Statuts de Société : 26 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00814

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Statuts de Société : 26 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00814
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 82E

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 26 JANVIER 2023

N° RG 22/00814 –

N° Portalis DBV3-V-B7G-VB7G

AFFAIRE :

C.C.E. COMITE SOCIAL ET ECONOMIQUE CENTRAL DE LA SOCIETE NESTLE FRANCE

C/

S.A.S. NESTLE FRANCE Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 mars 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NANTERRE

N° RG : 21/02564

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Pascal KOERFER

Me Anne-Laure WIART

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SIX JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

C.C.E. COMITE SOCIAL ET ECONOMIQUE CENTRAL DE LA SOCIETE NESTLE FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentants : Me Elise BRAND de l’AARPI BFL, Plaidant, avocat au barreau de CAEN, vestiaire : 102 et Me Pascal KOERFER de la SCP BOULAN KOERFER PERRAULT, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.31

APPELANTE

****************

S.A.S. NESTLE FRANCE

N° SIRET : 542 014 428

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentants : Me Jean D’ALEMAN de la SELAS BRL AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0305 et Me Anne-Laure WIART, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 437

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 22 novembre 2022, Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, président ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN

Vu le jugement rendu le 2 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Nanterre,

Vu la déclaration d’appel du Comité social et économique central de la société Nestlé France du 15 mars 2022,

Vu les conclusions d’appelant du Comité social et économique central de la société Nestlé France du 28 octobre 2022,

Vu les conclusions d’intimée de la société Nestlé France du 25 octobre 2022,

Vu l’ordonnance de clôture du 2 novembre 2022.

EXPOSE DU LITIGE

La société Nestlé France, dont le siège social est [Adresse 1] est une des filiales du groupe Nestlé dont l’activité est notamment l’alimentation humaine, et animale.

Elle emploie 2 745 salariés.

Le 17 juin 2021, la direction de la société Nestlé France a remis aux membres du comité social et économique central (CSEC) un document d’information en vue d’une consultation sur un projet de transfert de 369 salariés au sein de la société Nestlé Excellence supports (NES).

Le 19 juillet 2021, les représentants du comité social et économique (CSE) ont adressé à la société Nestlé France une liste de 29 questions portant sur la nature juridique du projet et ses conséquences sociales.

Estimant ne pas avoir eu de réponses à ses interrogations, le CSEC de la société Nestlé France a, par acte du 1er octobre 2021, fait assigner selon la procédure accélérée au fond, la société Nestlé France afin de voir, aux visas des articles L. 2312-15 et L. 1224-1 du code du travail :

– ordonner à la société Nestlé France la transmission aux membres du CSE central des informations suivantes :

. liste précise des actifs matériels et immatériels transférés,

. valorisation de ces actifs (valeur comptable et valeur de transfert),

. nature juridique de l’opération (cession de titres, cession de tout ou partie d’un fonds de commerce, transfert partiel d’actif),

. copie des actes de « transferts »,

. bénéfices et coûts de l’opération dont incidence fiscale de l’opération,

. présentation des enjeux et finalités économiques de l’opération à court et moyen termes,

. présentation des enjeux et finalités sociales de l’opération à court et moyen termes,

. présentation du prévisionnel de l’activité avant/après réalisation de l’opération,

. modalités de facturation des services rendus par les unités concernées par l’opération avant et après l’opération,

. liste nominative de l’ensemble des salariés inclus dans le périmètre de l’opération (avec statut, âge, ancienneté, classification, dépendance hiérarchique’), dont salariés en portage ASG et salariés travaillant pour d’autres marchés du groupe et organigrammes complets de départ et d’arrivée,

. procès-verbal de l’assemblée générale des actionnaires de la société Nestlé France,

. tous échanges écrits intervenus entre les dirigeants (présidents, directeurs généraux ou directeurs généraux délégués) des sociétés cédantes et cessionnaires, rétroactifs à la cession,

– fixer pour la production de ces informations une astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification de la présente décision, le juge des référés se réservant le droit de liquider l’astreinte,

– ordonner la suspension du projet dans l’attente de la consultation du CSE central, et ordonner la prolongation du délai de consultation jusqu’à ce que le CSE central soit à même de rendre un avis et a minima jusqu’au 20 février 2022 ou jusqu’à telle date qu’il plaira au tribunal de fixer,

– débouter la société défenderesse de toutes ses demandes,

– condamner la société Nestlé France à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 2 mars 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

– déclaré l’action recevable,

– débouté le CSE central de la société Nestlé France de toutes ses demandes,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes,

– dit que chacune des parties supportera la charge de ses frais irrépétibles,

– condamné le CSE central de la société Nestlé France aux dépens.

