Télétravail : 1 juin 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/01722

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Télétravail : 1 juin 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/01722
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1 juin 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/01722

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 01 JUIN 2023

N° RG 21/01722 – N° Portalis DBV3-V-B7F-URQV

AFFAIRE :

[C] [F] épouse [K]

C/

Association LEONARD DE VINCI

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Avril 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 18/01944

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Bruno GAMBILLO

Me Hélène DE SAINT GERMAIN SAVIER de la SELARL CVS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE PREMIER JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [C] [F] épouse [K]

née le 08 Décembre 1979 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Bruno GAMBILLO, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2566

APPELANTE

****************

Association LEONARD DE VINCI

N° SIRET : 402 850 226

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Hélène DE SAINT GERMAIN SAVIER de la SELARL CVS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0098 substitué par Me Hugo MARQUIS, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 05 Avril 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,

Par contrat de travail à durée indéterminée du 3 janvier 2008, Mme [K] a été embauchée par l’association Léonard de Vinci en qualité d’assistante de direction. En dernier lieu, la salariée a occupé les fonctions de chargée des partenariats statut cadre intégré.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale de l’enseignement privé hors contrat. L’association est un établissement d’enseignement supérieur comptant au moins 11 salariés.

Le 31 mars 2017, Mme [K] a été victime d’un malaise sur son lieu de travail, suite auquel elle a été placée en arrêt de travail.

Par jugement du 7 avril 2020, le tribunal judiciaire de Pontoise a estimé que l’accident survenu revêtait la qualification d’accident du travail.

Le 22 octobre 2020, Mme [K] a saisi le tribunal judiciaire de Pontoise d’une demande de reconnaissance de faute inexcusable, lequel ne s’est pas encore prononcé.

Par requête reçue au greffe le 7 septembre 2018, Mme [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail et le versement de diverses sommes, notamment au titre de faits de harcèlement moral.

Par jugement du 16 avril 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Nanterre a :

– Dit et jugé que Mme [K] n’a fait l’objet d’aucun harcèlement moral,

– Débouté Mme [K] de l’intégralité de ses demandes,

– Débouté les parties du surplus de leurs demandes,

– Laissé à la charge des parties les éventuels dépens.

Par déclaration au greffe du 4 juin 2021, Mme [K] a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 14 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, Mme [K] demande à la cour de :

– Infirmer en toutes ses dispositions le 16 avril 2021 par le conseil de Prud’hommes de Nanterre.

Statuant à nouveau, juger que Madame [K] a subi des agissements constitutifs de harcèlement moral, dans le cadre de sa relation de travail au sein de l’association Léonard de Vinci.

– Juger que l’Association Léonard de Vinci a manqué à son obligation de sécurité au préjudice de Madame [K].

– Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [K].

– Juger que la rupture du contrat de travail de Madame [K] est nulle.

– Condamner l’association Léonard de Vinci au paiement des sommes suivantes :

*Indemnité de préavis 8.709,99 euros

*Congés payés sur préavis 870,99 euros

*Indemnité spéciale de licenciement (à titre principal ; à parfaire) 33.678,61 euros

*Indemnité conventionnelle de licenciement (à titre subsidiaire ; à parfaire) 14.516,65 euros

*Dommages et intérêts pour nullité de la rupture 69.679 euros

*Congés payés acquis à la date de la rupture 12.507 ,97 euros

*Article 700 du code de procédure civile 5.000 euros.

– Ordonner, sous astreinte de 100 euros par document et par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, à l’employeur la délivrance des documents suivants :

*Certificat de travail du 3 janvier 2008 jusqu’à la date de résiliation,

*Solde de tout compte mentionnant l’ensemble des indemnités de rupture, rappels de salaire et solde de congés payés acquis mais non pris,

*Attestation destinée à Pôle Emploi, rectifiée et conforme à la décision à intervenir,

– Ordonner à l’association Léonard de Vinci de communiquer le compte-rendu d’enquête interne relatif à la situation de harcèlement moral subi par Madame [K].

