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Le recours du Syndicat national de l’édition contre la nouvelle classification sociale du Directeur de collection a été rejeté par le Conseil d’Etat.
La fiche pratique diffusée sur le site de l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (AGESSA) a exclu que l’activité de directeur de collection puisse relever du régime de sécurité sociale des artistes auteurs (antérieurement, la qualité d’auteur du directeur de collection faisait l’objet d’une appréciation individuelle selon le périmètre des contrats signés). L’AGESSA avait justifié sa nouvelle interprétation par la nécessité de clarifier une situation source d’insécurité juridique dans la mesure où, finalement, leur admission au sein de l’AGESSA ne pouvait concerner que ceux pouvant être considérés comme co-auteurs des ouvrages de la collection, notamment par leur participation au travail d’écriture ou à la restructuration des ouvrages, par la rédaction de préfaces, ou l’établissement d’index, et pour lesquels il devrait être établi un contrat d’auteur et non un contrat de directeur de collection.
Le champ d’application du régime de sécurité sociale des artistes-auteurs est défini par les dispositions des articles L. 382-1 et R. 382-2 du code de la sécurité sociale : il résulte de ces dispositions que les directeurs de collection ne sont susceptibles d’entrer dans le champ de ce régime que dans la mesure où leur activité permet de les regarder comme auteurs ou co-auteurs des ouvrages de la collection qu’ils dirigent. Tant l’AGESSA que les trois ministres exerçant sur cet organisme, étaient compétents pour donner l’interprétation de ces dispositions qu’ils ont pour mission de mettre en oeuvre.
En les interprétant comme ne régissant pas en principe l’activité de directeur de collection et comme devant conduire, dans le cas où celle-ci comporterait une activité d’auteur, à distinguer, notamment lors de la conclusion du contrat, l’activité salariée ou indépendante de directeur de collection de l’activité d’auteur, pouvant seule donner lieu à une rémunération en droits d’auteur et aux charges sociales qui y sont attachées, les ministres intéressés et l’AGESSA se sont bornés à interpréter les articles L. 382-1 et R. 382-2 du code de la sécurité sociale, sans en méconnaître le sens et la portée ni y ajouter aucune règle nouvelle.
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Conseil d’État
1ère – 4ème chambres réunies
21 octobre 2019
N° 424779
Thibaut Félix, rapporteur
Mme Marie Sirinelli, rapporteur public
SCP DIDIER, PINET ; SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN, avocats
Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance n° 1810779 du 8 octobre 2018, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 9 octobre 2018, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 23 juin 2018 au greffe de ce tribunal, présentée par le Syndicat national de l’édition. Par cette requête et par un mémoire en réplique, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 5 juin 2019, le Syndicat national de l’édition demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir, d’une part, l’interprétation impérative à caractère général, révélée par la fiche pratique diffusée sur son site internet en mai 2017 et confirmée par un courrier du 3 juillet 2017, par laquelle l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (AGESSA) a exclu que l’activité de directeur de collection puisse relever du régime de sécurité sociale des artistes auteurs, d’autre part, le courrier du 19 avril 2018, se rapportant à cette question, adressé au directeur de l’AGESSA et de la Maison des artistes par la ministre des solidarités et de la santé, le ministre de l’action et des comptes publics et la ministre de la culture ;
2°) de mettre à la charge de l’AGESSA et de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de la sécurité sociale ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Thibaut Félix, auditeur,
– les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat du Syndicat national de l’édition et à la SCP Didier, Pinet, avocat de l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 octobre 2019, présentée par le Syndicat national de l’édition ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l’article L. 382-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction alors applicable : ” Les artistes auteurs d’oeuvres littéraires et dramatiques (…), sous réserve des dispositions suivantes, sont affiliés obligatoirement au régime général de sécurité sociale pour les assurances sociales et bénéficient des prestations familiales dans les mêmes conditions que les salariés. (…) / L’affiliation est prononcée par les organismes de sécurité sociale, s’il y a lieu après consultation, à l’initiative de l’organisme compétent ou de l’intéressé, de commissions qui, instituées par branches professionnelles et composées en majorité de représentants des organisations syndicales et professionnelles des artistes, tiennent compte notamment de ses titres “. Aux termes de l’article R. 382-2 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : ” Entrent dans le champ d’application du présent chapitre les personnes dont l’activité, relevant des articles L. 112-2 ou L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle, se rattache à l’une des branches professionnelles suivantes : / 1°) Branche des écrivains : / – auteurs de livres, brochures et autres écrits littéraires et scientifiques ; / – auteurs de traductions, adaptations et illustrations des oeuvres précitées ; / – auteurs d’oeuvres dramatiques ; / – auteurs d’oeuvres de même nature enregistrées sur un support matériel autre que l’écrit ou le livre (…) “.
