En matière de travail clandestin par un sous-traitant (placé en liquidation), l’URSSAF est en droit d’appeler en garantie le donneur d’ordre.
Responsabilité solidaire
Il résulte des dispositions combinées des articles L.’8221-1 et R.’8222-1 du code du travail et L.’243-15 du code de la sécurité sociale, qu’est tenu solidairement avec son cocontractant qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour travail dissimulé au paiement des cotisations sociales et majorations de retard, le donneur d’ordre qui ne s’est pas assuré, lors de la conclusion d’un contrat et tous les six mois jusqu’à la fin de l’exécution du contrat, dont l’objet porte sur une obligation d’un montant au moins égal à 3’000 euros en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce, que son cocontractant s’acquitte de ses obligations au regard du travail dissimulé et est à jour de ses obligations de déclarations et de paiement des cotisations auprès de l’URSSAF.
Obligation de vérification du donneur d’ordre
Le donneur d’ordre qui, dans ce cas, ne se serait pas assuré que son cocontractant s’acquitte de ses obligations sociales sera dès lors tenu de s’acquitter des sommes exigibles en application de l’article L.’8222-2 du code du travail qui sont déterminées, aux termes de l’article L.’8222-3 du même code, à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession.
L’ensemble des dispositions des articles D.’8222-4 et D.’8222-5 du code du travail et L.’243-15 et D.’243-15 du code de la sécurité sociale, précisent que le donneur d’ordre professionnel doit se faire remettre par le sous-traitant, lors de la conclusion du contrat et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution, une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions sociales émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations datant de moins de six mois dont il s’assure de l’authenticité auprès de cet organisme en vérifiant l’exactitude des informations figurant dans l’attestation par voie dématérialisée ou sur demande directement auprès de l’organisme au moyen d’un numéro de sécurité.
Si l’immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu’il s’agit d’une profession réglementée, doit également lui être remis l’un des documents suivants :
— ’Un extrait de l’inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis)’;
— ’Une carte d’identification justifiant de l’inscription au répertoire des métiers’;
— ’Un devis, un document publicitaire ou une correspondance professionnelle, à condition qu’y soient mentionnés le nom ou la dénomination sociale, l’adresse complète et le numéro d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou à une liste ou un tableau d’un ordre professionnel, ou la référence de l’agrément délivré par l’autorité compétente’;
— ’Un récépissé du dépôt de déclaration auprès d’un centre de formalités des entreprises pour les personnes en cours d’inscription.
Contrôle inopiné du sous-traitant
En l’espèce, à la suite d’un contrôle inopiné de la société ESP CAL II à l’occasion duquel une situation de travail dissimulé par omission de déclaration de la totalité des salaires versés a été mise en évidence, l’URSSAF a dressé un procès-verbal de travail dissimulé et l’a transmis au procureur de la République.
Ce redressement n’a pas été contesté et la société sous-traitante a été placée en liquidation judiciaire. L’URSSAF a ensuite mis en oeuvre la solidarité financière du donneur d’ordre prévue par les articles L.’8222-1 et suivants du code du travail, et envoyé à la société donneur d’ordres une mise en demeure pour le paiement des cotisations dues par le sous-traitant à raison des prestations effectuées pour son compte.
Donneur d’ordres en faute
Les documents énumérés par l’article D.’8222-5 du code du travail sont les seuls dont la remise permet à la personne dont le cocontractant est établi en France lorsqu’elle n’est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l’article D.’8222-4, de s’acquitter de l’obligation de vérification mise à sa charge par l’article L.’8222-1 (Cass., 2e Civ., 11 février 2016, n°’15-10168).
Il s’ensuit que n’ayant pas procédé aux vérifications préalables qui lui incombaient en sa qualité de donneur d’ordre, la production d’une attestation sur l’honneur, des bordereaux déclaratifs du sous-traitant et de divers documents bancaires étant insuffisants pour pallier cette carence, la société n’a pas satisfait à son obligation de vigilance au titre de la période en cause, de sorte que le principe de la mise en oeuvre de sa solidarité financière prévue par l’article L.’8222-2 du code de la sécurité sociale n’était pas contestable.
