvier 2023 et auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel, la société SAFER Normandie demande à la cour de :
– infirmer le jugement ;
– dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
– débouter M. [E] de ses demandes ;
– à titre subsidiaire, fixer la moyenne des salaires à 4069.25 € brut et limiter le montant des dommages et intérêts à une somme de 12 207.75 € bruts ;
– condamner M. [E] à lui payer une somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M.[E] aux dépens ;
Par conclusions remises au greffe le 4 juillet 2022 et auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel, M. [E] demande à la cour de :
– confirmer le jugement ;
– condamner la société SAFER Normandie à lui payer une somme de 2500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société SAFER Normandie aux dépens ;
MOTIFS
I – Sur le licenciement
Selon l’avenant à effet au 1er février 2018, M. [E] est devenu conseiller foncier E, correspondant à l’emploi suivant :
« Poste régional et transversal : ingénieur filière équine.
Responsable du développement des missions de la SAFER dans le domaine principalement des filières équines : transmission de Haras, centres d’entrainement, centres équestres, restructuration foncière, accompagnement de projets particuliers, suivi des candidats, sans exclure tout propriété agricole ou rurale.
Appui opérationnel aux équipes techniques départementales en qualité d’expert et opérateur lui-même selon les organisations qui seront concertées au cas par cas avec les responsables départementaux et avec le responsable du service transmission-installation auquel il appartient. Il bénéficie d’une forte capacité d’autonomie dans son domaine de compétence tout en état soucieux d’échanges permanents avec ses collègues.
Propose, met en ‘uvre et suit les stratégies commerciales décidées au sien du service en début et au cours d’année pour notamment entretenir les réseaux et les partenariats.
S’implique dans la communication externe au sein du service et propose des actions de communication (salons, ventes, concours, etc’).
Dispose d’une capacité à intervenir sur tout le territoire normand ou vient en appui de toute opération spécifique à son domaine de compétence.
Privilégie les opérations proches de son lieu de domicile tout en restant disponible pour toute intervention sur le territoire normand. Il n’est cependant plus rattaché à un secteur de conseiller foncier.
Son lieu de travail est administrativement rattaché à [Localité 6] au siège de la SAFER et son domaine d’intervention est toute la région Normandie, la SAFER ayant bien pris note que son lieu de domicile est proche d'[Localité 3] » ;
La lettre de licenciement reproche au salarié son insubordination, son irrespect des directives de sa hiérarchie et les termes de son contrat de travail ;
La lettre qui relève avoir appris en octobre 2018 le déménagement du salarié (alors domicilié dans l’Orne) dans le Finistère invoque en premier lieu une inexécution des obligations contractuelles soit le fait pour le salarié de ne pas consacrer son temps d’activité professionnelle sur toute la Normandie, et soit l’absence d’investissement dans l’appui aux équipes techniques de toute la Normandie, supposant un soutien technique via une présence physique, et ce malgré un courrier du 14 décembre 2018 rappelant au salarié que son périmètre d’intervention était toute la région Normandie, et l’interdiction de tout télétravail ;
La lettre invoque en second lieu une absence d’activité pour 47 jours entre janvier et juin 2019, estimant que le salarié n’avait pas justifié de son activité malgré une mise en demeure de le faire du 16 juillet 2019 qui faisait suite à un entretien du 11 juillet précédent, et que sa résistance à ne pas fournir d’explications sur ses activités que les 47 jours repérés confirme son insubordination persistante ;
La lettre invoque en troisième lieu une « attitude de détachement que vous avez adopté envers vos collègues, d’isolement et de refus d’exécuter certaines consignes et missions qui ne vous conviennent pas car sans doute trop éloignés de votre domicile » ;
