Télétravail : 11 mai 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/02913

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Télétravail : 11 mai 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/02913
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11 mai 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
22/02913

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 82E

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 MAI 2023

N° RG 22/02913 –

N° Portalis DBV3-V-B7G-VN27

AFFAIRE :

S.A.S. THALES SERVICES NUMERIQUES

C/

Syndicat SYNDICAT CGT THALES SERVICES NUMERIQUE

FEDERATION GENERALE DES MINES ET DE LA METALLURGIE CFDT

CSE THALES SERVICES NUMERIQUES SAS

SYNDICAT NATIONAL DE L’ENCADREMENT DES PROFESSIONS DE L’INFORMATIQUE CFE-CGC

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 20 Septembre 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de VERSAILLES

N° RG : 21/00006

copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Oriane DONTOT

Me David METIN

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, devant initalement être rendu le 20 avril 2023 et prorogé au 11 mai 2023, les parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :

S.A.S. THALES SERVICES NUMERIQUES

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentants : Me Oriane DONTOT de l’AARPI JRF AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et Me Baudouin DE MOUCHERON, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T03 substitué par Me Maëlys APIED, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

SYNDICAT CGT THALES SERVICES NUMERIQUE

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentants : Me David METIN de l’AARPI METIN & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 159 et Me Jonathan CADOT de la SELARL LEPANY & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R222 substitué par Me Bouba CAMARA, avocat au barreau de PARIS

FEDERATION GENERALE DES MINES ET DE LA METALLURGIE CFDT (FGMM-CFDT)

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentants : Me David METIN de l’AARPI METIN & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 159 et Me Jonathan CADOT de la SELARL LEPANY & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R222 substitué par Me Bouba CAMARA, avocat au barreau de PARIS

CSE THALES SERVICES NUMERIQUES SAS

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentants : Me David METIN de l’AARPI METIN & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 159 et Me Jonathan CADOT de la SELARL LEPANY & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R222 substitué par Me Bouba CAMARA, avocat au barreau de PARIS

SYNDICAT NATIONAL DE L’ENCADREMENT DES PROFESSIONS DE L’INFORMATIQUE CFE-CGC (SNEPIE CFE-CGC)

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentants : Me David METIN de l’AARPI METIN & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 159 et Me Jonathan CADOT de la SELARL LEPANY & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R222 substitué par Me Bouba CAMARA, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 03 mars 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle CHABAL, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier en pré-affectation lors des débats : Domitille GOSSELIN,

La société Thales Services Numériques, dont le siège social est situé à [Localité 7], dans le département des Yvelines, est une filiale du Groupe Thales spécialisée dans le secteur d’activité des systèmes critiques de sous-traitance informatique rattachée. Elle emploie plus de 10 salariés et applique la convention collective des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne du 16 juillet 1954.

Le 23 mars 2018, les organisations syndicales représentatives au niveau du groupe et la direction du groupe Thales ont conclu un accord cadre sur le télétravail, succédant à celui qui avait été conclu le 24 avril 2015.

En application de cet accord, la direction de la société Thales Services Numériques a, le 17 octobre 2018, conclu avec les organisations syndicales représentatives au sein de l’entreprise, un accord relatif au télétravail.

Dans le contexte de la crise sanitaire de la Covid-19 et du confinement décidé à compter du 24 mars 2020, les entreprises ont été incitées à recourir au télétravail.

Les dispositions de l’accord cadre du 17 octobre 2018 excluant les salariés en télétravail du bénéfice des tickets restaurants ont fait l’objet de questionnements des représentants du personnel, lesquels ont adopté lors d’une réunion extraordinaire du 2 juin 2020 une délibération mandatant le secrétaire du comité social et économique (CSE) de la société Thales Services Numériques aux fins d’assigner ladite société.

Parallèlement, des négociations ont été engagées au sein du groupe Thales, qui ont abouti à la signature d’un accord-cadre sur le télétravail le 17 décembre 2020, entré en vigueur le 19 décembre 2020, excluant la prise en charge des frais de restauration des télétravailleurs.

