Télétravail : 11 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/07084

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Télétravail : 11 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/07084
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11 mai 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/07084

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 2

ARRÊT DU 11 MAI 2023

(n° , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/07084 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGEAQ

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 04 Juillet 2022 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° R22/00296

APPELANTE

Madame [B] [R]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0069

INTIMÉE

S.A.S. SEITA SOCIÉTÉ NATIONALE D’EXPLOITATION INDUSTRIELLE DES TABACS ET ALLUMETTES

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 09 Mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Olivier FOURMY, Premier président de chambre

Mme Marie-Paule ALZEARI, Présidente de chambre

Mme Christine LAGARDE, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Olivier FOURMY dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffière lors des débats : Mme CAILLIAU Alicia

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile

– signé par Olivier FOURMY, Premier président de chambre et par CAILLIAU Alicia, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Mme [B] [R] a été engagée par la société nationale d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes (ci-après, la ‘Société’ ou la ‘Seita’), par contrat à durée indéterminée, le 27 novembre 2000, en qualité de responsable d’études au service marketing.

A compter du 22 mai 2017, Mme [R] a été placée en arrêt de travail pour longue maladie et ce, pendant près de cinq ans.

En 2021, la Seita a mis en place un plan de sauvegarde de l’emploi (‘PSE’), dont Mme [R] n’a pas bénéficié, ce qu’elle reproche à la Société.

Elle estime que le fait de l’avoir exclue de ce plan constitue une discrimination liée à son état de santé.

Mme [R] a saisi la juridiction administrative pour contester la validité du PSE et, parallèlement, a saisi le conseil de prud’hommes en référé, en vue de solliciter le bénéfice du PSE.

Par ordonnance en date du 4 juillet 2022, le conseil de prud’hommes de Paris, statuant en référé, a notamment :

– dit n’y avoir lieu à référé ;

– laissé les dépens à la charge de Mme [R].

Par déclaration du 20 juillet 2022, Mme [R] a relevé appel de cette décision.

PRÉTENTIONS DES PARTIES  

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 12 janvier 2023, Mme [R] demande à la cour de :

– la déclarer recevable en son appel et en ses demandes ;

– infirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

– constater que le poste de directeur d’études groupe marketing / head of consumer and shopper insight figurant dans le livre 2 du PSE n’existe plus ;

– dire et juger que le fait de l’exclure du bénéfice du PSE constitue une discrimination en raison de l’état de santé et un trouble manifestement illicite ;

– ordonner que Seita lui soumette un avenant à son contrat de travail la replaçant dans la situation de tout salarié ayant adhéré à ce dispositif, et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ;

– condamner la Seita à lui verser par provision la somme de 30 000 euros à titre de dommages intérêts pour discrimination en raison de l’état de santé ;

– condamner la société Seita à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 10 novembre 2022, la société Seita sollicite la cour de :

– confirmer l’ordonnance de référé en son intégralité, sauf en ce que le conseil de prud’hommes l’a déboutée de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

A titre principal,

– juger que les demandes de Mme [R] excèdent les pouvoirs que le juge des référés tient de la loi ;

– juger n’y avoir lieu à référé ;

– débouter Mme [R] de l’intégralité de ses demandes ;

En tout état de cause,

– juger qu’il n’y a pas lieu de prononcer une astreinte ;

– débouter Mme [R] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouter Mme [R] de l’intégralité de ses demandes ;

– condamner Mme [R] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner Mme [R] aux entiers dépens de l’instance.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 janvier 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux conclusions et pièces soumises par les parties pour plus ample précision sur les moyens et prétentions qu’elles entendent développer devant la cour.

MOTIFS 

Sur le trouble manifestement illicite résultant de la discrimination en raison de l’état de santé

Mme [R] fait valoir, en particulier, qu’il appartient au juge des référés, même en présence d’une contestation sérieuse, de mettre fin au trouble manifestement illicite et, dans ces circonstance, d’apprécier si les éléments qui lui sont soumis laissent supposer l’existence d’une discrimination et, dans l’affirmative, rechercher si l’employeur apporte des éléments objectifs de nature à justifier que ses décisions sont étrangères à toute discrimination.

