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1 mars 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
22/00135
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
19e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 01 MARS 2023
N° RG 22/00135
N° Portalis DBV3-V-B7G-U6E6
AFFAIRE :
[L] [F]
C/
S.A.S. ODIGO
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Novembre 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT
N° Chambre :
N° Section : E
N° RG : 21/00208
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Mélina PEDROLETTI
Me Frédéric ZUNZ de la SELEURL MONTECRISTO
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE UN MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [L] [F]
né le 29 Juin 1973 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par : Me Mélina PEDROLETTI, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 substitué par Me Annie SEBBAG, avocat au barreau de PARIS
APPELANT
****************
S.A.S. ODIGO
N° SIRET : 529 038 978
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par : Me Frédéric ZUNZ de la SELEURL MONTECRISTO, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J153 substitué par Me Fanny DE COMBAUD, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 24 Janvier 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle MONTAGNE, Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle MONTAGNE, Président,
Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,
Madame Laure TOUTENU, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Morgane BACHE,
EXPOSE DU LITIGE
[L] [F] a été engagé par la société Matra Globalnetservices suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 avril 2001 en qualité d’administrateur réseau, statut ingénieurs et cadres, position 2.1, coefficient 110, en référence aux dispositions de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs conseils, sociétés de conseil, dite Syntec.
Le contrat de travail du salarié a été repris par la société Prosodie puis par la société Odigo.
Un avenant à effet au 1er février 2004 a prévu que le salarié en qualité de cadre appliquera les modalités de réalisation de missions dite modalité 2, telle que prévue par l’accord de branche Syntec sur la durée de travail avec un horaire de référence de 9 heures à 18 heures du lundi au jeudi et de 9 heures à 17 heures 30 le vendredi et un plafond de 217 jours travaillées par année complète de travail , moyennant un salaire fixe mensuel de 5 302,68 euros bruts sur douze mois hors prime de vacance.
A la suite de la demande du salarié, l’employeur a, par lettre datée du 27 janvier 2010, indiqué au salarié répondre favorablement à sa demande de temps partiel avec les mercredis après-midi de libre et lui a indiqué qu’à compter du 1er février 2010, la durée du travail sera de 136,50 heures, précisant qu’il travaillerait tous les jours aux horaires normaux sauf les mercredis après-midi et que son salaire mensuel brut passerait à 5 641,20 euros bruts pour un horaire hebdomadaire moyen de 31,50 heures avec une acquisition de Rtt au prorata des heures travaillées.
Par lettre datée du 21 janvier 2013, l’employeur a informé le salarié qu’à compter du 1er janvier 2013, son salaire brut mensuel serait augmenté d’environ 1 % et passerait à 5 881 euros pour 136,50 heures mensuelles.
Par avenant daté du 8 avril 2013, une convention de forfait de 217 jours travaillés par an plus un jour au titre de la journée de solidarité a été prévue conformément à l’accord d’harmonisation des conditions d’emploi des salariés de la société Prosodie au sein de l’Ues Capgemini.
Par lettre datée du 10 février 2017, l’employeur a informé le salarié d’une augmentation de son salaire d’environ 1,5 % se décomposant en 5 998,50 euros bruts de salaire de base pour 136,50 heures mensuelles et 1 080 euros de prime nominale brute, portant la rémunération annuelle brute globale à l’atteinte des objectifs à 73 062 euros.
Le 16 février 2017, les parties ont signé un avenant au contrat de travail prévoyant l’exercice de l’activité professionnelle deux jours par semaine en télétravail et deux jours et demi par semaine sur le site de rattachement à [Localité 5], l’avenant précisant : ‘Vous ne travaillez pas le mercredi-après-midi comme convenu dans votre contrat de travail / avenant’.
Par lettre datée du 18 août 2020, le salarié, par l’intermédiaire de son conseil, a sollicité auprès de l’employeur un rappel de salaire sur les trois dernières années à 100 % de sa rémunération conformément à l’avenant du 8 avril 2013.
Par lettre datée du 21 décembre 2020, le salarié a pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur en invoquant le non-paiement d’une partie des salaires.
Au moment de la rupture du contrat de travail, le salarié percevait une rémunération moyenne mensuelle brute de 6 013,07 euros.
Le 10 février 2021, [L] [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt afin de faire produire à sa prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’obtenir la condamnation de la société Odigo au paiement d’un différentiel de salaire, de dommages et intérêts pour travail dissimulé, ainsi que de diverses indemnités au titre de la rupture du contrat de travail.
Par jugement mis à disposition le 12 février 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, les premiers juges ont :
– dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d’une démission,
– débouté [L] [F] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné [L] [F] à verser à la société Odigo la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné [L] [F] aux éventuels dépens.
