Télétravail : 13 avril 2023 Cour d’appel de Caen RG n° 21/02857

·

·

Télétravail : 13 avril 2023 Cour d’appel de Caen RG n° 21/02857
Ce point juridique est utile ?

13 avril 2023
Cour d’appel de Caen
RG n°
21/02857

AFFAIRE : N° RG 21/02857

N° Portalis DBVC-V-B7F-G3JM

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CAEN en date du 16 Septembre 2021 RG n° 19/00296

COUR D’APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRÊT DU 13 AVRIL 2023

APPELANTE :

Madame [H] [K]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Tiphaine BROTELANDE, avocat au barreau de CAEN

INTIMEE :

S.A. SNCF RESEAU

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Henri GUYOT, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,

Mme PONCET, Conseiller, rédacteur

Mme VINOT, Conseiller,

DÉBATS : A l’audience publique du 09 février 2023

GREFFIER : Mme ALAIN

ARRÊT prononcé publiquement contradictoirement le 13 avril 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme GOULARD , greffier

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [H] [V] épouse [K] a été embauchée à compter du 9 septembre 1991 en qualité d’agente commerciale de train dans le cadre d’un contrat d’adaptation à l’emploi. Elle a exercé, à compter de juin 2016, des fonctions de dirigeante de proximité (DPX) dans l’unité des engins spéciaux (UES), emploi de cadre en forfait jour.

Par lettre du 9 janvier 2018, adressée à son supérieur elle a dénoncé les attitudes ‘inacceptables, dégradantes et humiliantes’ d’un collègue, M. [O], DPX caténaire.

La direction de l’éthique et de la déontologie (DET), saisie de ces doléances, a mené une enquête qui a donné lieu à un rapport déposé le 20 mars 2018 préconisant diverses mesures d’ordre général, la mise en place d’une médiation entre Mme [K] et M. [O] et, à défaut de médiation ou en cas d’échec de celle-ci, la mobilité de l’un ou l’autre des deux agents.

Mme [K] a refusé cette médiation et a fait l’objet d’une mesure de mobilité applicable à compter du 1er août 2018.

Le 20 juin 2019, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Caen, pour voir dire nulle la modification de son poste et l’absence de redressement de sa notation et a demandé, en conséquence, sa réintégration au poste de DPX mesure et son passage à la rémunération 22 au 1er avril 2019, pour obtenir des dommages et intérêts, au principal, pour harcèlement moral, subsidiairement, pour exécution déloyale du contrat de travail et manquement à l’obligation de sécurité et pour obtenir le remboursement de frais d’hébergement.

Par jugement du 16 septembre 2021, le conseil de prud’hommes a condamné l’EPIC SNCF Réseau à verser à Mme [K], 10 000€ de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, 2 457,16€ ‘au titre du remboursement des frais d’hébergement sur présentation des justificatifs et saisie dans le logiciel interne’, 1 200€ en application de l’article 700 du code de procédure civile et l’a déboutée du surplus de ses demandes.

Mme [K] a interjeté appel du jugement, l’EPIC SNCF Réseau a formé appel incident.

Vu le jugement rendu le 16 septembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Caen

Vu les dernières conclusions de Mme [K], appelante, communiquées et déposées le 8 février 2023, tendant à voir le jugement confirmé quant à la somme allouée en application de l’article 700 du code de procédure civile, tendant à voir le jugement réformé pour le surplus, tendant à voir reconnaître le comportement fautif de l’employeur suite à sa dénonciation de faits de harcèlement sexuel, à voir en réparation, l’EPIC SNCF Réseau condamnée à lui verser 20 000€ de dommages et intérêts, à voir dire nulle la modification de poste et à se voir réintégrée à son poste de DPX mesure ou, à défaut de vacance de poste, à un poste de qualification équivalente ou supérieure, à voir dire nulle l’absence de redressement de notation au 1er avril 2019 et ordonner, en conséquence, son passage à la position 22 au 1er avril 2019 et obtenir le rappel de salaire en découlant, tendant à voir l’EPIC SNCF Réseau condamnée à lui verser 30 000€ de dommages et intérêts pour harcèlement moral, 30 000€ de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, 2 457,16€ pour le remboursement des frais d’hébergement et 2 500€ supplémentaires en application de l’article 700 du code de procédure civile