Mme [R] considère qu’elle aurait dû être concernée par le PSE, qui prévoyait la suppression de 97 postes et la modification de 49 autres, et bénéficier de ses dispositions. Son poste aurait dû être inclus dans la catégorie des postes à modifier et, partant, elle aurait eu le choix d’accepter ou non la modification de son contrat de travail ou de bénéficier des mesures prévues par le plan.

La discrimination est en outre confortée par le fait que :

– pendant plusieurs mois, alors qu’elle avait annoncé sa volonté de reprendre son poste, la société n’a pas répondu à ses demandes et n’a accepté d’en discuter qu’oralement. Ce n’est que devant le juge, le 11 avril 2022, une fois le plan fermé, que la Société a avoué que le poste qu’elle occupait précédemment avait été supprimé, contrairement à ce qui était indiqué dans le plan ;

– les deux postes de reclassement qui lui ont été proposés étaient rétrogradants ; la Société n’a jamais eu la volonté de la reclasser à un poste similaire ni d’envisager un reclassement pérenne ;

– le PSE a été accordé à l’un de ses collègues de même niveau, dont le périmètre était également global ; son poste lui a été présenté comme supprimé, il n’apparaissait plus dans la nouvelle organisation de juillet 2021, ce qui a permis à l’intéressé de bénéficier du PSE.

La société Seita soutient notamment, pour sa part, qu’aucun trouble manifestement illicite justifiant la compétence du juge des référés n’est caractérisé.

La suppression des fonctions qu’occupaient Mme [R] ne résulte pas de la réorganisation prévue par le PSE négocié en 2021 mais de leur disparition progressive entre 2017 et le 6 février 2019, date à laquelle elles ont définitivement disparu de l’entité ‘Imperial Tobacco Limited’.

Mme [R] et le salarié auquel elle se compare ne se trouvent pas dans une situation comparable (il relève notamment d’une catégorie professionnelle différente). En tout état de cause, l’appréciation de l’existence d’une discrimination nécessite un examen approfondi, lequel relève de la seule compétence du juge du fond.

En outre, il n’appartient pas au juge des référés d’ordonner l’exécution forcée d’un PSE validé. Le juge des référés n’a pas à interpréter l’accord majoritaire relatif au PSE car d’une part, il a été soumis à l’interprétation du tribunal administratif de Paris et, d’autre part, il est aujourd’hui fermé compte tenu de la phase d’adhésion au dispositif de cessation anticipée d’activité depuis le 11 mars 2022.

Sur ce,

A titre préliminaire, il convient de préciser que le tribunal administratif, saisi par Mme [R], a considéré que le poste de Mme [R] n’avait pas été supprimé.

La cour ne peut que constater qu’il y a d’ailleurs une contradiction dans la circonstance de contester le PSE tout en réclamant son application.

Par ailleurs, il convient de souligner que Mme [R] exerçait ses fonctions dans le cadre d’un détachement au sein du groupe Imperial brands PLC, à Bristol, depuis le 1er octobre 2005.

C’est en raison d’une grave et longue maladie que Mme [R] a dû être placée en arrêt de travail à compter du 22 mai 2017.

Enfin, il est constant que le groupe s’est réorganisé et que, au plus tard en juillet 2021, le poste qu’occupait Mme [R] n’existait plus, en tant que tel, dans les organigrammes.

Le PSE a été conclu le 17 décembre 2021, soit postérieurement à cette réorganisation.

Si Mme [R] indique qu’elle n’a jamais été remplacée, il faut également constater que l’arrêt de travail pour la pathologie initiale dont elle a souffert s’est terminé au mois de mars 2022.

Par courriel du 21 mars 2022, Mme [R] écrivait à son employeur pour lui reprocher de ‘jouer sur les deux tableaux’ « et donc vous jouez avec ma santé, pourtant précaire : tantôt mon poste est supprimé et je ne peux donc pas revenir simplement à mon poste, tantôt il est maintenu et je ne peux donc pas prétendre aux dispositions du plan ».

Mme [R] ajoutait : « J’estime être victime d’une discrimination flagrante à raison de mon état de santé, d’abord pour m’avoir empêchée de revenir travailler, ensuite en m’empêchant de bénéficier des dispositions du PSE en prétendant que mon poste ne serait pas supprimé, ce qui est totalement contradictoire ».

Pour autant, Mme [R], qui se trouve placée en arrêt maladie pour autre cause, n’a pas repris le travail.