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 21 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, l’association Léonard de Vinci demande à la cour de :

A titre principal

– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre du 16 avril 2021 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

– Prendre acte que Madame [K] abandonne sa demande au titre du rappel de prime d’objectifs,

– Juger que Madame [K] ne démontre pas qu’elle aurait été l’objet de faits de harcèlement moral,

– Juger que l’Association a bien respecté son obligation de sécurité,

– Juger que l’Association n’a commis aucun manquement,

– Rejeter la demande de résiliation judiciaire de Madame [K] aux torts de l’Association,

– Débouter Madame [K] de l’intégralité de ses demandes,

– Condamner Madame [K] à payer à l’Association Léonard de Vinci la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– Condamner Madame [K] aux entiers dépens.

A titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour venait à infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre du 16 avril 2021 et faire droit à la demande de résiliation du contrat de travail de Mme [K].

– Prendre acte que Madame [K] abandonne sa demande au titre du rappel de prime d’objectifs,

– Juger que Madame [K] est mal fondée à solliciter le versement de l’indemnité spéciale de licenciement prévue par l’article L1226-14 du code du travail.

– Juger que Madame [K] ne justifie à aucun moment de la réalité du préjudice subi et du quantum sollicité,

En conséquence,

– Débouter Madame [C] [K] de sa demande au titre de l’indemnité spéciale de licenciement et fixer l’indemnité de licenciement à lui régler à la somme de 10.258,15 euros.

– Réduire les prétentions de Madame [K] au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et limiter le montant de l’indemnisation de Madame [K] à 3 mois de salaires bruts, soit à la somme de 8 056,14 euros,

– Débouter Madame [C] [K] du surplus de ses demandes.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 22 mars 2023.

SUR CE,

Sur l’exécution du contrat de travail’:

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

Selon l’article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ;

Selon l’article L.1152-3 du même code, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul ;

Vu les articles L1152-1 et L1254-1 du code du travail,

Il résulte de ces textes que lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral ; dans l’affirmative, il appartient à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

En l’espèce, Mme [K] fait valoir qu’elle a subi un harcèlement moral, avec une nette dégradation de ses conditions de travail, ayant entraîné de lourdes conséquences sur son état de santé et sur son avenir professionnel ; elle précise que la dégradation de ses conditions de travail est la conséquence des faits suivants : l’acharnement qu’elle a subi de la part de sa supérieure hiérarchique, Mme [H], avec laquelle elle a eu de nombreuses altercations, ajoutant qu’elle l’a mise à l’écart et lui a envoyé des mails de reproches virulents ;

Pour étayer ses affirmations, elle verse notamment aux débats des attestations de collègues de travail, des échanges de mails et des pièces médicales ;

Elle produit ainsi en particulier :

– des attestations de Mme [S] et de Mme [U], évoquant une « une altercation d’une rare violence orale et totalement inhabituelle en réunion de service », la « violence des propos et l’intensité du ton adopté » par Mme [H], sans toutefois apporter de précision quant aux propos tenus, ou le fait qu’en janvier 2017 lors d’une formation, lorsque Mme [K] avait indiqué être souffrante et ne pas pouvoir parler Mme [H] lui avait «rétorqu[é]: « si je me souviens bien, tu étais déjà malade l’année dernière, étrange, non ‘ », ce qui était faux d’après elles, et le fait que Mme [H] « l’avait écartée de certaines rdv professionnels » ou lui « envoyait des mails de reproches » et de Mme [U],

– l’ordre du jour de la réunion du 13 mars 2017 intégrant la réorganisation d’un point qui la concernait :

« 5) Devinci Partners : réorganisation de l’encadrement des Pôles ».

