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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 2
ARRET DU 08 DECEMBRE 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/07809 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFVVK
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 07 Mars 2022 -Président du TJ de PARIS – RG n° 19 / 60415
APPELANTE
Mme [L] [E] [N]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Laurent POZZI-PASQUIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
Substitué à l’audience par Me Lorène DERHY, avocat au barreau de PARIS, toque : E1320
INTIMEE
LA VILLE DE [Localité 6], prise en la personne de Madame la Maire de [Localité 6], Mme [U] [B], domiciliée en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Fabienne DELECROIX de la SELARL DELECROIX-GUBLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R229
Assistée par Me Célia DUGUES, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Novembre 2022, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Thomas RONDEAU, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre
Thomas RONDEAU, Conseiller,
Michèle CHOPIN, Conseillère,
Qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
*****
EXPOSÉ DU LITIGE
Par exploit en date du 5 novembre 2019, la ville de [Localité 6] a fait assigner Mme [L] [E] devant le tribunal de grande instance de Paris, devenu tribunal judiciaire de Paris, saisi selon la procédure en la forme des référés, sur le fondement notamment des dispositions de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, concernant l’appartement situé [Adresse 2]) (1er étage, 2ème porte à gauche, lot n°51).
Par ordonnance du 14 février 2020, le président du tribunal a sursis à statuer sur les demandes de la ville de Paris dans l’attente d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne appelée, sur renvoi préjudiciel de la Cour de cassation (Civ. 3e, 15 nov. 2018, n°17-26.156), à apprécier la compatibilité de la réglementation nationale, telle que celle prévue par l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, à la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006.
Par arrêt du 22 septembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré la réglementation nationale conforme aux dispositions de la directive 2006/123/CE (CJUE, 22 septembre 2020, Cali Apartments, affaires jointes C-724/18 et C-727/18).
Par cinq arrêts en date du 18 février 2021, la Cour de cassation a tiré les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne. Elle a notamment jugé que la réglementation locale de la ville de [Localité 6] sur le changement d’usage est conforme à la réglementation européenne.
L’affaire a été rétablie à l’audience du 31 janvier 2022.
Par conclusions déposées et soutenues à l’audience, la ville de [Localité 6] demandait de voir :
‘ condamner Mme [E] à payer à la ville de [Localité 6] une amende civile de 50.000 euros ;
‘ condamner Mme [E] à payer à la ville de [Localité 6] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ la condamner aux entiers dépens.
En réplique, Mme [E] demandait le rejet des demandes, subsidiairement la réduction de l’amende civile à hauteur de 1.000 euros, 2.400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la condamnation de la ville de [Localité 6] aux dépens (ou que chaque partie conserve la charge de ses dépens), le rejet de l’exécution provisoire.
Par ordonnance contradictoire en la forme des référés du 7 mars 2022, le magistrat du tribunal judiciaire de Paris a :
– condamné Mme [E] au paiement d’une amende civile de 15.000 euros, dont le produit sera versé à la ville de [Localité 6] ;
– condamné Mme [E] à payer à la ville de [Localité 6] la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné Mme [E] aux dépens ;
– rappelé que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de plein droit.
Par déclaration du 18 avril 2022, Mme [E] a relevé appel de la décision.
Dans ses conclusions remises le 30 mai 2022, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, Mme [E] demande à la cour, au visa des articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation, des décrets n°2019-315 du 12 avril 2019 et n°69-1076 du 28 novembre 1969, des articles 9, 696 et 700 du code de procédure civile, de :
– déclarer recevables l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
à titre principal,
– juger l’infraction de changement d’usage non constituée en l’absence de démonstration par la ville de [Localité 6] de l’usage d’habitation des lieux au 1er janvier 1970 ;
en conséquence,
– infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue en la forme des référés en date du 7 mars 2022 n°19/60415 ;
– débouter la ville de [Localité 6] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions contraires à savoir, la demande tendant à la voir condamnée à une amende civile de 50.000 euros, outre la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 ainsi qu’aux entiers dépens ;
à titre subsidiaire, si l’infraction présumée au changement d’usage devait être caractérisée,
– prendre acte de sa bonne foi et des diligences entreprises pour se conformer à la réglementation en vigueur, de sa situation personnelle et financière particulièrement fragile et de l’absence d’enrichissement au détriment de la ville de [Localité 6] ;
– infirmer sa condamnation à une amende de 25.000 euros ;
en conséquence,
– ramener l’amende à de plus justes proportions ne pouvant excéder la somme de 5.000 euros ;
en tout état de cause,
– condamner la ville de [Localité 6] à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d’appel qui pourront être recouvrés directement par Me Lorène Derhy, et, subsidiairement, ordonner que chacune des parties conservent à sa charge les frais de procédure et les dépens compte tenu de l’équité.