Par lettre du 14 décembre 2018 ayant pour objet « conditions d’exercice de vos fonctions », l’employeur a, répondant selon cette lettre au déménagement du salarié à 400 kms de son lieu de travail et à sa demande de télétravailler le lundi et le vendredi, indiqué au salarié que « le métier de conseiller foncier requiert une réactivité et une présence forte sur l’ensemble de votre périmètre géographique d’intervention, y compris l’Orne qui s’avère désormais bien éloigné de votre domicile », et que « le télétravail ne figure pas parmi les modes d’organisation du travail en place au sein de notre SAFER » ;
Dans ses écritures, l’employeur déduit de l’absence en 18 mois d’opérations foncières en dehors de son ancien secteur de l’Orne le non respect par le salarié de sa nouvelle mission régionale d’appui, et son refus de participer à des manifestations lui permettant de nouer des contacts dans d’autres départements normands ;
Au soutien de ce dernier point, elle verse une unique pièce (n°39) qui est une demande faite par M. [M] à M. [E] par un courriel du 23 novembre 2018 à 7h43 de participer à une manifestation qui avait lieu le jour même à 9h30 à la chambre de l’agriculture du Neubourg, auquel M. [E] a répondu le jour même à 8h19 qu’il ne pouvait s’y rendre car il avait ce jour là rendez vous avec deux personnes pour la vente d’un haras et devait en visiter un en vue d’une future vente. Le refus de M. [E], prévenu en outre le jour même apparaît donc justifié, et l’employeur ne démontre nullement le contraire et surtout ne produit aucun autre élément ou pièce de nature à établir d’autres refus ;
Concernant les opérations foncières et la baisse d’activité du salarié en 2019, l’employeur produit un tableau des rétrocessions signées qui étaient au nombre de 19 pour la période du 1er janvier au 30 juin 2018 et de 2 pour la période du 1er janvier au 30 juin 2019 ;
Le salarié qui conteste cette analyse produit un document relatif aux engagements 2019 au 31 août 2019 démontrant que quatre engagements sont à son bénéfice ([Localité 5], [Localité 7], [Localité 8] et [Localité 4]) S’il s’agit en réalité de 3 dossiers, l’employeur ne démontre pas au motif que M. [E] ne travaillait pas seul mais avec un autre chef de service et une assistante, l’absence d’implication et/ou de travail du salarié sur ces dossiers, alors même que l’employeur indique à plusieurs reprises dans ses écritures que les dossiers sont préparés en équipe pour s’assurer de leur solidité technique ;
Le salarié invoque également deux autres dossiers qui n’ont pas abouti à une vente définitive mais ont nécessité un travail important, [G] et [I] (ou [A]). Là encore et pour les motifs relevés ci-avant les courriels produits par l’employeur émanant pour ces dossiers d’autres personnes que M. [E] ne sont pas de nature à établir que ce dernier n’a pas travaillé sur ces dossiers, d’autant que pour le dossier [G], le salarié produit des échanges de courriels de février et avril 2019 relatant une communication téléphonique avec l’un des intervenants démontrant qu’il suivait le dossier.
Il fait état encore de trois dossiers ([F], [S] et [L]) pour lesquels une signature chez le notaire était prévue pour la fin de l’année 2019. L’employeur critique le travail du salarié dans le dossier [F] par un seul courriel démontrant qu’il a accompagné M. [M] lors de la visite du bien, ce qui est insuffisant pour établir qu’il n’a rien fait d’autre, également dans le dossier [S], l’employeur soutient que le dossier a du être repris en produisant des documents établissant une modification le 21 octobre 2019 de la promesse de vente suite à un changement d’identité de l’acquéreur ce qui est insuffisant pour établir l’absence de travail ou des erreurs du salarié lorsqu’il a antérieurement suivi ce dossier, enfin dans le dossier [L], l’employeur conteste la complexité du dossier au motif que d’autres accompagnants étaient également présents, ce qui en soit est insuffisant, et ne résulte pas des éléments produits soit l’attestation notariée de signature de l’acte de vente ;