Le 11 janvier 2022, [L] [F] a interjeté appel à l’encontre de ce jugement.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (Rpva) le 12 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile, [L] [F] demande à la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions, et, statuant à nouveau, de juger que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail est imputable à l’employeur et sera qualifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamner la société Odigo au paiement des sommes suivantes :
* 21 039,21 euros à titre de différentiel de salaires à compter du 20 décembre 2015 au 20 décembre 2020,
* 40 087,13 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
* 18 039,21 euros à titre d’indemnité de préavis,
* 1 803,92 euros à titre d’indemnité de congés payés sur préavis,
* 48 104,56 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 36 078,42 euros à titre d’indemnisation pour travail dissimulé,
* 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– assortir ces sommes des intérêts au taux légal,
– condamner l’employeur aux entiers dépens dont le montant sera recouvré par maître Mélina Pedroletti, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 13 juin 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Odigo demande à la cour, à titre principal, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, et, à titre subsidiaire, de juger que la demande de rappel de salaire ne peut excéder 3 ans, de limiter sa condamnation aux sommes de 12 026,14 euros bruts à titre de rappel de salaire et de 18 039,21 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en tout état de cause, de condamner [L] [F] à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
Une ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 10 janvier 2023.
MOTIVATION
Sur la demande de rappel de salaire
Le salarié fait valoir que les avenants au contrat de travail sont irréguliers et contreviennent à la loi en ce qu’ils ont eu pour conséquence d’augmenter le nombre de jours de travail sans pour autant les lui payer dans leur intégralité, ayant travaillé 218 jours par an à compter de l’avenant du 8 avril 2013 en n’étant réglé que de 196 jours ; reprenant l’analyse du conseil du comité d’entreprise sur ce point, il soutient avoir été induit en erreur par l’employeur qui lui a présenté le forfait en jours comme une modalité de gestion du temps de travail applicable d’office. Il demande un rappel de salaire correspondant à la différence entre le salaire dû sur la base de 218 jours annuels et le salaire perçu correspondant à 196 jours par an, sur la période du 20 décembre
2015 au 20 décembre 2020, conformément au délai de prescription quinquennale prévu par l’article 2224 du code civil.
La société relève que l’avenant du 8 avril 2013 précise ne pas remettre en cause les aménagements figurant à l’avenant de temps partiel ; qu’il en est résulté en pratique une réduction du temps de travail à 90 % soit un forfait jours réduit à 196 jours figurant sur ses bulletins de paie ainsi que la rémunération correspondante ; que cette durée de travail et sa rémunération étaient en phase avec sa volonté de maintenir des jours de repos le mercredi qu’il posait régulièrement dans le logiciel de saisie des temps ; qu’il ne démontre pas que la signature de l’avenant lui a été imposée ; qu’il est de mauvaise foi, s’abstenant ainsi de demander que sa convention de forfait en jours soit déclarée nulle ou privée d’effet et de produire un décompte de son temps de travail conformément à la durée légale. Elle fait valoir qu’en tout état de cause, une partie de la demande de rappel de salaire est prescrite au regard de la prescription triennale applicable à la demande de paiement de salaire.
En l’espèce, par lettre datée du 27 janvier 2010, l’employeur a répondu favorablement à la demande de temps partiel du salarié représentant un travail tous les jours sauf le mercredi après-midi, soit 31h30 de travail hebdomadaire, soit 136,50 heures de travail par mois ; l’avenant daté du 8 avril 2013 stipule la fixation d’un forfait à 217 jours travaillés par an plus un jour au titre de la journée de solidarité dans le cadre de l’accord de l’Ues Capgemini sur les 35 heures, ainsi que : ‘le présent avenant ne remet pas en cause les aménagements figurant dans votre avenant de temps partiel’ ; l’avenant au contrat de travail prévoyant un télétravail précise par ailleurs que le salarié ne travaille pas le mercredi après-midi ; les bulletins de paie produits devant la cour mentionnent un forfait annuel de 196 jours travaillés et une rémunération forfaitaire pour 196 jours travaillés.
Il est certain que les pièces contractuelles stipulent un forfait annuel de 217 jours annuels travaillés plus un jour de solidarité et non un forfait de 196 jours travaillés qui a été appliqué au salarié.
L’avenant du 8 avril 2013 précisant que les aménagements figurant à l’avenant de temps partiel ne sont pas remis en cause, présente une incohérence en ce qu’il renvoie à un avenant prévoyant une durée horaire de travail par semaine et par mois, alors qu’il fixe un forfait de jours de travail par an, sans référence à une durée hebdomadaire ou mensuelle en heures.
