Sur la validité d’un engagement de caution et le devoir d’information bancaire

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Sur la validité d’un engagement de caution et le devoir d’information bancaire

Le 16 avril 2009, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel sud Méditerranée a accordé un crédit immobilier de 180 780 euros à la SCI Gaduse, avec Mme [A] comme caution solidaire pour un montant de 216 936 euros. Le 18 avril 2018, la SCI a été placée en liquidation judiciaire, et la banque a déclaré sa créance. Après une mise en demeure restée sans réponse, la banque a assigné Mme [A] le 13 juin 2018. Le tribunal a ordonné une expertise, et le 19 avril 2022, il a jugé que Mme [A] était l’auteur de l’acte de cautionnement et a rejeté sa demande de nullité. Elle a été condamnée à payer 139 964,10 euros au Crédit Agricole. Mme [A] a fait appel de ce jugement le 26 mai 2022, demandant la nullité du contrat de prêt et la décharge de son engagement de caution. Le Crédit Agricole a demandé la confirmation du jugement.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

19 septembre 2024
Cour d’appel de Montpellier
RG
22/02851
ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

4e chambre civile

ARRET DU 19 SEPTEMBRE 2024

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 22/02851 – N° Portalis DBVK-V-B7G-PN2S

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 19 avril 2022

Tribunal judiciaire de PERPIGNAN – N° RG 18/02130

APPELANTE :

Madame [F] [A]

née le [Date naissance 1] 1945 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Yann MERIC, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES, avocat postulant et plaidant

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2022/007852 du 27/07/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de MONTPELLIER)

INTIMEE :

Société Caisse régionale de crédit agricole mutuel sud Méditerranée – société coopérative à personnel et capital variables, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PERPIGNAN sous le numéro D 776 179 335

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Julien CODERCH de la SCP SAGARD – CODERCH-HERRE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES, avocat postulant et plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 juin 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :

M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre

M. Philippe BRUEY, Conseiller

Mme Marie-José FRANCO, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Charlotte MONMOUSSEAU

ARRET :

– contradictoire ;

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Charlotte MONMOUSSEAU, Greffière.

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* *

FAITS ET PROCÉDURE

1- Le 16 avril 2009, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel sud Méditerranée (ci-après le ‘Crédit agricole’ ou ‘la banque’) a consenti à la SCI Gaduse un crédit immobilier d’un montant de 180 780 euros productif d’intérêts au taux annuel de 4,5 % et remboursable en 240 mensualités.

2- Par acte du même jour, Mme [J] [A], associée de la SCI Gaduse, s’est portée caution solidaire dans la limite de 216 936 euros et pour une durée de 264 mois.

3- Par jugement en date du 18 avril 2018, le tribunal de commerce de Perpignan a ordonné l’extension à la SCI Gaduse de la procédure de liquidation judiciaire ouverte précédemment à l’encontre de M. [M] [U], associé et gérant de ladite société et a désigné Me [E] [L] en qualité de liquidateur.

La SCI a cessé d’honorer les échéances du prêt.

4- Par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 avril 2018, la banque a déclaré sa créance auprès du liquidateur.

5- Le 22 mai 2018, par lettre recommandée, la banque a mis en demeure Mme [A] en sa qualité de caution, d’avoir à régulariser la situation, sans succès.

6- C’est dans ce contexte que par acte du 13 juin 2018, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel sud Méditerranée a fait assigner Mme [A] aux fins d’obtenir paiement.

7- Par jugement contradictoire et avant dire droit du 7 novembre 2019, le tribunal a ordonné une expertise en écriture et désigné Mme [R] [O], ultérieurement remplacée par Mme [I] [G], pour y procéder.

L’expert a établi son rapport le 23 octobre 2020.

8- Par jugement contradictoire en date du 19 avril 2022, le tribunal judiciaire de Perpignan a :

Jugé que l’écriture, les paraphes et la signature figurant sur l’acte de cautionnement portant la mention de la date pré-imprimée du 16 avril 2009 émanent de Mme [A], que cette dernière en est par conséquent l’auteur et que son consentement à l’engagement de caution a été valablement donné ;

Rejeté la demande de nullité du contrat de prêt et de l’engagement de caution accessoire formée par Mme [A];

Dit que Mme [A] n’est pas déchargée de son engagement de caution solidaire de la SCI Gaduse dans la limite de 216 936 euros ;

Condamné Mme [A] en sa qualité de caution solidaire à payer au Crédit Agricole la somme de 139 964,10 euros majorée des intérêts de retard au taux légal dus par la caution à compter du 25 mai 2018 ;

Rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires ;

Constaté que Mme [A] est bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle à hauteur de 55 % ;

Condamné Mme [A] à payer au Crédit Agricole la somme de 1200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens comprenant les frais d’expertise judiciaire ;

Dit n’y avoir lieu de prononcer l’exécution provisoire.

9- Le 26 mai 2022, Mme [A] a relevé appel de ce jugement.

