Une mesure de blocage d’un site internet, que seule l’autorité judiciaire peut prononcer, suppose que soit caractérisée préalablement une atteinte à des droits d’auteur ou à des droits voisins.
Mode de preuve recevable
La FNDF, le SEVN, l’API, l’UPC, le SPI et le CNC ont obtenu en référé le blocage de l’accès à plus de cinquante sites de streaming. Les comparaisons réalisées par les demandeurs des titres d’œuvres indexées par chacun des sites web de la cause avec la base de référence légale publique « IMDB » démontraient que 99% de ces titres correspondent à des titres d’œuvres audiovisuelles / cinématographiques disponibles légalement en salles, sur support ou en ligne. L’utilisation d’une méthodologie statistique appliquée a permis aux agents assermentés d’établir le pourcentage de mise à disposition d’œuvres contrefaisantes pour chacun des sites web : « 01STREAMINGVF » 76,77% (avec une marge d’erreur de l’ordre de 1,35%) ; « CINEMAY » 78,16% (avec une marge d’erreur de l’ordre de 1,20%) ; « FILMCOMPLET » 71,58% (avec une marge d’erreur de l’ordre de 1,12%) – « FR-STREAMING » 65,68% (avec une marge d’erreur de l’ordre de 0,95%) – « LIBERTYLAND » 92,12% (avec une marge d’erreur de l’ordre de 0,99%) – « PAPYSTREAMING » 98,98% (avec une marge d’erreur de l’ordre de 2,41%) – « SERIESTREAMING » 65,85% (avec une marge d’erreur de l’ordre de 1,48%) – « STREAMGRATUIT » 76,50% (avec une marge d’erreur de l’ordre de 1,32%) – « ZONE-TELECHARGEMENT1 » 80,51% (avec une marge d’erreur de l’ordre de 2,10%)
Les sociétés de gestion de droits établissaient de manière suffisamment probante que les sites litigieux permettent aux internautes, via les chemins d’accès, de télécharger ou d’accéder en streaming à des œuvres protégées à partir de liens hypertextes sans avoir l’autorisation des titulaires de droits.
Rôle pivot des FAI et moteurs de recherche
L’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle, issu de la loi n°2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la création sur internet, est une nouvelle transposition en droit interne de l’article 8 §3, de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 aux termes duquel « les États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin ». Les règles qu’elle édicte doivent s’articuler avec celles issues de la directive sur le commerce électronique relative à la responsabilité des intermédiaires et le considérant 58 précise que « les États membres doivent prévoir des sanctions et des voies de recours efficaces contre les atteintes aux droits et obligations prévus par la présente directive » et prendre « toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que ces sanctions et voies de recours soient appliquées », ajoutant que les « sanctions prévues sont efficaces, proportionnées et dissuasives et doivent comprendre la possibilité de demander des dommages et intérêts ».
Il ressort en outre du considérant 59 de cette directive que « les services d’intermédiaires peuvent, en particulier dans un environnement numérique, être de plus en plus utilisés par des tiers pour porter atteinte à des droits » et que « dans de nombreux cas, ces intermédiaires sont les mieux à même de mettre fin à ces atteintes ». Ce considérant ajoute que « sans préjudice de toute autre sanction ou voie de recours dont ils peuvent se prévaloir, les titulaires de droits doivent avoir la possibilité de demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre d’un intermédiaire qui transmet dans un réseau une contrefaçon commise par un tiers d’une œuvre protégée ou d’un autre objet protégé. Cette possibilité doit être prévue même lorsque les actions de l’intermédiaire font l’objet d’une exception au titre de l’article 5. Les conditions et modalités concernant une telle ordonnance sur requête devraient relever du droit interne des États membres ».
De même aux termes de la directive n°2004/48/CE du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, et son vingt-troisième considérant, « sans préjudice de toute autre mesure, procédure ou réparation existante, les titulaires des droits devraient avoir la possibilité de demander une injonction à l’encontre d’un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte au droit de propriété industrielle du titulaire. Les conditions et procédures relatives à une telle injonction devraient relever du droit national des États membres ».
Ainsi, en application de l’article 3 de cette directive 2004/48 « les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés. Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif ».
Enfin, l’article 11 de la directive 2004/48 prévoit que « les États membres veillent à ce que, lorsqu’une décision judiciaire a été prise constatant une atteinte à un droit de propriété intellectuelle, les autorités judiciaires compétentes puissent rendre à l’encontre du contrevenant une injonction visant à interdire la poursuite de cette atteinte. Lorsque la législation nationale le prévoit, le non-respect d’une injonction est, le cas échéant, passible d’une astreinte, destinée à en assurer l’exécution. Les États membres veillent également à ce que les titulaires de droits puissent demander une injonction à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle, sans préjudice de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE ».
Mesures de blocage strictement nécessaires
Au regard de l’ensemble de ces textes, saisi d’une demande de blocage de sites web sur le fondement de l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle, il appartient au tribunal d’une part, de ne prononcer que les mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause afin de respecter la liberté d’expression et de communication et d’autre part, d’assurer un juste équilibre entre les droits de propriété intellectuelle dont jouissent les titulaires de droits d’auteur et de droits voisins, protégés, notamment, par l’article 17, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et la liberté d’entreprise dont bénéficient les opérateurs économiques, tels que les fournisseurs d’accès et d’hébergement, consacrée, notamment, par l’article 16 de ladite Charte.
Les mesures de blocage ordonnées, au regard de la liberté d’expression et de communication, étaient strictement nécessaires à la préservation des droits des demandeurs en ce qu’elles permettaient de prévenir ou faire cesser des atteintes massives à des droits d’auteur ou des droits voisins perpétrés sur ces sites, qu’elles sont ciblées vers des noms de domaine précisément identifiés, et limitées dans le temps.
La balance des intérêts entre le droit à la liberté de recevoir des informations et la protection des droits de l’auteur ou des producteurs, qui au regard de l’ampleur des visiteurs des sites litigieux, lesquels se comptent par plusieurs centaines de milliers voire millions par mois ainsi que les procès-verbaux susvisés ont permis de le révéler et portent ainsi un grave préjudice aux titulaires de droits de propriété intellectuelle, il y a lieu de considérer que les mesures envisagées, ne méconnaissent pas le principe de la liberté d’expression et de communication protégée par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
En ce sens, les mesures sollicitées seront effectives et dissuasives puisqu’elles auront pour effet, pendant une durée limitée de 18 mois, laquelle apparaît proportionnée au regard des objectifs recherchés, de rendre plus difficilement réalisables les consultations non autorisées des œuvres protégées et de décourager les utilisateurs d’internet ayant recours aux services de ces fournisseurs d’accès à l’internet, sans qu’il ne soit exigé une efficacité totale, étant observé que ni l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle, ni les textes de l’Union européenne précités en application desquels il a été édicté, ne subordonnent la mise en œuvre de mesures de blocage à la justification d’une efficacité absolue des mesures ordonnées.
En outre, en laissant aux fournisseurs d’accès à internet le choix de la nature des mesures techniques à adopter en fonction de leur organisation interne et leur méthode de travail, et en précisant que ces mesures portent sur les sites accessibles par les noms de domaine précisément déterminés, celles-ci respectent leur liberté d’entreprendre. Télécharger la décision