Nouveauté : il y aura des référents dans l’équipe DPE pour encadrer chaque Pôle et plus une seule personne »,

– un courriel relatif à sa mise en télétravail à la demande de sa supérieure hiérarchique : « [A], suite à ta demande, je me suis rapprochée d'[M] pour l’informer que je travaillerai à domicile mercredi et jeudi comme convenu ensemble (‘) »,

– un mail du 28 mars 2017 de sa supérieure hiérarchique répondant à sa demande de dates pour organiser un rendez-vous qu’elle allait « recevoir DCNS avec [O]» et « prenons le relais pour fixer le RDV »,

– un mail du 31 mars 2017 de sa supérieure hiérarchique demandant à un collègue de  «  retravailler » le texte qu’elle avait transmis,

– un autre mail de Mme [H], également du 31 mars 2017, lui demandant d’anticiper les dossiers en cas de départ en congés et qu’« à l’avenir, je te demande un point sur l’ensemble des dossiers que tu gères avec, ce qui n’a pas pu être fait, ce qui reste à faire et ce qui est en cours et ce suffisamment tôt »,

– une fiche d’intervention sanitaire relative à son « malaise » le 31 mars 2017 sur son lieu de travail, des arrêts de travail prolongés à la suite de ce malaise, un certificat d’un psychiatre évoquant, selon les dires de sa patiente, « des troubles paniques avec attaques de panique depuis quelques mois suite à un conflit au travail », une notification de pension d’invalidité la concernant daté du 30 mai 2020, un jugement du 7 avril 2020 du tribunal judiciaire de Pontoise retenant que l’accident survenu revêtait la qualification d’accident du travail, la reconnaissance le 2 juillet 2020 par la CPAM du Val d’Oise du caractère professionnel de l’accident du 31 mars 2017 et le 4 août 2020 par le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) de cette origine professionnelle ;

– un courrier de M. [I] évoquant avoir été « confronté à plusieurs reprises à des scènes de pleurs peu communes dans un contexte professionnel, des collègues poussés à bout par Mme [H] et qui perdent pied totalement face à son attitude extrêmement dévastatrice. (…) »,

– son propre mail du 30 mars 2017 dénonçant à la directrice des ressources humaines, la dégradation de ses conditions de travail en ces termes :

« (‘)

– La pression que je ressens

– La mise à l’écart

– La sensation d’avoir comme une « Épée de Damoclès » au-dessus de ma tête de la part de [A] [H], (‘)

– Que je me suis sentie humiliée lorsque [A] a dit que « dans 95% des cas je ne prends pas de note de ce qui m’est dit et que je ne fais que ce que je veux » (‘)

Aujourd’hui je suis épuisée, à bout de force et affectée moralement et physiquement par ce comportement, cette manière de communiquer, cette ambiance pesante qui règne, les reproches (trop souvent) de notre manque de compréhension, de bon sens devant les uns et les autres, les changements des méthodes de travail dites selon elle « oralement » et pour lesquels nous n’aurions pas pris de note’

(…) c’est aussi un appel au secours pour remédier à cette situation, (…) »’;

La salariée établit ainsi l’existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre ;

L’association Léonard de Vinci, après avoir rappelé que Mme [H] est devenue la supérieure hiérarchique de Mme [K] à compter du 1er décembre 2015 et que jusqu’au mois de décembre 2016 leur relation professionnelle se déroulait de façon satisfaisante, ce qui ressort de l’entretien annuel individuel d’évaluation du 7 décembre 2016 dans lequel la salariée décrivait des « missions très épanouissantes » et ajoutait: « je suis ravie de mon poste actuel et de l’apprentissage transmis par [A] [H], que je remercie », souligne à juste titre qu’elle ne pouvait anticiper l’absence de Mme [K] à la réunion de service du 13 mars 2017 et qu’en tout état de cause cette absence ne pouvait justifier qu’un point concernant l’organisation du service partenariats ne soit pas abordé ; de même le courriel de la salariée évoquant que « suite à ta demande, je me suis rapprochée d'[M] pour l’informer que je travaillerai à domicile mercredi et jeudi comme convenu ensemble (‘) » révèle seulement que Mme [K] s’est rapprochée de M. [M] pour déterminer quels jours seraient télétravaillés et non une obligation non partagée sur le principe d’un télétravail partiel, le récit de Mme [U] faisant bien état de ce que ce télétravail avait été « accordé » – et non imposé – par Mme [H] à Mme [K] ; l’association intimée relève aussi justement que Mme [K] procède par affirmation lorsqu’elle invoque un retrait de sa mission de référente principale de l’association De Vinci Partners, que sa supérieure hiérarchique a spécifiquement repris la gestion du dossier partenaire après le premier échange de mails réalisé par Mme [K] sans qu’il soit établi qu’il était prévu que cette dernière le suive personnellement, que la redirection du travail sur les Workshop était justifiée par des problèmes de coordinations rencontrés entre Devinci Partners, l’ESILV et la DPE et de manière plus générale que l’attribution des tâches au sein de l’équipe relevait du pouvoir de direction de l’employeur ; de même l’employeur justifie que le 31 mars 2017, Mme [H] n’a pas remis en cause le travail de Mme [K], laquelle avait envoyé le 31 mars 2017 le projet de « Save the Date » à sa supérieure en précisant « je n’ai pas réussi maîtriser l’outil. Voici donc la version en texte » , Mme [H] lui précisant seulement en réponse que « la forme du texte » ne convenait pas et que sa « forme visuelle » serait par suite retravaillée par un collègue, sans que sa réponse n’ait de caractère dénigrant ; en outre, le rappel effectué par Mme [H] des modalités de prise de congés ainsi que des règles d’organisation de nature à assurer dans ce contexte la qualité et la continuité du service au sein du département, au mois de janvier 2017, constituait un motif explicatif objectif légitime ;