Enfin, comme le souligne le salarié, le nombre d’opérations foncières ne peut être le seul critère pour évaluer l’activité du salarié alors même que compte tenu de ses nouvelles fonctions, les opérations foncières dont il est chargé sont nécessairement limitées à certains types d’exploitation et donc moins nombreuses, et enfin, nécessitent une certaine complexité pour la préparation des opérations compte tenu de leur surface, de leur prix, de la présence de bâtis, d’animaux, voire du personnel employé ;
Mais, à supposer même que cette baisse d’activité soit établie, le licenciement n’ayant pas été prononcé pour insuffisance professionnelle mais pour un motif disciplinaire, il faut que l’employeur, comme il le soutient et comme la lettre de licenciement le mentionne, démontre que cette baisse d’activité s’explique par le non respect du salarié de ses obligations contractuelles telles que rappelées ci-avant ;
Or, à part dire que les biens objets des opérations foncières se situent tous dans l’Orne, et à ce titre le salarié observe exactement que selon ses missions décrites dans son contrat de travail et rappelées plus haut il doit privilégier es opérations proches de son lieu de domicile, l’employeur ne produit pas d’éléments suffisamment probants ;
En effet :
– le courriel de M. [M], supérieur de M. [E], répondant à la demande d’un notaire sollicitant la présence de M. [E] lors de la signature de la promesse de vente, indique « [N] [E] vient de me confirmer cette possibilité » démontre au contraire sa présence sur le terrain ;
– le courriel de M.[T] (chef de service à la SAFER) adressé à M. [E] et à M. [M] le 13 novembre 2018 les informant suite à un rendez-vous avec M. [K] de l’intention de ce dernier de se porter acquéreur de deux haras appartenant à M. [W] et demandant à l’un ou l’autre de rappeler M. [K] n’établit nullement que M. [E] aurait dû être au courant de cette information s’il avait été plus présent sur le terrain, alors d’une part que cette information résulte d’un rendez vous avec ce client et d’autre part que M. [E] a répondu le même jour à M. [T] qu’il contacterait le client et le propriétaire, le remerciant d’avoir « pu confirmer l’information qui circulait ces derniers jours », ce qui implique que M. [E] était en contact avec ses réseaux et en tout état de cause le courriel de M. [T] n’était révélateur d’aucun reproche ;
– le courriel adressé à M. [E] par M. [M] le 8 juillet 2019 lui communiquant suite à un déplacement à la « vente d’été Arqana » « les retours d’information » de trois personnes relatifs à des projets d’acquisition de haras ;
Outre qu’il ne résulte nullement de ce courriel que M. [E] aurait dû se rendre à cette manifestation, celui-ci démontre par des courriels échangés avec deux des trois personnes citées (M. [B] et M. et Mme [O]) en mai et juin 2019 qu’il était régulièrement en contact avec eux et s’occupait de leurs projets de vente pour le premier et d’achat pour les seconds ;
– les échanges de courriels entre M. [E] et Mme [J] secrétaire les 11 et 12 juillet 2019 dans lesquels le premier demande à la seconde de préparer une mise en demeure à lui soumettre, ne démontrent aucune désinvolture ou de transmission de consignes peu clairs, M. [E] ayant répondu de manière claire à la demande de précision de Mme [J] pour préparer ce courrier ;
L’employeur se fonde également sur l’absence d’activités reprochée au salarié sur 47 jours entre janvier et juin 2019 et listés comme suit dans la lettre de licenciement :
– Janvier 2019 : les 16, 21, 22, 23 et 28,
– Février 2019 : les 12, 13, 14, 25 et 26,
– Mars 2019 : les 1er, 4, 5, 11, 12, 15, 18 et 25,
– Avril 2019 : les 1er, 2, 15, 16, 23 et 26,
– Mai 2019 : les 2, 3, 6, 9, 10, 13, 15, 17, 20, 21, 24, 27, et 28,
– Juin 2019 : les 3, 6, 7, 11, 14, 19, 21, 24, 25, et 26.