Le CSE central de la société Nestlé France a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 15 mars 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 28 octobre 2022, le comité social et économique central de la société Nestlé France demande à la cour de :

– réformer le jugement du tribunal de Nanterre, en ce que :

. le tribunal judiciaire de Nanterre a débouté le CSE central de la société Nestlé France de sa demande de condamner la société à produire les informations suivantes :

1/ liste précise des actifs matériels et immatériels transférés,

2/ valorisation de ces actifs (valeur comptable et valeur de transfert),

3/ nature juridique de l’opération (cession de titres, cession de tout ou partie d’un fonds de commerce, transfert partiel d’actif),

4/ copie des actes de « transferts »,

5/ bénéfices et coûts de l’opération dont incidence fiscale de l’opération,

6/ le procès-verbal de l’assemblée générale des actionnaires de la société Nestlé France,

7/ tous échanges écrits intervenus entre les dirigeants (présidents, directeurs généraux ou directeurs généraux délégués) des sociétés cédantes et cessionnaires, rétroactifs à la cession

– le tribunal judiciaire de Nanterre a débouté le CSE central de la société Nestlé France de sa demande visant à la production des informations susvisées sous astreinte de 1 000 euros par jour, l’astreinte devant commencer à courir dans les huit jours de la signification de la décision à intervenir, la juridiction se réservant la faculté de liquider cette astreinte,

– le tribunal judiciaire de Nanterre a débouté le CSE central de la société Nestlé France de sa demande d’ordonner la prolongation du délai de consultation jusqu’à ce que le CSE central soit à même de rendre son avis et jusqu’à telle date qu’il plaira à la juridiction de fixer,

– le tribunal judiciaire de Nanterre a débouté le CSE central de la société Nestlé France de sa demande de condamner la société Nestlé France à lui verser la somme de 2 500 euros au visa de l’article 700 du code de procédure civile,

– le tribunal judiciaire de Nanterre a condamné le CSE central de la société Nestlé France aux dépens,

Le CSE central de la société Nestlé France demande à la cour de statuer à nouveau, et :

– d’ordonner la production par la société Nestlé France des informations suivantes :

1/ liste précise des actifs matériels et immatériels transférés,

2/ valorisation de ces actifs (valeur comptable et valeur de transfert),

3/ nature juridique de l’opération (cession de titres, cession de tout ou partie d’un fonds de commerce, transfert partiel d’actif),

4/ copie des actes de « transferts », et plus particulièrement de l’acte de cession évoqué par la société Nestlé France dans ses conclusions du 25 octobre 2022 et ses annexes,

5/ bénéfices et coûts de l’opération dont incidence fiscale de l’opération,

6/ le procès-verbal de l’assemblée générale des actionnaires de la société Nestlé France,

7/ tous échanges écrits intervenus entre les dirigeants (présidents, directeurs généraux ou directeurs généraux délégués) des sociétés cédantes et cessionnaires, rétroactifs à la cession,

– fixer pour la production de ces informations une astreinte de 1 000 euros par jour, l’astreinte devant commencer à courir dans les 15 jours de la signification de la décision à intervenir, la juridiction de céans se réservant la faculté de liquider cette astreinte,

– ordonner la suspension du projet dans l’attente de la consultation du CSE, et ordonner la prolongation du délai de consultation jusqu’à ce que le CSE central soit à même de rendre un avis,

– débouter la société intimée de toutes ses demandes,

– condamner la société Nestlé France à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 25 octobre 2022, la société Nestlé France (NF SAS) demande à la cour de :