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 12
ARRÊT DU 01 Octobre 2021
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 16/06337 –��N° Portalis 35L7-V-B7A-BYW3P
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Février 2016 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 15/02553
APPELANTE
URSSAF ILE DE FRANCE
Division des recours amiables et judiciaires
[…]
[…]
représentée par M. X en vertu d’un pouvoir général
INTIMEE
SAS Y Z
[…]
[…]
représentée par Me David KRIEF, avocat au barreau de PARIS, toque : D1619
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 10 juin 2021, en audience publique et double rapporteur, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Sophie BRINET, Présidente de chambre, et Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller, chargés du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sophie BRINET, Présidente de chambre
Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller
Monsieur Lionel LAFON, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Alice BLOYET, lors des débats
ARRET :
— CONTRADICTOIRE
— prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
— signé par Madame Sophie BRINET, Présidente de chambre, et par Madame Philippine QUIL, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales d’Île-de-France (l’URSSAF) d’un jugement rendu le 17 février 2016 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris dans un litige l’opposant à la S.A.S. Y Z (la société F.A.).
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES’:
Les circonstances de la cause ont été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé.
Il suffit de rappeler que la société F.A., qui a pour activité la fabrication de vêtements, a confié en sous-traitance, au cours de la période du 9 février 2012 au 31 décembre 2012, à la SARL ESP CAL II (la société ESP CAL II) une partie de son activité’; que la société ESP CAL II a fait l’objet d’un premier contrôle inopiné le 11 septembre 2012 puis d’un second le 5 février 2013 dans son atelier de confection’; qu’à l’occasion du second contrôle, il a été constaté qu’elle n’avait pas déclaré l’ensemble des rémunérations versées à son personnel au cours de l’année 2012′; que, le 26 février 2013, le service du contrôle a dressé un procès-verbal de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié et l’a transmis au procureur de la République le 16 juillet 2013′; que le 24 avril 2013, un redressement a été notifié par lettre d’observations à la société ESP CAL II à hauteur de 71’051’euros pour la période du 9 février au 31 décembre 2012 au titre des cotisations et contributions de sécurité sociale, outre 26’879’euros au titre de l’annulation de la «’réduction Fillon’», soit un redressement total de 97’930’euros et 14’101’euros de majorations de retard, soit un montant total de 112’031’euros.
La société ESP CAL II a fait l’objet d’une liquidation judiciaire le 5 mars 2014.
Par ailleurs, par lettre du 27 mars 2013, l’URSSAF a signalé à la société F.A., en sa qualité de donneur d’ordre, les faits de travail dissimulé constatés et lui a rappelé ses obligations dans le cadre des articles L.’8222-1 à L.’8222-5 du code du travail. À la suite de quoi, ayant constaté la défaillance de la société ESP CAL II, l’URSSAF a actionné la responsabilité solidaire et financière de la société F.A. en lui notifiant ses observations le 5 août 2014 conformément aux dispositions de l’article R.’243-59 du code de la sécurité sociale, et envisageant un redressement en cotisations, au prorata de sa part dans le chiffre d’affaires réalisé par la société sous-traitante en 2012 (72,14’%), outre les majorations de retard, d’un montant total de 80’819’euros. La société F.A. a fait valoir ses observations par lettre du 4 septembre 2014. Le service du contrôle a maintenu le redressement envisagé par lettre du 19 septembre 2014.
Le 13 janvier 2015, la société F.A. a été mise en demeure de procéder au règlement des cotisations rappelées en sa qualité de débiteur solidaire de la société ESP CAL II, à savoir 70’647’euros pour la période du 9 février au 31 décembre 2012, et des majorations de retard subséquentes d’un montant de 10’172’euros, soit une somme totale de 80’819’euros.
