Tatouages : 26 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/07172

·

·

Tatouages : 26 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/07172
Ce point juridique est utile ?

République française

Au nom du Peuple français

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 1

ORDONNANCE DE CONTESTATION DE FUNÉRAILLES

DU 26 AVRIL 2023

(n° 1 , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/07172 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHPI4

Demande en matière de funérailles contre une décision rendue par la Juridiction de proximité de VILLEJUIF du 25 Avril 2023 – RG N° 11-2300529

Nature de la décision : CONTRADICTOIRE

NOUS, Rachel LE COTTY, Conseillère, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assistée de Marie GOIN, Greffière.

Statuant sur le recours formé par :

Appelantes:

Madame [K] [H] épouse [C]

domiciliée AU CABINET CONVERGENCES SOCIETES D’AVOCATS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Madame [B] [F] [C]

domiciliée AU CABINET CONVERGENCES SOCIETE D’AVOCATS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Madame [S] [M]

domiciliée AU CABINET CONVERGENCES SOCIETE D’AVOCATS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Madame [N] [D] [Z] [C]

domiciliée AU CABINET CONVERGENCES D’AVOCATS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Madame [L] [X] [V] [C]

domiciliée AU CABINET CONVERGENCES SOCIETE D’AVOCATS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Madame [A], [E] [G] épouse [P] [R]

domiciliée AU CABINET CONVERGENCES D’AVOCATS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Assistées par Me Félicité Esther ZEIFMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : A0914

à l’encontre de :

Intimée :

Madame [Y] [J]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Comparante

Assistée Me Laurent ABSIL de la SELARL ACTIS AVOCATS, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 1

En présence du Ministère Public, représenté par Madame Marie-Daphné PERRIN, substitute générale

*****

[U] [W], né le 21 mars 1996 à [Localité 5], [Localité 6] (Cameroun), est décédé le 3 mars 2023 à l’hôpital du [Localité 7] (Val-de-Marne) des suites d’un accident survenu le 15 janvier 2023 lors d’un match de football, après une période de coma végétatif.

Par acte du 20 avril 2023, Mmes [K] [H], [B] [C], [S] [M], [N] [Z] [C], [L] [V] [C] et [A] [G], respectivement mère, soeurs et tante du défunt, ont assigné Mme [J], la compagne de celui-ci, devant le tribunal de proximité de Villejuif afin de voir désigner Mme [K] [H] comme la personne la mieux qualifiée pour organiser les funérailles de son fils.

Par jugement du 25 avril 2023, le tribunal de proximité de Villejuif a :

constaté qu’aucune déclaration sur les volontés funéraires d'[U] [W] n’a été versée aux débats par les parties ;

désigné en conséquence Mme [J] comme personne ayant qualité pour déterminer les conditions des funérailles d'[U] [W] et les organiser en conséquence ;

condamné chaque partie à assumer la charge des dépens qu’elle a exposés.

Par déclaration du 25 avril 2023, Mmes [K] [H], [B] [C], [S] [M], [N] [Z] [C], [L] [V] [C] et [A] [G] ont interjeté appel de cette décision.

Les parties ont été convoquées à l’audience du 26 avril 2023 à 14 heures 30 devant le délégataire du premier président de la cour d’appel.

Aux termes de leurs conclusions déposées et développées oralement à l’audience, les appelantes demandent l’infirmation du jugement entrepris et la désignation de Mme [K] [H], mère du défunt, en qualité de personne la mieux qualifiée pour l’interprétation et l’exécution de la volonté présumée de celui-ci ainsi qu’en qualité de personne à laquelle doit être réservé le droit de fixer le lieu et le mode de sépulture d'[U] [W].

Elles font valoir, pour l’essentiel, que la question de l’enterrement au Cameroun du défunt ne souffrait aucune discussion jusqu’à ce que Mme [J] décide unilatéralement du contraire en imposant à la famille vivant au Cameroun une date incompatible avec le déplacement en France. Elles soutiennent que les conditions imposées par Mme [J] relèvent de considérations pratiques pour elle et d’une volonté d’écarter la famille du défunt, sans refléter les dernières volontés de celui-ci, estimant de surcroît qu’elle fait preuve de mauvaise foi et d’inconsistance.