L’employeur démontre ainsi que les faits matériellement établis par Mme [K] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à un harcèlement moral ;

Le jugement est ainsi confirmé en ce qu’il a retenu que le harcèlement moral n’était pas établi ;

Sur l’obligation de sécurité

L’article L.4121-1 du code du travail fait obligation à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et dispose que ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés ;

L’employeur qui a connaissance de l’existence éventuelle de faits de harcèlement peut se voir reprocher une abstention fautive s’il s’abstient d’effectuer les enquêtes et investigations qui lui auraient permis d’avoir la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits et de prendre les mesures appropriées ;

Mme [K] invoque des manquements de l’association relatifs à son Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels (DUERP) et à son obligation de diligenter une enquête la concernant suite à sa dénonciation des faits susvisés auprès de la direction ;

Les risques psycho-sociaux sont mentionnés au sein du Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels (DUERP) de l’association Léonard de Vinci produit aux débats ;

Si la directrice des ressources humaines a reçu Mme [K] en entretien le 30 mars 2017, à la demande de Mme [H], c’est à l’issue de son entretien que Mme [K] a relaté par écrit qu’elle subissait des pressions, tentatives de mise à l’écart et déstabilisation de la part de sa supérieure hiérarchique ;

Mme [K] se réfère à son « appel à l’aide » écrit circonstancié, outre à son malaise sur son lieu de travail le 31 mars 2017 revêtant la qualification d’accident du travail et fait valoir qu’aucune enquête n’a été réalisée suite à sa dénonciation des faits et que ce n’est que suite aux dénonciations d’une autre salariée, Mme [B] qu’une enquête a été diligentée, que l’enquête réalisée ne répondait pas aux préconisations du CHSCT et a été conduite tardivement et partialement ;

Il ressort du procès-verbal du CHSCT extraordinaire tenu le 6 avril 2017 que cette instance a évoqué les faits de harcèlement dénoncés par Mme [B] mais aussi les faits dénoncés par Mme [K] ; en effet, le procès-verbal mentionne à la fois « la salariée qui a saisi le CHSCT pour des faits qu’elle qualifie de harcèlement, revenue au Pôle le 27 mars d’un an de longue maladie. (‘) » mais aussi «une autre salariée du service DPE [qui] s’est sentie mal et a fait un malaise le vendredi 31 mars 2017 à l’heure du déjeuner. Elle a été transportée à l’hôpital par les pompiers (‘)» et ajoute que «la deuxième salariée lui a indiqué avoir été reçue par la DRH le 29 mars, à l’initiative de cette dernière pour évoquer les règles de prise de congés et qu’à cette occasion elle s’est plainte oralement et par écrit de ses conditions de travail et de pressions subies.