La société F.A. a saisi la commission de recours amiable, puis, le 12 mai 2015, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris sur rejet implicite.
La commission de recours amiable a rejeté la contestation de la société F.A. et a confirmé le redressement par décision du 7 septembre 2015.
Le 9 décembre 2015, la société F.A. a de nouveau saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris à l’encontre de cette décision de la commission de recours amiable.
Par jugement du 7 février 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris a’:
— ’Prononcé la jonction des recours n°’15-02553 et n°’15-06071′;
Et statuant par un seul jugement sous le numéro le plus ancien, n°’15-02553,
— ’Fait droit à la demande présentée par la société’;
— ’Constaté que les conditions de la mise en oeuvre de la solidarité financière à l’encontre de la société ne sont pas réunies’;
— ’Annulé la mise en demeure délivrée le 13 janvier 2015′;
— ’Rejeté la demande reconventionnelle’;
— ’Rejeté les autres demandes plus amples ou contraires.
Le 22 avril 2016, l’URSSAF a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 30 mars 2016.
Par ses conclusions récapitulatives n°2 soutenues oralement par son mandataire, l’URSSAF demande à la cour de’:
— ’Déclarer son appel introduit le 21 avril 2016 recevable et bien fondé
— ’Réformer le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris le 17 février 2016 en ce qu’il annule le redressement et rejette sa demande reconventionnelle’;
Statuant à nouveau,
— ’Confirmer le redressement qu’elle a opéré’;
— ’Confirmer la décision de la commission de recours amiable du 7 septembre 2015′;
— ’Accueillir sa demande reconventionnelle et condamner la société au paiement de la somme de 70’647’euros en principal et 10’172’euros au titre des majorations de retard provisoires’;
En tout état de cause,
— ’Rejeter les moyens, fins et prétentions de la société’;
— ’Condamner la société à 2’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ses conclusions d’intimée n°3 soutenues oralement par son conseil, la société demande à la cour, au visa des articles L.’8222-1 du code du travail et L.’123-1 du code des relations entre le public et l’administration, de’:
— ’Déclarer l’URSSAF mal fondée en son appel’;
En conséquence,
Pour tous les moyens invoqués au terme des présentes écritures faisant corps avec le présent dispositif,
— ’Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 17 février 2016 par le tribunal des affaires de sécurité sociale,
Y ajoutant,
Et statuant de nouveau,
En tant que de besoin,
— ’Annuler la décision de la commission de recours amiable du 7 septembre 2015 et plus généralement le redressement opéré par l’URSSAF’;
— ’Débouter l’URSSAF de toutes ses demandes, fins et conclusions’;
— ’Subsidiairement faire bénéficier la société du droit à l’erreur et la dispenser du paiement des cotisations et pénalités liées à l’infraction pénale commise par la société ESP CALII’;
— ’Condamner l’URSSAF à lui payer une indemnité de 1’500’euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’;
— ’Condamner l’URSSAF aux entiers dépens de l’instance.
Pour un exposé complet des moyens et arguments des parties, il est renvoyé aux conclusions des parties déposées, reprises et soutenues oralement à l’audience du 10 juin 2021 où elles ont été visées par le greffe.
SUR CE’:
Sur le redressement
1) Prétentions des parties
Sur la mise en oeuvre de la solidarité financière, l’URSSAF observe que la société F.A. a communiqué des attestations sur l’honneur obtenues de son sous-traitant, ainsi que la copie des chèques de versements des cotisations par ce dernier correspondant au paiement des quatre bordereaux trimestriels récapitulatifs qu’il avait préalablement établis au titre de l’année 2012. Néanmoins, poursuit l’URSSAF, la société F.A. n’a pas satisfait à son obligation, telle que fixée à l’article D.’8222-5 du code du travail qui énumère les seuls documents permettant au donneur d’ordre de s’acquitter de son obligation de vérification. L’URSSAF ajoute que les trois conditions de la mise en oeuvre de la solidarité financière sont réunies (constat par l’inspecteur du recouvrement d’une situation de travail dissimulé du sous-traitant pour une prestation d’au moins 3’000’euros’; défaut de vérification du donneur d’ordre’; verbalisation pour travail dissimulé du sous-traitant).