Vu les dernières conclusions de l’EPIC SNCF Réseau, intimé et appelant incident, communiquées et déposées le 8 février 2023, tendant à voir le jugement confirmé quant aux déboutés prononcés, à le voir réformé quant aux condamnations prononcées, à voir, au principal, Mme [K] déboutée de toutes ses demandes, subsidiairement, tendant à voir minorer le montant des dommages et intérêts accordés pour harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité et à l’exécution de bonne foi du contrat de travail, à voir limiter à 1 145,63€ le remboursement des frais d’hébergement, tendant, en tout état de cause, à voir Mme [K] condamnée à lui verser 2 500€ en application de l’article 700 du code de procédure civile

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 9 février 2023

MOTIFS DE LA DÉCISION

1) Sur les manquements de l’employeur suite à la dénonciation du 9 janvier 2018

Mme [K] soutient que l’enquête menée par la DET a manqué de transparence et de neutralité, qu’à la suite de cette enquête elle a subi une sanction déguisée en perdant son poste pour des fonctions de qualification inférieure, où elle ne bénéficiait pas d’un forfait jour et où ses frais d’hébergement n’étaient plus pris en charge, que sa demande pour passer au niveau 22 a été rejetée sans raison.

‘ Mme [K] reproche à la DET, notamment dans sa lettre du 4 novembre 2021, d’une part, d’avoir passé sous silence une agression de la part de M. [O] dont elle indique avoir fait part aux enquêteurs, de ne pas avoir interrogé son ancien assistant mais tous les amis de M. [O] qui se sont entendus sur leur version des faits, d’avoir omis de faire état d’un fait commis à son détriment par Mme [U], liée à M. [O].

Elle lui reproche également de ne pas avoir précisé le nom des personnes entendues, de pas lui avoir permis d’avoir accès aux éléments de l’enquête et son absence de transparence par rapport au CHSCT.

‘ Le rapport établi par la DET indique que Mme [K] n’a pas été en mesure de décrire les comportements déviants de M. [O] à son encontre. Elle indique, quant à elle, avoir rapporté aux enquêteurs le fait que celui-ci avait plaqué son torse contre sa poitrine lui disant qu’elle était belle et lui demandant quand ils dîneraient de nouveau ensemble. Elle n’établit toutefois pas avoir effectivement donné cette information aux enquêteurs. En outre, la date à laquelle elle situe cet événement, le 26 octobre 2018, date mentionnée à la fois dans sa lettre du 4 novembre 2021 et déjà dans sa lettre au CHSCT le 29 novembre 2018, n’est pas compatible avec le fait qu’elle ait pu en informer la DET dont le rapport a été établi le 20 mars 2018.

‘ Mme [K] ne précise pas le nom de son ancien assistant qui aurait pu confirmer ses dires et que la DET aurait omis d’entendre.

‘ Mme [K] ne précise pas à quelle date Mme [U] aurait volontairement égaré une prolongation d’arrêt de travail de l’un de ses agents pour tenter de lui nuire et il n’est pas établi qu’elle en ait fait état auprès des enquêteurs.

Il est à noter que les enquêteurs ont souligné que la confidentialité de l’enquête n’avait pas été respectée, que les agents avaient communiqué entre eux, présenté leur argumentaire à la hiérarchie et s’étaient pour la plupart présentés à l’entretien avec des argumentaires ‘clés en mains’ répondant exactement à ce que Mme [K] avait exposé dans sa lettre, ce qui établissait qu’ils en avaient eu connaissance. Contrairement à ce qu’indique Mme [K], la DET a donc bien noté ce biais dans son rapport.

Les éléments donnés par Mme [K] ne permettent pas de caractériser un manque de neutralité de la DET.

Il est constant que le nom des personnes entendues lors de l’enquête n’est pas cité. Il n’est pas établi que Mme [K] ait pu lors de l’enquête suggérer l’audition de certaines personnes et elle n’a pas été informée des personnes qui avaient été entendues.

Le CHSCT qui examinait dans sa séance du 11 décembre 2018 la situation de Mme [K] a conclu être dans l’incapacité de statuer sur son cas compte tenu ‘du manque d’information lié à l’obligation de confidentialité du rapport de l’éthique’. Le compte-rendu donné par la direction au CHSCT, sans être inexact, s’avère effectivement très succinct et peu informatif, ce qui n’a pas permis au CHSCT d’utilement examiner la situation de Mme [K].

Ces éléments traduisent une opacité dans la conduite de l’enquête et dans ses suites.

‘ La préconisation de la DET visait, à défaut de médiation, une mobilité de Mme [K] ou de M. [O].