Elles ajoutent qu'[U] [W] était proche de ses parents et de ses soeurs, dont il avait tatoué les initiales sur son torse, et que Mme [K] [H], sa mère, unique ayant droit du défunt, doit être désignée comme personne la mieux qualifiée pour interpréter et exécuter sa volonté, laquelle était d’être inhumé au Cameroun.

Aux termes de ses conclusions déposées et développées oralement à l’audience, Mme [J] demande la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, le rejet des demandes des appelantes et leur condamnation aux dépens d’appel.

Elle expose, pour l’essentiel, qu’elle vivait en concubinage notoire avec [U] [W] depuis quatre ans avant son décès et que, bien qu’extrêmement affectée par l’accident, le coma puis le décès, elle a informé la famille de la succession de ces événements et de la façon dont elle allait organiser ses funérailles, impliquant notamment le mieux possible la mère de son compagnon. Elle précise qu’elle a dû gérer seule la période d’hospitalisation et n’a pas vu un seul membre de la famille vivant au Cameroun pendant cette période douloureuse. Elle soutient que son compagnon, bien que né au Cameroun, voulait vivre en France et y fonder une famille avec elle, choix qui concerne également ses obsèques.

Mme l’avocate générale a conclu oralement à la confirmation du jugement entrepris sur le constat de l’absence de déclaration de volontés funéraires d'[U] [W] mais à son infirmation sur la désignation de Mme [J] comme personne ayant qualité pour déterminer les conditions des funérailles. Se fondant sur l’absence d’opposition initiale de Mme [J] au rapatriement du corps au Cameroun, sur le tatouage « [I] » réalisé par le défunt sur son torse et sur la nécessité pour sa mère et ses soeurs de pouvoir assister aux obsèques et se recueillir sur sa tombe, elle a conclu à la désignation de Mme [K] [H] comme personne ayant qualité pour déterminer les conditions des funérailles.

Les parties ont répliqué oralement aux observations du ministère public.

SUR CE,

Selon l’article 1061-1 du code de procédure civile, il peut être interjeté appel de la décision rendue en matière de contestation des conditions des funérailles dans les vingt-quatre heures devant le premier président de la cour d’appel, qui est saisi sans forme et doit statuer immédiatement. Les parties ne sont pas tenues de constituer avocat. La décision est exécutoire sur minute.

Aux termes de l’article 3 de la loi du 15 novembre 1887, tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture. Il peut charger une ou deux personnes de veiller à l’exécution de ses dispositions. Sa volonté, exprimée dans un testament ou dans une déclaration faite en forme testamentaire, soit par devant notaire, soit sous signature privée, a la même force qu’une disposition testamentaire relative aux biens, elle est soumise aux mêmes règles quant aux conditions de la révocation.

Ces dispositions prévoient la liberté de chacun de déterminer les conditions de ses funérailles par testament ou par une déclaration faite en la forme testamentaire ; même en l’absence d’un tel document, les volontés exprimées par le défunt doivent être respectées. A défaut, lorsque le défunt en état de tester n’a pas exprimé d’intentions à ce sujet, il appartient à ses proches de régler ses funérailles et sa sépulture par interprétation de sa volonté présumée.

En l’espèce, [U] [W] est décédé brutalement à l’âge de 26 ans, sans avoir laissé d’écrit exprimant ses volontés concernant l’organisation de ses obsèques.

Ainsi que l’a relevé le premier juge, les attestations produites par les deux parties sont contradictoires s’agissant de l’interprétation de sa volonté, les unes (attestations des appelantes) certifiant qu’il souhaitait être enterré au Cameroun, les autres (attestations d’amis et membres de la famille en France, produites par l’intimée) estimant qu’il avait fait sa vie en France où il aurait souhaité être inhumé.

La circonstance, invoquée par les appelantes, qu’il se soit fait tatouer les lettres « [I] » sur le torse, correspondant aux initiales des prénoms de son père décédé, de sa mère et de ses soeurs, ne revêt aucune signification quant à sa volonté funéraire.