Sur la lettre d’observations, l’URSSAF soutient que la mention de la société Stewill, à un seul endroit, est une erreur de plume qui n’a pas pu induire en erreur la société F.A. qui a été mise en mesure de comprendre la nature, la cause et l’étendue du redressement envisagé à son encontre.
Sur la mise en oeuvre de la solidarité financière, la société F.A. réplique qu’elle n’a pas failli à son obligation de vigilance et s’est fait remettre par son cocontractant un certain nombre de documents, dont la force probante est équivalente aux documents réclamés par l’URSSAF, pour s’assurer qu’il s’acquittait des obligations lui incombant et qu’elle a ainsi justifié avoir obtenu de ce dernier la remise de son extrait K’bis, d’une attestation sur l’honneur quant à la réalisation de travaux avec des salariés employés régulièrement, de son bail commercial, des déclarations des cotisations sociales avec la copie des chèques de règlement pour les périodes des 1er au 4e trimestres 2012, ainsi que des extraits de relevés de son compte bancaire. N’étant pas contesté que le sous-traitant a payé les cotisations déclarées, ce dernier remplissait donc en apparence les obligations découlant des dispositions du code du travail applicables. D’ailleurs, la société F.A. observe que seule la mise en oeuvre de mesures d’investigations spécifiques a permis à l’URSSAF de détecter la dissimulation d’une partie des salaires effectivement versés et ce, seulement à l’issue d’un second contrôle inopiné.
Aussi, la société F.A. soutient que l’URSSAF n’est pas fondée en son redressement dès lors que, d’une part, elle ne démontre pas qu’elle n’aurait pas délivré les documents requis avant son contrôle au regard des éléments déclarés et des sommes payées, et que, d’autre part, elle n’explique pas en quoi l’attestation requise aurait permis au donneur d’ordre de découvrir que son cocontractant dissimulait une partie de son activité. La société F.A. ajoute que l’URSSAF ne démontrait pas davantage que les documents obtenus du sous-traitant, à l’instar de l’attestation requise par les textes, n’attesteraient pas de façon équivalente de la réalité des déclarations et des paiements effectués par le sous-traitant, et que les informations contenues dans ces documents n’auraient pas été démenties par l’attestation en cause. Elle soutient que les arrêts de la Cour de cassation du 11 février 2016 ne sont pas applicables puisque dans ces espèces, la Cour n’avait pas constaté que la dissimulation d’activité n’avait pu être révélée qu’à l’issue d’un second contrôle approfondi de l’URSSAF, ni que le donneur d’ordre s’était fait remettre les chèques et les relevés bancaires du prestataire, ni qu’il avait été demandé à l’URSSAF en quoi l’attestation requise aurait une force probante supérieure aux documents que le donneur d’ordre a pu obtenir de son cocontractant, ni qu’il avait été évoqué le moyen selon lequel le refus d’admettre des documents équivalents pour pallier l’absence de l’attestation réclamée priverait le donneur d’ordre de la faculté de contester le bien-fondé de la mise en jeu de la solidarité financière alors que le Conseil constitutionnel est venu rappeler que ce mécanisme ne saurait interdire au donneur d’ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires. Enfin, elle ajoute qu’elle a réclamé à son cocontractant le 2 avril 2013 une attestation de l’URSSAF et ensuite avoir mis fin au lien contractuel le 22 avril 2013.
Sur la lettre d’observations, la société F.A. soutient que le principe du contradictoire n’a pas été suffisamment respecté et que le quantum réclamé n’est pas justifié, l’URSSAF n’ayant versé à ce jour aucune pièce justificative permettant de vérifier le calcul des cotisations dues par la société ESP CAL II, notamment le montant des cotisations éludées et le chiffre d’affaires global réalisé par la société sous-traitante. Elle rappelle que la société ESP CAL II ayant été mise en liquidation judiciaire, elle n’a pas contesté le redressement et qu’ainsi, sans pièce justificative, il n’est pas possible de vérifier sur la base de la seule lettre d’observations que l’URSSAF n’a pas commis d’erreurs. Elle observe que d’ailleurs cette lettre contient des éléments contradictoires puisque l’URSSAF prétend que la part de sa participation au chiffre d’affaires de son sous-traitant serait de 70,14’% et en même temps énonce que ce ratio serait celui de la société Stewill. Enfin, l’URSSAF ne lui a pas communiqué le procès-verbal de travail dissimulé.
2) Réponse de la cour
Il résulte des dispositions combinées des articles L.’8221-1 et R.’8222-1 du code du travail et L.’243-15 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction respective applicable à l’espèce, qu’est tenu solidairement avec son cocontractant qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour travail dissimulé au paiement des cotisations sociales et majorations de retard, le donneur d’ordre qui ne s’est pas assuré, lors de la conclusion d’un contrat et tous les six mois jusqu’à la fin de l’exécution du contrat, dont l’objet porte sur une obligation d’un montant au moins égal à 3’000’euros en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce, que son cocontractant s’acquitte de ses obligations au regard du travail dissimulé et est à jour de ses obligations de déclarations et de paiement des cotisations auprès de l’URSSAF.
Le donneur d’ordre qui, dans ce cas, ne se serait pas assuré que son cocontractant s’acquitte de ses obligations sociales sera dès lors tenu de s’acquitter des sommes exigibles en application de l’article L.’8222-2 du code du travail qui sont déterminées, aux termes de l’article L.’8222-3 du même code, à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession.
L’ensemble des dispositions des articles D.’8222-4 et D.’8222-5 du code du travail et L.’243-15 et D.’243-15 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction respective applicable à la cause, précisent que le donneur d’ordre professionnel doit se faire remettre par le sous-traitant, lors de la conclusion du contrat et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution, une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions sociales émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations datant de moins de six mois dont il s’assure de l’authenticité auprès de cet organisme en vérifiant l’exactitude des informations figurant dans l’attestation par voie dématérialisée ou sur demande directement auprès de l’organisme au moyen d’un numéro de sécurité. Si l’immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu’il s’agit d’une profession réglementée, doit également lui être remis l’un des documents suivants’:
— ’Un extrait de l’inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis)’;
— ’Une carte d’identification justifiant de l’inscription au répertoire des métiers’;
— ’Un devis, un document publicitaire ou une correspondance professionnelle, à condition qu’y soient mentionnés le nom ou la dénomination sociale, l’adresse complète et le numéro d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou à une liste ou un tableau d’un ordre professionnel, ou la référence de l’agrément délivré par l’autorité compétente’;
— ’Un récépissé du dépôt de déclaration auprès d’un centre de formalités des entreprises pour les personnes en cours d’inscription.
En l’espèce, à la suite d’un contrôle inopiné de la société ESP CAL II à l’occasion duquel une situation de travail dissimulé par omission de déclaration de la totalité des salaires versés a été mise en évidence, l’URSSAF a dressé un procès-verbal de travail dissimulé le 26 février 2013 et l’a transmis au procureur de la République le 16 juillet 2015. Ce redressement n’a pas été contesté et la société sous-traitante a été placée en liquidation judiciaire. L’URSSAF a ensuite mis en oeuvre la solidarité financière du donneur d’ordre prévue par les articles L.’8222-1 et suivants du code du travail, et envoyé à la société F.A. une mise en demeure pour le paiement des cotisations dues par le sous-traitant à raison des prestations effectuées pour son compte entre le 9 février 2012 et le 31 décembre 2012. Après observations de la société F.A., le service du contrôle a maintenu le rappel de cotisations et de contributions envisagé.