Il est constant que c’est à Mme [K] que cette mobilité a été imposée et non à M. [O] semble-t’il parce qu’il avait accepté cette médiation et qu’elle l’avait refusée. Le rapport d’enquête n’explique pas néanmoins pourquoi la mobilité de l’un de ces deux agents était nécessaire. Il se contente d’indiquer que la médiation (à défaut la mobilité de l’un des agents) est destinée à ‘retrouver une situation de travail normale (notamment réunion d’équipe en établissement…)’.

Mme [K] fait toutefois valoir que sa sécurité était assurée en cas de maintien à son poste. Elle a écrit à son supérieur le 27 avril 2018 qu’elle ne travaillait pas avec M. [O], n’était pas amenée à le croiser. Son supérieur l’a néanmoins informée que ‘seule l’acceptation de la démarche de médiation et sa réussite peuvent me permettre de revenir sur ma décision’, celle de sa mobilité.

Dans le cadre de l’instance, l’EPIC SNCF Réseau n’explique pas plus pourquoi la mobilité de l’un de ces deux agents qui ne travaillaient pas ensemble et pouvaient seulement être amenés à se croiser dans le bâtiment était nécessaire ni pourquoi son choix s’est porté sur Mme [K].

‘ La première proposition de mobilité faite par l’EPIC SNCF Réseau n’a pas été acceptée par Mme [K]. Une seconde proposition lui a été faite le 27 juillet 2018. L’EPIC SNCF Réseau ne justifie pas d’une acceptation expresse de Mme [K], cette dernière ne justifie pas non plus avoir refusé cette proposition. En toute hypothèse, au 1er août 2018, date à laquelle elle devaient débuter ces nouvelles fonctions, elle a été placée en arrêt maladie jusqu’au 12 février 2019. À cette date, une nouvelle mission lui a été confiée qu’elle a poursuivie concurremment avec la mission précédente confiée en juillet 2018. Il ressort de son courrier du 25 février 2019 que cette mission lui convenait.

Il est constant qu’elle a perdu le bénéfice du forfait jour (et ce jusqu’au 1er juillet 2020) qui lui permettait une organisation plus libre de son temps de travail et lui permettait, notamment, selon ses dires, d’organiser sa semaine de manière à ne pas devoir venir à [Localité 5] depuis son lieu de résidence situé à 600km la veille d’un jour de travail. Elle indique en outre que son hébergement n’a pas été pris en charge de février 2019 à août 2020 contrairement à ce qui se passait antérieurement et fait d’ailleurs une demande de remboursement à ce titre.

‘ Mme [K] se plaint de ne pas avoir été notée en 2019 ce qui a, selon elle, impacté son évolution de carrière puisque sa demande pour passer du niveau 21 au niveau 22 a été rejeté contrairement à deux salariés placés plus loin qu’elle sur la liste de notation (pièce 80-2 de Mme [K]).

L’EPIC SNCF Réseau ne conteste pas l’absence de notation en 2019. Il fait toutefois valoir que les deux salariés proposés à l’avancement et situés plus loin qu’elle sur la liste étaient issus du ‘cursus jeune cadre’ permettant une évolution plus rapide et, qu’en toute hypothèse, bien que proposés, ils n’ont pas bénéficié de cet avancement. Il souligne également que Mme [K] a obtenu cet avancement en avril 2020 et fait valoir que cet avancement est conforme à la vitesse normale de progression. Il produit, à titre de comparaison, des tableaux qui font apparaître que seuls trois salariés ont bénéficié d’une progression plus rapide que Mme [K], selon lui, tous issus du ‘cursus jeune cadre’. Ces tableaux et les conclusions qu’en tire l’EPIC SNCF Réseau n’ont pas appelé d’observations de la part de Mme [K].

Il ressort de ces différents éléments que l’enquête menée suite à sa dénonciation a manqué de transparence mais n’a pas été partiale au vu des éléments produits. En revanche, l’intérêt, en cas d’absence de médiation, de muter l’un des deux salariés n’est pas explicitée. Le choix de la direction de muter Mme [K] (plutôt que M. [O]) n’est pas expliqué, non plus, que la nécessité de mettre en oeuvre cette préconisation malgré l’opposition de Mme [K]. Dans ces conditions, cette mesure dont l’intérêt et la nécessité ne sont pas démontrées, apparaît comme une rétorsion injustifiée, à tout le moins à son refus de médiation.