Par acte d’huissier en date du 3 février 2021, le CSE de la société Thales Services Numériques, la Fédération Générale des Mines et de la Métallurgie CFDT (FGMM-CFDT), le syndicat national de l’encadrement des professions de l’informatique CFE-CGC (SNEPIE CFE-CGC) et le syndicat CGT Thales Services Numériques ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Versailles la société Thales Services Numériques aux fins de voir :

– constater que la société Thales Services Numériques ne respecte pas le principe d’égalité de traitement entre le télétravailleur et les salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise, prévu par l’article L. 1222-9 du code du travail, l’article 4 de l’ANI (accord national interprofessionnel) du 19 juillet 2005 et les accords datés du 23 mars et du 17 octobre 2018,

En conséquence,

– ordonner à la société de respecter le principe d’égalité de traitement entre le télétravailleur et les salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise en régularisant la situation de tous ses collaborateurs en télétravail privés de tickets restaurant pendant les jours de télétravail, et ce, sous astreinte de 1 500 euros par salarié,

– se réserver la liquidation de l’astreinte,

– condamner la société à verser une somme de 5 000 euros au CSE ainsi qu’une somme de 5 000 euros à chaque organisation syndicale à titre de dommages et intérêts au regard du préjudice subi du fait du non-respect des dispositions légales et conventionnelles sur la distribution de tickets restaurant aux télétravailleurs et des informations erronées fournies au CSE,

– condamner la société à verser au CSE une somme de 3 500 euros et aux organisations syndicales une somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonner l’exécution provisoire de droit en application de l’article 514 du code de procédure civile.

La société Thales Services Numériques a pris des conclusions d’incident et soulevé l’irrecevabilité des demandes tant des organisations syndicales que du CSE.

Par ordonnance contradictoire rendue le 20 septembre 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Versailles a :

– dit n’y avoir lieu à statuer sur la recevabilité des demandes présentées par la Fédération Générale des Mines et de la Métallurgie CFDT (FGMM-CFDT), le syndicat national de l’encadrement des professions de l’informatique CFE-CGC (SNEPIE CFE-CGC) et le syndicat CGT Thales Services Numériques portant sur la période postérieure au 19 décembre 2020,

– rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de la Fédération Générale des Mines et de la Métallurgie CFDT (FGMM-CFDT), du syndicat national de l’encadrement des professions de l’informatique CFE-CGC (SNEPIE CFE-CGC) et du syndicat CGT Thales Services Numériques de droit et d’intérêt à agir pour la période antérieure au 19 décembre 2020,

– déclaré le CSE de la société Thales Services Numériques irrecevable en ses demandes, faute de démontrer son intérêt et sa qualité à agir,

– dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– laissé à chacune des parties la charge de ses dépens liés à l’incident,

– renvoyé l’affaire à l’audience de mise en état du 29 novembre 2022 pour conclusions des parties qui le souhaitent et avis sur la clôture.

La société Thales Services Numériques a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 27 septembre 2022.

Par conclusions n°3 notifiées par voie électronique le 2 février 2023, la société Thales Services Numériques demande à la cour de :
– infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Versailles du 20 septembre 2022 (RG n° 21/00006) en ce qu’elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de droit et d’intérêt à agir des organisations syndicales demanderesses à savoir, la Fédération générale des Mines et de la Métallurgie CFDT (FGMM-CFDT), le Syndicat national de l’encadrement des Professions de l’informatique CFE-CGC et le Syndicat CGT Thales Services Numériques,
Et statuant à nouveau,
– juger la Fédération générale des Mines et de la Métallurgie CFDT (FGMM-CFDT), le Syndicat national de l’encadrement des Professions de l’informatique CFE-CGC et le Syndicat CGT Thales Services Numériques irrecevables en leurs demandes pour défaut de droit et d’intérêt à agir en ce que leurs demandes de régularisation de la situation individuelle des salariés ne concernent pas l’intérêt collectif de la profession mais les situations individuelles des salariés, et subsidiairement en ce que leurs demandes concernent la période antérieure au 3 février 2021 (date de l’assignation en justice),
En tout état de cause,
– confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Versailles du 20 septembre 2022 (RG n° 21/00006) en ce qu’elle a déclaré l’action du CSE Thales Services Numériques irrecevable pour défaut de qualité et d’intérêt à agir,
– condamner chacun des demandeurs à verser à la société Thales Services Numériques la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du même code, outre les entiers dépens.