Aujourd’hui, la société F.A. ne conteste pas ne pas avoir produit au service du contrôle les diverses pièces expressément requises par les articles L.’243-15 du code de la sécurité sociale et D.’8222-5 du code du travail pour les périodes comprises du 9 février au 31 décembre 2012, mais se prévaut de diverses pièces dont une attestation sur l’honneur de son cocontractant.
Or les documents énumérés par l’article D.’8222-5 du code du travail sont les seuls dont la remise permet à la personne dont le cocontractant est établi en France lorsqu’elle n’est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l’article D.’8222-4, de s’acquitter de l’obligation de vérification mise à sa charge par l’article L.’8222-1 (Cass., 2e Civ., 11 février 2016, n°’15-10168).
Il s’ensuit que n’ayant pas procédé aux vérifications préalables qui lui incombaient en sa qualité de donneur d’ordre, la production d’une attestation sur l’honneur, des bordereaux déclaratifs du sous-traitant et de divers documents bancaires étant insuffisants pour pallier cette carence, la société F.A. n’a pas satisfait à son obligation de vigilance au titre de la période en cause, de sorte que le principe de la mise en oeuvre de sa solidarité financière prévue par l’article L.’8222-2 du code de la sécurité sociale n’est pas sérieusement contestable.
Les développements de la société F.A. tendant à montrer que l’URSSAF n’est pas fondée en son redressement parce qu’elle n’établit pas qu’elle n’aurait pas délivré au sous-traitant l’attestation litigieuse au regard des éléments qu’elle connaissait avant son contrôle et que cette attestation n’aurait pas permis au donneur d’ordre de découvrir que son cocontractant dissimulait une partie de son activité en ne déclarant pas toutes les rémunérations versées à ses salariés est sans emport dans la mesure où il n’est pas reproché la société F.A. de ne pas avoir mis à jour le travail dissimulé de son cocontractant, investigation qu’elle n’était pas chargée d’accomplir, mais seulement d’avoir manqué à sa propre obligation de vigilance au regard d’une situation administrative, manquement qui seul justifie la mise en oeuvre de sa solidarité financière.
Il est par ailleurs inexact de prétendre que le refus d’admettre des documents équivalents aux documents requis par la loi et les règlements priverait le donneur d’ordre de la faculté de contester la régularité de la procédure dans la mesure où détenant le procès-verbal de travail dissimulé et la lettre d’observations adressée à son sous-traitant, ainsi que les éléments de la procédure de mise en oeuvre de la solidarité financière le concernant, le donneur d’ordre pouvait combattre utilement l’ensemble pour dégager, le cas échéant, sa responsabilité financière et solidaire.
En effet, la société F.A. conteste le redressement en faisant valoir que l’URSSAF n’a pas respecté le principe du contradictoire en ne justifiant pas le quantum au moyen de pièces justificatives, malgré sa demande, et en ne lui communiquant pas davantage le procès-verbal de travail dissimulé.
Or, le procès-verbal de travail dissimulé, faute d’avoir été sollicité au préalable, a été versé en cours de procédure sans qu’il soit pour autant discuté ou critiqué par la société F.A. (pièce n°’7 de l’URSSAF). Il en est de même pour la lettre d’observations adressée au sous-traitant (pièce n°1 de l’URSSAF). Dès lors, le donneur d’ordre ne peut valablement reprocher à l’URSSAF un manquement au principe du contradictoire.
En outre, il est constant que le montant total du chiffre d’affaires réalisé au cours de la période contrôlée, l’existence des deux seuls clients de la société sous-traitante, le montant total du rappel de cotisations et contributions de sécurité sociale, d’assurance chômage et d’AGS envisagé apparaissent dans la lettre d’observations du 24 avril 2013 envoyée à la société ESP CAL II et le procès-verbal de travail dissimulé du 26 février 2013.