Mme [K] n’établit pas avoir été positionnée sur des missions qu’elle aurait refusées. Elle ne démontre pas non plus avoir subi un retard dans sa progression de carrière. En revanche, les missions qui lui ont été confiées ont conduit à une suppression du forfait jour jusqu’en juillet 2020 ce qui a induit une moindre souplesse dans l’organisation de son temps de travail.

À raison du manquement subi, elle est fondée à obtenir des dommages et intérêts qui seront fixés à 3 000€. Elle sera en revanche déboutée de sa demande tendant à reprendre son poste initial puisque les missions confiées lui convenaient et elle sera également déboutée de sa demande tendant à obtenir son passage à la position 22 au 1er avril 2019 et le rappel de salaire en découlant.

2) Sur le harcèlement moral

Il appartient à Mme [K] d’établir la matérialité d’éléments laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral. En même temps que les éléments apportés, à ce titre, par Mme [K] seront examinés ceux, contraires, apportés par l’EPIC SNCF Réseau quant à la matérialité de ces faits. Si la matérialité de faits précis et concordants est établie et que ces faits laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral, il appartiendra à l’EPIC SNCF Réseau de démontrer que ces agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [K] se plaint d’avoir été affectée à un poste de chargée de mission sans fiche de poste, qui imposait sa présence constante à [Localité 5], d’avoir eu des missions inférieures à sa qualification ou supérieure mais sans revalorisation de son statut, d’avoir réalisé des missions qui n’ont pas été évaluées, de ne pas avoir été évaluée de manière générale, de s’être vu refuser de télétravailler ou, quand elle a télétravaillé, de ne pas avoir perçu la prime correspondante, d’avoir, à plusieurs reprises, subi des erreurs concernant son salaire, d’avoir subi une procédure disciplinaire injustifiée, d’avoir été convoquée à [Localité 5] par la médecine du travail alors qu’elle était suivie à [Localité 6], d’avoir eu des difficultés pour prendre ses congés payés 2019, d’avoir été laissée sans travail, de ne pas avoir obtenu de réponse à ses différentes candidatures.

‘ Absence de fiche de poste, présence à [Localité 5], missions inférieures à sa qualification

Au vu de ses explications, l’absence de fiche poste et la nécessité d’une présence constante à [Localité 5] dont se plaint Mme [K] concerne la mission initialement confiée à compter du 1er août 2018, mission qu’elle n’a jamais exercée.

Mme [K] s’est plainte de la première mission qui lui a été proposée le 12 février 2019 à son retour après un arrêt maladie en considérant que les tâches relevaient d’une qualification inférieure à la sienne. Une autre mission lui a toutefois été proposée dès le 20 février qui n’appelle pas d’observations de sa part.

Ces points ne sont donc pas matériellement établis.

‘ Missions supérieures à sa qualification sans revalorisation, absence d’évaluation des missions, absence de notation

Mme [K] indique que plusieurs missions confiées à partir de juin 2019 relèvent d’une qualification supérieure et qu’elle n’a pas, pour autant, bénéficié d’une revalorisation correspondante de son statut. Elle justifie avoir alerté son employeur à plusieurs reprises à ce propos (les 15 et 23 juin, 2 novembre et 17 décembre 2020, 25 janvier 2021).

Elle indique en outre que plusieurs missions n’ont pas été évaluées. Elle produit, adressés à son supérieur, un courriel du 17 décembre 2020 concernant les missions ‘réorganisation de l’UES’, ‘pointage engins de l’UES’, ‘ réduction du temps d’intégration des données de production dans le SI de gestion’, un courrier du 15 avril 2021 concernant la mission ‘facturation des engins de l’UES’ où elle se plaint de ce défaut d’évaluation. Dans son entretien d’évaluation 2020, elle évoque à nouveau l’absence d’évaluation de la mission ‘réorganisation de l’UES’ menée du 11 février au 13 mai 2019.

Dans son entretien d’évaluation du 25 mars 2022, elle signale n’avoir eu aucun retour de ses supérieurs concernant les travaux qu’elle a réalisés dans le cadre des quatre missions qui lui ont été confiées de février 2019 à janvier 2021.

Elle indique également que le dossier qu’elle a transmis le 9 novembre 2022 sur ‘l’industrialisation des hébergements de l’UES’ n’a pas non plus été évalué. Elle ne produit toutefois pas de courriel ou de courrier s’en plaignant.

Au vu des éléments produits, ces doléances n’ont pas fait l’objet de réponse de la part de l’EPIC SNCF Réseau, lequel ne s’en explique pas, non plus, dans ses conclusions.