– recevoir la société Nestlé France dans ses écritures et y faire droit,

Et donc,

à titre principal

– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre en ce qu’il a :

. jugé que le CSEC a été régulièrement informé,

. jugé que le délai de consultation du CSEC est échu,

. jugé que le CSEC a donc implicitement rendu un avis le 6 octobre 2021,

Et statuant de nouveau,

. débouté le CSEC de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre en ce qu’il a débouté la société Nestlé France de ses demandes de condamnation,

Et statuant à nouveau,

. condamner le CSEC à verser à la société Nestlé France la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

. condamner le CSEC à verser 1 000 euros d’amende civile au Trésor public,

. condamner le CSEC à verser à la société Nestlé France la somme d’un euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

 

L’ordonnance de clôture a été rendue le 2 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

 

La cour n’est pas saisie d’un appel incident sur la recevabilité des demandes. Le jugement est donc définitif de ce chef.

1- sur les demandes du CSE central de la société Nestlé France

Le CSE central de la société Nestlé France soutient que cette dernière ne lui a pas remis les informations nécessaires et suffisantes lui permettant de donner un avis sur le projet de transfert des directions fonctions Nestlé France au sein de la société Nestlé excellence supports (NES). Il estime qu’il devait disposer de la liste des actifs corporels et incorporels pour se forger une opinion sur l’application ou non des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail et sur les conséquences sociales d’un tel projet, que la société Nestlé France n’a pas répondu de façon satisfactoire à 5 des questions qui lui avaient été posées. Il indique que le jugement dont appel est critiquable car le tribunal s’est essentiellement fondé sur le rapport de l’expert, sur la nature de la précédente opération et n’a pas répondu à la question relative à la consistance et à la nature des actifs corporels et incorporels qui ont été transmis.

La société Nestlé France fait valoir que le CSEC a bénéficié d’une information complète et loyale sur le projet soumis à son avis, du bénéfice d’une expertise, d’une réponse écrite à l’ensemble des questions soulevées dans le cadre de la présente procédure et d’un temps supplémentaire à ce qui est prévu par la loi en matière de procédure d’information et consultation pour ce type de projet.

Elle indique que le CSEC tente de contourner la prohibition d’agir au nom des salariés en contestation du transfert du contrat de travail sur le fondement d’un défaut d’information. Contrairement à ce qu’affirme le CSEC, le tribunal a parfaitement compris la question qui est de déterminer si le comité disposait de suffisamment d’informations pour rendre un avis éclairé au sens de l’article L. 2312-15 du code du travail.

L’article L. 2312-15 du code du travail prévoit que ‘le comité social et économique émet des avis et des v’ux dans l’exercice de ses attributions consultatives.

Il dispose à cette fin d’un délai d’examen suffisant et d’informations précises et écrites transmises ou mises à disposition par l’employeur, et de la réponse motivée de l’employeur à ses propres observations.

Il a également accès à l’information utile détenue par les administrations publiques et les organismes agissant pour leur compte, conformément aux dispositions légales relatives à l’accès aux documents administratifs.

Le comité peut, s’il estime ne pas disposer d’éléments suffisants, saisir le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, pour qu’il ordonne la communication par l’employeur des éléments manquants.

Cette saisine n’a pas pour effet de prolonger le délai dont dispose le comité pour rendre son avis. Toutefois, en cas de difficultés particulières d’accès aux informations nécessaires à la formulation de l’avis motivé du comité, le juge peut décider la prolongation du délai prévu au deuxième alinéa.

L’employeur rend compte, en la motivant, de la suite donnée aux avis et v’ux du comité.’

Aux termes de l’article R. 2312-5 dudit code dans sa version applicable à la présente espèce, ‘pour l’ensemble des consultations mentionnées au présent code pour lesquelles la loi n’a pas fixé de délai spécifique, le délai de consultation du comité social et économique court à compter de la communication par l’employeur des informations prévues par le code du travail pour la consultation ou de l’information par l’employeur de leur mise à disposition dans la base de données économiques et sociales dans les conditions prévues aux articles R. 2312-7 et suivants.’.