Mme [E] soutient en substance :
– que la preuve de l’usage d’habitation au 1er janvier 1970 n’est pas rapportée et que le tribunal judiciaire a eu une lecture erronée de la fiche H2 produite aux débats dès lors que celle-ci concernait le lot n°3 alors que l’appartement litigieux correspond au lot n°2 bis ;
– que la fiche H2 correspondant au lot n°2 bis ne permet pas d’établir l’usage d’habitation au 1er janvier 1970, la date d’entrée dans les lieux et le loyer n’étant pas renseignés si bien qu’il est impossible de connaître l’usage du bien au 1er janvier 1970 et qu’en outre, elle n’est ni datée ni signée par son souscripteur, ni même enregistrée auprès de l’administration fiscale ;
– que le relevé de propriété et l’atelier fiscal produits aux débats sont insuffisants pour établir l’affectation à l’habitation du logement litigieux à la date du 1er janvier 1970 ;
– qu’à titre subsidiaire, il convient de réduire le montant de l’amende à de plus justes proportions compte tenu de sa situation personnelle et de sa bonne foi.
Dans ses conclusions remises le 15 juin 2022, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la ville de [Localité 6] demande à la cour au visa de l’article 481-1 du code de procédure civile, de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, de l’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation, de :
– juger celle-ci recevable et bien fondée en ses conclusions ;
– débouter Mme [E] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
– confirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
– condamner Mme [E] à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– la condamner aux entiers dépens.
La ville de [Localité 6] soutient en substance :
– que le local en cause est à usage d’habitation sans aucun changement d’affectation comme l’attestent l’extrait du registre cadastral, la fiche modèle H2 du 10 novembre 1970, la fiche atelier fiscal et le fichier vidoc ;
– que la fiche H2 portant mention lot 2bis ne correspond pas au local de Mme [E] en ce qu’elle porte sur un local de 11m² alors que le local litigieux est de 10m² ;
– que le bien litigieux n’est pas la résidence principale du loueur comme l’attestent les renseignements de la DRFIP ;
– que le bien a fait l’objet de locations de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile ;
– que le quantum de l’amende doit être dissuasif et tenir compte du gain illicite.
SUR CE LA COUR
L’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation dispose que toute personne qui enfreint les dispositions de l’article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende civile dont le montant ne peut excéder 50.000 euros par local irrégulièrement transformé.
Selon l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, un local est réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve. Les locaux construits ou faisant l’objet de travaux ayant pour conséquence d’en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l’usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés.
Toutefois, lorsqu’une autorisation administrative subordonnée à une compensation a été accordée après le 1er janvier 1970 pour changer l’usage d’un local mentionné à l’alinéa précédent, le local autorisé à changer d’usage et le local ayant servi de compensation sont réputés avoir l’usage résultant de l’autorisation.
Sont nuls de plein droit tous accords ou conventions conclus en violation du présent article.
Le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage au sens du présent article.
Pour l’application des dispositions susvisées, il y a donc lieu d’établir :
– l’existence d’un local à usage d’habitation, un local étant réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, sauf pour les locaux construits ou faisant l’objet de travaux ayant pour conséquence d’en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 qui sont réputés avoir l’usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés, le formulaire administratif de type H2 rempli à cette époque dans le cadre de la législation fiscale permettant de préciser l’usage en cause ;
– un changement illicite, sans autorisation préalable, de cet usage, un tel changement étant notamment établi par le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile.
Il est en outre constant que, s’agissant des conditions de délivrance des autorisations, la ville de [Localité 6] a adopté, par règlement municipal et en application de l’article L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation, le principe d’une obligation de compensation par transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage.