Par conclusions n°2 notifiées par voie électronique le 20 janvier 2023, le CSE Thales Services Numériques, la FGMM-CFDT, le SNEPIE CFE-CGC et le syndicat CGT-Thales Services Numériques demandent à la cour de :

– déclarer la société Thales Services Numériques SAS mal fondée en son appel,

– déclarer le CSE Thales Services Numériques SAS recevable et bien fondé en son appel incident,

– confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Versailles du 20 septembre 2022 en ce qu’elle a décidé que :

* dit n’y avoir lieu à statuer sur la recevabilité des demandes présentées par la Fédération Générale des Mines et de la Métallurgie CFDT (FGMM-CFDT), le syndicat national de l’encadrement des professions de l’informatique CFE-CGC (SNEPIE CFE-CGC) et le syndicat CGT CSE Thales Services Numériques portant sur la période postérieure au 19 décembre 2020,

* rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut de la Fédération Générale des Mines et de la Métallurgie CFDT (FGMM-CFDT), du syndicat national de l’encadrement des professions de l’informatique CFE-CGC (SNEPIE CFE-CGC) et du syndicat CGT CSE Thales Services Numériques de droit et d’intérêt à agir pour la période antérieure au 19 décembre 2020,

– infirmer l’ordonnance du Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Versailles du 20 septembre 2022 en ce qu’elle a décidé que :

* déclare le CSE de la société CSE Thales Services Numériques irrecevable en ses demandes, faute de démontrer son intérêt et sa qualité à agir,

Statuant à nouveau

– déclarer le CSE de la société CSE Thales Services Numériques recevable tant en son action qu’en ses demandes,

En tout état de cause

– condamner la société Thales Services Numériques SAS à verser au CSE de la société CSE Thales Services Numériques une somme de 2 000 euros et à chaque organisation syndicale une somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Thales Services Numériques aux entiers dépens dont distraction au bénéfice de la SELARL Lepany & Associés, société d’avocats aux offres de droits,

– débouter la société Thales Services Numériques de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

Par ordonnance rendue le 8 février 2023, le magistrat de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 3 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité des demandes des organisations syndicales

L’article 122 du code de procédure civile dispose que ‘constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.’

La société Thales Services Numériques expose que si les syndicats peuvent agir en justice pour faire constater une irrégularité et défendre l’intérêt collectif de la profession, il ne peuvent pas former des demandes de régularisation des situations individuelles des salariés ; qu’en conséquence, est irrecevable la demande formée en l’espèce par les syndicats d’ordonner à la société Thales Services Numériques de régulariser la situation de tous ses collaborateurs en télétravail privés de tickets restaurants pendant les jours en télétravail pour la période antérieure à la signature de l’accord de groupe du 17 décembre 2020.

Les syndicats répondent qu’ils sont recevables en leur action dès lors en premier lieu qu’est en cause une atteinte à l’intérêt collectif de la profession par une méconnaissance du principe d’égalité de traitement au détriment du télétravailleur et en second lieu qu’ils ne formulent aucune demande de condamnation de la société au paiement de sommes déterminées à des salariés nommément identifiés.

L’article L. 2132-3 du code du travail dispose que ‘les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice.

Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.’

Un syndicat est recevable à agir pour demander l’exécution d’une convention, d’un accord collectif de travail, de la loi ou d’un engagement, leur non-respect étant de nature à causer nécessairement un préjudice à l’intérêt collectif de l’ensemble de la profession. Il n’est en revanche pas recevable à solliciter le paiement de sommes déterminées à des personnes nommément désignées ou à demander la régularisation de situations individuelles, qui impliquerait de déterminer, pour chaque salarié, le contenu et les modalités des avantages qui lui sont dus.

En l’espèce, la recevabilité des syndicats à agir pour voir constater que la société Thales Services Numériques ne respecte pas le principe d’égalité de traitement entre le télétravailleur et les salariés exerçant dans les locaux de l’entreprise n’est pas remise en cause. Seule est en question la recevabilité de la demande des syndicats tendant à la régularisation de la situation de tous les collaborateurs en télétravail privés de tickets restaurant pendant les jours de télétravail.

Or, la régularisation implique de déterminer, pour chaque salarié, les avantages qui lui sont dus et se rapporte à l’intérêt individuel de chaque salarié concerné et non à la défense de l’intérêt collectif de l’ensemble de la profession. Est en outre sollicitée une astreinte applicable pour la régularisation de chaque salarié en cause.

Il convient en conséquence d’infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état en ce que ce dernier a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de droit et d’intérêt à agir des organisations syndicales et, statuant à nouveau, de déclarer lesdites organisations syndicales irrecevables en leur demande tendant à “ordonner à la société de respecter le principe d’égalité de traitement entre le télétravailleur et les salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise en régularisant la situation de tous ses collaborateurs en télétravail privés de tickets restaurant pendant les jours de télétravail, et ce, sous astreinte de 1 500 euros par salarié”.

Sur la recevabilité de la demande du comité social et économique

La société Thales Services Numériques demande confirmation de l’ordonnance du juge de la mise en état en ce que ce dernier a déclaré irrecevable l’action du CSE, pour défaut de qualité et d’intérêt à agir, en faisant valoir que le CSE ne représente ni les intérêts individuels des salariés ni les intérêts collectifs de la profession, qu’il n’est pas partie ou signataire de l’accord collectif et qu’il ne subit aucun préjudice propre.