2. En vertu de l’article L. 382-4 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction alors applicable, le financement des charges incombant aux employeurs au titre des assurances sociales et des prestations familiales des artistes auteurs mentionnés à l’article L. 382-1 de ce code est assuré par le versement d’une contribution par toute personne qui procède à la diffusion ou à l’exploitation commerciale d’oeuvres littéraires et dramatiques originales et recouvrée, comme en matière de sécurité sociale, par l’intermédiaire d’un organisme agréé par l’autorité administrative qui assume, en matière d’affiliation, les obligations de l’employeur à l’égard de la sécurité sociale, lequel est, pour la branche des écrivains, l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (AGESSA).
3. Il ressort des pièces du dossier qu’au cours du mois de mai 2017, l’AGESSA a actualisé la ” fiche pratique ” relative à la ” branche des écrivains ” figurant sur son site internet, par laquelle elle explicite les personnes et les activités relevant, au titre de cette branche, du régime de sécurité sociale des artistes auteurs. Alors que cette fiche prévoyait, dans une version antérieure, que ” sous réserve d’une appréciation individuelle des situations par l’AGESSA, et notamment des contrats, peuvent être affiliables les (…) directeurs de collection dont le niveau de participation intellectuelle à la création des oeuvres est suffisamment établi “, elle fait désormais figurer les activités des directeurs de collection parmi les ” activités qui ne relèvent pas du régime des artistes auteurs “. Par un courrier du 3 juillet 2017 adressé au directeur général du Syndicat national de l’édition, le directeur de l’AGESSA a indiqué, en réponse aux interrogations suscitées par cette actualisation, que celle-ci ne révélait pas de sa part un changement d’interprétation quant à la situation des directeurs de collection mais une ” clarification “, dès lors que ” la précédente référence aux directeurs de collection était source d’insécurité juridique, dans la mesure où, finalement, leur admission au sein de l’AGESSA ne peut concerner que ceux pouvant être considérés comme co-auteurs des ouvrages de la collection, notamment par leur participation au travail d’écriture ou à la restructuration des ouvrages, par la rédaction de préfaces, ou (…) l’établissement d’index, et pour lesquels il devrait être établi un contrat d’auteur et non un contrat de directeur de collection “.
4. Par un courrier du 19 avril 2018 adressé au directeur de l’AGESSA et de la Maison des artistes, la ministre des solidarités et de la santé, le ministre de l’action et des comptes publics et la ministre de la culture, au contrôle desquels ces organismes agréés sont soumis en vertu de l’article R. 382-15 du code de la sécurité sociale, ont, sans remettre en cause l’interprétation révélée par la ” fiche pratique ” et le courrier de l’AGESSA, dont ils ont confirmé qu’elle devait conduire à distinguer, par des contrats séparés, l’activité de directeur de collection de celle d’auteur éventuellement exercée conjointement à cette occasion, précisé ” qu’un délai suffisant doit être laissé aux maisons d’édition concernées pour se mettre en conformité avec ces nouvelles dispositions. Aussi, nous vous demandons de différer l’entrée en vigueur de l’exclusion du champ du régime mentionné ci-dessus afin de permettre aux intéressés de modifier les contrats en cours et de prévoir de nouveaux contrats pour l’avenir à l’échéance de la première déclaration du 15 janvier 2019 “. Copie de ce courrier a été communiquée aux organisations représentatives des éditeurs et des auteurs du secteur du livre par un courriel du ministère de la culture du 6 juin 2018.
5. Le Syndicat national de l’édition demande l’annulation pour excès de pouvoir, d’une part, de l’interprétation impérative à caractère général révélée par la ” fiche pratique ” de mai 2017 et confirmée par le courrier du 3 juillet 2017, mentionnés au point 3, par laquelle l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs exclut que l’activité de directeur de collection puisse relever du régime de sécurité sociale des artistes auteurs et, d’autre part, du courrier des ministres en date du 19 avril 2018.
Sur la compétence du Conseil d’Etat :
6. Aux termes de l’article R. 311-1 du code de justice administrative : ” Le Conseil d’État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : / (…) 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale “.