Par lettre du 16 juillet 2019, l’employeur a demandé au salarié d’apporter toutes explications utiles « sur le lieu et la nature « de ses activités pour les jours concernés, que le salarié a répondu le 26 juillet 2019 en rappelant que ses missions n’impliquaient pas uniquement des rendez vous sur le terrain mais aussi des prospections par internet et réseau, des échanges téléphoniques, création de fiches, rédaction des promesses de vente et d’achat, que chacun était doté du matériel nécessaire pour se connecter à tout moment et accéder aux logiciels nécessaires depuis son domicile et qu’il s’engageait à adresser les échanges de mails professionnels, n’étant pas en mesure sur un plan technique de justifier des connexions aux logiciels et des listing d’appels téléphoniques ;
Le salarié a produit ensuite à l’employeur un ensemble de ses courriels (284 messages). Il produit aux débats une cinquantaine de courriels professionnels entre le 17 octobre 2018 et le 30 juillet 2019 qui démontrent la preuve d’échanges réguliers entre M. [E] et notamment les autres conseillers fonciers de la région Normandie (informations sur des projets en cours pour des biens situés dans toute la région, réponse aux demandes d’assistance, disponibilité pour des déplacements). Il est également établi la preuve d’échanges pour certains des jours litigieux, étant relevé que le salarié n’est pas contredit en ce qu’il indique être dans l’impossibilité de produire d’autres éléments (relevés téléphoniques, connexions notamment) ;
Or, au vu de la description des tâches imparties au salarié, la réalisation de certaines de ces tâches n’implique pas nécessairement de déplacement. Dès lors, même si le salarié a exécuté certaines d’entre elles à distance, au vu de l’ensemble des éléments visés, il n’est pas démontré un manquement du salarié à son obligation de s’investir sur toute la Normandie et de soutenir sur un plan technique les équipes départementales;
Il n’est pas davantage démontré, au vu de ces éléments, l’attitude de détachement à l’égard des collègues, l’attitude d’isolement et le refus d’exécuter certaines consignes et missions ;
L’insubordination reprochée au salarié résulte selon la lettre de licenciement de sa persistance à télétravailler malgré le refus de l’employeur, son absence de justification des 47 journées ciblées, la lettre précisant que « votre dernier envoi le 2 août dernier, de copie de plus de 280 mails adressés en vrac sans ordre chronologique ni autre explication est sur la forme une marque évidente d’insubordination, doublée d’une provocation, ayant volontairement omis de nous adresser la moindre information sur le mois de mai 2019 » ;
Si l’employeur produit aux débats le mail de transmission de ces courriels du 2 août 2019, il ne produit pas en revanche la totalité des 280 courriels, empêchant ainsi la cour d’apprécier si le contenu de cet envoi était révélateur d’insubordination et/ou de provocation ;
Concernant le télétravail reproché au salarié, celui-ci conteste l’extrait de l’agenda professionnel Outlook produit par l’employeur au motif qu’il lui était demandé de déclarer son emploi du temps dans le logiciel FIGO et que l’agenda Outlook était susceptible d’être modifié ;
Or, l’employeur produit l’extrait de ce logiciel de janvier à juin 2019 aux débats (pièce n°26), ce document mentionne les jours déclarés travaillés et non travaillés, et les jours travaillés incluant les jours visés dans la lettre de licenciement. En outre il produit les extraits du logiciel Cleemy, non utilement contredits et démontrant que le salarié n’a fait aucune demande de frais de déplacement pour les jours litigieux ;
Toutefois, si, ainsi qu’il l’a été relevé ci-avant, le salarié a effectué de nombreuses tâches à distance, aucun élément probant ne démontre qu’il a travaillé de son domicile durant ces 47 jours. D’une part, la lettre de licenciement vise des mails « qui ont été très certainement adressés de votre domicile », d’autre part la lettre du salarié du 26 juillet 2019, dont les termes ont été précédemment rappelés ne permet pas de considérer qu’il a reconnu travailler de son domicile durant ces 47 jours. Par ailleurs, si l’absence de demande de remboursement de frais professionnels durant cette période suppose que le salarié ne s’est effectivement pas déplacé depuis son lieu de travail à [Localité 6], l’employeur n’apporte aucun élément de nature à établir que le salarié n’était pas présent au moins à [Localité 6] durant toute cette période. A ce titre, la lettre de licenciement vise une alerte du responsable de service constatant de nombreuses absences d’activité, alerte qui n’est fondée par aucun élément ;
La preuve de ce grief n’est donc pas établie ;
La lettre de licenciement reproche enfin au salarié une connexion au logiciel VIGICO le 27 août 2019 à 11h48 alors qu’il était en congés, et ce sans autorisation ;