Dans la mesure où les aménagements relatifs à un travail à temps partiel ne sont pas stipulés par l’avenant au contrat de travail du 8 avril 2013, il convient de prendre en considération les seules dispositions contractuelles stipulées de manière claire, soit le forfait annuel de 217 jours travaillés plus un jour de solidarité.
Le salarié forme une demande de rappel de salaire sur la base de 218 jours de travail conformément aux dispositions contractuelles alors que l’employeur l’a rémunéré sur la base de 196 jours de travail par an.
Il convient de faire droit à sa demande de rappel de salaire, qui sera cependant limitée à la période non prescrite comprise entre le 20 décembre 2017 et le 20 décembre 2020, en application des dispositions de l’article L. 3245-1 du code du travail prévoyant que la demande en paiement de salaire peut porter sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat de travail, soit la somme de 12 026,14 euros, suivant le calcul exact proposé par le salarié, non contesté par l’employeur.
La société sera par conséquent condamnée à payer la somme sus-mentionnée au salarié.
Il est rappelé que les créances de nature salariale produisent des intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation de la société devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes.
Le jugement sera infirmé sur ces points.
Sur l’indemnité forfaitaire au titre du travail dissimulé
Le salarié forme une demande d’indemnité forfaitaire au titre d’un travail dissimulé en invoquant le non-paiement par l’employeur d’un ‘nombre d’heures de travail certain’ non payées par l’employeur.
Toutefois, outre le salarié n’apporte aucun élément permettant de retenir une dissimulation par l’employeur des heures de travail effectivement accomplies, le litige relève d’une mauvaise application de dispositions contractuelles par l’employeur en raison de leur incohérence, ce qui ne suffit pas à retenir un élément intentionnel de la part de l’employeur dans le non-paiement des heures effectuées par le salarié.
Il convient de débouter le salarié de sa demande de ce chef et de confirmer le jugement sur ce point.
Sur la prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur et ses effets
Au soutien de sa prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur, le salarié invoque le non-paiement de l’intégralité des salaires par l’employeur et demande à ce que sa prise d’acte de la rupture du contrat de travail produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La société fait valoir que le manquement allégué n’est pas établi, qu’en sept ans, le salarié n’a jamais émis la moindre observation sur sa durée de travail et sa rémunération ; que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié doit produire les effets d’une démission, comme retenu par les premiers juges.
Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les manquements invoqués empêchaient la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, d’une démission ; que la charge de la preuve des faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur à l’appui de sa prise d’acte pèse sur le salarié.
Il ressort des éléments produits aux débats qu’une convention de forfait annuel en jours a été appliquée au salarié, conformément à un avenant au contrat de travail à compter du 8 avril 2013, sans que le salarié n’invoque de vice du consentement à la signature, mais que pour autant celui-ci a continué à travailler selon les modalités afférentes à son temps partiel de 136,50 heures de travail par mois résultant d’un précédent avenant au contrat de travail, correspondant à un travail tous les jours de la semaine, moins une demi-journée, et que l’employeur l’a rémunéré sur la base d’un forfait de 196 jours travaillés par an.
Le salarié n’a pas élevé de contestation sur sa durée de travail et sa rémunération jusqu’en décembre 2020.
Le salarié produit un document qu’il présente comme un rapport du conseil de l’employeur au comité d’entreprise, sans en justifier cependant, constituant une analyse juridique du temps de travail appliqué et rémunéré au salarié sur la base des divers documents contractuels existants sur la base principale duquel celui-ci a pris acte de la rupture du contrat de travail.
Le manquement de l’employeur invoqué par le salarié résulte d’une application incohérente de dispositions contractuelles entrant en contradiction les unes avec les autres qui s’est révélée à la suite de la consultation juridique alléguée par le salarié.
Dans ces conditions, ce manquement n’empêchait pas la poursuite du contrat de travail du salarié.
La prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié produit par conséquent les effets d’une démission.
Le salarié sera débouté de toutes ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail et le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Eu égard à la solution du litige, le jugement sera infirmé en ce qu’il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.
La société Odigo sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel qui pourront être recouvrés par maître Mélina Pédroletti, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, et à payer au salarié la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement en ce qu’il a débouté [L] [F] de sa demande de rappel de salaire et en ce qu’il statue sur les intérêts, les dépens et les frais irrépétibles,
CONFIRME le jugement pour le surplus des dispositions,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la société Odigo à payer à [L] [F] la somme de 12 026,14 euros à titre de rappel de salaire,
RAPPELLE que les créances de nature salariale produisent des intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation de la société Odigo devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt,
CONDAMNE la société Odigo aux entiers dépens qui pourront être recouvrés par maître Mélina Pédroletti, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Odigo à payer à [L] [F] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE les parties des autres demandes,
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Isabelle FIORE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,