Selon l’article R. 2312-6 du même code dans sa version applicable à la présente espèce, ‘I.-Pour les consultations mentionnées à l’article R. 2312-5, à défaut d’accord, le comité social et économique est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date prévue à cet article.

En cas d’intervention d’un expert, le délai mentionné au premier alinéa est porté à deux mois.

Ce délai est porté à trois mois en cas d’intervention d’une ou plusieurs expertises dans le cadre de consultation se déroulant à la fois au niveau du comité social et économique central et d’un ou plusieurs comités sociaux économiques d’établissement.

II.-Lorsqu’il y a lieu de consulter à la fois le comité social et économique central et un ou plusieurs comités d’établissement en application du second alinéa de l’article L. 2316-22, les délais prévus au I s’appliquent au comité social et économique central. Dans ce cas, l’avis de chaque comité d’établissement est rendu et transmis au comité social et économique central au plus tard sept jours avant la date à laquelle ce dernier est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif en application du I. A défaut, l’avis du comité d’établissement est réputé négatif.’.

L’article R. 2312-7 précise que ‘la base de données prévue à l’article L. 2312-18 permet la mise à disposition des informations nécessaires aux trois consultations récurrentes prévues à l’article L. 2312-17. L’ensemble des informations de la base de données contribue à donner une vision claire et globale de la formation et de la répartition de la valeur créée par l’activité de l’entreprise.’

L’article L. 2312-18 dans sa version applicable à la présente espèce en son second alinéa dispose que ‘les éléments d’information transmis de manière récurrente au comité sont mis à la disposition de leurs membres dans la base de données et cette mise à disposition actualisée vaut communication des rapports et informations au comité, dans les conditions et limites fixées par un décret en Conseil d’Etat.’

Il résulte ainsi de l’article L. 2312-15 du code du travail précité que le CSE émet un avis sur la base d’informations précises et écrites transmises ou mises à disposition par l’employeur et de la réponse motivée de l’employeur à ses propres observations.

Le juge apprécie souverainement l’utilité des informations fournies au regard de la nature et des implications du projet en cause, pour déterminer si la portée et la viabilité du projet ont pu être appréciées pour donner un avis éclairé (Cass. Soc., 7 mai 2014, nº13-13.307) et si l’information a été loyale (Cass. Soc., 10 juillet 2013, nº12-14.629).

Celle-ci doit être suffisamment détaillée pour que le CSE puisse se prononcer de manière satisfaisante, en ayant une vision complète des objectifs poursuivis par l’employeur, des moyens mis en oeuvre pour y parvenir et des conséquences en termes d’emploi ou de conditions de travail.

En l’espèce, selon les pièces n° 22 et 23 de l’appelant, dès juin 2018, la société Nestlé France a présenté aux organismes sociaux le projet d’évolution de l’organisation des fonctions supports (Finance et contrôle, achats, service client, RH) de Nestlé en France, regroupées au sein d’une nouvelle entité créée en mai 2019 (p.2 de la pièce n° 1 appelant : information du CSEC sur le projet de transfert des directions pour réunion ordinaire du 17 juin 2021) dénommée Nestlé Excellence Supports (NES) située à [Localité 2] (immeuble SHIFT).

Les transferts des salariés sur ce lieu se sont effectués à compter de 2019 (p.6 pièce n°1 appelant).

Selon cette même pièce et la pièce n°3 de l’intimée, l’information en vue de la consultation sur le projet de transfert des directions fonctions de Nestlé France SAS (NF) au sein de NES s’est poursuivie lors de la réunion du 17 juin 2021, les entités supports concernées étant : digital, communication et RSE, juridique, industriel, RH (communication, sûreté, médecine du travail, services généraux), supply (logistique et amélioration continue).

Le document rappelle la création de NES, sa feuille de route, la raison d’être du projet, les différentes étapes du projet depuis juin 2018 partagé avec les représentants du personnel, le transfert des directions et l’effectif concerné, le calendrier prévisionnel, les incidences du transfert pour les collaborateurs (transfert automatique en vertu de l’article L. 1224-1 du code du travail), l’organigramme des fonctions pour chaque direction concernée, l’absence d’impact sur le statut collectif, l’accompagnement des collaborateurs concernés, les incidences sur la représentation du personnel et le calendrier social prévisionnel.