Le CSE sollicite l’infirmation de cette disposition et demande à être déclaré recevable en toutes ses prétentions.

Il fait valoir en premier lieu qu’il n’a formulé aucune demande de régularisation de la situation des salariés, laquelle est une demande émanant des organisations syndicales, mais qu’il sollicite des dommages et intérêts après avoir constaté la violation de plusieurs de ses prérogatives : présentation des réclamations individuelles et collectives pour le compte des salariés, prérogative spécifique du CSE en matière de tickets-restaurant.

Or, il ressort de l’assignation délivrée le 3 février 2021, telle qu’elle est retranscrite dans l’ordonnance du juge de la mise en état querellée, que le CSE de la société Thales Services Numériques demande, tout comme les organisations syndicales, d’une part qu’il soit constaté que la société ne respecte pas le principe d’égalité de traitement entre le télétravailleur et les salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise, et d’autre part qu’il soit ordonné à la société de respecter le principe de l’égalité de traitement en régularisant la situation de tous les collaborateurs en télétravail privés de tickets-restaurant pendant les jours de télétravail, sous astreinte, outre la condamnation de la société à lui verser des dommages et intérêts et une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En application de l’article L. 2315-23 du code du travail, le comité social économique, qui est doté de la personnalité civile, peut agir en justice. Il doit avoir un intérêt personnel et direct à agir.

Il n’a pas qualité à agir pour défendre l’intérêt collectif de la profession ou les intérêts individuels des salariés.

En conséquence, le CSE de la société Thales Services Numériques n’est pas recevable à solliciter qu’il soit ordonné à la société de respecter le principe de l’égalité de traitement en régularisant la situation de tous les collaborateurs en télétravail privés de tickets-restaurant pendant les jours de télétravail, ce qu’il ne conteste pas, faisant valoir que seuls les syndicats forment cette demande.

Le CSE n’a pas qualité à agir en justice pour demander l’exécution d’un accord collectif dont il n’est pas signataire et il ne peut intervenir pour critiquer la validité d’un accord d’entreprise conclu entre l’employeur et les organisations syndicales, sauf s’il soutient qu’il aurait dû normalement être consulté préalablement à la signature de l’accord.

Pour pouvoir agir en justice, le CSE doit avoir été la victime directe du dommage dont il veut obtenir réparation, ce dommage pouvant être une atteinte à la personne morale ou aux biens du comité ou une atteinte à l’exercice de ses prérogatives, c’est à dire à son pouvoir consultatif ou à son droit de gestion directe des activités sociales et culturelles.

Le fait que l’article L. 3262-1 du code du travail confère au CSE une compétence propre en matière d’émission de tickets-restaurant ne lui donne pas qualité et intérêt à agir dans la présente instance qui concerne l’émission de tickets restaurant aux salariés en télétravail par la société Thales Services Numériques et non par le CSE.

Le CSE de la société Thales Services Numériques soutient que l’ordonnance est critiquable dès lors qu’il dispose de prérogatives consultatives, la société Thales Services Numériques répondant que seuls les projets importants impactant de façon substantielle les conditions d’emploi et/ou les conditions de travail des salariés sont soumis à la consultation du CSE.

L’article L. 1222-9 du code du travail dispose notamment que “le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe.” .

L’article L. 2312-14 du code du travail dispose que “Les décisions de l’employeur sont précédées de la consultation du comité social et économique sauf en application de l’article L. 2312-49 avant le lancement d’une offre publique d’acquisition.

Les projets d’accord collectif, leur révision ou leur dénonciation ne sont pas soumis à la consultation du comité. (…)”.

En l’espèce, à la suite d’accords de groupe signés les 24 avril 2015 et 23 mars 2018, lesquels n’étaient pas soumis à la consultation du comité social et économique en cause, le télétravail a été mis en oeuvre au sein de la société Thales Services Numériques par un accord collectif signé le 10 septembre 2015 entre la société et les syndicats CFDT, CFE-CGC et CGT, un accord de prorogation ayant été signé par la suite le 21 juin 2018. Le CSE de la société Thales Services Numériques n’est signataire d’aucun de ces accords.

Il n’avait pas à être consulté sur l’accord groupe relatif au télétravail qui a été signé le 17 décembre 2020 entre la société et la CFDT, la CFTC et la CGT (pièces 2, 12 et 13 de l’appelante).