A la suite de ces rappels, les membres du CHSCT décident de l’ouverture d’une enquête paritaire dans le cadre de l’article L. 4614-6 du code du travail à la suite d’incidents graves et répétés susceptibles d’entraîner des risques graves pour la santé de certains salariés au sein du service DPE » ;

Mme [K] souligne, sans être contredite, que l’enquête n’a toutefois porté que sur les faits dénoncés par Mme [B] ;

La convocation qu’elle produit vise, en ce sens : « Dans le cadre de l’enquête interne mise en place par la Direction suite à la dénonciation de Madame [Y] [B] de faits de harcèlement moral » ;

Le « compte-rendu d’enquête » qu’elle produit vise également les difficultés rencontrées par « Mme [B] dans le cadre de ses fonctions avec sa supérieure hiérarchique, Mme [H] » ;

En outre, elle produit un compte-rendu d’audition d’une salariée, en date du 21 juin 2017 menée par la directrice des ressources humaines, portant toujours sur les faits dénoncés par Mme [B], alors que le 19 mai 2017 le CHSCT avait voté le recours à un cabinet d’expertise et souligne que les auditions n’ont été conduites qu’à partir du 19 juin 2017 soit près de 3 mois après sa propre dénonciation des faits ; il en de même s’agissant de l’audition de Mme [H] versée aux débats par l’association ;

Il est rappelé que les arrêts de travail initiaux de Mme [K] ont été prolongés de sorte que celle-ci n’a pas repris le travail ;

Compte tenu de ces éléments, le manquement de l’association à son obligation de sécurité vis-à-vis de Mme [K] est établi ; le jugement est infirmé sur ce point ;

Sur la rupture du contrat de travail :

Le contrat de travail peut être rompu à l’initiative du salarié en raison de faits qu’il reproche à son employeur ; il appartient au juge, saisi par le salarié d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail d’apprécier s’il établit à l’encontre de l’employeur des manquements suffisamment graves pour justifier cette mesure ; dans ce cas, la résiliation judiciaire du contrat de travail, prononcée aux torts de l’employeur, produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; au contraire, la rupture du contrat de travail est imputable au salarié dès lors que les faits invoqués par ce dernier à l’appui de sa demande ne sont pas établis et qu’il a rompu le contrat de travail à son initiative sans justifier d’aucun manquement de l’employeur à ses obligations ;

L’obligation de sécurité pesant sur l’employeur de veiller à la santé et la sécurité de ses salariés, lui impose, lorsqu’il constate que l’exécution du contrat de travail présente un risque pour la santé de l’un d’eux, de prendre les mesures visées par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail nécessaires à la préserver ;

En ne prenant pas de mesure d’enquête apte à appréhender la situation de souffrance exprimée par l’intéressée, matérialisée par des circonstances précises, et à y remédier, l’employeur a manqué à son obligation de sécurité et ce manquement a été de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail ;

Ce manquement de l’employeur à son obligation de sécurité produit les effets, non d’un licenciement nul, mais d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; le jugement est infirmé en ce qu’il a rejet la demande de résiliation judiciaire ;

Sur les conséquences financières

A la date de la rupture du contrat de travail, Mme [K] avait une ancienneté de 15 ans au sein de l’association qui employait de façon habituelle au moins 11 salariés ;

Mme [K] n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration d’inaptitude, elle ne peut prétendre à une indemnité spéciale de licenciement ; le jugement est confirmé sur ce point ;

Elle revendique à titre subsidiaire une indemnité conventionnelle de licenciement de 14 516,65 euros ;

L’article 2.2.1 de l’Accord collectif d’entreprise relatif au statut collectif du personnel de l’Association Léonard de Vinci prévoit que :

« Sauf le cas d’un licenciement pour faute grave ou lourde, l’Association verse au salarié licencié une indemnité correspondante à 0,35ème de mois par année complète d’ancienneté, le total de l’indemnité de licenciement ne pouvant excéder cinq (5) mois de salaire bruts, sous réserve d’un calcul plus favorable de l’indemnité légale de licenciement.