Mme [K] indique enfin n’avoir pas fait l’objet d’une évaluation complète depuis 2019.

Mme [K] soutient, sans être contestée, ne pas avoir été notée en 2019. Elle n’évoque pas sa notation pour 2020. En 2021, aucun objectif n’a été fixé. Dans la première version de cette notation il est précisé : ‘les objectifs de l’année seront déterminés après la décision de la procédure des prud’hommes. Celle-ci intervenant après le 15/04/2021, cette partie de l’EIA sera réalisée hors campagne’. Dans une seconde version : ‘les objectifs de l’année seront déterminés ultérieurement lors d’un EIA hors campagne’. Il est constant qu’aucun objectif n’a ultérieurement été fixé ce qui est acté dans la notation 2022. Dans la notation 2022, ses compétences n’ont pas été évaluées. Une mission de six mois lui a été fixée mais la rubrique objectif n’a à nouveau pas été remplie.

Sont donc matériellement établis l’absence d’évaluation des missions confiées, l’absence de notation en 2019, une absence d’objectifs fixés dans les notations en 2021 et 2022, une absence d’évaluation dans la notation 2022. Il est également établi que Mme [K] a signalé avoir réalisé des misions relevant d’une qualification supérieure. Les éléments qu’elle apporte ne permettent pas de confirmer si tel était le cas, en toute hypothèse malgré ses doléances à ce propos, l’EPIC SNCF Réseau ne lui a pas répondu sur ce point.

‘ Télétravail

Le 12 février 2019, le médecin du travail a préconisé une reprise à temps partiel (40%) sur deux journées consécutives en milieu de semaine et indiqué que ‘pour faciliter la reprise, intérêt de la limitation le plus possible du temps de présence sur le site de [Localité 5]’. Mme [K] devait être revue dans le délai d’un mois. La fiche établie à l’issue de cette visite de mars 2019 n’est pas produite. Le 16 octobre 2019, le médecin du travail a noté la nécessité d’un temps partiel thérapeutique.

Le médecin du travail n’a donc pas préconisé le recours au télétravail comme le soutient Mme [K].

Mme [K] a exprimé à son employeur sa déception le 2 mai 2019 de ne pas télétravailler. Le 13 mai 2019, l’EPIC SNCF Réseau lui a confirmé son refus d’un télétravail pour la mission commençant le 17 mai 2019.

Le 24 juillet 2020, Mme [K] a demandé à nouveau à télétravailler après la fin de la période de télétravail lié au COVID 19, le 7 septembre 2020. La mission qui lui a été donnée à compter du 16 juillet 2020 prévoyait une localisation ainsi énoncée : ‘Bureau [Localité 5] 90% pour travailler avec les principaux interlocuteurs (…) et 10% avec des interlocuteurs extérieurs’. Chacune des parties interprète différemment cette clause. Mme [K] en déduit qu’elle excluait tout télétravail, l’EPIC SNCF Réseau indique que cette clause signifiait que 90% de ses interactions avaient lieu avec des interlocuteurs de [Localité 5] non qu’elle devait passer 90% de son temps au bureau de [Localité 5]. En toute hypothèse, il n’est ni établi ni soutenu que Mme [K] aurait été autorisée, hors période de COVID, à télétravailler sur cette mission ou sur une autre.

Cette absence de télétravail n’est toutefois pas contraire aux préconisations du médecin du travail et Mme [K] n’établit ni ne soutient que ses collègues auraient été autorisées à télétravailler contrairement à elle.

‘ Erreurs de salaire

Mme [K] a demandé à deux reprises à son employeur la régularisation des EVS (éléments variables de solde) mal enregistrés le 11 septembre 2019 (pour le salaire de juin 2019) et le 3 avril 2020 en indiquant que ces EVS n’étaient pas conformes depuis décembre 2019. Il est constant que des régularisations ont été effectuées

Elle a signalé le 25 juillet 2020 qu’elle n’avait pas perçu la prime de télétravail pour les mois de mai et juin. Mme [K] n’établit pas avoir été la seule à être victime de cette omission comme elle le soutient.

Il est constant que ces erreurs ont été régularisées. Aucune des deux parties ne précise dans quel délai cette régularisation a été effectuée.

Suite au versement, les deux mois précédents, d’un salaire complet alors qu’elle n’aurait dû percevoir qu’un demi salaire depuis le 5 juillet 2019 à raison de la durée de son arrêt de travail, l’EPIC SNCF Réseau a régularisé la situation en ne lui versant aucun salaire pour septembre 2019 en méconnaissance des articles L3252-1 et suivants du code du travail qui interdisent qu’une régularisation d’un trop versé puisse atteindre la portion insaisissable du salaire. Mme [K] a protesté et il ressort des autres pièces versées que cette erreur a été régularisée.