La lettre d’observations du 5 août 2014 et la mise en demeure du 13 janvier 2015 adressées à la société F.A. font également état du montant des cotisations rappelées et des majorations de retard subséquentes, mais au préalable indiquent le montant des sommes perçues par la société ESP CAL II au cours de l’année 2012, le montant des versements effectués par la société F.A. et le pourcentage que représentent ces versements dans le chiffre d’affaires de la société ESP CAL II, à savoir 72,14’%.
Il importe peu qu’une erreur matérielle manifeste soit intervenue dans la désignation de la société dans l’un des tableaux de la lettre d’observations. En effet, au regard du chiffre d’affaires total de la société sous-traitante et le montant des versements de la société F.A. retrouvés en comptabilité, la part des paiements de cette dernière société dans le chiffre d’affaires de son sous-traitant était vérifiable, a fortiori si l’on considère que la société F.A., détentrice de sa propre comptabilité, pouvait vérifier que le montant des versements la concernant qui ont été retrouvés dans la comptabilité de son sous-traitant était exact ou erroné sans que l’URSSAF ait besoin de lui fournir des «’pièces justificatives’». Or, sur ce point, la société F.A. ne cherche même pas à démontrer que l’URSSAF ait pu commettre une erreur.
Il s’ensuit que la critique du quantum du redressement opérée par la société F.A. n’est pas davantage fondée.
Dans ces conditions, le redressement opéré par l’URSSAF au titre de la solidarité financière de la société F.A. étant justifié en son principe et son montant, le jugement doit être infirmé en toutes ses dispositions et le redressement opéré par mise en demeure du 13 janvier 2015 et confirmé par la décision de la commission de recours amiable du 7 septembre 2015, sera confirmé.
Sur le droit à l’erreur
1) Prétentions des parties
À titre subsidiaire, la société F.A. invoque le dispositif du droit à l’erreur tel que créé par l’article 2 (V) de la loi n°’2018-727 du 10 août 2018 et codifié à l’article L.’123-1 du code des relations entre le public et l’administration. Elle soutient que le défaut d’attestation pour la seule période en cause s’analyse en une erreur au sens de l’article L.’123-1 du code des relations entre le public et l’administration. Elle fait valoir que depuis 44 ans elle a régulièrement recours à des sous-traitants et que sa responsabilité financière n’a jamais été recherchée jusqu’à ce jour. En outre, elle a cessé toute relation commerciale avec son sous-traitant dès qu’elle a été informée des irrégularités constatées par l’URSSAF et a répondu aux demandes de cet organisme dans le cadre de la procédure de redressement. Elle soutient donc que les conditions d’application de l’article précité sont remplies dès lors que le redressement s’analyse comme une sanction en lien avec une infraction pénale comme a pu le décider le Conseil constitutionnel et comme l’indique l’URSSAF sur son site internet, qu’elle a cessé toute relation commerciale avec la société en cause et qu’elle est de bonne foi.
L’URSSAF réplique que la société F.A. qui a commencé son activité en janvier 1977 n’est pas un donneur d’ordre novice’; que le dispositif de la solidarité financière créé en 1994 a été régulièrement publié au Journal Officiel’; que la société F.A. ne peut donc pas soutenir de bonne foi ignorer son obligation en 2012′; que le Conseil constitutionnel a indiqué que ce dispositif n’était pas une sanction et que le donneur d’ordre dispose d’une action récursoire contre le débiteur principal’; qu’en conséquence, ce dispositif n’entre pas dans le champ d’application de la loi sur le droit à l’erreur.
2) Réponse de la cour
L’article L.’123-1 du code des relations entre le public et l’administration, dispose que’:
«’Une personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l’objet, de la part de l’administration, d’une sanction, pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d’une prestation due, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l’administration dans le délai que celle-ci lui a indiqué.