L’article L. 2312-8 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2021-1104 du 22 août 2021, applicable à l’espèce, dispose que :

“Le comité social et économique a pour mission d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production.

Le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, notamment sur :

1° Les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs ;

2° La modification de son organisation économique ou juridique ;

3° Les conditions d’emploi, de travail, notamment la durée du travail, et la formation professionnelle ;

4° L’introduction de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ;

5° Les mesures prises en vue de faciliter la mise, la remise ou le maintien au travail des accidentés du travail, des invalides de guerre, des invalides civils, des personnes atteintes de maladies chroniques évolutives et des travailleurs handicapés, notamment sur l’aménagement des postes de travail.

Le comité social et économique mis en place dans les entreprises d’au moins cinquante salariés exerce également les attributions prévues à la section 2.”

Par ailleurs, dans les entreprises d’au moins 50 salariés, l’article L. 2312-12 du code du travail prévoit que “le comité social et économique formule, à son initiative, et examine, à la demande de l’employeur, toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d’emploi et de formation professionnelle des salariés, leurs conditions de vie dans l’entreprise ainsi que les conditions dans lesquelles ils bénéficient de garanties collectives complémentaires mentionnées à l’article L. 911-2 du code de la sécurité sociale.”

En l’espèce, le CSE fait valoir qu’il a été consulté sur le suivi de l’accord sur le télétravail et le bénéfice de tickets restaurants aux collaborateurs en télétravail. Il produit en pièces 4 et 5 les comptes-rendus de la réunion du 27 mars 2018 où ce point figurait à l’ordre du jour et de la réunion des 29 et 30 octobre 2019 où la question a été abordée au titre des questions diverses.

N’est cependant pas alléguée l’existence d’une fraude sur des votes émis sur ce sujet.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il sera retenu que le CSE de la société Thales Services Numériques n’a pas intérêt à agir pour faire constater que la société Thales Services Numériques ne respecte pas le principe d’égalité de traitement entre le télétravailleur et les salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise et pour faire régulariser la situation des télétravailleurs en cause.

L’ordonnance du juge de la mise en état du 20 septembre 2022 qui a déclaré le CSE de la société Thales Services Numériques irrecevable en ses demandes sera confirmée.

Sur les demandes accessoires

L’ordonnance du juge de la mise en état sera confirmée en ce qu’elle a laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens et dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Les intimés seront condamnés in solidum aux dépens de l’instance d’appel et à verser la somme de 2 000 euros à la société Thales Services Numériques au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Leur demande formée du même chef sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Confirme l’ordonnance rendue le 20 septembre 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Versailles sauf en ce que ce dernier a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de la Fédération Générale des Mines et de la Métallurgie CFDT (FGMM-CFDT), du syndicat national de l’encadrement des professions de l’informatique CFE-CGC (SNEPIE CFE-CGC) et du syndicat CGT Thales Services Numériques de droit et d’intérêt à agir pour la période antérieure au 19 décembre 2020,

Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,

Déclare la Fédération Générale des Mines et de la Métallurgie CFDT (FGMM-CFDT), le syndicat national de l’encadrement des professions de l’informatique CFE-CGC (SNEPIE CFE-CGC) et le syndicat CGT Thales Services Numériques irrecevables en leur demande tendant à “ordonner à la société de respecter le principe d’égalité de traitement entre le télétravailleur et les salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise en régularisant la situation de tous ses collaborateurs en télétravail privés de tickets restaurant pendant les jours de télétravail, et ce, sous astreinte de 1 500 euros par salarié”,

Condamne in solidum le CSE de la société Thales Services Numériques, la Fédération Générale des Mines et de la Métallurgie CFDT (FGMM-CFDT), le syndicat national de l’encadrement des professions de l’informatique CFE-CGC (SNEPIE CFE-CGC) et le syndicat CGT Thales Services Numériques aux dépens de l’instance d’appel,

Condamne in solidum le CSE de la société Thales Services Numériques, la Fédération Générale des Mines et de la Métallurgie CFDT (FGMM-CFDT), le syndicat national de l’encadrement des professions de l’informatique CFE-CGC (SNEPIE CFE-CGC) et le syndicat CGT Thales Services Numériques à payer à la société Thales Services Numériques la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute le CSE de la société Thales Services Numériques, la Fédération Générale des Mines et de la Métallurgie CFDT (FGMM-CFDT), le syndicat national de l’encadrement des professions de l’informatique CFE-CGC (SNEPIE CFE-CGC) et le syndicat CGT Thales Services Numériques de leurs demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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