‘ Procédure disciplinaire injustifiée

Le 25 juin 2019, Mme [K] a été appelée à donner, par écrit, ses explications sur une absence le 12 juin. Le 4 juillet 2019, elle a été convoquée par courrier remis en mains propres à un entretien préalable à un ‘blâme avec inscription’ concernant ce fait. La direction des ressources humaines a décidé d’abandonner cette poursuite disciplinaire avant la tenue de cet entretien. Mme [K] indique n’en avoir été informée que le 9 juillet.

Mme [K] a été placée à compter du 5 juillet et jusqu’au 30 septembre 2019 en arrêt de travail pour trouble anxio dépressif. Elle a effectué une déclaration d’accident du travail qui n’a pas été reconnu par la caisse de prévoyance et de retraite de la SNCF laquelle a ensuite implicitement rejeté son recours. Le tribunal judiciaire de Limoges, par jugement du 7 juillet 2022, a infirmé cette décision de rejet implicite et dit que l’accident dont Mme [K] avait été victime le 4 juillet 2019 (constitué par la remise de deux courriers dont la convocation à entretien préalable) était un accident du travail.

‘ Difficulté concernant son suivi par la médecine du travail

Le 27 septembre 2019, Mme [K] a été convoquée pour une visite de reprise à [Localité 5]. Elle a informé son employeur qu’elle s’était entendue avec le médecin du travail de [Localité 6] pour que ce soit lui qui effectue cette visite. Il est constant que la visite a bien eu lieu le 16 octobre 2019 à [Localité 5].

Mme [K] n’expose pas en quoi ce changement de médecin du travail lui a occasionné un préjudice. Il ressort d’ailleurs des pièces produites, qu’elle a entretenu avec ce médecin caennais du travail des échanges par courriel suite à cette visite qui manifestent la confiance qu’elle lui faisait.

‘ Difficulté concernant les congés payés

Par lettre du 17 octobre 2019, l’EPIC SNCF Réseau a informé Mme [K] que son solde de congés payés était de 20 jours, qu’elle se devait de les prendre avant le 31 décembre faute de quoi ils seraient perdus.

Mme [K] a protesté contre cette mesure en faisant valoir qu’elle n’avait pas pu prendre ces congés car elle s’était trouvée en arrêt de travail. Il ressort des courriels postérieurs produits que Mme [K] a néanmoins soldé ses congés comme demandé avant le 31 décembre. Elle n’explique pas quel préjudice elle aurait subi de ce fait.

‘ Absence de fourniture de travail

Dans un courrier du 19 janvier 2020 au directeur des ressources humaines, Mme [K] se plaint des missions confiées, en-dessous de ses compétences (centralisation des retours de tournées terrain) cantonnée à de tâches de base dans lesquelles son intervention est inutile.

Dans un courriel du 5 février 2020, elle indique que pour la mission ‘pointage engins UES’, des données ne lui ont pas été communiquées, elle n’a pas échangé avec le chef de projet et que son investissement ‘se résume à 30MN d’activité véritable sur 2 jours de déplacement’. Elle ajoute se sentir ‘isolée, inutile, délaissée’. Le 10 février elle a demandé à son directeur un point rapide pour ne pas être en ‘sous charge de travail ou sans utilisation’. Le 17 février, elle a indiqué être sans tâche et dans l’impossibilité de continuer sa mission faute des éléments nécessaires. Son directeur lui a proposé un entretien le 17 février.

Dans son évaluation 2020, elle a noté n’avoir pas eu de tâches du 1er au 18 octobre 2019, du 5 au 27 novembre 2019, avoir été sous-utilisée dans la mission ‘pointage des engins UES’ du 3 au 13 décembre 2019 et du 8 janvier au 20 février 2020.

M. [C] qui partageait le bureau de Mme [K] atteste qu’elle ‘avait passé quelques temps sans charge de travail à son retour d’arrêt maladie. Pour s’occuper elle avait amené un livre pour s’instruire sur la santé et la sécurité au travail et elle lisait ses mails’.

M. [P], délégué syndical atteste que, courant octobre et novembre 2019, Mme [K] a informé, à plusieurs reprises, le bureau syndical qu’elle faisait ‘acte de présence à son bureau passant ainsi ses journées à lire de la réglementation SST’ pendant environ 6 jours en octobre et 6 jours en novembre.

L’EPIC SNCF Réseau fait valoir que la salariée s’est constamment vu confier des missions et il les énumère. Il ne formule toutefois aucune observation sur les périodes d’inactivité dont Mme [K] s’est plainte au cours de l’exécution de ses missions.

‘ Absence de réponse aux candidatures

Mme [K] justifie avoir candidaté sur quatre postes entre le 5 novembre et le 7 décembre 2021 et sur huit postes entre juin et décembre 2022.

En ce qui concerne les postes pour lesquels elle a candidaté en 2021, elle a reçu une réponse du dirigeant Pôle et performance sociale et économique l’informant que ces postes étant de qualification G étaient d’abord examinés les profils ‘déjà sur la qualification ou ayant validé l’ensemble des pré-requis pour être positionnés à court terme sur G’ -sachant que Mme [K] est positionnée en catégorie F-.

Dans ses conclusions, Mme [K] fait valoir que les postes à dimension managériale, nécessaires, selon l’employeur, pour accéder à la position supérieure, ne lui sont jamais proposés et, qu’en outre, tous les postes de catégorie G ne nécessitent pas tous des compétences managériales.

L’EPIC SNCF Réseau indique que chaque établissement détermine ses besoins et que l’établissement dont elle dépend (Infralog) n’influe pas sur le recrutement effectué par les autres établissements, il souligne en outre que Mme [K] postule pour des postes dépassant sa qualification et fait valoir que des postes lui sont ‘régulièrement’ proposés. Il justifie effectivement lui avoirproposé de postuler le 17 novembre 2021 sur un poste. Aucun élément n’est fourni sur la suite donnée par Mme [K].

Il ressort de ces différents éléments que les candidatures de Mme [K] portaient sur des postes d’une qualification supérieure. Elle n’établit pas que ces postes auraient été pourvus par des candidats qui auraient bénéficier, contrairement à elle, d’une promotion.

Les faits matériellement établis (missions confiées supérieures à sa qualification sans revalorisation subséquente, absence d’évaluations de certaines missions, absence de notation en 2019 et absence de fixations d’objectifs en 2021 et 2022, erreurs sur son salaire et non versement de salaire en septembre 2019, déclenchement d’une procédure disciplinaire ensuite arrêtée ayant provoqué un accident du travail, absence de fourniture de travail à plusieurs reprises), pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.

L’EPIC SNCF Réseau ne démontre pas que ces agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [K] est donc fondée à obtenir des dommages et intérêts à ce titre.

Elle justifie de conséquences de ce harcèlement sur sa santé. Son médecin traitant a certifié le 25 mai 2019 qu’elle présentait un état dépressif lié à des relations conflictuelles au travail. Un ex-collègue et ami a attesté le 7 juin 2019 avoir constaté une ‘détérioration importante de sa volonté, de sa bonne humeur et de son goût à partager sa joie de vivre’ trouvant, selon lui, son origine dans son environnement professionnel. Le 24 septembre 2019, son psychiatre a noté la persistance d’une détresse psychologique de nature psycho traumatique liée, selon lui, à un harcèlement au travail et précise que la personnalité de Mme [K] n’est pas pathologique. Le 17 juin 2020, le médecin du travail a dressé Mme [K] à un confère en notant des signes cliniques de décompensation de stress réactivés (asthme, insomnie, migraines) lié à une situation professionnelle bloquée.

Elle s’est vue reconnaître la qualité de travailleuse handicapée pour la période du 1er septembre 2020 au 31 août 2022.

Elle justifie également de nombreuses périodes d’arrêt de travail (du 18 au 20 avril 2018 pour épisode dépressif, du 25 au 31 mai 2018 pour épisode dépressif, du 1er août 2018 au 10 février 2019 pour troubles anxio dépressifs mineurs, puis syndrome dépressif caractérisé, puis épisode dépressif, du 5 juillet au 30 septembre 2019, pour troubles anxieux dépressifs secondaires à troubles relationnels au travail puis syndrome anxio dépressif réactionnel, du 5 au 28 février 2021, du 17 au 21 janvier 2023 pour syndrome anxieux)

Mme [K] a été placée en temps partiel thérapeutique du 1er octobre au 16 octobre 2019, du 18 novembre 2019 au 21 mars 2020

Compte tenu de ces éléments, du fait que les faits constitutifs du harcèlement moral se sont déroulés sur plusieurs années, il y a lieu de lui allouer 12 000€ de dommages et intérêts.