Contrairement à ce qu’affirme le CSEC, le document en vue de la réunion du CSEC du 17 juin 2021 reprend l’historique du projet initial Nestlé Business Excellence et n’est pas sommaire, en outre complété par un deuxième document d’information en vue de la réunion extraordinaire du CSEC du 5 juillet 2021, notamment sur l’impact concernant le statut collectif des collaborateurs transférés (pièce n°3 appelant), puis par un troisième document en vue de la consultation sur le projet de transfert en vue de la réunion extraordinaire du CSE de Nestlé du 16 juillet 2021 (pièce n°4 intimée).

Est également produite l’arborescence de la base de données dédiée au statut social NES annexée au document d’information présentée au CSEC le 5 juillet 2021 et au CSE le 16 juillet 2021, listant les documents communiqués par les RH et intégrés à cette base, notamment des guides pratiques concernant les grades et la rémunération globale, les primes, les informations utiles, la mutuelle, le règlement intérieur et les accords collectifs et ce conformément à l’article L. 2312-18 précité.

S’ajoute le rapport d’expertise en date des 18 et 22 septembre 2021 qui a été établi à la demande du CSE établissement siège social Nestlé en application de l’article L. 2315-94 2° du code du travail (pièces n°9 et 17 appelant).

Cette disposition prévoit effectivement que ‘le comité social et économique peut faire appel à un expert habilité dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat :

[…]

2° En cas d’introduction de nouvelles technologies ou de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévus au 4° de l’article L. 2312-8;

[…]’.

La mission de l’expert ne pouvait donc que se limiter à l’examen des conditions de travail conformément à cette disposition.

Aux termes de ses conclusions, l’expert indique ainsi que le projet de transfert de 351 salariés par application de l’article L. 1224-1 constitue la 3ème vague de filialisation des directions au sein de Nestlé Excellence supports (NES) prévues dans le cadre du projet Nestlé Business Excellence (NBE) et s’inscrit dans la continuité du processus engagé. Il relève cependant que cette 3ème étape est différente dans son mode opératoire :

– pour les 2 précédentes vagues (fin 2018 pour les achats, 2019 pour les autres activités), transfert des activités sans transfert des salariés

– pour le présent projet, seule la société Nestlé France (NF) est concernée au motif qu’elle est la seule qui a encore des directions supports à vocation transverse

– il s’agit d’un transfert automatique des activités, des moyens et des salariés entre NF et NES reposant sur l’article L. 1224-1 du code du travail par l’utilisation ‘classique’ de cette disposition par opposition au transfert dit ‘volontaire’ impliquant le recueil de l’accord des salariés

– les salariés transférables ne bénéficieront pas des dispositions de l’Accord Social Groupe (ASG) et ne seront pas traités comme leurs prédécesseurs allant chez NES.

Si l’expert observe que ‘le projet soulève de nombreuses questions au sein des élus sur l’utilisation de l’article L. 1224-1 qui recouvre un camaïeu de situations différentes’ (p.7), il rappelle (p.14) que ‘seul le pouvoir judiciaire est légitime pour se prononcer sur l’applicabilité de l’article L. 1224-1″ et qu’il appartient ‘à la direction d’apporter les informations et explications aux élus sur le choix du ‘véhicule juridique’ utilisé pour cette opération et la nature des activités et emplois entrant dans ce projet.’

L’expert conclut également s’agissant des conséquences du transfert dans le cadre strict de sa mission que l’analyse détaillée du statut collectif met en lumière un certain nombre d’écarts relatifs aux primes d’ancienneté, aux cotisations santé et prévoyance, aux garanties santé et prévoyance, aux congés d’ancienneté, aux congés exceptionnels et à l’intéressement, certains points étant moins favorables chez NES, d’autres plus favorables.

Il indique (‘5. Réalisation de la mission’) que l’essentiel de la mission a pu se dérouler normalement malgré la période de congés annuels, et que le réaménagement du calendrier a permis l’expertise, qu’il a reçu l’ensemble des informations demandées y compris des réponses aux questions formulées par le CSE et le CSEC à l’exception de toutes les questions relatives à des aspects juridiques, économiques, financiers (questions 2 à 6, 9 à 11 et 25).

Le rapport n’est donc pas sans intérêt dans le présent litige puisque conformément aux limites de sa mission prévues à l’article L. 2315-94 2°, l’expert a été en mesure de répondre aux aspects demandés par le CSE sur les conséquences du projet sur la situation des salariés.

S’agissant des questions posées par le comité à la direction, il résulte du message en date du 19 juillet 2021 qu’une liste de 29 questions relatives au projet de transfert a été effectivement remise à la direction au nom du CSE Nestlé France siège et du CSEC Nestlé France, portant sur l’article L. 1224-1, les conditions de travail, les conséquences sur Nestlé France et les conditions de transfert.

L’appelant considère (p.19 à 27 des conclusions) qu’il n’a pas été répondu de façon satisfaisante à cinq questions correspondant à sa demande de production des informations telle que rappelée dans le dispositif de ses écritures.

Ainsi, selon le comité, la société Nestlé France ne peut se borner à indiquer une liste d’actifs corporels et incorporels rédigés dans des termes généraux ; il existe nécessairement une valorisation de ces actifs ne serait-ce que pour permettre leur enregistrement comptable ; il appartient à la société Nestlé France de répondre précisément à la qualification juridique de l’opération de cession ; s’il n’y a aucun acte de transfert, il ne peut y avoir de transfert des contrats de travail, l’opération étant alors inexistante ; l’article 22 des statuts de la société Nestlé France indique que les cessions d’éléments d’actifs font l’objet d’une décision collective ordinaire de l’assemblée générale des actionnaires, or, la société Nestlé a refusé la communication du procès-verbal d’une telle décision, du procès-verbal du conseil d’administration au cours duquel le projet de cession aurait dû être validé ; l’intimée reconnaît l’existence de l’acte de cession pour 1 euro symbolique mais refuse de communiquer l’intégralité de l’acte.

L’intimée affirme (p. 14 à 16 des conclusions) que lors de la réunion d’information du 14 septembre 2021 ont été abordées toutes les questions posées par le CSE et le CSEC et notamment celles restant en litige comme en atteste le procès-verbal de la réunion extraordinaire des CSE siège et CSE central à cette date (pièce n°19 intimée).

Elle a ainsi indiqué que le projet portait sur le transfert d’une activité de conseil et de prestations intellectuelles générées par les fonctions supports et que le transfert d’activités intellectuelles n’est pas en contradiction avec l’application de l’article L.1224-1; un tel transfert ne peut être valorisé en tant que tel, la comparaison avec des actifs matériels n’est pas pertinente. Elle ajoute que le transfert des directions conduira à une refacturation des charges et qu’il n’y aura aucun transfert d’actifs s’agissant des biens informatiques, ces derniers relevant d’un contrat géré par le groupe.

Ces explications se retrouvent effectivement dans le procès-verbal précité du 14 septembre 2021.

S’agissant de la communication des actes réclamés par l’appelant, la société Nestlé France estime qu’elle n’a aucune obligation de communiquer les procès-verbaux de ses assemblées générales. En outre, l’acte de cession pour 1 euro symbolique a été passé après la consultation du CSE et du CSEC.

En l’espèce, si l’employeur est tenu de fournir des informations précises et écrites suffisantes de nature à permettre au comité social et économique de donner un avis motivé sur 1e projet et ses conséquences sociales, le fait de ne pas fournir l’ensemble des pièces sollicitées par le comité ne permet pas d’en déduire que ce dernier a été privé de tous les renseignements utiles et qu’il n’a pas bénéficié d’informations précises et nécessaires et des réponses à ses observations.

Le fait que le comité considère comme non satisfactoires les réponses apportées à ces questions et par conséquent la communication des documents réclamés, ne permet pas d’en déduire de facto que l’employeur n’a pas fourni des informations utiles et loyales.

De même, l’employeur n’est pas tenu de satisfaire à toutes les demandes d’information et de production de documents exigés par le CSE mais seulement à celles qui permettent à ce dernier d’avoir une visibilité suffisante sur les mesures envisagées à l’égard des salariés.

Or, il résulte de ce qui précède ainsi que du nombre important de réunions d’information qui se sont tenues (5 et 16 juillet, 14, 23, 29 septembre, 6 octobre 2021), du contenu des procès-verbaux de ces réunions, des réponses données aux 29 questions du comité, des termes du rapport d’expertise, de l’aménagement du calendrier accepté à plusieurs reprises par la société Nestlé France, que cette dernière a bien fourni des informations suffisamment précises pour permettre au CSE et au CSEC de se forger un avis qu’il soit positif ou négatif, étant rappelé que le comité ne peut émettre qu’un avis et ne dispose pas d’un droit de veto.

L’employeur justifie par les pièces produites rappelées ci-dessus que les informations données au comité ont été utiles, suffisantes et loyales au regard de la nature et des implications du projet de transfert en cause, suffisamment détaillées afin que le comité puisse se prononcer en ayant une vision satisfaisante des objectifs poursuivis, des moyens pour y parvenir et des conséquences en termes d’emploi.

En l’état, le comité indique aux termes de ses écritures (p.27), ‘les interrogations des élus ne portant pas sur les conséquences sociales du projet mais sur une question bien spécifique celle relative à la consistance des actifs transférés permettant ou non l’application de droit de l’article L.1224-1 du code du travail’.

Ainsi, sous couvert de demandes d’information et de production de documents, le comité tend à remettre en cause l’application de l’article L.1224-1 du code du travail par l’employeur, lequel est cependant décisionnaire en matière de gestion et d’administration de l’entreprise, alors même que l’appelant ne dispose pas d’un droit à agir en contestation du transfert des contrats de travail sur ce fondement, droit réservé aux salariés concernés.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce que le premier juge a débouté le comité de ses demandes.

2- sur l’amende civile et les dommages-intérêts

Aux termes de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

L’exercice d’une action en justice de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus de droit que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol ou de légèreté blâmable.

Il appartient au juge de caractériser l’abus dans l’exercice du droit d’agir en justice ou dans les modalités de sa défense lorsqu’il a été attrait en justice.

En l’espèce, l’intimée fait valoir que la saisine du comité est illégitime car il a été pleinement informé, que le défaut d’information n’a pas motivé le comité qui a décidé de saisir le tribunal

avant même toutes explications et réponses aux questions.

L’appelant soutient que son action est légitime et se fonde sur les précédents agissements du groupe Nestlé au visa de l’article L.1224-1 du code du travail. Il cite notamment l’opération Nestlé Purina Petcare et Bob Martins, ce dernier, cessionnaire, étant placé en liquidation judiciaire suite à la cession ainsi que la situation économique de la société NES.

L’intimée conteste ces analogies, s’agissant d’une cession partielle des activités accessoires de Purina et non comme en l’espèce d’un transfert complet d’activité lié à une clientèle captive et justifie de la santé de la société NES par la production du rapport de l’expert-comptable Apex du 18 juillet 2022.

En l’espèce, il n’est pas démontré, les explications des parties sur des situations différentes dont la cour n’est pas saisie étant inopérantes, que le comité a agi de manière dilatoire ou abusive, l’appréciation inexacte qu’une partie fait de ses droits n’étant pas en soi constitutive d’une faute.

 

Le jugement sera confirmé en ce que le tribunal a rejeté la demande de condamnation à une amende civile et à des dommages-intérêts.

3- sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement sera confirmé de ces chefs.

Le comité social et économique central de Nestlé France sera condamné à payer à la société Nestlé France la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d’appel.

Il sera débouté de sa demande à ce titre et condamné aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

 

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 2 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Nanterre,

Y ajoutant,

Condamne le comité social et économique central (CSEC) de Nestlé France à payer à la société Nestlé France la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,

Déboute le comité social et économique central de Nestlé France de sa demande à ce titre,

Condamne le comité social et économique central de Nestlé France aux dépens d’appel.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier en pré-afffectation, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

                                   

Le Greffier en pré-affectation,                                                       Le Président,

 


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