Ce fait ne repose sur aucun élément et n’est pas développé par l’employeur dans ses écritures. Si cette connexion n’est pas contestée par le salarié, l’employeur qui ne justifie pas des modalités de connexion durant les congés n’en démontre pas le caractère fautif ;
Il convient dès lors de considérer que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;
En application des dispositions de l’article L1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017, le salarié peut prétendre, au vu de son ancienneté de 8 années complètes et de la taille de l’entreprise, à une indemnité comprise entre 3 et 8 mois de salaire brut (soit une indemnité maximale de 32 936 €) ;
Le salarié demande confirmation de la somme de 35 000 € allouée par les premiers juges, sans développer de moyen pour écarter l’application de ce texte alors que cette somme excède l’indemnité maximale prévue ;
Le jugement sera en conséquence infirmé sur le montant des dommages et intérêts ;
En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l’ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, le salarié ne justifiant pas de sa situation financière depuis son licenciement et l’employeur établissant qu’il exerce une activité de mandataire immobilier depuis 2021, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme de 25 000 € ;
II- Sur les frais kilométriques et de repas
Par courriel du 27 janvier 2020, le salarié a sollicité le remboursement de ces frais exposés en juillet 2019 ;
L’employeur s’y oppose au motif que la demande n’a pas été faite selon les modalités prévues et notamment le respect du délai d’un mois, ces modalités ayant été portées à la connaissance du salarié par une diffusion électronique générale le 4 mars 2019 d’une note, laquelle ne faisait que rappeler l’usage instauré depuis septembre 2018 ;
Le salarié estime que cette note lui est inopposable comme n’ayant pas été soumis aux représentants du personnel et ne contenant aucune date d’entrée en vigueur au mépris de l’article L1321-4 du code du travail ;
En matière de remboursement de frais professionnels le contrat de travail renvoie aux conditions en vigueur . La note de février 2019 relative aux remboursements des frais professionnels a été diffusée à l’ensemble des salariés le 4 mars 2019, et mentionne notamment que le dépôt des notes de frais de déplacement doit être effectué au plus tard à la fin du mois suivant.
Si cette note contient des prescriptions générales, elle n’est toutefois pas soumise à la procédure d’élaboration du règlement intérieur qui concerne les notes et services comportant des prescriptions générales et permanentes dans les matières du règlement relevant du règlement intérieur, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ;
Dès lors, le salarié ne peut utilement soutenir l’absence de respect des modalités applicables à l’élaboration du règlement intérieur ;
Ainsi, faute d’avoir respecté les modalités prévues par l’employeur, il convient par infirmation du jugement de le débouter de sa demande de remboursement de frais professionnels ;
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux indemnités de procédure seront confirmées.
En cause d’appel, la société SAFER Normandie qui perd le procès sera condamnée aux dépens d’appel et déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile. En équité, elle réglera, sur ce même fondement, une somme de 1800 € à M. [E] ;
La remise des documents demandés sera ordonnée sans qu’il y ait lieu de l’assortir d’une astreinte en l’absence d’allégation de circonstances le justifiant ;
Le salarié ayant plus de deux ans d’ancienneté et l’entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail et d’ordonner à l’employeur de rembourser à l’antenne pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à l’intéressé depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement rendu le 30 décembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Caen sauf en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ses dispositions relatives aux dépens et aux indemnités de procédure ;
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Condamne la société SAFER Normandie à payer à M. [E] la somme de 25 000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Déboute M. [E] de sa demande de remboursement de frais professionnels ;
Condamne la société SAFER Normandie à payer à M. [E] à payer à la somme de 1800 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
La déboute de sa demande aux mêmes fins ;
Dit que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ;
Condamne la société SAFER Normandie à rembourser à l’antenne pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à l’intéressé depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations ;
Condamne la société SAFER Normandie aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD L. DELAHAYE