3) Sur l’obligation de sécurité et l’exécution loyale du contrat de travail

Mme [K] présentait cette demande subsidiairement à sa demande au titre du harcèlement moral en première instance. En appel, elle la présente comme une demande subsidiaire dans le corps de ses conclusions mais comme une demande complémentaire dans le dispositif.

Elle insiste dans le cadre de cette demande sur le fait qu’elle a été amenée à travailler régulièrement à [Localité 5] alors que le médecin du travail avait préconisé d’y limiter son temps de présence.

Cette préconisation résulte toutefois d’un avis rendu le 12 février 2019 valable un mois et qui au vu des pièces produites n’a pas été renouvelée. Il est constant que son temps de présence pendant ce mois n’a pas excédé les préconisations du médecin du travail soit deux jours en milieu de semaine.

Les autres manquements évoqués sont ceux déjà évoqués au titre du harcèlement moral et qui ont été réparés par les dommages et intérêts alloués à ce titre.

Mme [K] sera donc déboutée de cette demande.

4) Sur le remboursement des frais d’hébergement

Mme [K] demande le remboursement de ses frais d’hébergement à [Localité 5] non pris en charge par son employeur de février à juin 2020.

L’EPIC SNCF Réseau fait valoir que faute d’une demande faite à la cellule hébergement selon les modalités applicables Mme [K] n’est pas fondée en sa demande.

Toutefois, si l’absence de demande de Mme [K] auprès de la cellule hébergement peut expliquer, le cas échéant, l’absence de remboursement (bien que ce point soit contesté par Mme [K] qui indique cet hébergement est normalement automatiquement pris en charge), elle ne justifie pas, en toute hypothèse, que Mme [K] soit déboutée de sa demande si elle s’avère justifiée.

L’EPIC SNCF Réseau reconnaît, subsidiairement, le bien fondé de cette demande à hauteur de 1 145,63€ mais considère que le remboursement demandé par Mme [K] au-delà de cette somme correspond soit à des nuitées avant ou après sa période de travail qu’il n’a jamais accepté de prendre en charge, soit à des périodes de télétravail, soit à des doublons.

Mme [K] ne répond pas sur les périodes de télétravail ou sur les doublons signalés par l’EPIC SNCF Réseau.

En ce qui concerne les nuitées avant ou après la période travaillée, Mme [K] produit un tableau non contesté par l’EPIC SNCF Réseau (pièce 100) reprenant les hébergements assurés par l’EPIC SNCF Réseau aux mois de juin et octobre 2017 et juin 2018. Si l’on rapproche ces hébergements des journées travaillées ces mêmes mois par Mme [K], celle-ci ne s’avère jamais avoir été hébergée par la SNCF avant ou après une période travaillée contrairement à ce qu’elle indique.

Elle n’établit donc pas avoir droit au remboursement de ses hébergements au-delà de la somme que l’EPIC SNCF Réseau reconnaît subsidiairement lui devoir et qui lui sera allouée.

5) Sur les points annexes

La somme allouée au titre des remboursements de frais produira intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 2020, date de l’audience devant le conseil de prud’hommes, en l’absence d’éléments au dossier permettant de savoir à quelle date les premières conclusions contenant cette demande (qui ne figure pas dans la requête introductive) ont été déposées. Les sommes accordées à titre de dommages et intérêts produiront intérêts à compter de la date du présent arrêt.

Il serait inéquitable de laisser à sa charge ses frais irrépétibles. De ce chef, l’EPIC SNCF Réseau sera condamnée à lui verser 3 000€.

DÉCISION

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

– Confirme le jugement en ce qu’il a débouté Mme [K] de sa demande de réintégration au poste de DPX mesure et de sa demande de redressement de sa notation

– Réforme le jugement pour le surplus

– Condamne l’EPIC SNCF Réseau à verser à Mme [K] :

– 1 145,63€ à titre de remboursement de frais avec intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 2020

– 3 000€ de dommages et intérêts à raison des manquements commis par l’EPIC SNCF Réseau suite à la dénonciation de faits de harcèlement sexuel

– 15 000€ de dommages et intérêts pour harcèlement moral

avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt

– Déboute Mme [K] du surplus de ses demandes principales

– Condamne l’EPIC SNCF Réseau à verser à Mme [K] 3 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile

– Condamne l’EPIC SNCF Réseau aux entiers dépens de première instance et d’appel

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

E. GOULARD L. DELAHAYE

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x