Aucune des pièces produites ne permet par conséquent de déterminer les dernières volontés du défunt quant à l’organisation de ses obsèques et au lieu de sa sépulture. En présence d’une opposition entre les mère, soeurs et tante du défunt, d’une part, sa compagne, d’autre part, il y a lieu de déterminer la personne la mieux qualifiée pour transmettre ses intentions.

A cet égard, il convient de constater qu'[U] [W] et Mme [J] vivaient en concubinage notoire depuis quatre ans et que, lors de la période d’hospitalisation ayant suivi l’accident tragique, seule Mme [J] a été présente aux côtés de son compagnon, aucune des appelantes ne s’étant présentée une seule fois à l’hôpital et ce, en dépit d’un certificat médical du médecin anesthésiste-réanimateur du 7 février 2023 attestant que l’état de santé d'[U] [W] justifiait la présence de sa mère à son chevet, certificat destiné à faciliter la venue de celle-ci en France.

En l’absence de directives anticipées, Mme [J] a été considérée comme la personne de confiance par l’hôpital du [Localité 7] lors de l’hospitalisation.

Les appelantes ne produisent aucun élément de nature à remettre en cause les liens d’affection unissant Mme [J] à son compagnon jusqu’au jour du décès et la capacité de celle-ci à préserver au mieux la volonté du défunt, alors que cette capacité est relevée par plusieurs des attestations d’amis ou proches versées aux débats.

Il doit être également être relevé qu'[U] [W] vivait en France depuis l’âge de cinq ans, ayant été confié par ses parents à une tante paternelle, et qu’il n’est revenu que trois fois au Cameroun, dont la première fois en 2018 pour les obsèques de son père, puis avec Mme [J] en août 2021 et décembre 2022.

A l’exception de ces séjours, ses seuls contacts avec sa mère et ses soeurs ont donc été des contacts écrits ou téléphoniques, de sorte que celles-ci, en dépit des liens biologiques et de l’affection les unissant au défunt, étaient absentes de son quotidien.

Ayant toujours vécu en France depuis l’âge de cinq ans, [U] [W] y a grandi, fait ses études et trouvé un emploi en qualité d’éducateur. Il avait choisi ce pays pour y vivre et y fonder une famille avec Mme [J], ce que confirment les très nombreuses attestations précises et circonstanciées d’amis et membres de la famille produites par l’intimée.

Ces attestations mettent en évidence son attachement à la France, où il était entouré de nombreux amis et membres de sa famille et où, selon ses propres déclarations reprises par des témoins, « ses racines » se trouvaient. Il est en outre établi qu’il avait déposé une demande de naturalisation auprès de la préfecture du Val-de-Marne en janvier 2022.

Il ne résulte d’aucune des pièces du dossier qu’il ait exprimé la volonté de revenir vivre au Cameroun ou ait fait part de projets dans ce pays.

Enfin, Mme [J] a effectué des démarches en vue de l’organisation des obsèques, tout en prévenant la mère et les soeurs du défunt, sans qu’aucune pièce ne témoigne d’une volonté de les écarter, bien au contraire. Si elle a rappelé aux appelantes, dans leurs échanges postérieurs au décès, la nécessité d’organiser rapidement les funérailles et a pu hésiter sur le lieu dans un contexte douloureux et perturbant, son attitude n’est à l’évidence guidée que par le respect dû à la dépouille, qui impose désormais d’organiser ces funérailles dans les meilleurs délais, le décès ayant eu lieu il y a plus d’un mois et demi.

Dans ces conditions, c’est par des motifs pertinents que le premier juge a retenu que Mme [J] était la plus qualifiée pour traduire la volonté du défunt quant aux modalités d’organisation de ses funérailles.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.

Les appelantes seront tenues aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

Confirmons en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 avril 2023 par le tribunal de proximité de Villejuif ;

Y ajoutant,

Condamnons Mmes [K] [H], [B] [C], [S] [M], [N] [Z] [C], [L] [V] [C] et [A] [G] aux dépens d’appel.

La Greffière

La Conseillère

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x