PRÉTENTIONS

10- Par dernières conclusions remises par voie électronique le 13 mai 2024, Mme [A] demande en substance à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a constaté qu’elle était bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle et, statuant à nouveau, de :

– Constater la nullité du contrat de prêt, en conséquence, dire nul son engagement de caution ;

– Débouter le Crédit agricole de l’intégralité de ses demandes;

– A titre subsidiaire, constater le caractère excessif et disproportionné de l’engagement de caution et décharger Mme [A] de son engagement ;

– A titre infiniment subsidiaire, constater la réalisation des actifs de la SCI Gaduse et l’extinction de la créance principale, constater en conséquence l’extinction de l’engagement de caution,

– Constater qu’elle a sollicité le bénéfice de l’aide juridictionnelle,

– Condamner le Crédit agricole aux entiers dépens de première instance et d’appel et au paiement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

11- Par uniques conclusions remises par voie électronique le 19 août 2022, le Crédit agricole demande en substance à la cour de confirmer le jugement et, y ajoutant, de condamner Mme [A] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les dépens de l’instance.

12- Vu l’ordonnance du clôture du 15 mai 2024.

Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la validité du contrat de prêt

13- Mme [A] poursuit en cause d’appel, comme elle l’avait fait en première instance, la nullité du contrat de prêt cautionné en ce qu’elle n’est ni signataire, ni scripteur de l’acte de prêt et qu’elle ne se souvient pas avoir signé les statuts de la SCI qui lui sont opposés par le premier juge, soutenant que M. [U], gérant, a signé les statuts tout comme il a signé le contrat de prêt.

14- L’expert graphologue, aux termes d’un rapport clair, précis et circonstancié a conclu sans ambages que les statuts du 11 mai 1999 portent en page 18 l’écriture de Mme [A] pour la mention ‘lu et approuvé bon pour acceptation de la fonction de gérant ainsi que sa signature’. Mme [A] qui maintient que M. [U] en serait le signataire aux termes d’une fraude qu’elle dénonce in abstracto ne formule aucune offre de preuve contre ce constat expertal.

15- La cour ne peut, à l’instar du premier juge, que retenir qu’elle est signataire de ces statuts dont l’article 2 conférait au gérant tous pouvoirs pour signer seul un acte entrant dans l’objet social, tel qu’en l’espèce un emprunt immobilier. Il n’existe donc aucune cause de nullité de l’acte de prêt signé par M. [U], co-gérant de la SCI.

Sur le devoir de mise en garde de la banque

16- Le banquier doit non seulement alerter la caution des risques d’endettement encourus par elle à raison de ses capacités financières (Com. 26 janv. 2010, no 08-70.423 ), mais également des risques d’endettement encourus par l’emprunteur lui-même (Com. 15 nov. 2017, no 16-16.790).

17- La banque ne conteste pas que Mme [A] ait été caution non avertie, ce qu’il convient de retenir comme fait constant malgré sa qualité de co-gérante de la SCI.

18- La banque soutient n’être débitrice de ce devoir de mise en garde qu’au regard des risques d’endettement encourus par la SCI, en contrariété avec la jurisprudence précitée.

19- Il n’est pas interdit à Mme [A] de ne pas formuler de demande indemnitaire au titre du non-respect du devoir de mise en garde de la banque qu’elle n’oppose qu’à titre de moyen de défense. Aux termes de moyens mêlant le devoir de mise en garde et la disproportion manifeste de son engagement, elle demande de débouter la banque de ses demandes, sans que l’articulation du dispositif de ses conclusions ne lie irréfragablement cette prétention à la demande précédemment rejetée de nullité du contrat de prêt.

20- Au jour de son engagement de caution, le 16 avril 2009, Mme [A], retraitée, percevait, selon son avis d’impôt sur le revenu 2008 un revenu annuel imposable de 9946 €, soit 828€ mensuels. La banque ne peut lui opposer la valeur de son bien immobilier telle que mentionnée dans la fiche de renseignements confidentiels caution à hauteur de 210 000 € dont l’expert graphologue a conclu qu’elle n’avait été ni remplie ni signée par elle. Un tel document lui est inopposable. Il convient alors de retenir que la maison de village de Mme [A] avait pour valeur la somme de 125 000 € à 135 000 € conformément à l’attestation immobilière établie le 26 décembre 2018, un tel bien ayant tendance à se valoriser plutôt qu’à se déprécier.

21- Il est alors à retenir que Mme [A] ne pouvait avec un revenu mensuel de 828 € faire face à une échéance d’emprunt en supplétif de la SCI à hauteur de 1158,77€ mensuels, pas plus que son patrimoine ne lui permettait de faire face à un engagement de caution à hauteur de 216 936 €.

22- En raison du risque d’endettement encouru par Mme [A] au regard de ses capacités financières appréciées au jour de son engagement de caution, la banque était débitrice d’un devoir de mise en garde.

23- A défaut de justifier avoir mis en garde Mme [A], caution profane, des risques encourus, quand bien même le prêt est apparu conforme à la situation financière de la SCI, la banque sera déboutée de sa demande en paiement et le jugement infirmé en toutes ses dispositions.

24- Partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, la banque supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement,

Infirme le jugement en toute ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déboute la Caisse régionale de crédit agricole mutuel sud Méditerranée de l’ensemble de ses demandes.

Condamne la Caisse régionale de crédit agricole mutuel sud Méditerranée aux dépens de première instance et d’appel.

Condamne la Caisse régionale de crédit agricole mutuel sud Méditerranée à payer à Mme [A] la somme de 2500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier Le Président


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