Pour le calcul de l’indemnité de licenciement, le salaire de référence à prendre en considération est soit le douzième de la rémunération afférente aux douze derniers mois précédant la notification du licenciement (hors prime exceptionnelle), soit, si ce mode de calcul est plus favorable au salarié, le tiers de la rémunération afférente aux trois derniers mois précédant la notification du licenciement (hors prime exceptionnelle). » ;

Il est fait droit à sa demande en lui allouant, sur la base d’un salaire brut moyen de 2 903,33 euros, la somme de 14 516,65 euros ;

Il est aussi fait droit à ses demandes d’indemnité de préavis pour la somme de 8.709,99 euros brut, sur la base de 3 mois de salaire, et de 870,99 euros brut à titre de congés payés sur préavis ;

En application de l’article L1235-3 du code du travail et indépendamment de l’action engagée par Mme [K] et toujours en cours en reconnaissance d’une faute inexcusable de son employeur, cette dernière peut également prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

L’article L. 1235-3 du code du travail issu de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 publiée le 23 septembre 2017 prévoit, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et si la réintégration n’est pas demandée et acceptée, une indemnisation à la charge de l’employeur dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau produit, soit pour une ancienneté telle que celle de Mme [K], une indemnité minimale de 3 mois de salaire brut et une indemnité maximale de 13 mois de salaire brut ;

Au-delà de cette indemnisation minimale, et tenant compte notamment de l’âge, de l’ancienneté de la salariée et de sa situation médicale, il convient de condamner l’employeur au paiement d’une indemnité totale de 25 000 euros à ce titre ;

Mme [K] demande par ailleurs le paiement de la somme de 12 507,97 euros à titre de congés payés non pris, sur la base de 103,62 jours ;

Le bulletin de salaire du mois de juillet 2017 auquel elle se réfère mentionne un solde de congés payés de 32,12 jours au titre de l’année N, de 22 jours au titre de l’année N-1, outre 26,50 jours au titre du CET ; elle a continué à acquérir des congés payés jusqu’en mars 2018.

Le dernier bulletin de paie produit aux débats, soit le bulletin de salaire du mois de septembre 2022, mentionne un solde de congés payés de 64 jours au titre de l’année N-1, outre 16,50 jours au titre du CET ;

Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a rempli le salarié de ses droits à congés et les bulletins de paie, établis unilatéralement par ses soins ne permettent pas à eux seuls de rapporter cette preuve.

Il est alloué en conséquence à Mme [K] la somme de 12 507,97 euros brut au titre des congés payés non pris ;

Sur les autres demandes

Il y a lieu d’enjoindre à l’association Léonard de Vinci de remettre à Mme [K], dans le mois suivant la signification du présent arrêt, l’attestation pôle emploi, le solde de tout compte et le certificat de travail rectifiés ;

Le prononcé d’une astreinte ne s’avère pas nécessaire ;

La demande d’ordonner à l’association Léonard de Vinci de communiquer le compte-rendu d’enquête interne relatif à la situation de harcèlement moral subi par Madame [K] apparaît à ce stade sans objet ;

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée de ces deux chefs et par application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de l’association Léonard de Vinci ;

La demande formée par Mme [K] au titre des frais irrépétibles en cause d’appel sera accueillie, à hauteur de 3 000 euros ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a retenu que le harcèlement moral n’était pas établi et rejeté la demande d’indemnité spéciale de licenciement,

L’infirme pour le surplus,

Statuant de nouveau des dispositions infirmées et y ajoutant,

Dit que l’association Léonard de Vinci a manqué à son obligation de sécurité au préjudice de Mme [K],

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [K].

Dit que la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [K] produit les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne l’association Léonard de Vinci à payer à Mme [C] [F] épouse [K] les sommes suivantes :

– 14 516,65 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 8.709,99 euros brut à titre d’indemnité de préavis et 870,99 euros brut à titre de congés payés sur préavis,

– 25 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 12’507,97 euros brut au titre des congés payés non pris,

– 3 000 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles de procédure,

Ordonne à l’association Léonard de Vinci de remettre à Mme [C] [K], dans le mois de la notification de la présente décision, le solde de tout compte, le certificat de travail et l’attestation Pôle emploi rectifiés,

Dit n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte,

Déboute les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires,

Condamne l’association Léonard de Vinci aux dépens de première instance et d’appel.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,

 


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