Alors que le médecin du travail la déclarait apte avec mise en place d’un télétravail toutes les trois semaines, une prochaine visite étant prévue au plus tard en juin 2022 « par le professionnel de santé dans le cadre d’un protocole sous l’autorité du médecin du travail », Mme [R] était convoquée à un entretien de reprise pour le 31 mars 2022, auquel elle ne se présentait pas, ayant répondu : « Mons poste de Head of Consumer and Shopper Insight n’ayant pas été supprimé selon le PSE, pourquoi refusez-vous de me le restituer’ Et s’il a été supprimé, pourquoi ne puis-je pas bénéficier du PSE ».

Il lui était répondu, le 1er avril 2022, qu’on ne voyait pas « quelle réponse complémentaire (elle attendait) pour (se) présenter (dans les) locaux ».

Mme [R] maintenait son objection.

Par courriel du 4 avril 2022, Mme [R] était à nouveau invitée à se présenter.

Par courriel du 5 avril 2022, Mme [R] reprochait à son interlocutrice son attitude et considérait que « (d)ans ces conditions, vous ne me laissez pas d’autres choix que d’exercer mon droit de retrait avec effet immédiat ».

La Société le contestait et Mme [R] était convoquée à une nouvelle visite médicale, le 11 avril 2022.

Le médecin du travail émettait l’avis suivant : « Doit être retirée temporairement du milieu du travail et consulter son médecin traitant », une prochaine visite étant prévue au plus tard en juillet 2022 « par le professionnel de santé dans le cadre d’un protocole sous l’autorité du médecin du travail ».

Par courriel en date du 14 avril 2022, le médecin du travail précisait à la direction des ressources humaines comme à Mme [R] qu’il avait examiné la situation de cette salariée « (a)u regard des deux fiches de postes fournies » et qu’il avait « considéré que l’état de santé de Mme [R] [B] était compatible pour les deux postes, avec la réserve émise de la mise en place d’une semaine de télétravail toutes les 3 semaines », les deux postes en cause étant celui de head of customer & shopper insights et celui de « Consumer insights manager » « sur lequel elle serait repositionné ».

Il en résulte que, contrairement à ce que Mme [R] a écrit à son employeur, en lui disant : « Je n’en peux plus de cette torture que vous m’imposez », le médecin du travail a bien déclaré Mme [R] apte, quand bien même il a pu considérer par ailleurs qu’elle devait être temporairement retirée du milieu du travail et consulter son médecin traitant, considération que rien ne permet de relier au travail et dont Mme [R] n’apporte pas la démonstration qu’elle le serait.

La circonstance que le médecin traitant de Mme [R] ait ensuite placée celle-ci en arrêt de travail, pour maladie professionnelle, à compter du 2 mai 2022 et jusqu’au 3 juin 2022 ne permet pas de remettre en cause les avis d’aptitude précédemment émis par le médecin du travail.

Enfin, la cour renvoie expressément au mémoire en défense rédigé par la direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités, en date du 7 avril 2022, dans le cadre de la requête formée par Mme [R] à l’encontre du PSE. Ce mémoire consacre de longs développements à la discrimination alléguée par la salariée (pages 6 et suivantes du mémoire) et souligne que « la réorganisation évoquée par la requérante est antérieure au lancement de la procédure d’information consultation du CSE dans le cadre du PSE ayant abouti à la décision de validation querellée », tandis que les éléments soumis au débat montrent « s’il en était besoin, que malgré une réorganisation antérieure de la direction Insights, le poste de (Mme [R]) n’a pas été supprimé et existait bien au jour de l’engagement de la procédure de PSE ».

De ce qui précède, il résulte qu’aucun trouble manifestement illicite peut être caractérisé.

La décision du premier juge sera confirmée en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé.

Mme [R] ne peut dès lors qu’être déboutée de toutes ses autres demandes.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Mme [R], qui succombe, supportera les dépens d’appel, la décision du premier juge étant confirmée sur ce point.

Mme [R] sera condamnée à payer à la Société la somme de 2 000 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et déboutée de sa demande à cet égard.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire;

Confirme l’ordonnance, en date du 4 juillet 2022, rendue par le conseil de prud’hommes de Paris statuant en référé, en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne Mme [B] [R] aux dépens d’appel ;

Condamne Mme [B] [R] à payer à la société nationale d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Mme [R] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de toute demande autre, plus ample ou contraire.

La greffière, Le président,

 


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