Statuts de Société : 26 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03425

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Statuts de Société : 26 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03425
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 97Z

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 26 JANVIER 2023

N° RG 21/03425 –

N° Portalis DBV3-V-B7F-U3AB

AFFAIRE :

[T] [O]

C/

S.E.L.A.S. ERNST & YOUNG SOCIETE D’AVOCATS

LE PROCUREUR GENERAL

Décision déférée à la cour : Décision rendue le 27 septembre 2021 par le Bâtonnier de l’ordre des avocats de NANTERRE

Copies exécutoires délivrées à :

Me Eric MANCA

Me Bruno SERIZAY

Copies certifiées conformes délivrées à :

Monsieur [T] [O]

La S.E.L.A.S. ERNST & YOUNG SOCIETE D’AVOCATS

Le Procureur Géneral

Le Batonnier des Hauts-de-Seine

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SIX JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [T] [O]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté par Me Eric MANCA de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0438

APPELANT

****************

S.E.L.A.S. ERNST & YOUNG SOCIETE D’AVOCATS

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Bruno SERIZAY de la SELARL CAPSTAN LMS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0020

INTIMEE

****************

LE PROCUREUR GENERAL

COUR D’APPEL DE VERSAILLES

[Adresse 2]

[Adresse 2]

PARTIE INTERVENANTE

Non comparant

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue le 22 novembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier en pré-affectation, lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN

Vu la décision d’arbitrage rendue le 27 septembre 2021 par le bâtonnier des Hauts-de-Seine,

Vu la déclaration d’appel de M. [T] [O] du 2 novembre 2021,

Vu les conclusions d’appelant de M. [T] [O] du 14 octobre 2022,

Vu les conclusions d’intimée de la société Ernst & Young du 21 novembre 2022,

EXPOSE DU LITIGE

La société Ernst & Young ‘ dont le siège social se situe [Adresse 1] – est une société d’avocats. Elle emploie plus de dix salariés.

La convention collective applicable est celle des cabinets d’avocats (avocats salariés) du 7 février 1995.

M. [T] [O], né le 30 novembre 1956, a été embauché par le cabinet Arthur Andersen International par contrat de travail à durée indéterminée à effet du 15 mars 1983 en qualité de conseil juridique.

Le 1er juillet 1992, M. [O] est devenu avocat salarié au sein du cabinet Arthur Andersen International par effet de la fusion entre les professions d’avocat et de conseil juridique.

Le 1er juillet 2003, à la suite d’un rapprochement entre le cabinet Arthur Andersen International et la société Ernst & Young, le contrat de travail de M. [O] a été repris par la société Ernst & Young.

M. [O] était en dernier lieu avocat salarié associé, moyennant une rémunération mensuelle de 24 000 euros, augmentée d’avantages en nature et de primes d’activité.

Le 28 septembre 2018, M. [O] a adressé un courrier au président de la société Ernst & Young rédigé ainsi que suit :

« Par la présente, je te prie de bien vouloir prendre acte de ma démission avec un départ le 31 décembre 2018, conformément à nos statuts. »

M. [O] a quitté les effectifs de la société Ernst & Young le 31 décembre 2018.

Par courriel du 5 mars 2020 adressé à la société Ernst & Young, M. [O] a sollicité le versement d’une indemnité de fin de carrière dans les termes suivants :

« Le 28 septembre 2018, conformément à nos statuts, je notifiais mon départ à la retraite et quittais le cabinet le 31 décembre 2018. Mes droits à la retraite et la retraite chapeau Ernst & Young / PARTNER étaient liquidés à compter du premier janvier 2019. 

[‘]

Malgré mes remarques formulées sur le sujet, Ernst & Young ne s’est toujours pas, sauf erreur, acquittée du paiement de mon indemnité de fin de carrière (départ volontaire à la retraite) tel que prévue à la Convention Collective des avocats salariés.

Mes observations sur le sujet étant demeurées sans réponse, je formalise cette fois-ci ma demande. »

Par requête reçue le 1er juillet 2020, M. [O] a saisi le bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine d’une demande de conciliation conformément aux articles 7 et 21 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971.

L’échec de la conciliation a été constaté par procès-verbal du 15 décembre 2020.

Par requête reçue le 2 février 2021, M. [O] a sollicité l’arbitrage du bâtonnier des Hauts-de-Seine aux fins de :

– constater que la convention collective nationale des cabinets d’avocats salariés est applicable,

– constater son départ à la retraite le 31 décembre 2018,

– condamner la société Ernst & Young à lui verser la somme de 837 041,41 euros à titre d’indemnité de fin de carrière,

– condamner la société Ernst & Young à lui verser 10 000 euros au titre des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat et 24 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [O] a formalisé le 9 avril 2021 une requête en dépaysement au bénéfice du barreau de Paris, qui a été rejetée le 5 mai 2021 par le délégué du bâtonnier.

Par décision d’arbitrage rendue le 27 septembre 2021, le bâtonnier des Hauts-de-Seine a dit que :

– la demande de M. [O] tendant au versement par Ernst & Young d’une indemnité de départ à la retraite de 837 041,41 euros est prescrite et donc déclarée irrecevable au visa des articles L.1471-1 alinéa 2 du code du travail et 122 du code de procédure civile,

– M. [O] est débouté de sa demande de versement par Ernst & Young d’une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat et 24 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Ernst & Young est déboutée de sa demande de versement par M. [O] d’une somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [O] a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 2 novembre 2021.

Le bâtonnier des Hauts de Seine a été avisé de l’instance le 30 novembre 2021.

Le procureur général a eu communication de l’affaire le 7 décembre 2021.

Par conclusions du 14 octobre 2022, soutenues à l’audience et visées par le greffier, M. [O] demande à la cour de :

– infirmer la décision de M. le bâtonnier de l’ordre des avocats des Hauts-de-Seine prononcée le 27 septembre 2021 en ce qu’elle a jugé irrecevable comme prescrite, au visa des articles L. 1471-1 alinéa 2 du code du travail, la demande de M. [O] visant au versement de la somme de 837 041,41 euros à titre d’indemnité de « départ la retraite »,

– infirmer la décision de M. le bâtonnier de l’ordre des avocats des Hauts-de-Seine prononcée le 27 septembre 2021 en ce qu’elle a débouté M. [O] de sa demande visant à voir condamner Ernst & Young société d’avocats au paiement de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

– infirmer la décision de M. le bâtonnier de l’ordre des avocats des Hauts-de-Seine prononcée le 27 septembre 2021 en ce qu’elle a débouté M. [O] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Et, statuant à nouveau :

– juger que la convention collective nationale des cabinets d’avocats (avocats salariés), est applicable à la société Ernst & Young société d’avocats,

– juger que la convention collective applicable prévoit en son article 9.3.2, au cas du départ à la retraite du salarié, le versement d’une « indemnité de fin de carrière »,

– juger que le dernier jour de collaboration de N. [O] au sein de la société Ernst & Young société d’avocats, était le 31 décembre 2018,

– juger que M. [O] est parti à la retraite le 1er janvier 2019,

– juger que la société Ernst & Young société d’avocats, débitrice d’une obligation conventionnelle de versement, claire et précise envers M. [O], s’est abstenue de s’en acquitter spontanément et loyalement,

En conséquence :

– condamner la société Ernst & Young société d’avocats à verser à M. [O] la somme de 837 041,41 euros bruts à titre d’indemnité de fin de carrière prévue à la convention collective applicable,

A titre subsidiaire,

– condamner la société Ernst & Young société d’avocats à verser à M. [O] la somme de 688 611,72 euros bruts à titre d’indemnité de fin de carrière prévue à la convention collective applicable,

– condamner la société Ernst & Young société d’avocats à verser à M. [O] la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et résistance abusive,

– condamner la société Ernst & Young société d’avocats à verser à M. [O] la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Ernst & Young société d’avocats aux éventuels dépens.

Par conclusions du 21 novembre 2022, la société Ernst & Young demande à la cour de :

Confirmer la décision rendue le 27 septembre 2021 et :

– A titre principal, juger prescrites les demandes de [T] [O] et de l’en débouter,

– A titre subsidiaire, juger non fondées les demandes de [T] [O] et de l’en débouter,

– A titre infiniment subsidiaire de :

‘ limiter le montant de l’indemnité conventionnelle, si elle était due, à la somme brute de

379 350 €,

‘ déduire du montant de l’indemnité conventionnelle retenu par la cour la somme de 319 601 € versée en décembre 2018,

En toute hypothèse :

‘ débouter [T] [O] de sa demande d’indemnité au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail,

‘ débouter [T] [O] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile

‘ condamner [T] [O] à verser à Ernst & Young société d’avocats une somme de 20 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et le condamner aux dépens.

Les parties ont été entendues à l’audience du 22 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Il convient d’indiquer à titre liminaire que la cour ne statuera pas sur les demandes tendant à voir ‘juger’ qui ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile mais ne sont que la reprise des moyens de l’appelant.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

La société Ernst & Young soutient que la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance et qu’en l’espèce, la prescription applicable est celle d’un an prévue à l’article L. 1471-1 alinéa 2 du code du travail puisque :

– si l’on considère, comme elle le fait, que M. [O] a démissionné, la démission ne fait naître aucun droit à indemnisation, de sorte que la nature de l’indemnisation résultant de la rupture du contrat de travail, la demande d’indemnisation devait être présentée dans l’année suivant la rupture du contrat de travail, qui date du 31 décembre 2018 ; que la présentation de la requête au bâtonnier a été faite le 30 juin 2020 alors que le délai de prescription était expiré,

– si la démission doit être requalifiée en départ à la retraite, l’indemnité de départ à la retraite n’a pas une nature salariale, de sorte que la prescription triennale ne s’applique pas, mais il s’agit d’une somme attachée à la rupture du contrat de travail dont la revendication est prescrite par un an.

M. [O] répond que la durée de la prescription dépend de la nature de la créance, laquelle est l’objet principal de la demande en justice, la contestation de la rupture du contrat de travail n’étant que le support de la demande ; que l’indemnité de départ à la retraite versée au salarié qui quitte volontairement l’entreprise pour bénéficier du droit à une pension de vieillesse n’a pas pour objet de compenser un préjudice et constitue dès lors une rémunération, laquelle est au demeurant imposable et soumise aux cotisations sociales ; que son action ayant pour objet le paiement d’une indemnité de nature salariale, elle est soumise au délai de prescription triennal de l’article L. 3245-1 du code du travail.

L’article L. 1471-1 du code du travail dispose en son alinéa 2 que ‘toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture’.

L’article L. 3245-1 du code du travail dispose que ‘l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat de travail.’

La prescription prévue par ce texte s’applique aux sommes constituant des salaires ou payables par année ou à des termes périodiques plus courts.

L’indemnité de départ en retraite versée au salarié qui quitte volontairement l’entreprise pour bénéficier du droit à une pension de vieillesse n’a pas pour objet de compenser un préjudice et constitue dès lors une rémunération, ce dont il résulte qu’elle est soumise aux règles de saisie prévues par le code du travail (Cass. Soc., 30 janvier 2008, n°06-17.531).

Cette indemnité est assujettie en tant que salaire aux cotisations de sécurité sociale et à l’imposition sur le revenu.

La durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée (Cass. Soc., 30 juin 2021, n°18-23.932 B, 19-10.161 B, 19-14.543 B, 20-12.960 B).

L’action de M. [O] a pour objet principal le paiement de l’indemnité de fin de carrière prévue par l’article 9.3.2 de la convention collective nationale applicable au cas du départ volontaire à la retraite du salarié. La contestation de la rupture du contrat de travail, le salarié considérant qu’il a notifié son départ à la retraite et l’employeur soutenant que le salarié a démissionné, ne constitue que le support de la demande.

Cette indemnité ne compensant pas un préjudice, elle constitue une rémunération de sorte que la prescription triennale prévue par l’article L. 3245-1 du code du travail s’applique.

M. [O] ayant saisi le bâtonnier le 1er juillet 2020, moins de trois ans après la rupture du contrat de travail ayant fait naître le droit à versement de l’indemnité en cause, la demande de l’appelant n’est pas atteinte par la prescription.

La décision du bâtonnier des Hauts de Seine en date du 27 septembre 2021 sera infirmée en ce qu’elle a déclaré la demande de M. [O] prescrite et irrecevable. Statuant à nouveau, la cour rejettera la fin de non-recevoir soulevée par la société Ernst & Young.

Sur la nature de la cessation du contrat de travail

M. [O] fait valoir que son courrier du 28 septembre 2018 ne constitue pas une démission pure et simple mais fait part à la société Ernst & Young de son départ à la retraite, conformément aux statuts en vigueur à l’époque qui ne prévoyaient que ce seul cas de rupture ; qu’il n’y avait aucune ambiguïté sur le motif de son départ au 1er janvier 2019, sa retraite ayant été préparée depuis le mois de février 2018 aux côtés de la société. Il expose qu’il a mis en place avec la société Ernst & Young les garanties de prévoyance souscrites auprès de l’organisme AON, la retraite de base, les retraites complémentaires et la retraite chapeau assurée par la société, son dernier jour de travail étant le 31 décembre 2018. Il souligne que la société Ernst & Young a d’ailleurs reconnu son droit à une indemnité de fin de carrière dans un courriel du 19 mars 2020 et qu’une démission n’est pas crédible dès lors qu’il aurait abandonné sa rémunération pour un contrat de prestation de services nettement moins rémunérateur. Il ajoute que la résiliation du contrat de prestation de services est la conséquence et non la cause de sa demande de paiement d’une indemnité de fin de carrière.

La société Ernst & Young réplique que l’intention de partir volontairement à la retraite doit être exprimée à l’employeur avec un préavis de deux mois ; que ce n’est pas ce qui est exprimé dans la lettre du 28 septembre 2018, laquelle vise les statuts applicables à l’associé et non au salarié, qui prévoient deux hypothèses de retrait : le retrait pour toute cause et le retrait pour atteinte de l’âge de la retraite ; que M. [O], avocat très expérimenté, n’a pas placé la rupture de son contrat dans le cadre conventionnel du départ à la retraite mais a démissionné sans ambiguïté, sans attendre le 30 juin 2019, échéance qu’il aurait dû respecter. Elle fait valoir que les faits dont se prévaut M. [O] sont soit postérieurs à sa démission soit des démarches personnelles et que l’appelant n’est pas fondé à prétendre que la société aurait été informée de son intention de partir à la retraite avant le 3 janvier 2019 lorsque M. [O] a demandé le bénéfice de la retraite supplémentaire. Elle ajoute que si M. [O] avait placé sa démarche sur le terrain du départ volontaire à la retraite, il aurait revendiqué le paiement de l’indemnité conventionnelle de départ à la retraite dès la réception de son bulletin de salaire de décembre 2018 et du solde de tout compte et non 14 mois après, au moment de la résiliation de son contrat de prestation de services. Elle conteste avoir reconnu dans un courriel du 19 mars 2020 que M. [O] avait droit à une indemnité de fin de carrière.

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail, pour des raisons de convenances personnelles qu’il n’a pas l’obligation de faire connaître à l’employeur.

Pour apprécier si la volonté de démissionner est réelle, les juges tiennent compte des circonstances dans lesquelles la démission a été donnée.

Le départ à la retraite est la décision unilatérale du salarié, claire et non équivoque, de mettre fin au contrat pour faire liquider sa pension de retraite. Le salarié n’est soumis à aucun formalisme particulier pour prévenir l’employeur mais il doit respecter le préavis prévu à l’article L. 1234-1 du code du travail.

En l’espèce, M [T] [O] a adressé à la société Ernst & Young un courrier le 28 septembre 2018 indiquant : ‘par la présente, je te prie de bien vouloir prendre acte de ma démission avec un départ le 31 décembre 2018, conformément à nos statuts’ (pièce 5 de l’appelant).

Les statuts de la société d’avocats Ernst & Young, dans leur version applicable à l’espèce selon mise à jour du 30 novembre 2017 (pièce 12.1 de la société Ernst & Young), prévoient en leur article 15.2 les modalités de retrait d’un associé :

‘Sous réserve des dispositions relatives au capital minimum, tout associé peut se retirer volontairement de la société en notifiant son intention au Président de la société par lettre recommandée avec avis de réception ou encore par remise directe contre décharge, six mois à l’avance, sauf dérogation de délai accordée par le Président, la demande devant préciser si le retrayant souhaite obtenir le remboursement de ses actions ou procéder à leur cession.

Lorsqu’un associé atteint l’âge de la retraite, fixé à 62 ans maximum par les présents statuts, il s’engage à se retirer du capital de la société. La date du départ à la retraite est fixée au 30 juin suivant la date à laquelle il aura atteint 62 ans et celle du retrait du capital dans les six mois suivants la date du départ à la retraite, sauf dérogation exceptionnelle accordée par le Président. A défaut de cession de ses actions, l’associé en obtiendra le rachat (remboursement par la société) dans les conditions prévues par les présents statuts.

Le prix des actions détenues par l’associé qui se retire, ainsi que ses modalités de paiement, seront déterminées en application des dispositions de l’article 15.7 ci-après.’

Ainsi, un associé peut se retirer du capital de la société Ernst & Young, soit volontairement soit à raison d’un départ en retraite.

En l’espèce, le courrier de M. [O] du 28 septembre 2018 ne précise pas en vertu de quelle disposition précise des statuts il exerce son droit de retrait du capital de la société mais force est de constater que né le 30 novembre 1956, M. [O] atteignait l’âge de 62 ans le 30 novembre 2018 et qu’il a avisé la société Ernst & Young de son départ en respectant un préavis de deux mois.

Il ressort de la pièce n°33 produite par l’appelant que par courriel du 3 août 2018, ayant pour objet ‘RETRAITE Attestation présence collaborateur à temps plein [O] [T].pdf’, Mme [V] [J], executive assistant/transaction tax & business law à la société Ernst & Young, a transmis à M. [O] une attestation d’emploi datée du 1er août 2018.

La preuve est ainsi rapportée qu’avant l’envoi de la lettre du 28 septembre 2018, la société Ernst & Young était parfaitement informée que M. [O] souhaitait quitter la société pour prendre sa retraite.

Les démarches et messages postérieurs, tels que justifiés par les pièces versées au débat par M. [O], le confirment :

– par courriel du 17 octobre 2018, Mme [B] [I], ‘assistant director / General Counsel Office’ à la société Ernst & Young, a adressé à M. [O] un extrait de la clause 15.2 des statuts d’Ernst & Young ne concernant que le retrait de l’associé lorsqu’il atteint l’âge de la retraite dans son ancienne formule, avec la nouvelle formulation de ces dispositions (pièce 23),

– par courriel du 7 décembre 2018, Mme [K] [P], responsable du service paie de la DRH de la société Ernst & Young a transmis à M. [O] les formulaires pour le maintien des garanties mutuelle AON et prévoyance GAN en cas de ‘retraite’ et le prélèvement SEPA (pièce 32) et lui a confirmé par courriel du 12 décembre 2018 que les documents étaient bien remplis (pièce 7),

– par courriel du 8 janvier 2019 Mme [V] [J] a indiqué à M. [O] ‘je pense que vos codes ne marchent plus à cause de votre départ en retraite’ (pièce 25).

Il ressort des pièces produites par M. [O] que ce dernier avait fait les démarches pour la liquidation de sa retraite à compter du 1er janvier 2019 en procédant à des rachats de trimestre avec l’assistance de la société Maximis (pièces 27 et 31 datant des mois de juin et juillet 2018), en demandant la retraite de base auprès de la CNAV (pièces 15, 28, 29 et 30), la retraite complémentaire Agirc-Arrco (pièce 14) et une pension supplémentaire directe auprès de la société KERIALIS (pièces 8, 11 et 12).

Dès le 3 janvier 2019, M. [O] a demandé par courriel à M. [L] [D], partner de la société Ernst & Young, à qui il devait s’adresser pour la retraite chapeau Ernst & Young et il lui a été répondu le 10 janvier 2019 qu’il pouvait activer la retraite complémentaire dès qu’il aurait activé la retraite de la sécurité sociale et transmettre un document, ce qu’il a fait par courriel du 11 janvier 2019 (pièces 9 et 10 de l’appelant).

Le 19 février 2019, la société Epartner a informé M. [O] que ‘la société Ernst & Young et associés nous a informés de la liquidation de votre retraite supplémentaire au 01/01/2019″, sollicitant des documents complémentaires (pièce 13 de l’appelant).

La volonté de M. [O] de démissionner purement et simplement n’est dans ces conditions ni claire ni exempte d’équivoque et il est au contraire établi que le droit de retrait qu’il a notifié à la société Ernst & Young était motivé par un départ à la retraite dont l’employeur était avisé.

Sur la demande de versement d’une indemnité de fin de carrière

M. [O] fait valoir qu’en application de l’article 9.3.2 point b) de la convention collective applicable, eu égard à sa rémunération devant comprendre les primes qui lui étaient versées chaque année et à son ancienneté, la société Ernst & Young lui doit une somme de 837 041,41 euros. Il soutient à titre subsidiaire qu’en application de l’option 2 du même article, une indemnité de 688 611,72 euros lui est due.

La société Ernst & Young réplique que seule la rémunération acquise contractuellement doit être prise en compte et non pas les variables ou primes qui n’ont pas un caractère fixe, constant et permanent ; qu’en retenant l’assiette issue de l’option 2, qui est la plus favorable au salarié, l’indemnité à verser s’élève à 379 350 euros, dont doit être déduite la somme de 319 600 euros versée en décembre 2018 à titre de prime exceptionnelle.

La convention collective des cabinets d’avocats (avocats salariés) du 7 février 1995 prévoit en son article 9.3.2. Départ volontaire à la retraite que :

‘a) L’avocat salarié demandant son départ à la retraite respecte un préavis dont la durée est de 2 mois.

b) L’intéressé perçoit une indemnité de fin de carrière calculée en fonction de son temps de présence dans le cabinet où il exerce lors de son départ volontaire en retraite.

Cette indemnité est calculée par cumul des éléments suivants :

– à partir de 1 an d’ancienneté dans le cabinet et jusqu’à la 20e année incluse : 1/5 (ou 20 %) de mois par année de présence ;

– de 21 à 25 ans inclus : 26 % de mois par année de présence au-delà des 20 premières années;

– de 26 à 30 ans inclus : 34 % de mois par année de présence au-delà de la 25e année ;

– de 31 ans à 35 ans inclus : 42 % de mois par année de présence au-delà de la 30e année ;

– à partir de 36 ans : 48 % de mois par année de présence au-delà de la 35e année.

En sus de ce qui précède, si le salarié est âgé de 65 ans au moins et titulaire de 10 ans de présence au moins au sein du cabinet : 1/2 mois de salaire de référence.

Dans le temps de présence il est tenu compte des fractions d’années pro rata temporis.

Le salaire mensuel retenu comme base de calcul est :

– soit la moyenne mensuelle de la rémunération acquise contractuellement au titre des 12 mois précédant le départ à la retraite ;

– soit 1/3 des 3 derniers mois précédant le départ à la retraite. Dans ce dernier cas, toute prime ou tout autre élément de salaire annuel ou exceptionnel qui aurait été versé à l’avocat salarié pendant cette période est pris en compte à due proportion ;

– soit la moyenne mensuelle des rémunérations acquises contractuellement au titre des 3 meilleurs exercices sociaux complets à l’intérieur des 7 derniers exercices sociaux complets, le résultat le plus favorable au salarié étant retenu.

En cas de concours entre plusieurs dispositions conventionnelles, contractuelles ou légales ayant le même objet, seule l’indemnité la plus élevée est versée au salarié.

Il est bien précisé que si le salarié a travaillé pour partie à temps complet et pour partie à temps partiel, l’indemnité est calculée pro rata temporis afin de tenir compte de ces situations diverses.

Le droit est ouvert à la notification de la décision de l’avocat salarié de faire valoir ses droits à retraite.

L’indemnité de départ à la retraite se calcule à la date de la cessation définitive du contrat.

c) Les cabinets d’avocats peuvent continuer à mutualiser au sein de la CREPA, dans les conditions prévues par les textes applicables au personnel non-avocat, l’indemnité de fin de carrière de leur salarié non-avocat devenu avocat salarié.’

La rémunération contractuelle d’un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans son accord. Il peut exister une rémunération extra-contractuelle issue des usages, décisions unilatérales de l’employeur ou accords collectifs.

En l’espèce, le contrat de travail de M. [O] du 23 février 1983 prévoit une rémunération brute mensuelle versée 12 mois par an. L’avenant au contrat de travail signé le 7 décembre 1993 prévoit en son article 6 une rémunération fixe mensuelle, versée 13 mois par an.

Il ressort des bulletins de salaire des années 2012 à 2013 et du tableau récapitulatif produits par la société Ernst & Young (pièces 8 et 10) que M. [O] percevait un salaire forfaitaire mensuel, outre un avantage en nature lié à un véhicule et des ‘primes exceptionnelles’ dont les montants et dates de versement étaient variables. Ces primes constituent en conséquence une rémunération extra-contractuelle qui n’a pas à être prise en compte pour le calcul de l’indemnité de fin de carrière due au titre de l’article 9.3.2 de la convention collective.

Les moyennes mensuelles de la rémunération acquise contractuellement au titre des 12 mois précédant le départ à la retraite et au titre des 3 meilleurs exercices sociaux complets à l’intérieur des 7 derniers exercices sociaux complets s’élèvent à 24 000 euros.

Le départ à la retraite de M. [O] est intervenu le 1er janvier 2019, son dernier jour de travail étant le 31 décembre 2018.

La moyenne des trois derniers mois précédant le départ à la retraite, comprenant toutes les primes et éléments de salaire exceptionnels versés durant cette période à due proportion, s’élève, conformément au calcul opéré par M. [O] à 72 792 euros soit :

– octobre 2018 : 24 000 + 152,14 + 116 600 / 4 + 75 600 /4 = 72 202,14 euros,

– novembre 2018 : 24 000 + 152,14 + 2 622 = 26 774,14 euros,

– décembre 2018 : 24 000 + 61 400 / 4 + 152,14 + 319 600 / 4 = 119 402,14 euros.

En retenant cette somme qui est la plus favorable au salarié, pour une ancienneté comprise entre 35 et 36 ans, l’indemnité de fin de carrière conventionnelle due à M. [O] s’élève à la somme de 688 611,72 euros bruts, conformément au calcul fait par l’appelant.

La société Ernst & Young a versé à M. [O] en décembre 2018 une somme de 381 000 euros correspondant d’une part pour 61 400 euros à une ‘prime de détachement défiscalisée’ et d’autre part pour 319 600 euros à une ‘prime exceptionnelle’.

Elle ne peut tout à la fois soutenir que M. [O] n’avait pas droit à une indemnité de fin de carrière conventionnelle puisqu’il avait démissionné et demander que soit déduite la somme de 319 600 euros qui correspondrait au versement d’une indemnité de fin de carrière faite en décembre 2018, dont elle prétendait dans son courriel du 19 mars 2020 qu’elle aurait été convenue avec M. [O], ce que ce dernier a contesté, faisant valoir qu’une prime et une indemnité de départ volontaire ont des natures différentes.

La somme de 319 600 euros ayant été versée à titre de ‘prime exceptionnelle’ et non en tant qu’indemnité de fin de carrière pour départ volontaire à la retraite, elle n’a pas à être déduite de la somme allouée à M. [O].

Sur la demande de dommages et intérêts

M. [O] sollicite une indemnisation de 10 000 euros sur le fondement de l’article 1240 du code civil pour exécution déloyale du contrat de travail et résistance abusive en faisant valoir que la société Ernst & Young convoque les arguments les plus spécieux et va jusqu’à se contredire pour ne pas s’acquitter de son obligation de lui verser l’indemnité de fin de carrière, alors que son intention était clairement de partir à la retraite. Il invoque en outre la mesure de rétorsion dont il a fait l’objet, par la dénonciation de son contrat de prestations de service quelques jours après sa demande écrite d’indemnité de fin de carrière.

La société Ernst & Young répond que M. [O] ne démontre ni en quoi sa position aurait caractérisé une exécution déloyale du contrat de travail ni le préjudice qu’il subirait de ce fait.

L’article 1240 du code civil dispose que ‘tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.’

Il ressort des pièces versées au débat évoquées plus avant que la société Ernst & Young, alors qu’elle était informée que la rupture du contrat de travail faite à l’initiative de M. [O] était liée à son départ à la retraite, n’a pas versé à ce dernier l’indemnité de fin de carrière prévue par la convention collective applicable. Après avoir prétendu que cette indemnité avait été versée au salarié pour la somme convenue de 319 600 euros, elle a soutenu que cette affirmation résultait d’une erreur et que le salarié n’avait droit à aucune somme puisqu’il avait démissionné purement et simplement. Elle a ainsi exécuté de manière déloyale le contrat de travail et a opposé une résistance abusive au versement de l’indemnité en cause.

En outre, M. [O] a envoyé un courriel le 5 mars 2020 à M. [L] [D] mentionnant que : ‘Malgré mes remarques formulées sur le sujet, Ernst & Young ne s’est toujours pas, sauf erreur, acquitté du paiement de mon indemnité de fin de carrière (départ volontaire à la retraite) tel que prévu à la Convention collective des avocats salariés. Mes observations sur le sujet étant demeurées sans réponse, je formalise cette fois-ci ma demande’. Il a effectué une relance le 16 mars 2020 faute de réponse. M. [D] lui a répondu le 19 mars 2020 d’une part qu’il n’avait formulé aucune remarque sur ce sujet depuis 14 mois et d’autre part que les primes reçues au 31 décembre 2019 (sic) pour un montant total de 381 000 euros étaient nettes de la prime d’expatriation et de l’indemnité de fin de carrière. Il reconnaissait ainsi le droit de M. [O] à percevoir cette somme, le fait que ce courriel ait été écrit deux jours après l’entrée en vigueur du premier confinement lié à la pandémie du Covid 19 ne pouvant conduire à considérer que les termes employés relèvent d’une erreur, comme le soutient la société Ernst & Young (pièce 16 de l’appelant).

C’est à la suite de cette réclamation que le contrat de prestation de services signé le 3 janvier 2019 entre la société Ernst & Young et la société LN Partners, dont M. [T] [O] était le représentant, a été résilié par la société Ernst & Young, par courrier recommandé daté du 25 mars 2020.

La résiliation du contrat de prestations de service constitue ainsi manifestement une mesure de rétorsion suite à la réclamation faite par M. [O].

M. [O] subit un préjudice du fait qu’il a été contraint, en raison du refus de la société Ernst & Young de lui verser l’indemnité de fin de carrière, de saisir le bâtonnier puis la cour d’appel.

La décision du bâtonnier sera infirmée en ce qu’elle a débouté M. [O] de sa demande de dommages et intérêts.

Statuant de nouveau, la cour allouera à M. [O] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les demandes accessoires

La société Ernst & Young sera condamnée aux dépens de l’instance d’appel.

La décision du bâtonnier sera confirmée en ce qu’elle a débouté la société Ernst & Young de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la demande de l’intimée formée du même chef en appel sera rejetée.

La décision du bâtonnier sera infirmée en ce qu’elle a débouté M. [O] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Statuant de nouveau du chef infirmé, la cour allouera à M. [O] une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la première instance et l’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Infirme la décision du bâtonnier des Hauts de Seine en date du 27 septembre 2021 sauf en ce qu’elle a débouté la société Ernst & Young de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Ernst & Young,

Condamne la société Ernst & Young à payer à M. [T] [O] les sommes de :

– 688 611,72 euros bruts à titre d’indemnité de fin de carrière prévue à la convention collective applicable,

– 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et résistance abusive,

– 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Ernst & Young aux dépens de l’instance d’appel,

Déboute la société Ernst & Young de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier en pré-affectation à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER EN PRE-AFFECTATION, LE PRESIDENT,

 


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