7. Eu égard à ses termes et à la diffusion que lui ont donnée ses auteurs, le courrier du 19 avril 2018 doit être regardé comme une instruction de portée générale entrant dans le champ de l’article R. 311-1 du code de justice administrative. Le Conseil d’Etat est dès lors, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, compétent pour statuer, en premier et dernier ressort, sur les conclusions de celui-ci tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de ce courrier ainsi que sur les conclusions de ce syndicat dirigées contre l’interprétation impérative à caractère général de l’AGESSA, qui présentent à juger des questions connexes.
Sur l’intervention de la Société des gens de lettres :
8. La Société des gens de lettres justifie d’un intérêt suffisant à l’annulation des actes attaqués. Son intervention est ainsi recevable.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
9. En premier lieu, le champ d’application du régime de sécurité sociale des artistes-auteurs est défini par les dispositions des articles L. 382-1 et R. 382-2 du code de la sécurité sociale, citées au point 1. Il résulte de ces dispositions que les directeurs de collection ne sont susceptibles d’entrer dans le champ de ce régime que dans la mesure où leur activité permet de les regarder comme auteurs ou co-auteurs des ouvrages de la collection qu’ils dirigent. Tant l’AGESSA, organisme agréé chargé, en vertu de l’article L. 382-4 du code de la sécurité sociale, ainsi qu’il est dit au point 2, du recouvrement auprès des diffuseurs des charges sociales incombant aux employeurs et de l’affiliation des auteurs au régime de sécurité sociale, que les trois ministres auteurs du courrier du 19 avril 2018, exerçant en vertu de l’article R. 382-15 du même code la tutelle sur cet organisme, étaient compétents pour donner l’interprétation de ces dispositions qu’ils ont pour mission de mettre en oeuvre. En les interprétant comme ne régissant pas en principe l’activité de directeur de collection et comme devant conduire, dans le cas où celle-ci comporterait une activité d’auteur, à distinguer, notamment lors de la conclusion du contrat, l’activité salariée ou indépendante de directeur de collection de l’activité d’auteur, pouvant seule donner lieu à une rémunération en droits d’auteur et aux charges sociales qui y sont attachées, les ministres intéressés et l’AGESSA se sont bornés à interpréter les articles L. 382-1 et R. 382-2 du code de la sécurité sociale, sans en méconnaître le sens et la portée ni y ajouter aucune règle nouvelle.
10. En second lieu, l’interprétation ainsi révélée a pu rendre nécessaire la conclusion de nouveaux contrats pour certains directeurs de collection dont la situation le justifiait, afin de distinguer cette activité de celle d’auteur qu’elle pouvait comporter. Le courrier du 19 avril 2018 invite l’AGESSA à tenir compte, pendant la période courant jusqu’au 15 janvier 2019, dans son examen des situations individuelles, de l’absence éventuelle de distinction opérée par les contrats conclus jusqu’alors, de telle sorte que la seule absence de distinction de l’activité d’auteur de celle faisant l’objet du contrat de directeur de collection ne la conduise pas, au vu de ce contrat, à exclure improprement du régime de sécurité sociale les titulaires de tels contrats dont l’activité de directeur de collection comporterait une activité d’auteur. Toutefois, dès lors que les actes attaqués se bornaient, sans fixer de règle nouvelle, à interpréter le droit applicable, tel qu’il s’imposait déjà, et, pour le courrier des ministres, à expliciter les conséquences pratiques en résultant lors de la conclusion des contrats, le Syndicat national de l’édition ne peut utilement soutenir que les actes attaqués seraient illégaux faute d’avoir différé, y compris au-delà du 15 janvier 2019, correspondant à la date de déclaration et d’exigibilité des contributions et cotisations dues au titre du dernier trimestre de 2018, s’agissant du courrier du 19 avril 2018, la mise en conformité de la pratique des maisons d’édition avec cette interprétation.
11. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les fins de non-recevoir opposées par l’AGESSA et par la ministre des solidarités et de la santé, le Syndicat national de l’édition n’est pas fondé à demander l’annulation des actes qu’il attaque.
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat ou de l’AGESSA, qui ne sont pas les parties perdantes. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du requérant les frais que l’AGESSA demande au même titre.
D E C I D E :
Article 1er : L’intervention de la Société des gens de lettres est admise.
Article 2 : La requête du Syndicat national de l’édition est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative par l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au Syndicat national de l’édition, à l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs, à la ministre des solidarités et de la santé, au ministre de l’action et des comptes publics et au ministre de la culture.