«’La sanction peut toutefois être prononcée, sans que la personne en cause ne soit invitée à régulariser sa situation, en cas de mauvaise foi ou de fraude.
«’Les premier et deuxième alinéas ne sont pas applicables’:
«’1° Aux sanctions requises pour la mise en oeuvre du droit de l’Union européenne’;
«’2° Aux sanctions prononcées en cas de méconnaissance des règles préservant directement la santé
publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement’;
«’3° Aux sanctions prévues par un contrat’;
«’4° Aux sanctions prononcées par les autorités de régulation à l’égard des professionnels soumis à leur contrôle.’»
Ces dispositions ne sont pas applicables à l’espèce dans la mesure où d’abord le manquement du donneur d’ordre à son obligation de vigilance ne peut pas s’analyser en une erreur, ce dernier connaissant ou devant connaître son obligation légale qui est précise et sans ambiguïté, ensuite la solidarité financière du donneur d’ordre ne peut pas s’analyser en une sanction pécuniaire ou en la privation de tout ou partie d’une prestation due, et enfin les retards et omissions de déclaration ou de diligences dans les délais prescrits par un texte ne sont plus régularisables à l’issue desdits délais.
En effet, le dispositif de la vigilance du donneur d’ordre en matière de sous-traitance et de régularité de son cocontractant au regard de ses obligations fiscales et sociales a été créé en 1994 et est régulièrement publié au Journal Officiel. Les textes codifiés donnent une liste précise et exhaustive des documents devant être obtenus par le donneur d’ordre en fonction des situations respectives du donneur d’ordre et du sous-traitant. Aucune de ces exigences légales n’est ambiguë, imprécise ou susceptible d’induire un donneur d’ordre en erreur. Le donneur d’ordre, qui allègue avoir recours à des sous-traitants depuis 44 ans, avait ou aurait dû avoir connaissance de son obligation de vigilance.
En outre, dans le cas de la solidarité financière, le donneur d’ordre qui s’est acquitté du paiement des sommes dues par son sous-traitant dispose d’une action récursoire à l’encontre du débiteur principal, soit en la personne morale, soit en celle de son gérant. Cette solidarité ne revêt donc pas le caractère d’une sanction au sens administratif.
Enfin, le devoir de vigilance étant prescrit à date précise, à savoir à la date de signature du contrat et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution, un manquement à ce devoir n’est pas susceptible de régularisation a posteriori. Il importe peu dès lors que la société F.A. ait cessé toute relation commerciale avec la société ESP CAL II lorsqu’elle a été informée par l’URSSAF de la situation de travail dissimulé de son sous-traitant.
Sur la demande reconventionnelle
La société F.A. n’établit pas s’être acquittée des sommes réclamées au titre du redressement contesté.
Le redressement étant justifié en son principe et son quantum, il sera fait droit à la demande reconventionnelle en paiement de l’URSSAF.
Sur les mesures accessoires
Succombant à l’appel, la société F.A. sera condamnée aux dépens.
La société F.A. sera condamnée à payer à l’URSSAF la somme de 1’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour
DÉCLARE l’appel recevable’;
INFIRME le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris du 17 février 2016 en
toutes ses dispositions’;
Et statuant à nouveau,
CONFIRME le redressement de la S.A.S. Y Z opéré par mise en demeure du 13 janvier 2015 et confirmé par la commission de recours amiable le 7 septembre 2015′;
CONDAMNE la S.A.S. Y Z à payer à l’URSSAF d’Île-de-France les sommes de 70’647’euros au titre des cotisations et contributions de sécurité sociale et de 10’172’euros au titre des majorations de retard provisoires’;
CONDAMNE la S.A.S. Y Z à payer à l’URSSAF d’Île-de-France la somme de 1’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;
CONDAMNE la S.A.S. Y Z aux entiers dépens d’appel.
La greffière, La présidente,