En l’espèce, s’agissant d’abord de l’usage d’habitation, il sera relevé :
– qu’une fiche H2 est produite, en date du 10 novembre 1970 ;
– que cette fiche expose que le logement concerné, situé au 1er étage porte gauche, a une superficie de 10 m² et que le local litigieux est à usage d’habitation, faisant explicitement mention d’un locataire au 1er janvier 1970 ;
– que le constat de l’agent assermenté de la Ville de [Localité 6] porte sur un logement de 10 m², situé au 1er étage, deuxième porte sur la gauche ;
– que la fiche H2 du 10 novembre 1970 correspond ainsi bien au logement litigieux, étant observé que la fiche “atelier fiscal” produite indique qu’il s’agit du seul logement de 10 m² à cet étage ;
– que, comme l’a rappelé le premier juge, dans ces conditions, la seule circonstance que la fiche du 10 novembre 1970 porte une mention manuscrite “lot 3”, alors que le numéro de lot du bien était avant 1985 “lot 2bis”, n’est pas de nature à empêcher de constater que la déclaration concerne bien le lot litigieux, au regard des éléments de superficie et de localisation du bien, l’autre fiche H2 dont fait état l’appelante, relative certes à un “lot 2bis”, concernant un autre bien d’une superficie de 11 m² ;
– qu’il s’en déduit que l’usage d’habitation au 1er janvier 1970 est établi, ce qui se déduit sans difficulté de la mention d’un occupant locataire à cette date dans la déclaration H2.
Par ailleurs, il est constant que le bien en cause ne constitue pas la résidence principale du loueur (renseignements fiscaux pièce 5) et que le bien a fait l’objet de locations de courtes durées à une clientèle de passage sans mesure de compensation, puisqu’il résulte du constat de l’agent de la ville de [Localité 6] et des pièces versées aux débats :
– que le logement est proposé à la location sur le site Airbnb depuis novembre 2015, au tarif de 50 euros par nuit plus frais hôteliers ;
– que l’annonce comporte 204 commentaires et qu’il a pu être effectué des simulations de réservation.
L’infraction aux dispositions des articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation est ainsi parfaitement caractérisée.
Concernant le quantum de l’amende, il y a lieu de rappeler le caractère d’intérêt général de la législation, l’objectif étant de lutter contre les difficultés de logement à [Localité 6].
La ville de [Localité 6] rappelle à juste titre que le gain tiré de la location de courte durée peut être estimé pour 22,5 nuits d’occupation moyenne à la somme mensuelle de 1.125 euros, là où le loyer mensuel classique compte tenu du loyer médian aurait été de 607 euros, et que le montant de la compensation aurait été de 15.000 euros (pièce 6 intimée), l’appelante ne pouvant être suivie lorsqu’elle estime avoir été déficitaire sur cette activité, étant observé que Mme [E] reconnaît elle-même à tout le moins un gain tiré des locations de courte durée de 14.025 euros, soit un montant en étroite proportion avec le montant de l’amende prononcé.
L’infraction a perduré à tout le moins de novembre 2015 au 25 avril 2019, date correspondant à la désactivation de l’annonce (selon pièce 15 appelante).
C’est encore à juste titre que la ville de [Localité 6] observe que l’argument tiré de l’absence d’enrichissement au détriment de la municipalité est inopérant, s’agissant d’une amende civile prononcée à la suite de la constatation d’une infraction.
L’amende civile a ainsi été justement fixée à la somme de 15.000 euros, montant qui apparaît tenir compte de la situation financière actualisée de l’appelante, dont le salaire brut mensuel est de 1.950 euros par mois (contrat de travail du 24 septembre 2021, pièce 27) et qui vit désormais séparée de son époux, et des circonstances de bonne foi alléguées par l’appelante, notamment la déclaration de meublé de tourisme qui a bien été effectuée et la collaboration avec les services de la ville de [Localité 6].
Aussi, la décision sera confirmée en tous ses éléments, en ce compris le sort des frais et dépens de première instance exactement réglé par le premier juge.
Partie succombante en appel, Mme [E] devra indemniser la ville de [Localité 6] pour ses frais non répétibles exposés à hauteur d’appel et sera condamnée aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme l’ordonnance entreprise ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [L] [N] épouse [E] à verser à la ville de [Localité 6] la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel ;
Condamne Mme [L] [N] épouse [E] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE